A. Les lacunes des Constitutions existantes
La plupart des Constitutions africaines passent difficilement
l'épreuve de leur mise en application parce qu'elles ont
été élaborées à l'issue d'un processus mal
maîtrisé. A cet effet, elles caractérisent par tant de
lacunes et d'insuffisances. Les raisons tiennent, fondamentalement au fait que
ces dernières sont le plus souvent « rédigées sous
l'emprise de la nécessité pour tenter de relever sur le champ des
défis exceptionnels »115. Constitutions
de l'urgence, produites à coups de renforts, leur déconnexion des
réalités qu'elles sont pourtant censées régir est
patente116 et constitue sans doute la source de
leur ineffectivité et de leur incapacité à juguler les
crises.
On découvre alors matière à conflits
potentiels, derrière les insuffisances et les lacunes de ces textes,
d'autant plus qu'on observe, en Afrique, que la vie politique se détache
ou diffère bien souvent des principes posés dans les
Constitutions. En effet, loin de répondre à un souci de
modernisation de la vie sociale à travers les rapports du citoyen
à l'Etat et aux autorités qui le gouvernent, les Constitutions
africaines sont plutôt vécues comme des instruments au service
d'enjeux politiques et partisans. Elles ne tranchent donc véritablement
que des principes et des problèmes, assez théoriques et
abstraits, de la source du pouvoir mais se borne en ce qui concerne son
exercice à tracer des perspectives
115 Alioune SALL relève à cet
égard que « dès le début des années
quatre-vingt dix (...) les Constitutions ont été abrogées
ou modifiées en Côte d'Ivoire (avril 1991), au Rwanda (mai 1991)
au Burkina Faso (juin 1991), en Mauritanie (juillet 1991), au Mali (août
1991), au Sénégal (octobre 1991), au Congo (mars 1992), à
Madagascar (août 1992), à Djibouti (septembre 1992), au Niger
(décembre 1992) », in « Processus démocratique et
bicéphalisme du pouvoir exécutif en Afrique noire francophone: un
essai de bilan », RJPIC, 2006, pp. 412-460.
116 Elles sont plutôt vécues
comme des instruments au service d'enjeux politiques et partisans. Souvent les
calculs des acteurs déterminent, au moment de leur conception, la forme
du régime politique et l'équilibre des pouvoirs. Voir
ZAKI (M.), « Petite constitution et
droit transitoire en Afrique », RDP 2012-6-008, no 6,
op.cit. p 1699
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
d'avenir et à indiquer ce qui doit être. Par
conséquent, l'observation montre que la réalité de la
pratique politique ne correspond pas toujours, ni même souvent, à
l'optimisme des schémas
constitutionnels117.
Le caractère lacunaire des Constitutions africaines est
donc remarquable. C'est d'ailleurs ce qui explique largement ce que la doctrine
qualifie de « crise du constitutionnalisme africain ».
Cependant, lorsque la pratique politique ne correspond pas aux
schémas constitutionnels, la Constitution est indigne de confiance.
B. La perte de confiance des acteurs politiques à
l'égard des Constitutions existantes
La Constitution apparait comme une charte fondamentale
traduisant, au-delà de son contenu, l'état du consensus entre
gouvernants et gouvernés, et surtout entre les acteurs en charge de sa
gestion118
Mais, les arguments de cette thèse se heurtent
empiriquement à une objection fondée sur l'instrumentalisation
manifeste de la norme constitutionnelle dans la plupart des Etats africains. En
effet, la pratique constitutionnelle en Afrique remontre en majorité au
jugement des juristes, des révisions frauduleuses et impopulaires,
conduites en l'absence de tout consensus et obtenues parfois au
forceps119.
117 PACTET (P.),
Institutions politique : Droit constitutionnel, 20e
éd, Paris, Armand Collin, 2001, p 66.
118 Voir sur cette notion, REMOND
(R.), « La gestion des constitutions »,
Pouvoirs, 1989, no 50, pp. 43-51.
