III. IMPACT GLOBAL SUR LE CORPS SOCIAL :
Comme je viens de l'expliquer, la pauvreté et
la précarité des familles engendrent des difficultés
à plusieurs niveaux, et englobent dans la plupart des cas la
totalité de la sphère sociale : l'emploi, le logement,
l'exclusion, la santé, l'éducation, la stabilité du foyer
familial en général, etc. Il est important de retenir que chacune
de ces problématiques sont intimement liées, et que l'une
entraine l'autre, et inversement.
28
1. QUI SONT LES FAMILLES CONCERNEES ?
Avant de poursuivre le développement, il est
nécessaire de faire un point rapide sur les types de familles
concernées. Comme j'ai pu le dire auparavant, j'ai réalisé
un questionnaire aux parents et aux enfants, afin de récolter un grand
nombre d'informations importantes pour mon Travail de Fin d'Etudes. Les
familles dont je vais parler ici, sont toutes issues d'un milieu
précaire situé dans le quartier du Quai d'Antoing à
Tournai. Je mettrai en parallèle de la théorie, les
données recensées via les questionnaires.
i. Les familles monoparentales en première ligne :
De toutes les recherches effectuées sur le thème
de la précarité des familles, je peux tirer une conclusion : les
familles monoparentales sont les plus fragilisées. Ce constat s'explique
simplement par le fait que ces parents seuls n'ont, de fait, qu'un salaire pour
survivre, mais aussi moins de temps à consacrer à leur emploi,
puisque l'éducation des enfants monopolise la quasi-totalité de
leur temps libre. Bien que les Allocations Familiales existent, les fins de
mois sont toujours difficiles à vivre, et les revenus d'aide ne
permettent souvent que de payer les soins médicaux des enfants, ou de se
permettre un « extra » en termes d'alimentation.
Selon l'Entretien de la Petite Enfance 2011,
réalisé par Dominique VERSINI4, ancienne
défenseure des enfants : « (...) les familles monoparentales,
en augmentation, sont particulièrement vulnérable. 32,6 %
des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, 85 % de
ces familles sont des mères qui élèvent seules leurs
enfants ».
Une réalité que j'ai pu constater sur le
terrain, puisque sur les 10 parents interrogés, 8 sont des mères,
dont 6 sont des mères seules. Les 2 dernières
sont pour l'une, en union libre depuis au moins un an, et pour l'autre,
mariée. Les deux hommes restant sont un père seul, et
4 VERSINI Dominique, Entretien de la Petite Enfance,
2011.
29
un beau-père en union libre depuis au moins un an. Sur
les 6 mères seules, 2 ont un emploi
rémunéré régulier, les 4 autres n'en n'ont pas
actuellement, ou n'en n'ont même jamais eu, et 4 ont plus de deux enfants
à charge.
|
ii. Les familles nucléaires s'en sortent mieux :
Qu'elles soient liées par un contrat de mariage, ou en
union libre, ces familles ont moins de difficultés à affronter le
quotidien. Cela va de pair avec l'opportunité de pouvoir combiner deux
salaires, ou encore de parvenir à diviser les tâches
élémentaires : par exemple, l'un s'occupe des enfants, l'autre
s'occupe de l'emploi. Une division ancestrale certes, mais qui permet d'assumer
plus paisiblement la garde des enfants, qui peut s'avérer parfois
couteuse (à mettre en parallèle avec la pénurie de places
en crèches et pouponnières).
Dans ce sens, parmi les 10 parents interrogés, 5
ont un emploi, et de ces cinq, 3 sont des familles nucléaires, et ont
toutes un niveau d'étude plus élevé que les autres
parents.
2. CHOMAGE ET EXCLUSION SOCIALE :
Dans notre société occidentale
développée, le travail a acquis une valeur sociale
indéniable. Il est devenu une nécessité, car on ne
travaille pas quand on veut, mais on doit travailler pour se nourrir, avoir un
logement, payer l'éducation de ses enfants, etc.
De plus, il n'est pas seulement un moyen
nécessaire pour vivre, il permet aussi d'avoir une identité, des
liens avec le groupe socialisant secondaire, c'est-à-dire l'ensemble des
personnes ne faisant pas parties du cercle familial. Il permet ainsi
de
30
s'inscrire dans la société et d'y
trouver sa place. Avoir un emploi est aussi un facteur important de limitation
du risque de pauvreté, ce qui signifie inéluctablement que ne pas
en avoir, place la personne concernée dans un état de
précarité, où le lendemain est toujours
incertain.
