A. La création d'un droit constitutionnel
circonstanciel
A n'en point douter, les petites constitutions créent
un droit constitutionnel des situations de
crise127.
En effet, dans les cas où la Constitution en vigueur
est abrogée, la petite constitution devient la Loi fondamentale de la
période de transition. Cependant dans les cas où la Constitution
en vigueur est seulement contestée, comme ceux de la plupart des Etats
africains, la logique juridique aurait consisté à régler
les crises politiques dans le cadre de la normativité constitutionnelle.
Mais, les Constitutions africaines, pour la plupart se sont
révélées incapables. C'est ainsi que la défaillance
des mécanismes constitutionnels africains de résolution des
crises a déterminé la mobilisation de ressources
complètement étrangères à la Constitution : il
s'agit des accords politiques.
Selon une définition esquissée par Jean-Louis
ATANGANA-AMOUGOU, les accords politiques peuvent s'entendre de « tout
accord conclu entre les protagonistes d'une crise politique interne ayant pour
but de la résorber, quelle que soit sa dénomination
»128. Il faut ainsi
préciser qu'ils ont pour vocation de régir le fonctionnement des
institutions du moins jusqu'à la fin de la crise ou conflit politique.
Ils visent donc à réadapter le fonctionnement des
différents pouvoirs aux intérêts et aux forces en
présence afin de stabiliser les institutions. Ce qui semble les
consacrer comme de véritables droits pendant la période de crise.
En effet par leur fonction et leur répétition, les accords
politiques participent en Afrique à la naissance d'un processus de
formation d'un droit constitutionnel en devenir dont le résultat final
serait l'existence à côté du droit constitutionnel
général, d'un droit constitutionnel spécial de
circonstance. A titre illustratif, le professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON fait
observer à propos de la crise ivoirienne que l'Accord de
Linas-Marcoussis « définit en réalité une
nouvelle Constitution et que son objectif est précisément de
réviser le dispositif institutionnel et de contenir des
recommandations
127 Voir en ce sens HOUNAKE
(K.), Les juridictions constitutionnelles dans
les Démocraties émergentes de l'Afrique noire francophone : les
cas du Bénin, du Gabon, du Niger, du Sénégal et du
Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de
Lomé-Université de Poitiers, 06 avril 2012, p. 481.
128 ATANGANA-AMOUGOU
(J.-L.), « Les accords de paix
dans l'ordre juridique interne en Afrique », Revue de la recherche
juridique, Droit prospectif, 2008, p. 1723.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
nouvelles non conformes à celle toujours en vigueur
»129. Il en est de même de l'Accord
Politique Global signé en 2006, entre les protagonistes de la crise
politique togolaise130.
La crise de la normativité en
Afrique131 a donc fait naître un droit
constitutionnel qu'il est permis de considérer comme un produit de
l'ingénierie constitutionnelle en oeuvre dans les Etats africains en
crise132.
Cependant si les accords politiques contribuent, en Afrique,
à reformuler les Constitutions existantes pour les réadapter aux
crises afin de préserver la légalité constitutionnelle
dans les Etats concernés, ils assurent par la même occasion la
sauvegarde de celles-ci.
B. La sauvegarde de la Constitution existante
Les accords politiques visent à sauver la Constitution
en période de crise. Ils sont conçus pour pallier les
insuffisances de la norme constitutionnelle qui ne peut ni tout prévoir,
ni tout régler. Leur conclusion participe donc de la
nécessité de régler les problèmes juridiques ou
politiques nés des Constitutions. Ainsi viennent-ils en période
de crise rendre l'atmosphère moins tendue, car ils conduisent à
un certain apaisement qui dénote d'un consensus trouvé favorisant
le retour à la vie normale de l'Etat et protégeant du coup
l'ordre constitutionnel.
Les accords politiques constituent donc une sorte de rempart
qui protège la Constitution et sur laquelle viennent s'écraser
toutes les menaces trimbalées par les crises. Cette protection de la
norme constitutionnelle par les arrangements politiques exprime finalement le
rôle positif que peuvent jouer les accords politiques lorsqu'ils sont
intégrés dans le dispositif constitutionnel de l'Etat. C'est le
cas en Côte d'Ivoire où, après le basculement du pays dans
une crise profonde dont les effets ne sont pas prêts d'être
oubliés
129 DU BOIS DEGAUDUSSON
(J.), «L'accord de Marcoussis, entre droit et
politique », Afrique Contemporaine, n0 206, 2003, p
46.
130 Cet accord est signé entre le RPT,
parti au pouvoir, d'une part et cinq partis de l'opposition
traditionnelle (le CAR, la CDPA, la CPP, le PDR et l'UFC) et
deux organisations de la société civile (GF2D et le REFAMP/T).
131 AIVO (F.
J.), « La crise de normativité de la Constitution
en Afrique », op.cit., p. 141.
132 ANDZOKA-ATSIMOU (S.),
L'ingénierie constitutionnelle, solution de sortie de crise en
Afrique :
les exemples de l'Afrique du Sud, de la République
démocratique du Congo, du Burundi et du Congo, Thèse de
Doctorat en Droit public, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2013,
712 p.
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
suite au concept d' « ivoirité
»133, le consensus fut retrouvé
plus tard à travers l'accord de Linas-Marcoussis dont la substance
essentielle est de nos jours intégrée dans le dispositif
constitutionnel en vigueur.
Au demeurant, puisque le droit ne peut à lui seul
régler tous les problèmes, il est souhaitable de recourir
à une petite constitution notamment un accord politique qui permet de
compléter et de sauvegarder la Constitution dans ces circonstances
exceptionnelles que constituent les périodes de crise, afin que cette
dernière reprenne force et vigueur après la crise.
En toute évidence, l'analyse de cette première
partie aura permis de cerner théoriquement les petites constitutions
à travers l'étude de leur nature et de leur fonction. Il convient
cependant d'illustrer et de vérifier ces réflexions
théoriques dans une approche plus concrète à travers leur
typologie.
.
133 TOULOU (L.), «
Election de la peur ou peur des élections : dilemme et contretemps de la
sortie de crise en Côte d'Ivoire », inédit, p 5.
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