Les petites constitutions issues d'un pouvoir
constituant
national
Le pouvoir constituant de la petite constitution, dans le
cadre d'une procédure interne, est, le plus souvent, une force politique
interne au pays, qui, suite à un conflit ou une crise, a réussi
à s'imposer et à établir un équilibre fondé
sur des nouvelles règles informelles. Cependant les petites
constitutions issues d'un pouvoir constituant national forment une
catégorie qui est loin d'être homogène.
En effet, le pouvoir constituant national peut prendre
différentes formes et agir dans la continuité ou non avec le
régime précédent. Ainsi, constate-t-on, d'une part,
l'existence de « petite constitutions de rupture » qui sont souvent
issues de révolutions violentes ou de coups d'Etat militaires, comme ce
fut le cas lors des récentes procédures constituantes
lancées par des mouvements révolutionnaires sur le continent
notamment au Burkina Faso136 en 2014, en
République Centrafricaine137 en 2013, en
Egypte138 et Lybie139
en
136 La révolution populaire des 30 et
31 octobre 2014 qui a poussé au départ le Président
Blaise COMPAORE a favorisé l'ouverture d'une transition
politique symbolisée par l'adoption d'une Charte dite de la transition
par les différentes composantes de la société
burkinabè. Cette petite constitution qui sert ainsi de cadre
constitutionnel à la gestion de la transition doit conduire à
l'organisation d'élections libres, démocratiques et transparentes
pour légitimer la transmission du pouvoir.
137 Les événements du 24 mars
2013 qui ont vu la prise de pouvoir par la coalition SELEKA en
République Centrafricaine, ont entrainé la suspension de la
Constitution du 27 décembre 2004 et par voie de conséquence, la
dissolution des Institutions Républicaines. Le Conseil National de
Transition, organe constituant et législatif qui fut créé
dans la foulée adopta le 05 juillet 2013 une Charte constitutionnelle de
transition, promulguée le promulguée le 18 juillet 2013 par le
Chef de l'Etat de la transition. Cette dernière constitue dès
lors la Loi Fondamentale de la République Centrafricaine pour la
période de la transition.
138 La Déclaration constitutionnelle
du 30 mars 2011 est la Constitution provisoire égyptienne adoptée
par le Conseil suprême des Forces armées suite à la cession
du pouvoir par le président Moubarak à ce même Conseil, en
février 2011. Après avoir adopté des amendements à
la Constitution de 1971, approuvés par référendum le 19
mars 2011, le Conseil suprême adopte un acte qui rompt de façon
nette avec le régime précédent. Cette déclaration
prévoit l'ouverture d'une procédure constituante et
réglemente la période de transition. Elle introduit ainsi un
nouvel ordre constitutionnel provisoire, en violation manifeste de l'ordre
précédent.
139 La procédure constituante
libyenne, déclenchée par la révolution de février
2011, mis fin au régime de Mouammar KADHAFI avec
l'adoption par le Conseil National de Transition, autorité constituante,
de la Déclaration constitutionnelle du 3 août 2011, dans le but de
régir la période transitoire post-KADHAFI. Cette
petite constitution satisfait alors sa mission de réglementation des
pouvoirs de la transition et de l'ouverture d'une procédure constituante
en vue de l'adoption de la future constitution.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
2011 ; et également comme ce fut le cas au Togo en 1991
dans la ferveur des transitions démocratiques des années 1990.
Cependant ce dernier cas fera l'objet d'une analyse approfondie (Section I).
D'autre part, existent des petites constitutions qui, tout en inaugurant un
nouvel ordre juridique, sont adoptées par un organe du régime
précédent, en passant par une procédure qui formellement
semble respecter l'ordre constitutionnel déchu. Ce fut le cas des
petites constitutions sud-africaines140 de 1993 et
celle tunisienne de 2011. Une analyse approfondie sera également
consacrée au cas tunisien (Section II).
SECTION I. LES PETITES CONSTITUTIONS DE RUPTURE : LE CAS DU
TOGO
L'Acte no7 du 23 Août 1991 portant Loi
constitutionnelle organisant les pouvoirs durant la période de
transition au lendemain de la Conférence Nationale
Souveraine141 (CNS) au Togo, représente un
cas de petite constitution de rupture en ce qu'il opère manifestement
une discontinuité tant au niveau des institutions (§ 1) qu'au
niveau des textes (§ 2).
§ 1. LA DISCONTINUITE AU NIVEAU DES
INSTITUTIONS
Sur le plan institutionnel, la rupture opérée
par la petite constitution togolaise de 1991 avec l'ancien régime, s'est
traduite d'une part, par la refondation de l'exécutif (A), et d'autre
part, par la restauration des pouvoirs de l'organe législatif (B).
140
141
L'Afrique du Sud est l'un des premiers pays africains à
avoir adopté une petite constitution pour mener à bien sa
transition constitutionnelle. Malgré le changement radical de la forme
d'Etat opéré par la Constitution intérimaire sud-africaine
par rapport à la Constitution de 1983, le texte de 1993 a
été adopté par le parlement de l'ordre juridique
précédent. Certes, l'élaboration de la Constitution
provisoire a été effectuée par une Convention
réunissant le gouvernement, les administrations des bantoustans et
toutes les formations politiques. Toutefois, formellement, il s'agit d'un texte
adopté conformément aux règles de l'ordre constitutionnel
précédent. Cette stratégie a contribué de
façon déterminante au déroulement paisible d'une
transition qui aurait pu être très violente et conflictuelle.
Pouvoir constituant provisoire, la Conférence nationale
fut perçue comme l'instrument de réussite de la transition
démocratique dans la quasi-totalité des Etats d'Afrique
subsaharienne francophone qui a connu un processus de transition dans les
années 1990. Organisée pour la première fois au
Bénin (19 au 28 février 1990), l'expérience sera reprise
au Gabon (27 mars au 19 avril 1990), au Congo (25 février au 10 juin
1991), au Niger (29 juillet au 3 novembre 1991), au Mali (29 juillet au 12
août 1991), au Togo (10 juillet au 28 août 1991), au Zaïre (7
août 1991 au 6 décembre 1992) et au Tchad (15 janvier au 7 avril
1993).
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
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