Comment donc joindre les deux bouts lorsqu'au sein
d'une famille, aucun des deux parents n'a d'emploi ? Et quand bien même
un des deux parents travaille, cela reste encore insuffisant pour viser une
autonomie financière totale et assurer paisiblement l'avenir de sa
progéniture.
i. Sur le terrain :
Si l'on prend en plus en considération les faibles
niveaux d'études des parents qui ne permettent pas d'occuper des emplois
à forte rémunération, ni à temps complet, la
spirale précarisante devient alors infernale. D'ailleurs, sur
les 10 parents interrogés, 2 n'ont aucun diplôme et ont
arrêté leurs études à la 5ème
année Primaire, 6 ont obtenu le diplôme de secondaire
inférieur, 1 est diplômé en couture et le dernier en
boulangerie-pâtisserie.
Au travers du questionnaire que j'ai réalisé,
j'ai pu constater que sur les 10 parents interrogés, 4 n'ont
jamais occupés d'emploi rémunéré
régulier, 1 n'a actuellement pas d'emploi
rémunéré, et 5 ont un emploi rémunéré
régulier. Sur les 5 parents qui n'ont pas d'emploi, 4 sont
bénéficiaires du RIS, et 1 est bénéficiaire du
chômage, et du Revenu d'Insertion Sociale (R.I.S.). La
réalité du terrain est là, en dehors des données
officielles, les familles vivent pour la plupart, bien en dessous du seuil de
pauvreté, avec comme seul revenu, une aide externe. Et ce n'est
certainement pas la tendance économique de ces dernières
années qui inversera la courbe du chômage. Au vu de l'explosion
des Contrats à Durées Déterminées, la
stabilité de l'emploi est de plus en plus mise à mal. Ces
changements économiques entraînent un sentiment grandissant
d'insécurité, et dans bien des cas, une augmentation du
degré de pauvreté.
31
Lors des entretiens que j'ai pu avoir avec eux après
qu'ils aient complété le questionnaire, beaucoup m'ont fait part
de leur peur de ne pas trouver de travail, se rappelant avec nostalgie
l'époque où ils étaient à l'école, et
où ils avaient un cercle d'amis bien plus important
qu'aujourd'hui. Ce qui m'amène à évoquer le
phénomène d'exclusion sociale, provoqué par la situation
de chômage de longue durée.
ii. Le phénomène d'exclusion sociale par le travail
:
C'est à partir de la crise énergétique et
pétrolière des années 70, qui entraîna une
transformation radicale du monde du travail dans l'Europe Occidentale (passant
de 50 000 à 600 000 chômeurs en Belgique), que le chômage
s'est installé de façon permanente et structurelle dans la
société, c'est-à-dire qu'il fait, à présent,
partie intégrante de la structure sociale du pays. Et être au
chômage aujourd'hui, signifie n'avoir de relations sociales qu'avec la
sphère familiale et avoisinante au domicile conjugal. Bon nombre de
personnes sans emploi ne sont ainsi plus intégrées socialement,
une intégration sociale qui se fait d'ailleurs à deux niveaux
:
4 au niveau de l'ensemble de la
société : c'est la cohésion sociale,
c'est-à-dire la modalité du lien qui existe entre les membres
d'une société. Elle s'oppose au concept d'anomie (nomos
= valeurs, et a- sens privatif, c'est donc l'absence de valeurs)
d'Emile DURKHEIM5. Ce concept désigne une
société qui n'intègre pas ces individus car il n'y a pas
assez de règles, de normes, de valeurs ou parce qu'elles changent trop
vite. Ainsi, lors de périodes de crises ou de changements,
l'intégration sociale ne fonctionne pas.
4 Au niveau individuel : c'est la
socialisation, l'individu est intégré et socialisé. Cela
s'oppose à l'exclusion sociale, c'est-à-dire au processus par
lequel un individu occupe progressivement une position socialement reconnue
comme extérieure. Ce n'est pas un
5 DURKHEIM Émile, De la division du travail social,
1893.
32
état mais un processus progressif dans le temps, comme
par exemple l'accumulation de situations de précarité par
exemple.
L'exclusion sociale par le travail dont je parle ici est donc
marquée par une extériorité, où la personne est
perçue comme différente, mais aussi comme inférieure. La
perte d'emploi affecte donc l'intégration de l'individu dans la
société de manière nuancé. C'est ainsi que
Dominique SCHNAPPER6 le décrit suivant 3 types de rapport au
chômage :
4 le chômage total : qui est la
perte du statut social, un repli sur soi et une rupture du principe de
solidarité (honte d'eux-mêmes et honteux d'être au
chômage).
