A. Une invite à la relecture de la loi portant
répression du grand banditisme
La loi 017 mérite une relecture dans sa teneur afin de
corriger ses lacunes et l'approcher au mieux des exigences des droits
humains.
1. Les lacunes de la loi portant répression du
grand banditisme
Les insuffisances dans la loi portant répression du
grand banditisme concernent les dispositions de l'article 9 et l'article 18
dudit texte.
L'article 9 qui comporte la notion d'absolue
nécessité est une ouverture vers l'arbitraire dans le
recours à l'arme à feu. L'absolue nécessité
telle que formulée dans le principe 9 des principes de
précaution internationale de l'usage de la force limite celui-ci
à la légitime défense. Mais l'article 9 va au-delà
pour autoriser son usage même là où il n'y a guère
nécessité, c'est-à-dire la neutralisation du
délinquant.
Quant à l'article 18, il pose le problème de la
détermination de la peine de sûreté dans une sanction
pénale d'emprisonnement à vie. Comment déterminer la
moitié du restant de la vie d'un délinquant pour une bonne
application de la loi ?
Il importe donc pour le législateur, de relire la loi
portant répression du grand banditisme en vue de corriger ses
contradictions et ses ouvertures imprudentes, dans un but de faciliter son
interprétation par les acteurs.
A ces correctifs textuels mérite d'être joint un
recadrage juridique compatible aux droits de l'Homme.
2. Un rapprochement de la loi avec les droits de
l'Homme
La relecture de la loi 017 qui est demandée depuis des
instances internationales85 devra permettre au système de
répression de se réconcilier avec les conventions
internationales
85A Genève, le comité contre la torture a
demandé en 2013 au Burkina Faso la relecture de la loi portant
répression du grand banditisme (témoignages recueillis
auprès du ministère de la justice et des droits humains).
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promouvant les droits fondamentaux de l'individu. Loin de
faiblir dans la répression, la loi devra se conformer aux grands
principes classiques du droit pénal et s'efforcer de réaliser un
équilibre entre les exigences des droits de l'Homme et les
nécessités de la répression. Un début de relecture
est déjà certes entamé et concerne la durée de la
garde à vue et le droit de se faire assister d'un avocat dès la
phase de l'enquête86 ; mais cette relecture doit être
étendue à d'autres aspects juridiques comme ceux relatifs aux
droits de la défense, de la présomption d'innocence, du droit
à un procès équitable, etc. Cet objectif ne peut
être atteint sans une revue de la procédure pour la criminaliser
ou de la peine dans le sens de la correctionnalisation.
L'enquête de personnalité mérite
d'être rétablie dans la procédure de jugement des bandits.
En effet, la connaissance de la personnalité du délinquant permet
non seulement de garantir au mieux les droits de la personne accusée,
mais aussi d'assurer la défense de la société par le choix
de traitement approprié au degré de dangerosité de
l'individu.
En définitive, il faut corriger la loi portant
répression du grand banditisme afin d'éviter les excès
qu'elle pourra occasionner ; pour qu'elle respecte les droits humains et offrir
les garanties d'un procès équitable. « Car nul n'est
à l'abri. Aujourd'hui, c'est lui, le délinquant ; mais demain,
c'est peut-être nous, moi, ma soeur, mon frère, un ami, ou notre
enfant. Et alors, nous comprendrons à quel point la
société est injuste »87.
Mais l'atteinte de l'équilibre entre répression
et sauvegarde des droits fondamentaux passe par une adaptation de ces droits
aux réalités locales.
B. La nécessité d'adaptation des textes
aux réalités burkinabè.
Les droits consacrés par les différents
instruments juridiques internationaux ne sont pas tous des droits
?intouchables½. Le DIDH prévoit des possibilités de
restriction et de dérogation(1) qui méritent d'être
exploitées dans nos politiques de répression (2).
