A. La question de l'éligibilité à la
fonction présidentielle
La principale question qui se posait donc en Côte
d'Ivoire, était celle relative aux règles
d'éligibilité à la fonction de Président de la
République197, lesquelles règles
n'ont pas reçu un écho favorable dans l'ensemble de la classe
politique ivoirienne.
En effet pour écarter l'ancien Premier Ministre,
Alassane OUATTARA de la candidature à la magistrature suprême, le
général Robert GUEI, alors Président de la
République, inséra in-extremis dans la Constitution,
l'article 35 qui prévoit que le candidat « doit être
exclusivement de nationalité ivoirienne né de père et de
mère ivoirien d'origine »198. A
l'occasion du Forum pour la réconciliation (octobre-décembre
2001), le Président Laurent GBAGBO confirma ces dispositions de
l'article 35.
196 Pour une étude de cet accord, voir
notamment KPODAR (A.), « Politique et
ordre juridique : les
problèmes constitutionnels posés par l'accord de
Linas- Marcoussis du 23 janvier 2003 », op.cit., pp. 2503-
2526.
197 Voir OBOU
(O.), Requiem pour un code électoral,
PU de Côte d'Ivoire, 2000, p. 60 et s.
198 Article 35 de la Constitution ivoirienne.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
C'est donc cette disposition qui a fracturé la
Côte d'Ivoire et qui a empoisonné la situation, par son
caractère discriminatoire. Cependant, l'Accord de Linas-Marcoussis
complété en cela par les accords
d'Accra199 et de
Pretoria200, imposait une révision de cette
disposition comme base de règlement de la
crise201. Mais cette modification n'a pu être
faite pour deux raisons fondamentales : la première tient au fait qu'une
partie du territoire étant occupée par la rébellion, la
révision ne peut avoir lieu puisqu'il y a atteinte à
l'intégrité du territoire. La deuxième plus technique
tient à des contraintes tenant à la procédure de
révision. Comme le précise le professeur F. D. MELEDJE, «
ce dont il s'est agi en Côte d'Ivoire va bien au-delà de la
révision informelle. La situation qui prévaut dans ce pays nous
place devant deux exigences toutes à la fois forte et contradictoires :
d'un côté, une exigence d'ordre juridique liée à la
nécessité de se conformer à la procédure de
révision constitutionnelle et de se soumettre à la limite
à la révision de la Constitution ; de l'autre, une
préoccupation politique tenant à la nécessité de
règlement de la crise politique qui affecte non seulement le pays mais
également toute la région ouest-africaine
»202.
Face à cette situation, la communauté
internationale, à travers les instances onusiennes et de l'Union
Africaine (UA), a entrepris de mettre entre parenthèses la Constitution
ivoirienne en demandant notamment au Président GBAGBO d'user de la
faculté que lui réserve certaines dispositions de la Constitution
pour écarter l'application de celle-ci sur cette
question203. Cela n'ayant pas été
fait, on se retrouva très vite dans une impasse qui exacerba la
crise.
199 Accord d'Accra III, du 30 juillet 2004.
200 Accord de Pretoria, 6 avril 2005,
S/2005/279, Annexe 1.
201 A vrai dire, comme l'explique un auteur,
« il y a dans les accords une sorte de lecture imposée de la
Constitution parmi toutes celles que permettent évidemment ces textes
(...) bref, toute une série de conditions qui en rajoutent par rapport
au texte constitutionnel et qui, à l'évidence, relèvent
des choix de souveraineté ». Cf. notamment COTTEREAU
(G.), « Une licorne en Côte d'Ivoire au
service de la paix. Avant Marcoussis et jusqu'à la réconciliation
? », A.F.D.I., 2003, p. 197.
202 MELEDJE (D.
F.), « Faire, défaire et refaire la Constitution
en Côte d'Ivoire : un exemple d'instabilité
chronique », Communication à la Conférence
sur le constitutionnalisme en Afrique, Nairobi, Avril 2007, organisé par
le Réseau Africain de droit Constitutionnel.