4 Le chômage inversé :
où la personne au chômage s'investie dans des activités
autres que le travail (le milieu associatif, le bénévolat, etc).
Ici, l'exclusion n'est pas vraiment vécue.
4 Le chômage
différé : c'est lorsque la personne passe un temps complet
à chercher du travail en gardant le même rythme qu'auparavant (se
lever à la même heure, s'habiller de la même manière,
etc). La personne essaie de résister à la perte du statut de
travailleur.
iii. L'intériorisation de la situation d'exclusion :
Cette exclusion, provoquée par le chômage, induit
inévitablement que la personne exclue soit reconnue comme telle par ses
pairs, mais cela passe aussi par l'acceptation personnelle de cette
situation perçue comme dégradante. L'approche de Serge
PAUGAM7 illustre très bien cette prise de
conscience stigmatisante en analysant les processus d'exclusion au travers de
ce qu'il appelle « l'étiquetage » :
" (...) les exclus s'inscrivent dans un processus de
disqualification sociale à partir du moment où ils admettent
d'être désignés comme pauvres par des institutions
officielles et leurs représentants (travailleurs sociaux, élus,
etc..), la dépendance vis à vis des services d'actions
6 SCHNAPPER Dominique, L'épreuve du
chômage, 1981.
7 PAUGAM Serge, La disqualification sociale: essai sur la
nouvelle pauvreté, 1991.
33
sociales et les intérêts réciproques
des travailleurs sociaux qui désignent, et des assistés qui sont
désignés ".
3. LA SANTE, EN GENERAL :
Comme je viens de l'expliquer plus haut, les familles
aux situations économiques difficiles, ont souvent perdu le soutien de
leur entourage immédiat et parfois se sentent plus
généralement « exclues » que les autres. C'est ainsi
que l'on retrouve un taux de morbidité important, et de nombreux
problèmes de santé chez cette population. Et sur l'ensemble de
l'échelle sociale, un constat général peut être
fait, toutes pathologies confondues : la mortalité est plus
élevée en bas qu'en haut de l'échelle, et la
quasi-totalité des maladies y sont plus fréquentes chez les
populations en situation de pauvreté que chez celles qui sont plus
aisées.
Et s'il n'existe pas de « pathologie des pauvres
», il y a cependant des risques bien plus grands de contracter des
maladies physiques et psychologiques, de souffrir d'un manque d'hygiène,
d'avoir une plus grande propension d'adopter des conduites à risques, ou
encore d'avoir des difficultés à se nourrir convenablement
lorsque l'on bénéficie d'un bas revenu. Autant de
problèmes qui compliquent davantage le quotidien de ces personnes. Et
dans le sens de l'engrenage de la précarité : plus elles sont
fragilisées, plus elles ont du mal à se soigner, plus elles ont
du mal à retrouver un emploi, et donc une place dans la
société.
i. Des difficultés d'accès aux soins :
Il est évident que les personnes les plus pauvres ont
plus de mal à accéder aux soins médicaux que les plus
riches, bien que le système de santé en Belgique soit
relativement
34
efficace. Cela s'explique notamment par les faibles revenus
des ménages, largement amputés par la déduction des
impôts, des assurances, des loyers, des transports et autres
dépenses essentielles à la vie dans notre société,
et qui ne laissent pour ces familles que quelques euros par jour, souvent
utilisés pour se nourrir.
C'est ainsi que le rapport annuel 2013 de la Mutualité
Chrétienne, basé sur une enquête en ligne de 21 900
personnes en situation de pauvreté, fait un état des lieux
alarmant des inégalités sociales en matière de
santé. En effet, cette étude met en lumière les chiffres
suivants : 43 % des personnes interrogés doivent reporter des
soins pour des raisons financières, il s'agit essentiellement de
personnes en invalidité (31 %), au chômage (28 %) et des
isolés avec enfants (23 %).
