A. Les causes directes du phénomène de grand
banditisme
91 Guy HAARSCHER, philosophie des droits de
l'Homme, édition de l'Université de Bruxelles, 1993,
4ème édition revue.
92 Projections démographiques pour 2018/
INSD.
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Les raisons du triomphe de la criminalité de grand
banditisme sont liées aux modes opératoires du fléau. Il
s'agit de la problématique des armes à laquelle il faut trouver
une solution durable.
1. La problématique de la circulation des armes
à feu.
Les armes à feu font la force des délinquants.
Or, depuis l'ouverture des frontières, depuis encore les crises
socio-politiques qui secouent les pays de l'Afrique occidentale, les armes
circulent autant que la monnaie au Burkina Faso. Aggravée par les
questions du chômage, des échecs scolaires, la circulation
anarchique des armes à feu en combinaison avec d'autres facteurs, tels
que des situations post-conflictuelles ou de sous-développement
socioéconomique, entraine leur utilisation abusive93. Cette
prolifération des armes à feu d'origines diverses pose le
problème de leur contrôle, de leur suivi et de leur
traçage. Lors de la rencontre avec la Commission nationale de lutte
contre la prolifération des armes légères, il a
été indiqué au Rapporteur spécial que la
médiocre sécurisation des frontières représentait
aussi un obstacle majeur à la répression du trafic d'armes. La
Commission estime qu'il y a quelque 2 millions d'armes légères
illicites en circulation sur le territoire du Burkina Faso, y compris des armes
automatiques et des missiles légers. Le Rapporteur spécial
considère que pour un pays d'un peu plus de 17 millions d'habitants,
c'est là une menace importante pour la sécurité et la
preuve de la poursuite d'un trafic d'armes transfrontalier. Avant le conflit au
Mali, la Commission estimait que le trafic entrant représentait un
problème important, 39 % des armes venant du Ghana, 19 % de Côte
d'Ivoire et 6 % du Mali. Une initiative récente visant à
contrôler et réprimer le trafic d'armes à travers la
frontière malienne depuis le début du conflit a dû
être abandonnée faute de financements94.
Cette situation favorise l'armement redoutable qui fait la
force des « grands bandits ». Il n'est d'ailleurs pas rare que lors
des opérations de ratissage, des fusils de guerre comme les AK47, les
LRAC soient trouvés en possession des délinquants. La lutte
contre le grand banditisme passe d'abord par le contrôle de ce qui fait
sa force : la prolifération des armes à feu.
2. La lutte contre le grand banditisme par le
contrôle des armes à feu
Le premier décembre 2000, la réunion
ministérielle des États membres de l'Organisation de
l'unité africaine a adopté la Déclaration de Bamako,
traduisant leur volonté d'agir contre la
93 THAI THIEN NGHIA Cindy (rapporteuse),
Réduire l'impact du trafic des armes légères sur le
développement : le rôle de la coopération
française, Paris, Haut-Conseil de la coopération
internationale, janvier 2006, p. 28.
94 AG-NU, Conseil des droits de l'Homme, Rapport du
Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de
l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste,
visite au B.F. 04 février 2014, EMMERSON Ben, inédit.
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prolifération incontrôlée des ALPC en
Afrique et ayant pour objectif d'y apporter une réponse
commune95. Cette déclaration « met l'accent sur la
recherche d'une solution compréhensive, intégrée, durable
et pratique à la prolifération anarchique des armes
légères »96 dans le but de promouvoir la
paix et la sécurité, les droits de l'Homme et la
démocratie, la croissance économique et le développement
durable.
Elle incite également à associer la
société civile pour appuyer les gouvernements97.
Plusieurs conventions et recommandations ont été
prises au plan international et sous régional pour limiter la
prolifération des armes à feu. Mais si la communauté
internationale est préoccupée par la question, le Burkina Faso
l'est plus, car c'est à lui que revient le devoir d'adopter et
d'appliquer les textes. Il faut donc une action concertée au plan sous
régional contre la circulation des armes à feu.
Au plan interne, l'Etat burkinabè doit agir fortement
sur la conscience sociale en l'interpellant par des sensibilisations jointes
aux contrôles et à la répression, sur les effets
néfastes des armes à feu, fussent-elles civiles, et la menace
qu'elles représentent pour son droit à vivre en paix et en
sécurité98.
B. L'approche socio-politique ou causes exogènes
de la lutte contre le grand
banditisme
A l'étude du phénomène, la question que
l'on se pose fréquemment est celle de savoir pourquoi ce
phénomène jadis ignoré dans nos cités grandit avec
une telle ampleur ?
1. Les problématiques socio-politiques du grand
banditisme
« Un retour dans l'histoire montre que les
périodes pour lesquelles on parle d'insécurité et
d'accroissement de la délinquance correspondent toutes à des
périodes de profonds changements économiques ou sociaux, tels que
l'industrialisation, l'urbanisation accélérée, la crise
économique, les mutations politiques, voire guerres »99.
