CONCLUSION
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
Toute analyse des petites constitutions révèle
à coup sûr une évidence essentielle : quelle que soit leur
forme, elles participent à la détermination d'un droit
constitutionnel des circonstances exceptionnelles. Mais, constituent-elles pour
autant des normes juridiques à part entière ?
La première partie de la présente étude a
le mérite de saisir le coeur de la question dans une vision
théorique, c'est-à-dire en s'attachant à décrire,
l'instrument que constituent les petites constitutions, à travers leur
nature et leurs fonctions. Ainsi est-il paru important, dans cette analyse
théorique, d'insister sur leur aspect normatif. L'étude de cet
aspect a donc montré que celles-ci conservent une nature juridique
controversée due à leur déficit de légalité
parce que défiant toute logique des mécanismes du positivisme
classique238. Cependant, cette controverse ne cache
pas pour autant la singularité qui leur est attachée faisant
d'eux une norme « sui generis
»239.
Aussi est-il clairement apparu que, quelque pertinentes
qu'elles soient dans les processus de transition constitutionnelle et de
résolution des crises en Afrique, les petites constitutions assurent
lors du passage entre deux ordres juridiques, un certain degré de
formalisation de la production normative, et organisent les rapports entre les
pouvoirs publics pendant les périodes de transition ou de la crise.
Cependant, toute étude sur les petites constitutions,
pour utile qu'elle soit, reste handicapée si elle est uniquement
consacrée à une analyse théorique. Il faut
nécessairement dépasser cette analyse théorique pour
s'intéresser à la pratique qui en est faite par les acteurs
politiques, afin de mesurer leur efficacité.
La deuxième partie relative à la typologie des
petites constitutions, s'est donc appesantie sur leur aspect pratique à
partir des cas congolais, ivoirien, tunisien et togolais. Cette analyse
pratique a donc, l'avantage d'établir une classification de ces textes
sur un critère fondé sur l'identité du pouvoir constituant
provisoire qui peut être « national » ou « international
». En effet, l'élaboration des petites constitutions, si elle
n'intervient pas
238 Nous nous référons
principalement à la théorie de KELSEN et
précisément au normativisme juridique pour qui, la
création d'une norme doit être déterminée par une
autre norme pour faire partie de l'ordre juridique, ce qui ne correspond pas a
la nature des petites constitutions.
239 Terme latin qui signifie : « de son
propre genre ».
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la Tunisie et du Togo.
dans le cadre d'une procédure constituante interne,
reste marquée du sceau de la communauté internationale dans le
cadre d'une procédure constituante extérieure.
Cependant, comme nous l'avons montré tout au long de
cette étude, les processus constituants des Etats en crise en Afrique
cherchent leur légitimité soit, dans la continuité avec
l'ordre juridique précédent (cas de la Tunisie), soit dans la
rupture avec ce dernier (cas du Togo), ou soit, dans l'extranéité
supranationale à travers la quête de crédibilité du
processus mais aussi de son acceptabilité par la communauté
internationale (cas de la Côte d'Ivoire et de la République
Démocratique du Congo).
Toutefois, les Etats objet de cette étude permettent de
voir que le « renouveau du constitutionnalisme a besoin d'être
enraciné »240. Ceci passe
inéluctablement par des Constitutions dont les dispositions sont
acceptables par tous. Certes, à l'instar du cas togolais, les
transitions africaines durant la période dite « d'inflation
démocratique» ou « d'euphorie constitutionnelle
»241, n'ont pas été d'une
grande réussite, parce que, ayant accouché des Constitutions qui
aujourd'hui passent difficilement l'épreuve de leur mise en application
: des « Constitution de l'urgence
»242, le plus souvent «
influencées par des modèles à la pertinence
insuffisamment expertisée et rédigées sous l'emprise de la
nécessité pour tenter de relever sur-le-champ des défis
exceptionnels »243.
Mais, l'approche par les petites constitutions s'avère
toujours pertinente, en ce sens que ces dernières facilitent la
compréhension des enjeux juridiques et politiques par une
majorité de citoyens et assurent l'adéquation de la Constitution
définitive au contexte socio-politique et historique des
Etats244. Le cas tunisien en est une illustration
de fierté245.