On voit donc ici qu'il existe une réelle
difficulté pour les familles pauvres d'accéder à des soins
médicaux sans devoir se « serrer la ceinture », et ce,
notamment auprès des spécialistes. En effet, c'est une
dépense qui est plus souvent reportée que le loyer, surtout dans
les familles nombreuses ou monoparentales. Au détriment,
malheureusement, de soins dentaires, entraînant des maladies de
l'appareil digestif : 11 % des plus pauvres souffrent de caries contre
6 % du reste de la population, de consultations de contrôle chez
le médecin généraliste : 20,8 % des personnes de
moins de 50 ans ayant un bas revenu n'ont pas consulté de médecin
au cours de l'année 2007, contre 12% pour le reste de la
population. Et encore plus alarmant, les personnes les plus pauvres
sont également moins bien couvertes : 22 % d'entre elles n'ont
pas de complémentaire santé contre 7 % du reste de la
population.8
ii. Des consommations d'alcool, de tabac et autres drogues :
Les personnes touchées par la pauvreté
rencontrent notamment un plus grand risque de contracter des maladies
cardio-vasculaires et pulmonaires, et ce, à cause d'une plus grande
8 DE SAINT POL Thibaut, La santé des plus pauvres,
division des conditions de vie des ménages, Insee, octobre 2007.
35
consommation de tabac, d'alcool, et parfois de drogues, souvent
engendrée par le stress et le désir d'oublier la situation dans
laquelle elles se trouvent.
Dans ce sens, j'ai pu observer dans mon lieu de stage, des
familles souvent confrontées aux problèmes de la drogue, et
notamment des drogues dures. En effet, lors d'une activité manuelle avec
les plus jeunes, l'un d'eux, alors âgé de 7 ans, m'a fait une
déclaration assez marquante : « J'suis défoncé, j'ai
trop pris de coke ! » m'a-t-il dit. J'ai immédiatement
questionné mon éducateur référent, qui m'a fait
comprendre que les parents de ce dernier étaient cocaïnomanes
depuis un certain temps, et qu'il était possible que les enfants les
aient déjà aperçus en pleine prise.
J'ai aussi pu remarquer sur le terrain, de nombreux parents
venant chercher leurs enfants dans des états
d'ébriétés manifestes, ou encore avec les yeux vitreux et
des comportements suspects, témoignant d'une prise de drogue
évidente, sans que nous puissions véritablement intervenir.
D'ailleurs, dans le questionnaire que j'ai adressé aux enfants, je leur
ai donné la phrase suivante : « A la maison, il m'arrive parfois
d'entendre parler de drogue », et il se trouve que 3 enfants sur 16 m'ont
répondu qu'ils étaient d'accord, soit 18,7% des
répondants.
iii. Une santé mentale fragilisée :
Outre les problèmes de santé physiques et les
consommations de tabac, d'alcool et de drogues, s'ajoutent souvent des troubles
psychologiques relevant plus souvent du « mal-être » que de la
maladie mentale. On retrouve par exemple de nombreux cas de dépressions
et de tendances suicidaires, notamment induites par une situation de stress
généralisé, inévitablement provoqué par la
spirale de la précarité et de l'exclusion sociale qui en
découle.
36
Le sentiment d'infériorité, ou encore de
bouc-émissaire, est aussi très souvent mentionné dans les
recherches sur le sujet, tout comme le fait que ces personnes ressentent leur
vie comme un échec, et éprouvent une certaine honte de vivre dans
le besoin.
iv. Le problème de la négligence alimentaire : la
malnutrition :
J'ai aussi pu constater au travers de mes recherches, que le
thème de l'alimentation est de plus en plus souvent mentionné, et
est même devenu un enjeu national, notamment depuis l'arrivée du
« 5 fruits et légumes par jour ». Il n'est pas ici question
d'une sous-nutrition, mais plutôt d'une malnutrition provoquée par
plusieurs facteurs :
- un manque d'équipement culinaire, de connaissances,
et de temps, engendrent un repli systématique vers les plats de types
« préparés » ou « livrés »,
- des difficultés économiques rendant impossible
l'achat d'aliments sains, entraînant des excès et des carences
dans plusieurs domaines. En effet, les difficultés
socio-économiques des familles les poussent de plus en plus à se
tourner vers des aliments de type « hard discount », souvent
très riches en protéines, et de très mauvaise
qualité en termes d'apport vitaminique,
- une déstructuration du lien social lors de la prise
des repas dans la famille, provoquée par la désynchronisation des
rythmes de vie. C'est-à-dire que le moment du repas n'est jamais le
même pour tous les membres de la famille : « (...) à
l'irrégularité des rythmes de sommeil correspond
l'irrégularité des horaires et sauts de repas ; à
l'isolement engendré par la désorganisation de la cellule
familiale répond la solitude et le désintérêt
vis-à-vis des repas, etc. L'alimentation n'assume plus son rôle
structurant, mais suit et renforce les contraintes sociales et familiales
rencontrées par les individus. »9
9 Enquête CORELA, 2005.
37
Et en effet, 62,5% des enfants interrogés admettent
qu'ils ne mangent jamais à la même heure le matin, le midi et le
soir.
