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Les petites constitutions en Afrique: essai de réflexion à  partir des exemples de la Côte d'Ivoire, de la RDC, de la Tunisie et du Togo.

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par Kakessiwa Kokou KOMLAN
Université de Lomé - Master 2 en Droit Public 2015
  

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A. La question de l'éligibilité à la fonction présidentielle

La principale question qui se posait donc en Côte d'Ivoire, était celle relative aux règles d'éligibilité à la fonction de Président de la République197, lesquelles règles n'ont pas reçu un écho favorable dans l'ensemble de la classe politique ivoirienne.

En effet pour écarter l'ancien Premier Ministre, Alassane OUATTARA de la candidature à la magistrature suprême, le général Robert GUEI, alors Président de la République, inséra in-extremis dans la Constitution, l'article 35 qui prévoit que le candidat « doit être exclusivement de nationalité ivoirienne né de père et de mère ivoirien d'origine »198. A l'occasion du Forum pour la réconciliation (octobre-décembre 2001), le Président Laurent GBAGBO confirma ces dispositions de l'article 35.

196 Pour une étude de cet accord, voir notamment KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les

problèmes constitutionnels posés par l'accord de Linas- Marcoussis du 23 janvier 2003 », op.cit., pp. 2503- 2526.

197 Voir OBOU (O.), Requiem pour un code électoral, PU de Côte d'Ivoire, 2000, p. 60 et s.

198 Article 35 de la Constitution ivoirienne.

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C'est donc cette disposition qui a fracturé la Côte d'Ivoire et qui a empoisonné la situation, par son caractère discriminatoire. Cependant, l'Accord de Linas-Marcoussis complété en cela par les accords d'Accra199 et de Pretoria200, imposait une révision de cette disposition comme base de règlement de la crise201. Mais cette modification n'a pu être faite pour deux raisons fondamentales : la première tient au fait qu'une partie du territoire étant occupée par la rébellion, la révision ne peut avoir lieu puisqu'il y a atteinte à l'intégrité du territoire. La deuxième plus technique tient à des contraintes tenant à la procédure de révision. Comme le précise le professeur F. D. MELEDJE, « ce dont il s'est agi en Côte d'Ivoire va bien au-delà de la révision informelle. La situation qui prévaut dans ce pays nous place devant deux exigences toutes à la fois forte et contradictoires : d'un côté, une exigence d'ordre juridique liée à la nécessité de se conformer à la procédure de révision constitutionnelle et de se soumettre à la limite à la révision de la Constitution ; de l'autre, une préoccupation politique tenant à la nécessité de règlement de la crise politique qui affecte non seulement le pays mais également toute la région ouest-africaine »202.

Face à cette situation, la communauté internationale, à travers les instances onusiennes et de l'Union Africaine (UA), a entrepris de mettre entre parenthèses la Constitution ivoirienne en demandant notamment au Président GBAGBO d'user de la faculté que lui réserve certaines dispositions de la Constitution pour écarter l'application de celle-ci sur cette question203. Cela n'ayant pas été fait, on se retrouva très vite dans une impasse qui exacerba la crise.

199 Accord d'Accra III, du 30 juillet 2004.

200 Accord de Pretoria, 6 avril 2005, S/2005/279, Annexe 1.

201 A vrai dire, comme l'explique un auteur, « il y a dans les accords une sorte de lecture imposée de la Constitution parmi toutes celles que permettent évidemment ces textes (...) bref, toute une série de conditions qui en rajoutent par rapport au texte constitutionnel et qui, à l'évidence, relèvent des choix de souveraineté ». Cf. notamment COTTEREAU (G.), « Une licorne en Côte d'Ivoire au service de la paix. Avant Marcoussis et jusqu'à la réconciliation ? », A.F.D.I., 2003, p. 197.

202 MELEDJE (D. F.), « Faire, défaire et refaire la Constitution en Côte d'Ivoire : un exemple d'instabilité

chronique », Communication à la Conférence sur le constitutionnalisme en Afrique, Nairobi, Avril 2007, organisé par le Réseau Africain de droit Constitutionnel.