Ce constat révèle à quel point la criminalité est
liée aux mutations sociales. Pour le grand banditisme en particulier,
nul doute
95 KYTOMAKI Elli, « Les initiatives
régionales de contrôle des armes légères sont
indispensables à l'exécution du Programme d'action », in
VIGNARD Kerstin (dir.), Forum du désarmement, Genève,
UNIDIR, 2005, p. 60
96 DIALLO Mamadou Yaya, sous la direction du Pr.
BOURGI Albert, Les Nations Unies et la lutte contre la prolifération
des armes légères et de petit calibre : défis, enjeux et
perspectives, op. cit. p. 16
97 Organisation de l'unité africaine,
Déclaration de Bamako sur la position africaine commune sur la
prolifération, la circulation et le trafic illicites des armes
légères et de petit calibre, doc. cit. Chapitre 2,
alinéa 5.
98 Article 23, al.1 de la CADHP
99 La grande criminalité et les
exigences du respect des droits de l'Homme dans les démocraties
européennes, Actes du Séminaire organisé par le
Secrétariat Général du Conseil de l'Europe en
collaboration avec l'Intercenter de Messine (Italie), Taormina, 14-16 novembre
1996 p.86
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qu'il tire ses racines dans des causes
socio-économiques : la pauvreté et la démographie
galopante aggravées par les clivages sociaux. Au Burkina Faso, la
pauvreté et l'inégalité visible sont sources de
frustration croissante parmi les groupes les plus pauvres de la population,
comme l'ont montré les troubles civils et la mutinerie de l'armée
en 2011. Les représentants de la société civile que le
Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies a
rencontrés lors de sa visite en février 2014 lui ont
expliqué que « pour les groupes sociaux défavorisés,
la richesse générée par l'exploitation minière
était de toute évidence injustement répartie, que les
différends fonciers avaient entraîné un sentiment de
frustration et qu'il existait des signes de plus en plus visibles de
mécontentement politique et d'agitation »100.
De plus en plus, beaucoup de jeunes ayant eu le bonheur
d'accéder à l'instruction sont très vite
désabusés de l'idée selon laquelle un minimum
d'instruction donne droit à une ascension sociale. Des rêves
d'ascension sociale inassouvis dans une période de chômage
prolongé et dans un Etat où les degrés de chance sont
disparates, poussent de plus en plus à la rébellion, au
goût du gain facile, et souvent au mépris du droit et de toute
autre valeur sociale.
Le Sahel constitue une zone de transit pour plusieurs produits
illicites. Parmi ces produits figurent la drogue, les armes, les cigarettes
etc., qui mettent en jeu des intérêts colossaux et
génèrent des revenus faramineux, très tentants dans un
environnement de chômage, de sous-emploi et de manque de perspectives,
surtout pour les jeunes. La tentation d'intégrer les réseaux
maffieux en qualité d'intermédiaires ou de soldats devient alors
très forte. Aussi, la porosité des frontières,
l'accroissement des activités de contrebande, la traite des personnes,
notamment des femmes et des enfants, le phénomène des «
coupeurs de route » avec tout le cortège des fléaux qui vont
avec, sont également d'importants défis, auxquels le pays est
confronté, et qui constituent des facteurs de
vulnérabilité pouvant être efficacement mis à
contribution par les bandes criminelles.
2. Vers la recherche de solutions durables : la
prévention sociale
Le combat contre le grand banditisme peut être
gagné au prix de la prévention. Et l'obtention de cette victoire
passe par la recherche de solution aux causes premières du
phénomène que sont la pauvreté, les
inégalités sociales, la crise des valeurs sociales. En effet, le
grand banditisme entretient un lien étroit avec ces maux sociaux.
Il faut donc trouver de solutions urgentes :
100 AG-NU, Conseil des droits de l'Homme, Rapport du
Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de
l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste,
op.cit.
61
? Aux inégalités sociales : il faut
réduire les écarts sociaux en offrant les mêmes
degrés de chance aux citoyens ;
? Aux disparités de développement des
régions. Ouagadougou et Bobo-Dioulasso concentrent l'essentiel du
progrès national, ce qui crée des frustrations dans les autres
localités du territoire national ;
? Au chômage : il faut réduire le taux du
chômage en favorisant l'auto-emploi qui ne peut se faire que par une
réorientation des modules de formation de base ;
? A la crise des valeurs sociales : les autorités
religieuses qui ont une très grande influence sur les
communautés, doivent s'impliquer dans la recherche de solution durable
au phénomène.
La prévention sociale implique l'adoption de plans de
développement économique surtout en faveur des
jeunes101 et pour le criminologue Denis Szabo, « un pays dont
la politique sociale est axée sur le respect des droits des personnes et
qui consent des efforts pour remplir les besoins élémentaires de
sécurité économique, sociale et sanitaire, a de ce fait
même une politique criminelle préventive »102
Paragraphe II : Lutte contre le grand banditisme
par
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