L'ensemble de ces facteurs engendrent bien souvent une
malnutrition, qui elle-même, engendre l'obésité. Il est
d'ailleurs important de noter que le risque d'obésité est cinq
fois plus élevé en cas de précarité
économique, sociale ou psychoaffective. Cette malnutrition conduit
également à diverses carences qui augmentent le risque de
maladies cardio-vasculaires, de cancers, d'anémie, ou
d'ostéoporose. L'obésité est également deux
à trois fois plus présente chez les personnes à faible
niveau d'éducation.10
Ce premier volet, essentiellement basé sur ce
que j'ai voulu nommer « Précarité et pauvreté, la
spirale infernale », illustre de façon non exhaustive,
l'étroitesse des liens qui unissent la totalité des
difficultés que peuvent rencontrer les familles, et l'engrenage qui en
découle lorsqu'elles se trouvent dans une situation de
précarité.
Ainsi, le chômage de longue durée peut
donc influer sur l'état de pauvreté, et conduire le plus souvent,
à une exclusion sociale, qui empêche alors la personne de
reprendre sa place dans la société. L'état de
pauvreté peut aussi engendrer des problèmes de santé
physique et/ou mentale, qui, à leurs tours, pourraient priver la
personne de trouver un emploi, et ainsi de suite. Tous les schémas sont
possibles, et aucun n'est réellement fixé. Il n'existe que des
familles en difficultés, souvent en rupture avec les services d'aide
sociale, et qui, tant bien que mal, tentent de sortir du gouffre qui les
englouti.
Mais comment en sont-elles arrivées là ?
Est-ce simplement par manque d'éducation ? D'argent ? De volonté
? N'ont-elles pas subi la situation de leurs ascendants ?
10 CAVAILLET F., DARMON N., LHUISSIER A., REGNIER
F., L'alimentation des populations défavorisées en France.
2005.
38
C. LA FAMILLE COMME PREMIER LIEU
D'APPRENTISSAGE :
S'il est un lieu particulier où l'enfant doit
pouvoir établir les bases de tout apprentissage, c'est, avant
l'école, le foyer familial. Idéalement, et selon les
différents textes de protection des droits de l'enfant, les parents ont
pour responsabilité première l'éducation et la
protection de leur progéniture. Ils doivent veiller à
l'épanouissement personnel de ces derniers, en instaurant un climat
familial de bonheur, d'amour et de compréhension mutuelle au sein de la
famille : « c'est aux parents ou autres personnes ayant la
charge de l'enfant qu'incombe au premier chef la responsabilité
d'assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens
financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de
l'enfant ». 11
La place de l'enfant dans le noyau familial est donc
perçue comme centrale aux yeux des autorités publiques et
étatiques. Les parents sont tenus d'éduquer leurs enfants selon
les meilleures dispositions possibles, puisque ce sont eux qui transmettent les
premières règles sociales, qui favorisent le processus de
socialisation, et qui posent le ciment de ce qui sera plus tard,
l'identité personnelle de l'enfant.
Mais comment donc éduquer convenablement un
enfant lorsque sa propre situation est synonyme d'instabilité et de
fragilité ? Comment parvenir à assumer pleinement son rôle
d'éducateur/protecteur au sein d'une société qui met de
plus en plus l'accent sur le devoir de « réussite sociale » ?
Comment faire face à la pression des images de familles « parfaites
» et soudées, envoyées en flux continu par les médias
? Quelle est réellement la vision du rôle parental au sein de
notre société, et au sein des familles concernées
?
11 Convention Internationale des Droits de
l'Enfant Article 27.2, ONU, 20 novembre 1989.
39
I. RAPPEL HISTORIQUE DE LA PLACE DE L'ENFANT DANS LA CELLULE
FAMILIALE :
|
Sans vouloir m'attarder sur une anthropologie de la
sociologie de la famille, je vais rappeler brièvement les
évolutions qu'elle a subies au fil des époques, et notamment la
place de l'enfant dans le foyer familial. Dans un souci de
synthétisation, je n'évoquerai que les évolutions de la
famille dite, occidentale.
