Paragraphe 2 Un obstacle financier encadré par
l'immixtion progressive de la CEDH dans l'arbitrage
53 Affirmer qu'il existe un principe
d'égalité entre les parties dans une procédure
d'arbitrage serait un doux euphémisme. Le coût de
la procédure représente un obstacle financier conséquent,
pour les plaideurs qualifiés de « partie faible ». En
pratique, les litigants impécunieux sont souvent privés de leur
droit d'accès à la justice arbitrale. De ce fait, la doctrine,
ainsi que les juridictions étatiques, se sont saisies de cette
difficulté, en s'interrogeant sur l'opportunité d'appliquer la
convention EDH à l'arbitrage, afin d'offrir de nouvelles garanties
procédurales aux plaideurs en difficulté. Il est à noter
que, dans un premier temps, la jurisprudence n'a pas souhaité faire
droit à cette alternative (A). Néanmoins, celle-ci décida,
dans un second temps, d'infléchir sa position en vue de répondre
aux problèmes d'impécuniosité dans l'arbitrage. Pour ce
faire, les juridictions étatiques ont convenu de re-connaitre une forme
d'application substantielle de l'article 6 paragraphe 1 de la convention EDH
sur l'arbitrage (B).
A) L'inapplicabilité formelle de la Convention EDH
à l'arbitrage
54 L'application de la Convention EDH à
la procédure d'arbitrage est une question for-
tement controversée au sein de la doctrine. Si certains
auteurs militent en faveur de l'extension du champ d'application de l'article 6
paragraphe 1 de ladite convention, afin de renforcer l'équilibre des
parties dans l'arbitrage, c'est un postulat qui ne fait pas
l'unanimité
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(1). En ce qui concerne la position de la jurisprudence, les
juridictions étatiques en ont conclu à une inapplicabilité
formelle de la convention à l'arbitrage (2).
1) Une question fortement débattue en doctrine
55 En matière d'arbitrage, deux courants
doctrinaux s'opposent quant à l'applicabilité
de l'arbitre 6 paragraphe 1 de la Convention EDH. En effet,
certains auteurs comme le professeur Serge GUINCHARD considèrent que
lorsque les parties décident de recourir à l'arbitrage, elles
renoncent à l'application de l'article 6 paragraphe 1 de ladite
convention, et plus généralement au droit à un
procès équitable43. Ce dernier démontre que le
recours à la Convention européenne des droits de l'homme dans
l'arbitrage n'est pas de droit.
56 Ainsi, les parties s'en affranchissent
dès lors qu'elles signent une clause compromis-
soire permettant d'écarter la compétence des
juridictions étatiques. L'essence même de la justice arbitrale ne
permet pas de respecter les exigences posées par la Convention EDH. A ce
titre, imposer le principe de la publicité des débats dans une
procédure d'arbitrage serait dénué de sens, dans la mesure
où l'arbitrage est une justice privée et donc par nature
secrète. Par conséquent, le principe du droit d'accès au
juge tel que garanti par l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH ne
saurait trouver d'écho dans le cadre de l'arbitrage.
57 De la même manière, les parties
n'ayant plus les capacités financières suffisantes
pour payer les frais de provision dans le cadre d'un
arbitrage, ne pourraient invoquer une quelconque atteinte à leur droit
d'accès à la justice.
58 Néanmoins, d'autres auteurs comme
Jean-François RENUCCI, estiment que
« l'accord sur l'arbitrage serait atteint si
l'arbitre n'exerce pas sa mission conformément aux garanties du
procès équitable »44. Cette thèse
repose sur le fait qu'un arbitre est investi d'un pouvoir juridictionnel, au
même titre que le juge étatique. De fait, si l'arbitrage est
avant
43 GUINCHAR Serge « Droit processuel/ Droits
fondamentaux du procès », Dalloz. 6ème
Ed.,2011.
44 RENUCCI Jean François « Droit
Européen des Droits de l'Homme », LGDJ. 2ème
Ed. 2012.
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tout une justice privée, il n'en demeure pas moins que
les décisions émanant des instances arbitrales revêtent un
caractère juridictionnel. En effet, les sentences arbitrales
répondent au principe de l'autorité de la chose jugée. Il
apparait donc nécessaire que la justice arbitrale se plie aux exigences
du procès équitable.
59 Cette division au sein de la doctrine a
fortement influencé la jurisprudence, qu'il
s'agisse aussi bien de celle relevant de Cour
européenne des droits de l'homme, que de celle découlant de nos
propres juridictions.
2) Une question partiellement tranchée par la
jurisprudence
60 A l'origine, il était d'usage que la
Convention européenne des droits de l'homme,
véritable clef de voute du procès
équitable, n'était pas applicable à l'arbitrage. Un tel
postulat se justifiait, dans la mesure où l'on considérait qu'un
tribunal arbitral ne pouvait être assimilé à une
juridiction étatique45. De ce fait, il apparaissait logique
de ne pas engager la responsabilité d'un Etat partie à la
Convention EDH sur la base d'une violation du droit au procès
équitable.
61 En ce sens, la Cour européenne des
droits de l'homme, dans un arrêt Deweer contre
Belgique du 27 février 1980, démontra que le
recours à la justice arbitrale devait s'entendre comme une renonciation
au droit à un tribunal. Malgré l'existence de déni de
justice dans l'arbitrage, pour des raisons d'impécuniosité, la
haute juridiction Européenne s'opposait à ce que les plaideurs en
difficulté invoquent la convention pour satisfaire leur droit au
procès équitable. Le respect de la convention d'arbitrage
s'imposait aux parties dès lors qu'elle était « libre,
licite et sans équivoque »46.