203 Cette demande avait été
faite notamment par l'ancien Président sud-africain Thabo MBEKI
en sa qualité de médiateur dans une lettre
adressée aux signataires de l'Accord de Pretoria.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
C'est alors que le Conseil de Sécurité des
Nations Unies, dans une résolution prise en vertu du Chapitre VII de la
Charte204, notamment la résolution 1633 du
21 octobre 2005, imposa au gouvernement en place, le respect des dispositions
de l'accord de Linas-Marcoussis relatives à la révision du fameux
article 35. Ce qui a donc permis à l'ancien Premier ministre Alassane
OUATTARA, de se présenter à l'élection du Président
de la république, en dépit des conditions fixées par la
Constitution.
Cependant la résolution de la crise ivoirienne passe
non seulement par la révision de l'article 35 de la Constitution, mais
aussi, fondamentalement, par l'organisation d'élections
démocratiques.
B. La question de l'organisation des élections
présidentielles
L'utilisation par le Conseil de sécurité des
Nations Unies d'une résolution pour traiter d'une question relevant
principalement du domaine réservé des Etats, n'est pas contraire
au texte de la Charte des Nations Unies. Elle est parfaitement conforme au
droit de la Charte, dès lors que la situation dont il s'agit constitue
aux yeux du Conseil de sécurité lui-même, une menace contre
la paix et la sécurité internationales. On remarquera ainsi que
la résolution 1765 du 16 juillet 2007 constitue d'une certaine
façon un de ces actes unilatéraux par lesquels le Conseil de
sécurité des Nations Unies a entendu encadrer le processus
électoral en Côte d'Ivoire.
Le rôle de l'ONU dans la gestion de la crise ivoirienne
a donc été déterminant jusqu'aux élections
présidentielles.
Tout d'abord, face à l'impossibilité d'organiser
des élections présidentielles, alors que le mandat du
Président GBAGBO était arrivé à son terme, le
Conseil de sécurité des Nations Unies décida de maintenir
ce dernier en fonction. Mais ce faisant, il opère une limitation
temporelle d'une année à ce maintien, au bout de laquelle se
dérouleront les élections205. Ces
élections se déroulèrent finalement le 28 novembre 2010.
Cependant, pour
204 Le Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies est relative à l'action du Conseil de sécurité en
cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. Si
le Chapitre VII, laisse une large marge d'appréciation au Conseil de
sécurité en ce qui concerne la qualification d'une «
menace contre la paix », il n'en demeure pas moins que le Conseil
de sécurité agisse « pour maintenir ou rétablir
la paix et la sécurité internationales ». Voir Article
39 de la Charte des Nations Unies.
205 SALE (T.), « Le
principe de l'exclusivité de l'Etat dans la détermination de son
régime politique :
quelle actualité au regard des mutations de l'exception
terminale de l'article 2 §7 ? », in La pratique de
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo,
de la Tunisie et du Togo.
répondre aux exigences des différents
protagonistes de la crise ivoirienne, le Conseil de sécurité,
dans sa résolution 1765 a donné pouvoir au Représentant
spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en
Côte d'Ivoire pour certifier lesdites élections. Cette
résolution affirme clairement que « les résultats des
élections seront certifiés d'une façon explicite. Une fois
certifiés, le Certificateur n'admettra donc pas que les résultats
fassent l'objet de contestations non démocratiques ou de compromissions
»206.
Ainsi, sous l'égide de l'ONU, la parole fut
donnée au peuple ivoirien pour choisir démocratiquement le
nouveau dirigeant de l'Etat. La réussite de ces élections
résulte donc du degré d'implication de l'ONU qui a piloté
du début jusqu'à la fin, le processus électoral. L'on doit
relever que cette mise sous tutelle du processus électoral ivoirien,
même si elle n'est pas inédite207
reste l'exemple le plus remarquable d'une imposition de la procédure
constituante par le modèle de la révision constitutionnelle dans
les Etats en crise en Afrique.
Par ailleurs, on relèvera en outre dans la
résolution de cette crise ivoirienne, un renversement de l'ordre
institutionnel imposé par le Conseil de sécurité.
§ 2. LE RENVERSEMENT DE L'ORDRE INSTITUTIONNEL
Le renversement de l'ordre institutionnel ivoirien
imposé par le Conseil de sécurité des Nation Unies est
manifeste. En effet les prérogatives du Président de la
République, Chef de l'exécutif selon la Constitution (A), ont
été transférées par l'accord de Marcoussis au
Premier ministre (B).
l'exception posée par l'article 2 §7 de la
Charte des Nations Unies : que reste- t- il de la clause de compétence
?, Civitas Europa, n° 17, décembre 2006, p. 176.