203 Cette demande avait été faite notamment par l'ancien Président sud-africain Thabo MBEKI en sa qualité de médiateur dans une lettre adressée aux signataires de l'Accord de Pretoria.

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C'est alors que le Conseil de Sécurité des Nations Unies, dans une résolution prise en vertu du Chapitre VII de la Charte204, notamment la résolution 1633 du 21 octobre 2005, imposa au gouvernement en place, le respect des dispositions de l'accord de Linas-Marcoussis relatives à la révision du fameux article 35. Ce qui a donc permis à l'ancien Premier ministre Alassane OUATTARA, de se présenter à l'élection du Président de la république, en dépit des conditions fixées par la Constitution.

Cependant la résolution de la crise ivoirienne passe non seulement par la révision de l'article 35 de la Constitution, mais aussi, fondamentalement, par l'organisation d'élections démocratiques.

B. La question de l'organisation des élections présidentielles

L'utilisation par le Conseil de sécurité des Nations Unies d'une résolution pour traiter d'une question relevant principalement du domaine réservé des Etats, n'est pas contraire au texte de la Charte des Nations Unies. Elle est parfaitement conforme au droit de la Charte, dès lors que la situation dont il s'agit constitue aux yeux du Conseil de sécurité lui-même, une menace contre la paix et la sécurité internationales. On remarquera ainsi que la résolution 1765 du 16 juillet 2007 constitue d'une certaine façon un de ces actes unilatéraux par lesquels le Conseil de sécurité des Nations Unies a entendu encadrer le processus électoral en Côte d'Ivoire.

Le rôle de l'ONU dans la gestion de la crise ivoirienne a donc été déterminant jusqu'aux élections présidentielles.

Tout d'abord, face à l'impossibilité d'organiser des élections présidentielles, alors que le mandat du Président GBAGBO était arrivé à son terme, le Conseil de sécurité des Nations Unies décida de maintenir ce dernier en fonction. Mais ce faisant, il opère une limitation temporelle d'une année à ce maintien, au bout de laquelle se dérouleront les élections205. Ces élections se déroulèrent finalement le 28 novembre 2010. Cependant, pour

204 Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies est relative à l'action du Conseil de sécurité en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. Si le Chapitre VII, laisse une large marge d'appréciation au Conseil de sécurité en ce qui concerne la qualification d'une « menace contre la paix », il n'en demeure pas moins que le Conseil de sécurité agisse « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Voir Article 39 de la Charte des Nations Unies.

205 SALE (T.), « Le principe de l'exclusivité de l'Etat dans la détermination de son régime politique :

quelle actualité au regard des mutations de l'exception terminale de l'article 2 §7 ? », in La pratique de

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répondre aux exigences des différents protagonistes de la crise ivoirienne, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1765 a donné pouvoir au Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d'Ivoire pour certifier lesdites élections. Cette résolution affirme clairement que « les résultats des élections seront certifiés d'une façon explicite. Une fois certifiés, le Certificateur n'admettra donc pas que les résultats fassent l'objet de contestations non démocratiques ou de compromissions »206.

Ainsi, sous l'égide de l'ONU, la parole fut donnée au peuple ivoirien pour choisir démocratiquement le nouveau dirigeant de l'Etat. La réussite de ces élections résulte donc du degré d'implication de l'ONU qui a piloté du début jusqu'à la fin, le processus électoral. L'on doit relever que cette mise sous tutelle du processus électoral ivoirien, même si elle n'est pas inédite207 reste l'exemple le plus remarquable d'une imposition de la procédure constituante par le modèle de la révision constitutionnelle dans les Etats en crise en Afrique.

Par ailleurs, on relèvera en outre dans la résolution de cette crise ivoirienne, un renversement de l'ordre institutionnel imposé par le Conseil de sécurité.

§ 2. LE RENVERSEMENT DE L'ORDRE INSTITUTIONNEL

Le renversement de l'ordre institutionnel ivoirien imposé par le Conseil de sécurité des Nation Unies est manifeste. En effet les prérogatives du Président de la République, Chef de l'exécutif selon la Constitution (A), ont été transférées par l'accord de Marcoussis au Premier ministre (B).

l'exception posée par l'article 2 §7 de la Charte des Nations Unies : que reste- t- il de la clause de compétence ?, Civitas Europa, n° 17, décembre 2006, p. 176.