45 C.Cass, 1ère CIV, 20
février 2001, Rev. Arb. 2001.511, note : CLAY Thomas « La
Convention européenne des droits de l'homme, qui ne concerne que les
Etats et les juridictions étatiques, est sans application en la
matière ».
46 LAGARDE Xavier « L'ombre de la CEDH plane
sur les procédures d'arbitrage », Décideurs magazine,
article du 13/02/2012.
25
62 En outre, la jurisprudence poursuivit en
adoptant une position restrictive quant à
l'applicabilité de la Convention EDH à
l'arbitrage à l'occasion d'un arrêt Cubic du 20 février
200147. Bien qu'il ne s'agissait d'une affaire ayant trait à
un quelconque problème d'impécuniosité, la
société Cubic invoquait la violation de l'article 6 paragraphe 1
de la Convention EDH sur la base du non respect au principe de
l'impartialité de l'arbitre et du délai raisonnable de la
procédure.
63 Pour autant, la Cour de cassation rejeta
leur argumentation aux motifs que : « Et
attendu, sur le troisième moyen, fondé sur
l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, que la Convention précitée, qui ne concerne que les
Etats et les juridictions étatiques, est sans application en la
matière... que la cour d'appel a, sur ce point encore, légalement
justifié sa décision ; ». Ainsi, la Cour de cassation
s'appuya sur les développements initialement avancés par la Cour
européenne des droits de l'homme lors de l'affaire Deweer contre
Belgique.
64 Par ailleurs, la Cour d'appel de Paris eut
l'occasion de véritablement se prononcer
sur la question de l'impécuniosité et du droit
d'accès à la justice arbitrale dans un arrêt Maître
Stebler c/ Sté La Croissanterie, du 14 avril 2005. Dans cette affaire,
les juges du fond se devaient de répondre à la question suivante
: « Comment permettre un accès à la justice à la
partie liée par une clause d'arbitrage et dans l'incapacité
financière de payer la provision des frais d'arbitrage ?
»48. En l'espèce, il s'agissait d'une
société qui avait été placée en liquidation
judiciaire au cours d'une procédure d'arbitrage. Ladite procédure
était régie par le règlement d'arbitrage de la
Fédération de la Franchise. Ce règlement prévoyait
l'existence d'une procédure d'arbitrage avec un double degré de
juridiction. A l'issue de la première instance, la société
devenue impécunieuse perdit le procès.
65 Le liquidateur en charge de sa
représentation, formula une requête aux fins
d'interjeter appel de la sentence rendue par les arbitres.
Cependant, le tribunal arbitral rejeta la demande au motif que la partie
appelante n'avait pas payé la provision des frais correspondant au
montant de l'appel. Dès lors, la sentence arbitrale rendue en
première instance
47 C.Cass, 1ère Civ Cubic Defense
systems du 21 février 2001 : pourvoi n° 99 12.574, B.I N°
39.
48 LOQUIN Eric « La
partie impécunieuse et les conséquences de l'impossibilité
pour elle de payer les frais d'arbitrage » RTD Com. 2006 p. 308.
26
devint définitive, évacuant ainsi toute
possibilité de procéder à un nouvel examen de l'affaire.
Insatisfait de cette situation, le représentant de la
société en liquidation, saisit la Cour d'appel de Paris dans le
but de faire annuler la décision rendue.
66 De facto, ce dernier s'appuya sur les
dispositions du règlement d'arbitrage de la Fé-
dération de la Franchise, en démontrant que le
tribunal arbitral avait l'obligation de prendre en compte la situation
d'impécuniosité de la société. En ce sens, il cita
l'article 20 dudit règlement qui énonce que : « le
demandeur est garant de tous les frais d'arbitrage quels qu'ils soient et qu'il
est tenu de les verser par provision à la Chambre arbitrale dès
que celle-ci l'exige. A défaut du versement de la provision dans le
délai fixé par la chambre d'arbitrage, la demande d'arbitrage est
considérée comme retirée. Si les circonstances de
l'espèce le rendent nécessaires, la Chambre arbitrale peut fixer
exceptionnellement les frais d'arbitrage à un montant supérieur
ou inférieur à celui qui résulte de l'application du
barème ». En somme, le tribunal arbitral aurait dû
prendre en compte les circonstances de l'espèce, afin de permettre
à la société impécunieuse d'interjeter appel de la
sentence rendue.
67 Pour autant, la Cour d'appel de Paris refusa
d'annuler la sentence aux motifs que : «
les griefs formés par le recourant à
l'encontre de l'institution d'arbitrage relèvent de leurs relations
mutuelles et sont étrangers à la qualification de la
décision du tribunal arbitral, que, par suite, la clause du
règlement d'arbitrage stipulant qu'à défaut de versement
de la provision, la demande est considérée comme retirée,
la Chambre arbitrale a pu considérer que « le projet de sentence
peut être considéré aujourd'hui comme définitif
», faute d'accomplissement des formalités afférentes
à la demande d'arbitrage au second degré ». Les juges
du fond se sont donc livrés à une lecture restrictive du
règlement d'arbitrage, laissant le plaideur impécunieux essuyer
les conséquences d'un certain déni de justice.
68 De tels risques représentent un
véritable danger au regard de l'ordre public procé-
dural. C'est la raison pour laquelle, la jurisprudence
décida d'assouplir sa position, afin de renforcer l'équilibre des
parties dans une procédure d'arbitrage.
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