Première partie : Les fondements de
l'intervention militaire française au Mali
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Une quarantaine d'interventions couronnent l'activisme
militaire français en Afrique. Ces déploiements armés
français dont les raisons varient selon le contexte et l'Etat dans
lequel ils se déroulent, ont toujours voilé d'importants enjeux
géopolitiques, géoéconomiques et
géostratégiques. Cette logique amène alors à
s'interroger sur les causes profondes du déploiement militaire
français au Mali. De ce fait, la première partie de notre travail
analyse les fondements de l'intervention militaire française.
Dénommée Serval, celle-ci a marqué l'entrée en jeu
d'un nouvel acteur dans la crise que traversait le Mali qui, subissait une
période d'instabilité soldée par un enchainement de
conflits politiques auxquels se sont ajoutées, les actions armés
des insurgés rebelles et terroristes. Cette juxtaposition de facteurs
endogènes qui avait provoqué la déstabilisation du
territoire et croissait le risque d'un chaos, a suscité de vives
réactions de la France. A ces problèmes internes, se combinent
des facteurs exogènes, liés notamment à la situation
délétère des sous-régions ouest-africaine et
Sahélo-saharienne dans lesquelles la France a d'importants partenariats
économiques et sécuritaires. Dès lors, peut-on encore
affirmer que l'intervention militaire française ne se contentait que de
l'unique enjeu `'de la sécurité du Mali»?
Pour y répondre, deux hypothèses sont
émises dans cette partie. La première se penche sur une
éventuelle protection des intérêts de la France dans
l'ensemble des Etats de la région. La seconde est celle de l'extension
de la sécurité française dans les régions
sahélo-sahariennes et ouest-africaines.
A cet effet, trois chapitres permettent d'y voir plus clair.
Le premier intitulé, L'espace Sahélo-saharien, une
sous-région sous tension et l'insécurisation du Mali,
analyse d'une façon générale la géopolitique des
Etats au sein des espaces Sahara, Sahel et CEDEAO. Le deuxième chapitre,
titré Le jeu d'alliance et les motivations inavouées de
l'intervention, permet d'analyser le cadre juridique de cette intervention
et ses enjeux, et le troisième chapitre dont le titre est : La
France, une alliée intéressée, vise à
présenter les enjeux économiques, stratégiques et
sécuritaires de l'intervention française.
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Chapitre I : L'espace sahélo-saharien, une
sous-région sous tension et l'insécurisation du Mali
La multiplication des tensions dans l'espace
sahélo-saharien et le rebondissement du conflit malien, constituaient
d'importants dangers qui ont amené les puissances occidentales,
notamment la France, à envisager d'importantes opérations dont le
but affiché était de stabiliser la région. Il nous importe
d'analyser les fondements de l'intervention militaire française au Mali
en s'appuyant sur deux facteurs : l'instabilité géopolitique des
Etats de l'espace sahélo-saharien et le basculement du Mali dans
l'instabilité sous régionale.
Section1 : L'instabilité géopolitique des
Etats dans l'espace sahélo-saharien
Trois éléments permettent d'expliquer
l'instabilité géopolitique des Etats : l'effondrement de la Libye
et ses conséquences(1) ; les problèmes sécuritaires de
la
Mauritanie, de l'Algérie et du Niger(2), et les effets
directs et collatéraux de la déstabilisation de la
sous-région(3).
1- L'effondrement de la Libye et ses
conséquences
La déstabilisation de la Libye et ses
conséquences sécuritaires dans l'espace sahélo-saharien
ont constitué l'une des causes qui ont de prime abord entrainé
l'intervention militaire française au Mali. En effet, au cours de
l'année 2011, le régime de Mouammar Kadhafi faisait face aux
violents affrontements militaires de ses concitoyens devenus protestataires
rebelles. Cette protestation qui se transforme en guerre civile tout en mettant
en danger les intérêts occidentaux et leurs ressortissants, a
entrainé la mobilisation des acteurs internationaux parmi lesquelles la
France qui, au cours de cette période, lançait sur le sol libyen,
l'opération militaire « Harmattan » pour soutenir et armer les
mouvements rebelles du Conseil National de Transition(CNT). Cette
instabilité libyenne marque le développement des insurrections
sociopolitiques qui ont secoué les pays arabes de l'Afrique (printemps
arabe). Elle a provoqué la militarisation de plusieurs Etats de la
sous-région Sahélo-saharienne et particulièrement le Mali.
Ce pays a connu un afflux massif vers son territoire des combattants touaregs
qui s'étaient enrôlés dans les troupes militaires
libyennes. De ce fait, le retour de ces populations
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touaregs eut pour effet d'entrainement, « la
dissémination de plusieurs armes »34 et la
remobilisation des centaines de mercenaires et anciens militaires touaregs
disposant d'armes lourdes dans les mouvements insurrectionnels du
Nord-Mali35. Profitant ainsi de la chute de Kadhafi, ces
expatriés maliens ont « relancé leur propre
rébellion »36, et ont repris leurs actions
militaires dans le septentrion malien. Selon L. Simon, ce chaos libyen a ainsi
entrainé, des « effets néfastes sur la
sécurité du Nord du Mali »37. Cette «
contagion »38 de la crise a amené la France
à organiser minutieusement son intervention militaire au Mali, en ce
sens qu'elle craignait paradoxalement que les armes qu'elle avait
distribué aux groupes insurgés rebelles libyens du CNT et celles
issues des stocks d'armes de Kadhafi ne se retrouvent dans l'ensemble de la
sous-région. De ce fait, il s'agissait pour l'Hexagone de limiter les
nombreuses conséquences qui découleraient de la
prolifération d'armes libyennes et d'éviter les « effets
dominos »39, qui conduiraient à la
vulnérabilité de l'ensemble des Etats voisins. L'effondrement de
la Libye ayant ainsi impacté la stabilité de toute la
région et particulièrement le Mali, il revenait à la
France de trouver une issue qui limiterait le déplacement des acteurs
rebelles et terroristes libyens vers le Mali et vers d'autres Etats pour
transformer la région en zone de non-droit. Cette influence de la crise
libyenne dont les retombées ont mouvementé la crise malienne, a
sans doute provoqué la décision de la France de s'engager
militairement sur le sol malien, afin de freiner les avancées
terroristes en provenance de la Libye. Cependant, l'insécurité
libyenne ne constitue pas le seul facteur de l'engagement militaire de la
France. Les problèmes sécuritaires régionaux, et
particulièrement ceux des pays comme l'Algérie, la Mauritanie ou
encore le Niger, ont également constitué l'une des nombreuses
motivations de cette opération militaire.
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