Valeurs et et relativisme moral dans la généalogie de la morale (1887) de friedrich nietzsche( Télécharger le fichier original )par Daniel Blaise BITECK Université de Yaoundé 1 - DIPES II 2013 |
III.1. EVALUATION DE LA RAISON COMME FONDEMENT DE LA MORALE PAR SCHOPENHAUERA la question à quel critère reconnaît-on un acte moral ? Schopenhauer et Kant produisent la même réponse : l'acte moral doit être désintéressé c'est-à-dire qu'il ne doit pas être sous-tendu par quelque mobile égoïste. Le premier auteur est donc solidaire du second lorsque celui-ci affirme que « l'absence de tout motif égoïste [est] le critérium de l'acte qui a une valeur morale »35(*). En fait, il est nécessaire pour ces deux auteurs que l'agir moral soit pure c'est-à-dire qu'il soit dépouillé de toute fin étrangère telle que le plaisir, le bonheur, l'idée qu'on va gagner la vie éternelle etc. Bien plus, ces deux philosophes partagent l'idée selon laquelle la moralité ne saurait être fondée sur l'impératif du respect des principes d'un être surnaturel et transcendant à l'homme et dont la seule évocation suscite chez lui (l'homme) la crainte comme le soutient le christianisme. L'auteur de De la quadruple racine du principe de raison suffisante pense qu'un acte qui serait adossé sur un fondement égoïste ne serait pas un acte véritablement moral. Il présenterait plutôt l'aspect d'un acte moral sans toutefois l'être dans le fond. Aussi, ni la peur du châtiment qu'inspire son Dieu au chrétien, ni même la joie de la récompense à venir qui lui serait offerte par son créateur s'il lui obéissait ne confèrent aucunement une dimension morale à l'action du chrétien. C'est pourquoi à en croire Schopenhauer « un acte de moralité qui serait déterminé par la menace du châtiment et la promesse d'une récompense, serait moral en apparence plus qu'en réalité »36(*). L'acte ou le comportement du religieux en général et du chrétien en particulier est égoïste, c'est un acte guidé par l'intérêt car soit c'est la peur d'un châtiment éventuel soit c'est la perspective d'une vie heureuse après la résurrection qui le pousse à agir de manière vertueuse. Aussi le chrétien est semblable ici à la fois à une sorte de chasseur de prime et à un enfant turbulent qui donne, par son apparence, l'illusion d'être calme, sage mais qui ne l'est pas au fond. Le chrétien nous rappelle le « chasseur de prime » dans la mesure où, tout comme celui-ci ne se met à la poursuite du fugitif que parce qu'il y a eu une récompense mise en jeu, le chrétien n'obéit à son dieu que parce qu'il espère qu'à la fin c'est-à-dire à la résurrection, il gagnera le paradis promis et aura ainsi la vie éternelle. Au second niveau, il nous renvoie l'image de l'enfant turbulent dans la mesure où celui-ci ne se tranquillise, ne s'assagit que parce que ses parents sont prompts à sévir contre lui. C'est exactement le même cas de figure que l'on retrouve dans la relation qui met en scène le chrétien et son créateur. L'homme agit donc d'après des mobiles égoïstes ce que condamnent de manière unanime Kant et Schopenhauer. Ce dernier estime alors que la moralité de l'homme ne saurait dépendre « d'une volonté étrangère, qui le commande et qui [lui] édicte des châtiments et des récompenses »37(*). Mais, la distance entre ces deux auteurs se précise lorsque Kant pose la raison pure comme fondement de la morale. Or, pour Schopenhauer, « la raison considérée en général et comme faculté intellectuelle, n'est rien que de secondaire, quelle fait partie de la portion phénoménale en nous, qu'elle est subordonnée à l'organisme »38(*). C'est donc le corps en tant que siège des passions et des émotions qui détermine l'origine de la moralité. Par ailleurs, Schopenhauer dénonce en accord avec Charles Péguy le caractère pure, immaculé que Kant attribut à l'acte moral. Il se demande en effet d'où pourrait sortir cet homme dépourvu de toute inclination, de toute sensibilité que l'auteur de Critique de la raison pure pose comme base de sa théorie morale. Cet être n'existe pas, c'est une pure imagination, une illusion. Il affirme alors : Ainsi le fondement sur lequel Kant a établit la morale (...) s'abîme sous nos yeux dans ce gouffre profond, qui peut-être jamais ne sera comblé, des erreurs philosophiques : il se réduit, nous le voyons clairement, à une supposition insoutenable, et à un pure déguisement de la morale théologique39(*). L'ambition de Schopenhauer c'est de prouver que dans un premier temps que la morale kantienne ne se fonde pas sur une base solide et de montrer par la suite que la morale a sa véritable source dans le sentiment de pitié. * 35 Ibid., p. 11. * 36 Ibid., P.38. * 37 Ibid., p.51. * 38 Ibid., p.60. * 39 Ibid., p. 127. |
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