206 Résolution 1765 du 16 juillet 2007.

207 L'ONU a déjà expérimenté l'organisation et le contrôle des élections dans des situations presque

similaires à celle de la Cote d'Ivoire. On peut en effet citer les exemples du Cambodge en 1995 et du Kossovo en 2003.

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A. Le Président de la république ivoirienne : constitutionnellement Chef de l'exécutif

La Constitution ivoirienne répartit clairement les compétences entre les deux têtes de l'exécutif à savoir à savoir le Chef de l'Etat et le Premier ministre. Cependant les pouvoirs du Chef de l'Etat ivoirien se présentent sous des formes diverses et variées.

D'abord, il dispose de la totalité des compétences exécutives. En étant « détenteur exclusif du pouvoir exécutif »208, il apparait également comme le Chef de l'administration209. Dans ces conditions il assure l'exécution des lois et des décisions de justice. Il dispose du pouvoir réglementaire210. Ses actes ne sont soumis à aucun contreseing211.

Ensuite il dispose d'importantes compétences politiques, diplomatiques et militaires. Il nomme aux fonctions politiques (dont la nomination du Premier ministre et des autres ministres)212 et aux emplois civils et militaires213. En sa qualité du Chef suprême des armées, il préside le Conseil Supérieur de la Défense214.

Par ailleurs, en matière législative et constitutionnelle, le Chef de l'Etat dispose de certains pouvoirs, dont, l'initiative des lois215, le droit de demander une seconde délibération, le droit de prendre des ordonnances216, la défense de la Constitution et l'initiative référendaire217.

Enfin en matière judiciaire, il dispose du droit de grâce218.

208 Article 41 de la Constitution ivoirienne.

209 Article 46 de la Constitution ivoirienne.

210 Art. 44 de la Constitution ivoirienne.

211 Le contreseing est généralement défini comme la signature apposée à coté de celle de l'auteur d'un acte, par une autorité qui authentifie la signature dudit auteur et joue ainsi le rôle de témoin de l'acte.

212 Article 41 al. 1er de la Constitution ivoirienne.

213 Article 46, précité.

214 Article 47 de la constitution ivoirienne.

215 Il partage néanmoins cette initiative avec les membres de l'Assemblée nationale, article 42 de la Constitution ivoirienne.

216 Article 75 de la Constitution ivoirienne.

217 Article 43 de la Constitution ivoirienne.

218 Article 49 de la Constitution ivoirienne.

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Face à ces nombreuses compétences du Président de la République, la Constitution, s'agissant des compétences du Premier ministre, n'a prévu qu'une seule disposition : « Le Premier ministre anime et coordonne l'action gouvernementale »219. Cette disposition est donc évocatrice d'une réalité, celle de la situation d'infériorité ou de l'état de soumission du Premier ministre au Président de la République. Cela apparaît d'ailleurs clairement à l'article 41. En effet, aux termes de cet article, le chef de l'Etat nomme le Premier ministre et les autres ministres librement. Il met tout aussi librement fin à leurs fonctions220. C'est d'ailleurs ce qui fait dire que le Premier ministre ivoirien est un Premier ministre de « déconcentration »221. Il n'est qu'un simple collaborateur chargé d'assurer l'unité gouvernementale en vue de réaliser, la politique du chef de l'Etat.

Mais avec l'accord de Marcoussis dont le respect a été imposé par le Conseil de sécurité des nations Unies, il y a bien un renversement de la situation.

B. Le Premier ministre ivoirien : conventionnellement Chef de l'exécutif

Il y a, bel et bien un renversement des prérogatives du chef de l'exécutif au profit du Premier ministre, avec l'application de l'accord de Marcoussis.