206 Résolution 1765 du 16 juillet
2007.
207 L'ONU a déjà
expérimenté l'organisation et le contrôle des
élections dans des situations presque
similaires à celle de la Cote d'Ivoire. On peut en
effet citer les exemples du Cambodge en 1995 et du Kossovo en 2003.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
A. Le Président de la république ivoirienne
: constitutionnellement Chef de l'exécutif
La Constitution ivoirienne répartit clairement les
compétences entre les deux têtes de l'exécutif à
savoir à savoir le Chef de l'Etat et le Premier ministre. Cependant les
pouvoirs du Chef de l'Etat ivoirien se présentent sous des formes
diverses et variées.
D'abord, il dispose de la totalité des
compétences exécutives. En étant «
détenteur exclusif du pouvoir exécutif
»208, il apparait également comme
le Chef de l'administration209. Dans ces conditions
il assure l'exécution des lois et des décisions de justice. Il
dispose du pouvoir réglementaire210. Ses
actes ne sont soumis à aucun
contreseing211.
Ensuite il dispose d'importantes compétences
politiques, diplomatiques et militaires. Il nomme aux fonctions politiques
(dont la nomination du Premier ministre et des autres
ministres)212 et aux emplois civils et
militaires213. En sa qualité du Chef
suprême des armées, il préside le Conseil Supérieur
de la Défense214.
Par ailleurs, en matière législative et
constitutionnelle, le Chef de l'Etat dispose de certains pouvoirs, dont,
l'initiative des lois215, le droit de demander une
seconde délibération, le droit de prendre des
ordonnances216, la défense de la
Constitution et l'initiative
référendaire217.
Enfin en matière judiciaire, il dispose du droit de
grâce218.
208 Article 41 de la Constitution ivoirienne.
209 Article 46 de la Constitution ivoirienne.
210 Art. 44 de la Constitution ivoirienne.
211 Le contreseing est
généralement défini comme la signature apposée
à coté de celle de l'auteur d'un acte, par une autorité
qui authentifie la signature dudit auteur et joue ainsi le rôle de
témoin de l'acte.
212 Article 41 al. 1er de la
Constitution ivoirienne.
213 Article 46, précité.
214 Article 47 de la constitution ivoirienne.
215 Il partage néanmoins cette
initiative avec les membres de l'Assemblée nationale, article 42 de la
Constitution ivoirienne.
216 Article 75 de la Constitution ivoirienne.
217 Article 43 de la Constitution ivoirienne.
218 Article 49 de la Constitution ivoirienne.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
Face à ces nombreuses compétences du
Président de la République, la Constitution, s'agissant des
compétences du Premier ministre, n'a prévu qu'une seule
disposition : « Le Premier ministre anime et coordonne l'action
gouvernementale »219. Cette disposition
est donc évocatrice d'une réalité, celle de la situation
d'infériorité ou de l'état de soumission du Premier
ministre au Président de la République. Cela apparaît
d'ailleurs clairement à l'article 41. En effet, aux termes de cet
article, le chef de l'Etat nomme le Premier ministre et les autres ministres
librement. Il met tout aussi librement fin à leurs
fonctions220. C'est d'ailleurs ce qui fait dire que
le Premier ministre ivoirien est un Premier ministre de «
déconcentration »221. Il n'est
qu'un simple collaborateur chargé d'assurer l'unité
gouvernementale en vue de réaliser, la politique du chef de l'Etat.
Mais avec l'accord de Marcoussis dont le respect a
été imposé par le Conseil de sécurité des
nations Unies, il y a bien un renversement de la situation.
B. Le Premier ministre ivoirien : conventionnellement
Chef de l'exécutif
Il y a, bel et bien un renversement des prérogatives du
chef de l'exécutif au profit du Premier ministre, avec l'application de
l'accord de Marcoussis.
Alors que la Constitution prévoit que le premier
ministre tout comme les autres ministres sont nommés par le
Président de la République, en sa qualité de
détenteur exclusif du pouvoir exécutif, le Conseil de
sécurité, par la résolution 1633, maintient ce dernier
dans sa compétence de nomination, mais subordonne celle-ci aux
consultations organisées par le président de la CEDEAO et le
médiateur de l'Union Africaine.222. La
résolution 1633 opère donc un renversement des
prérogatives, en confiant l'essentiel de
219 Article 41 al. 1er
précité.