240 KPODAR (A.), «
Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels
posés par l'accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 »,
op.cit.
241 DU BOIS DE GAUDUSSON
(J.), « Défense et illustration du
constitutionnalisme en Afrique après
quinze ans de pratique du pouvoir », in le renouveau
du droit constitutionnel, Mélanges en l'honneur de Louis
FAVOREU, Paris, Dalloz 2007, op.cit., p. 623.
242 ZAKI (M.), « Petite
constitution et droit transitoire en Afrique », p. 1669,
op.cit.
243 Alioune SALL relève à cet
égard que « dès le début des années
quatre-vingt-dix (...) les constitutions ont été abrogées
ou modifiées en Côte d'Ivoire (avril 1991), au Rwanda (mai 1991)
au Burkina Faso (juin 1991), en Mauritanie (juillet 1991), au Mali (août
1991), au Sénégal (octobre 1991), au Congo (mars 1992), à
Madagascar (août 1992), à Djibouti (septembre 1992), au Niger
(décembre 1992) », in « Processus démocratique et
bicéphalisme du pouvoir exécutif en Afrique noire francophone: un
essai de bilan», Nouvelles Annales Africaines, no2-2008, p.
210.
244 Voir en ce sens ZAKI
(M.), « Petite constitution et droit transitoire
en Afrique », op.cit., p. 1672.
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Au surplus, on retiendra de cette étude, que le
phénomène des petites constitutions en Afrique, notamment avec
les accords politiques, doit être pris au sérieux. En effet ces
derniers déconstruisent l'ordre juridique existant en créant en
période de crise, un nouveau droit constitutionnel, en marge de la norme
officielle246. Ainsi, les petites constitutions
sont-elles des vraies Constitutions247.
Cependant, même si le fait que ces petites constitutions
en principe exceptionnelles soient devenues si courantes sur le continent
constituerait un phénomène propre à inquiéter
l'observateur averti248, elles participent à
l'ouverture d'une nouvelle réflexion sur la théorie
constitutionnelle africaine avec en toile de fond la problématique de
savoir si en Afrique la Constitution n'est pas en dehors de la
Constitution249. La présente étude
n'a pas la prétention d'y répondre, mais de prolonger la
réflexion.
245 La Tunisie a réussi par le biais
de la Loi constituante no2011-6, à adopter une constitution
démocratique très progressiste et surtout à organiser la
première élection présidentielle libre et
démocratique de son histoire.
246
Sur ce point, il faut relever que le débat sur la
valeur respective des normes constitutionnelles et des normes internationales,
ou celles adoptées sous les auspices de la communauté
internationale, revient assurément sur le devant de la scène
doctrinale. Certains considèrent que la Constitution doit
prévaloir parce qu'elle n'est pas abrogée. D'autres au contraire
soutiennent que le Chef de l'Etat ou ses représentants, en signant des
conventions politiques anticonstitutionnelles par certaines de leurs
dispositions, reconnaissent par conséquent le déclassement de la
norme constitutionnelle au profit de normes politiques adoptées sur la
base du consensus. Cette controverse traduit, en arrière-plan, la
polémique qui enfle dans l'opinion publique à ce sujet. En
Côte d'Ivoire par exemple, le président Laurent GBAGBO
et ses partisans estimaient que force devait rester à la
Constitution, réaffirmant ainsi sa prépondérance sur les
normes internationales, ou celles marquées du sceau des instances
internationales. En revanche, les adversaires du président
GBAGBO récusaient cette position et
considéraient plutôt les accords politiques comme
prépondérants sur les normes internes ivoiriennes, par
référence à l'intervention de la communauté
internationale dans la procédure d'élaboration de ceux-ci. Mieux,
les différentes résolutions onusiennes qui ont été
prises dans le cadre de cette crise ont été davantage
perçues comme des normes supra-constitutionnelles.
247 C'est la véritable conclusion de la
présente étude.
248 C'est tout simplement parce que la
logique juridique aurait consisté plutôt à régler
les crises dans le cadre de la normativité constitutionnelle que dans le
cadre des compromis politiques.
249 En Afrique, les règles de
fonctionnement et d'exercice du pouvoir politique sont, des fois, en dehors de
la norme fondamentale, parce que gérées par des accords
politiques. D'où la problématique.
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