1. Le principe des restrictions et des
dérogations
La restriction est une ingérence de l'Etat dans
l'exercice d'un droit reconnu par un instrument juridique international. La
restriction est une limitation permanente de la jouissance d'un droit tandis
que la dérogation, elle, est une suspension temporaire de cette
jouissance. Elles sont
86 Cf. art 1 de la proposition d'un avant-projet de la
loi portant réforme du régime de la GAV au BF, op.cit.
87 Témoignage inédit de Mr BAMBARA
Paulin, secrétaire général du Ministère de la
Justice et des droits humains, recueilli le 29 janvier 2015.
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l'expression du contraste qui semble exister entre deux
missions de l'Etat : l'obligation de respecter les droits reconnus aux citoyens
et celle d'assurer le maintien de l'ordre et la sécurité publics.
Le principe de la restriction fait l'unanimité au plan
international88. Pour être admise, la restriction doit
être prévue par une loi et poursuivre un but de
légitimité et de nécessité dans un Etat
démocratique.
Quant à la dérogation, elle est de principe
inadmissible et soulève l'épineuse question de jus
cogens89 en droit international. Mais certains instruments
l'admettent sous certaines conditions90. Trois conditions sont
exigées pour sa régularité :
V' L'existence d'un danger public officiellement
proclamé , ·
V' Les mesures dérogatoires doivent être
strictement exigées par la situation , ·
V' La notification de la dérogation aux autres
Etats partis à la convention..
Appliqué au cas spécifique du Burkina Faso, des
aménagements peuvent être faits au nom de l'intérêt
général.
2. Les droits de l'Homme et les réalités
locales
La recherche de la sécurité et la construction
d'une société sans actes de grand banditisme doivent se faire
avec la pleine conscience des réalités sociales propres aux
nations africaines comme le Burkina Faso. L'interprétation des droits de
l'Homme doit tenir compte des réalités africaines, de leurs
philosophies sociales. Les sociétés africaines connaissent des
réalités qui puisent leur essence dans une philosophie
fédérative. En effet, nos cultures sociales accordent un primat
absolu à la communauté sur l'individu. Il est donc difficile
d'avoir une interprétation égalitaire des droits humains avec
l'occident où l'individu passe avant la communauté. La situation
juridique burkinabè mérite donc un égard particulier qui
l'autorise à traiter ou à interpréter certains textes
internationaux selon ses réalités sociales. En occident, la
philosophie sociale est celle qui place l'individu sur la même
balance que le reste de la société. L'individu a plus de
droits que n'en a la société entière. Or, notre culture
sociale, sans sacrifier l'individu le considère comme un produit de la
société à laquelle il doit son existence toute
entière.
Cette lecture est d'ailleurs conforme à la philosophie
des droits de l'Homme qui autorise l'Etat à « y porter atteinte
quand cette liberté reconnue à l'individu devient criminelle
c'est-à-dire
88 Cf. art.6 du PIDCP et art.4 de la CADHP.
89 L'article 53 de la Convention de Vienne sur le
droit des traités du 23 mai 1969 définit la norme de jus cogens
comme « ...une norme acceptée et reconnue par la communauté
internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle
aucune dérogation n'est permise... ».
90 Cf. L'article 4 du PIDCP.
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porte atteinte à celle d'autrui »91.
C'est pourquoi dans la lutte contre le grand banditisme, il est important que
les acteurs judiciaires adoptent une interprétation relative
des instruments juridiques protecteurs des droits de l'Homme, en
conformité avec le contexte social africain. Les droits de la
société passent avant ceux de l'individu et de ce fait, la
sécurité publique importe plus que les libertés
individuelles. S'il faut risquer la liberté de quelques sujets afin que
la sécurité règne dans toute la cité, alors il faut
l'accepter. Il est préférable de punir onze coupables parmi
lesquels se trouve un innocent que de laisser dix coupables en liberté
au nom des droits d'un seul innocent. Dans nos contrées, il est
préférable qu'un seul homme meure pour tout le peuple.
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