220 « Il nomme le Premier ministre
chef du gouvernement, qui est responsable devant lui. Il met fin à ses
fonctions (...) Sur proposition du premier ministre, le Président de la
République nomme les autres membres du gouvernement et détermine
leurs attributions. Il met fin à leurs fonctions dans les mêmes
conditions ».
221 DU BOIS DE GAUDUSSON
(J.), « Quel statut pour le Chef d'Etat en
Afrique ? » in le nouveau constitutionnalisme, Mélanges
Gérard CONAC, p. 334.
222 Résolution. 1633, §5. Ainsi
le Conseil « Priait instamment le Président de l'Union
Africaine, le Président de la CEDEAO et le médiateur de l'Union
africaine de consulter immédiatement tous les partis ivoiriens en vue de
la nomination (...) d'un nouveau premier ministre acceptable pour tous les
partis signataires de l'Accord de Marcoussis, conformément à
l'article ii du paragraphe 10 de la décision du Conseil de paix et de
sécurité (...) ».
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
tous les pouvoirs et de toutes les ressources au premier
ministre internationalement choisi et en confinant le Président de la
République dans un rôle
presqu'honorifique223.
Cependant, ce renforcement des prérogatives va
d'ailleurs s'accentuer dans le cadre d'une autre résolution du Conseil
de sécurité prise le 1er novembre 2006 en vertu du Chapitre VII,
sur la situation en Côte d'Ivoire : il s'agit de la résolution
1721. Reprenant donc presque de manière mécanique certaines
dispositions de la résolution 1633, cette résolution impose que
le premier ministre « dispose de tous les pouvoirs nécessaires,
de toutes les ressources financières, matérielles et humaines
requises et d'une autorité totale et sans entraves
»224. Mais elle semble aller
au-delà tant de la résolution 1633 que même de l'Accord de
Marcoussis auxquels elle fait expressément référence.
Comme le montre avec une certaine pertinence un analyste de la situation
ivoirienne, « contrairement à l'accord parisien et à la
résolution 1633 qui y fait renvoi à ce sujet, l'ambition
clairement affichée de donner au premier ministre la
prééminence au sein de l'exécutif justifia que la
résolution 1721 lui octroya d'immenses pouvoirs
»225. Ce faisant, le Conseil de
sécurité fait du premier ministre le véritable Chef de
l'exécutif, en le dégageant de sa responsabilité
vis-à-vis du Président de la République tout en lui
soumettant celle des ministres226
On est alors, indiscutablement dans cette dérive
parlementariste par laquelle, s'affranchissant des dispositions du texte
constitutionnel, des instances internationales réaménagent la
hiérarchie des pouvoirs dans l'Etat au profit d'une autorité en
principe inférieure, en l'occurrence ici le premier ministre. Et on ne
peut qu'être d'accord avec
223 Idem. § 8 : souligne que le
Premier ministre doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires,
conformément à l'Accord de Marcoussis, ainsi que
de toutes les ressources financières, matérielles et humaines
voulues (...).
224 Résolution 1721, §8.
225 AGNERO
(P.M.), « La réalité du
bicéphalisme du pouvoir exécutif ivoirien »,
R.F.D.C., n° 75, juillet 2008, p. 547.
226
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Résolution 1721, § 6 et 7. Le Conseil «
Appuie pleinement l'article iii) du paragraphe 10 de la décision du
Conseil de paix et de sécurité, dans lequel il est
souligné que les ministres rendront compte au Premier ministre, qui
exercera pleinement son autorité sur son cabinet », et «
Réaffirme combien il importe que les ministres participent pleinement au
Gouvernement de réconciliation nationale, comme il ressort clairement
des déclarations de son président (...), considère donc
que, si un ministre ne participe pas pleinement audit Gouvernement, son
portefeuille doit être repris par le Premier ministre (...)
».
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
certains lorsqu'ils évoquent à ce sujet une
sorte de « parlementarisation » d'un régime pourtant
présidentiel227.
Globalement, on retiendra donc que, ayant été
appliqué dans le cadre des résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies, l'accord de Marcoussis adopte le
principe des petites constitutions imposées aux Etats en crise.
Cependant, si ces petites constitutions sont des fois imposées aux Etats
en crise comme la Côte d'Ivoire, elles peuvent être
également le résultat de longues négociations comme ce fut
le cas en République Démocratique du Congo.
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