Alors que la Constitution prévoit que le premier ministre tout comme les autres ministres sont nommés par le Président de la République, en sa qualité de détenteur exclusif du pouvoir exécutif, le Conseil de sécurité, par la résolution 1633, maintient ce dernier dans sa compétence de nomination, mais subordonne celle-ci aux consultations organisées par le président de la CEDEAO et le médiateur de l'Union Africaine.222. La résolution 1633 opère donc un renversement des prérogatives, en confiant l'essentiel de

219 Article 41 al. 1er précité.

220 « Il nomme le Premier ministre chef du gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses fonctions (...) Sur proposition du premier ministre, le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et détermine leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes conditions ».

221 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.), « Quel statut pour le Chef d'Etat en Afrique ? » in le nouveau constitutionnalisme, Mélanges Gérard CONAC, p. 334.

222 Résolution. 1633, §5. Ainsi le Conseil « Priait instamment le Président de l'Union Africaine, le Président de la CEDEAO et le médiateur de l'Union africaine de consulter immédiatement tous les partis ivoiriens en vue de la nomination (...) d'un nouveau premier ministre acceptable pour tous les partis signataires de l'Accord de Marcoussis, conformément à l'article ii du paragraphe 10 de la décision du Conseil de paix et de sécurité (...) ».

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tous les pouvoirs et de toutes les ressources au premier ministre internationalement choisi et en confinant le Président de la République dans un rôle presqu'honorifique223.

Cependant, ce renforcement des prérogatives va d'ailleurs s'accentuer dans le cadre d'une autre résolution du Conseil de sécurité prise le 1er novembre 2006 en vertu du Chapitre VII, sur la situation en Côte d'Ivoire : il s'agit de la résolution 1721. Reprenant donc presque de manière mécanique certaines dispositions de la résolution 1633, cette résolution impose que le premier ministre « dispose de tous les pouvoirs nécessaires, de toutes les ressources financières, matérielles et humaines requises et d'une autorité totale et sans entraves »224. Mais elle semble aller au-delà tant de la résolution 1633 que même de l'Accord de Marcoussis auxquels elle fait expressément référence. Comme le montre avec une certaine pertinence un analyste de la situation ivoirienne, « contrairement à l'accord parisien et à la résolution 1633 qui y fait renvoi à ce sujet, l'ambition clairement affichée de donner au premier ministre la prééminence au sein de l'exécutif justifia que la résolution 1721 lui octroya d'immenses pouvoirs »225. Ce faisant, le Conseil de sécurité fait du premier ministre le véritable Chef de l'exécutif, en le dégageant de sa responsabilité vis-à-vis du Président de la République tout en lui soumettant celle des ministres226

On est alors, indiscutablement dans cette dérive parlementariste par laquelle, s'affranchissant des dispositions du texte constitutionnel, des instances internationales réaménagent la hiérarchie des pouvoirs dans l'Etat au profit d'une autorité en principe inférieure, en l'occurrence ici le premier ministre. Et on ne peut qu'être d'accord avec

223 Idem. § 8 : souligne que le Premier ministre doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires,

conformément à l'Accord de Marcoussis, ainsi que de toutes les ressources financières, matérielles et humaines voulues (...).

224 Résolution 1721, §8.

225 AGNERO (P.M.), « La réalité du bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien », R.F.D.C., n° 75, juillet 2008, p. 547.

226

Résolution 1721, § 6 et 7. Le Conseil « Appuie pleinement l'article iii) du paragraphe 10 de la décision du Conseil de paix et de sécurité, dans lequel il est souligné que les ministres rendront compte au Premier ministre, qui exercera pleinement son autorité sur son cabinet », et « Réaffirme combien il importe que les ministres participent pleinement au Gouvernement de réconciliation nationale, comme il ressort clairement des déclarations de son président (...), considère donc que, si un ministre ne participe pas pleinement audit Gouvernement, son portefeuille doit être repris par le Premier ministre (...) ».

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certains lorsqu'ils évoquent à ce sujet une sorte de « parlementarisation » d'un régime pourtant présidentiel227.

Globalement, on retiendra donc que, ayant été appliqué dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, l'accord de Marcoussis adopte le principe des petites constitutions imposées aux Etats en crise. Cependant, si ces petites constitutions sont des fois imposées aux Etats en crise comme la Côte d'Ivoire, elles peuvent être également le résultat de longues négociations comme ce fut le cas en République Démocratique du Congo.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand