Valeurs et et relativisme moral dans la généalogie de la morale (1887) de friedrich nietzsche( Télécharger le fichier original )par Daniel Blaise BITECK Université de Yaoundé 1 - DIPES II 2013 |
I.2- NIETZSCHE, PRECURSEUR DES PHILOSOPHIES RELATIVISTESLa haine de la raison inaugurée par Nietzsche a suscité ou déclenché l'incrédulité de certains penseurs à l'égard des « méta-récits de l'esprit, de la liberté et de l'émancipation ». En effet, les partisans de la « Théorie Critique » et de la post-modernité se sont référés à la critique nietzschéenne des autorités pour fonder leurs pensées. Il est donc question pour nous de commenter et d'évaluer ces nouvelles théories qui se caractérisent par la « misologie », c'est-à-dire la haine que la raison éprouve à l'égard d'elle-même. Le scepticisme des tenants de la « Théorie critique» à l'égard de la raison est consécutif à la défaite de cette dernière. En effet, ils estiment que la raison, naguère idolâtrée, s'est rendue suspecte de domination, de violence ou de barbarie, car son efficacité théorique et pratique n'a pas correspondu aux attentes de l'humanité. Ils espéraient de la raison qu'elle libère l'humanité de l'obscurantisme entretenu par les superstitions et les mythologies irrationalistes. Mais, cette attente a été déçue dans la mesure où à la mythologie et à la superstition que la raison devait combattre, elle a plutôt substitué ses propres mythes. Ainsi, pour Max Horkheimer et Théodor Adorno, la raison est susceptible de tyrannie, car à la libération qu'elle devrait promouvoir, elle a plutôt substitué une nouvelle forme de domination non moins barbare, avec les produits de la techno-science. Par ailleurs, Adorno estime que la raison est devenue vorace et boulimique parce qu'elle dévore tout dans ses catégories logiques insatiables, et ne restitue que ce qui résiste à sa digestion. Ainsi, tout ce qui est réfractaire aux catégories de la raison est classé immédiatement dans la catégorie de l'irrationnel. Ce totalitarisme de la raison trouve une illustration dans la philosophie hégélienne, car la raison qui y opère charrie du cours de l'histoire tous les modes d'expressions historiques qui ne se conforment pas à elle. Or, pour les chantres de la « Théorie critique », chacun doit pouvoir s'accommoder des différences culturelles de l'autre sans attendre qu'elles se fondent sur un idéal de civilisation unique. Ce scepticisme à l'égard de la raison et de toute autorité va se cristalliser avec l'avènement de la post-modernité qui prône un relativisme absolu. La post-modernité radicalise la critique de Nietzsche, de Max Horkheimer et de Théodor Adorno, à l'égard des autorités. Elle est l'âge où le doute se fait envahissant, elle est l'expression de la volonté d'ébranler les valeurs établies, telles la supériorité de la culture occidentale, les bienfaits de la croissance économique, l'adhésion inconditionnelle à la raison et à la science ou à un passé historique commun. Le discours post-moderne est un discours de délégitimation des grands récits de notre époque, notamment le grand récit de l'esprit, le grand récit de la liberté et de l'émancipation. Le « méta-récit de l'esprit », pour utiliser un terme cher à Jean François Lyotard, consiste en un projet moderne de totalisation du savoir grâce à un principe unique d'explication (la raison) qui a la prétention de rendre compte de l'intelligibilité du réel. Or, le discours post-moderne réfute le principe d'une raison trans-historique destinée à triompher de manière fatale dans le monde. Il refuse le principe de l'inéluctabilité de la rationalisation du monde en ses aspects économique, culturel et politique, précisément parce que l'histoire du monde montre la persistance des légitimités charismatiques, traditionnelles et religieuses qui sont contraires au postulat rationnel. Ainsi, de l'avis des post-modernes, le projet moderne de laïcisation de la société et du désenchantement du monde a échoué, d'où l'incrédulité à l'égard des méta-récits, non seulement de l'esprit, mais aussi de la liberté de l'émancipation. La post-modernité rejette l'utopie humaniste qui se donnait pour tâche l'instauration du règne de l'homme et la réalisation de sa libération. En effet, selon Michel Foucault, la prétention moderne d'instaurer le règne de l'homme est compromise par la « finitude » et la « mort » de ce dernier. L'auteur de Les mots et les choses conteste la souveraineté du « Je pense » précisément parce qu'il estime que ce que nous rencontrons chaque fois que nous tentons de fonder une théorie de l'homme, ce n'est ni l'être, ni l'essence de l'homme, mais bien plutôt « l'impensé » et l'inconscient, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus contraire au cogito, à la conscience, à la vérité. Ainsi, l'affirmation de la « finitude » de l'homme et la mise en lumière d'un « impensé » se logeant au coeur de la pensée moderne ont suffit à légitimer le discrédit du « méta-récit de la liberté de l'émancipation ». A ce propos Michel Foucault affirme : A tous ceux qui veulent encore parler de l'homme, de son règne ou de sa libération, à tous ceux qui posent encore des questions sur ce qu'est l'homme en son essence, à tous ceux qui veulent partir de lui pour avoir accès à la vérité, à tous ceux qui en revanche reconduisent toute connaissance aux vérités de l'homme lui-même, à tous ceux qui ne veulent pas formaliser sans anthropologiser, qui ne veulent pas mythologiser sans démystifier, qui ne veulent pas penser sans penser aussitôt que c'est l'homme qui pense, à toutes ces formes de réflexions gauches et gauchies, on ne peut qu'opposer un rire philosophique84(*).
* 84 M. Foucault, Les mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, Paris, NRF, Editions Gallimard, 1966, pp. 353-354. |
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