119 Comme celle que conduisent au Togo, avec
une vitesse inédite et un empressement suspect, les
députés du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) en
février 2005 à la suite de l'annonce du décès du
président Eyadema GNASSINGBE. En effet, dans
l'exécution des manoeuvres politiques visant à corriger les
règles de dévolution du pouvoir en cas de vacance pour
décès du chef d'État en fonction, l'Assemblée
nationale convoquée précipitamment, procède en pleine nuit
à la modification des articles 65 et 144 de la Constitution du 14
octobre 1992. Ces révisions, pour le moins spectaculaires, eurent pour
conséquence directe d'empêcher Monsieur NATCHABA,
président de l'Assemblée nationale et successeur
désigné par les textes, d'accéder par intérim
à la tête de l'État et propulsent contre toute logique
Faure GNASSINGBE, fils du président défunt,
à la présidence ainsi laissée vacante. Mais face à
la réprobation nationale et internationale, notamment aux sanctions
prises par la Communauté Economique des États d'Afrique de
l'Ouest et confirmées par l'Union Africaine, Faure GNASSINGBE
dût démissionner. L'ordre constitutionnel fut alors
rétabli et permit l'organisation dans les délais prescrits
d'élections pluralistes au terme desquels Faure GNASSINGBE
fut proclamé élu. Cf. DIOP
(El-H. O.), «
Autopsie d'une crise de succession constitutionnelle du chef de l'Etat en
Afrique. L'expérience togolaise (5-26 février 2005) »,
Politeia, 2005, no 7, pp. 115-173.
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
En effet la plupart des révisions constitutionnelles
opérées en Afrique depuis 1996, sont caractérisées
par leur aspect tendancieux et politiquement tactique. En majorité,
elles se particularisent par leur objet peu licite et controversé. Ainsi
la majorité des auteurs pensent-ils que la démarche peu
consensuelle de ces révisions dissimule à peine une logique de
passage en force et insistent sur les conditions « douteuses
»120 de ces révisions «facilitées
par la violation des règles prévues en la matière
»121. Cependant, « ces modifications
taillées sur mesure »122, ces « révisions
pirates »123, expriment la main basse du pouvoir politique
sur la procédure de révision ainsi que sa trop grande marge de
manoeuvre dans la reformulation des dispositions
constitutionnelles124.
Ce sont donc essentiellement ces genres de révisions
qui affadissent l'éclat de la Constitution et la présentent comme
une norme instrumentalisée et
manipulée125. En effet ces révisions
non seulement s'assimilent à la banalisation de la
Constitution126, mais contribuent surtout à
entretenir une crise de confiance des acteurs politiques à
l'égard de cette dernière. La Constitution indigne de confiance
ne peut donc plus juguler les crises.
C'est ainsi que l'adoption des petites constitutions
intervient pour pallier aux insuffisances des Constitutions en vue de les
réadapter aux crises.
§ 2. LA READAPTATION DES CONSTITUTIONS EXISTANTES
AUX CRISES POLITIQUES PAR LES PETITES CONSTITUTIONS
A y regarder de près, pour réadapter les
constitutions existantes aux crises, les petites constitutions contribuent
à créer un droit constitutionnel adapté à la
circonstance (A). Cependant dans les cas où la Constitution existante
n'est pas abrogée, la petites constitution assure donc la sauvegarde de
cette dernière (B).
120 AHADZI-NONOU (K.),
« Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain. Le cas des
Etats d'Afrique noire francophone », Afrique juridique et
politique, vol. 1, n0 2, 2002, p. 43.
121 Idem., p. 43.
122 Ibid., p. 44.
123 Ibid., p. 40
124 MELEDJE (F.
D.), « Les révisions des constitutions dans les
Etats africains francophones : esquisse de bilan », op.cit., pp.
111-134.
125 MOUANGUE KOBILA (J.),
« Peut-on parler d'un reflux du constitutionnalisme au Cameroun? »,
Recht in Afrika, 2010, p. 38.
126 AIVO (F.
J.), « La crise de normativité de la constitution
en Afrique », op.cit. p.148.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
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