Si l'on remonte à l'étymologie du terme «
enfant » dans sa racine latine, on trouve : infans, -antis,
qui ne parle pas. On voit ici une conception bien archaïque de la
place de l'enfant dans la société de l'époque : il n'avait
alors que le droit de se taire. Ainsi, les Gaulois avaient même le droit
de vie ou de mort sur les enfants, et les Romains pouvaient, à leur
guise, accepter ou refuser un enfant dès sa naissance. C'est le concept
de « Puissance Paternelle ». L'enfant était donc plus
considéré comme une main d'oeuvre supplémentaire et comme
l'assurance d'une descendance de la lignée, que comme le fruit tangible
d'un amour partagé entre deux êtres. Rappelons qu'à cette
époque, la vision du couple n'était soumise à aucune
règle, et que l'adoption de fait ou la polygamie, étaient
monnaies courantes, et que la femme était mariée à un
homme sans consentement, choisi au préalable par le père.
Il faudra attendre les avancées révolutionnaires
de l'Eglise au XVème Siècle pour voir apparaître les
prémices de ce qui sera plus tard, la famille nucléaire. En
mettant l'accent sur le consentement mutuel des époux, l'Eglise donnera
alors plus d'intimité au couple, leur laissant ainsi le soin de
désirer un enfant ou non. C'est à partir de là que ce
dernier prendra peu à peu une place à part entière dans le
foyer familial.
Mais ce n'est qu'à l'époque des Lumières
et de la Révolution Française, notamment avec la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, adoptée le 26
août 1789, que l'enfant va être reconnu comme ayant des droits.
Bien que celle-ci ne vise pas particulièrement le statut de l'enfant,
elle mentionne toutefois dans son introduction que cette déclaration est
: « (...) constamment présente à tous les
membres du corps social, (...) »12.
12 Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen, Introduction, 1789.
40
Mais, compte tenu du niveau de vie difficile, les deux parents
devaient travailler, et l'enfant était souvent déjà
travailleur dès l'âge de 10 ans, selon les dispositions
légales de l'époque. Ce n'est qu'un siècle plus tard, en
1887, que Jules Ferry, en rendant l'école gratuite, laïque, et
surtout obligatoire de 6 à 13 ans, que ce statut d'enfant travailleur va
peu à peu changer.
Puis les années passent, et la société
occidentale est plongée dans la révolution industrielle, les
moeurs changent rapidement, la famille prend définitivement le
rôle de fonction affective à mesure que l'état prend du
pouvoir sur celle-ci (sécurité sociale, obligation scolaire,
etc). Arrivent les Trente Glorieuses, qui laissent planer un climat social
stable et prospère. Le niveau de vie augmente, et l'un des deux parents
peut alors quitter son emploi, donnant libre court à la division des
rôles parentaux : le père autoritaire et travailleur, et la
mère affective et au foyer, ayant pour seules activités, les
tâches ménagères, l'administration des soins, et la garde
de l'enfant. Les avancée de la médecine vont dans le même
sens : contraception généralisée, baisse de la
mortalité infantile, hausse de la qualité des soins pré et
postnataux, etc. C'est l'avènement de l'enfant «
contrôlé ».
On voit alors apparaître la Déclaration de
Genève, le 26 septembre 1924, qui stipule que : « L'enfant doit
être mis en mesure de se développer d'une façon normale,
matériellement et spirituellement.», Celle-ci est
revisitée, et passe de cinq à dix principes avec la
Déclaration des Droits de l'Enfant du 20 Novembre 1959. L'enfant devient
peu à peu un sujet à part entière, possédant des
compétences réelles d'un point de vue cognitif, social et
affectif.
Mais l'arrivée des premiers chocs pétroliers
provoque une crise économique et sociale sans précédent,
qui va alors changer profondément le modèle familial en occident.
Le niveau de vie ne monte plus, on doit joindre les deux bouts, et la crise
renforce ce que les mouvements féministes revendiquaient : les femmes
retournent travailler. Parallèlement, l'âge du mariage augmente,
on voit de plus en plus de divorces, et les familles monoparentales explosent.
A mesure que la société évolue, les formes de couples
changent et se diversifient : familles éclatées,
recomposées, complexes, homoparentales, etc.
L'Homme décide enfin de protéger
entièrement la condition de l'enfant, et de lui accorder des droits
inaliénables en rédigeant et en adoptant la Convention
Internationale des Droits de l'Enfant, le 20 novembre 1989, il y a un peu plus
de vingt-cinq ans seulement.
41
Aujourd'hui, l'enfant est au coeur des préoccupations
des sociétés et des familles. Il est devenu l'un des axes de
référence de la famille contemporaine. En effet, « une
nouvelle conception plus contractuelle des liens conjugaux a fait passer les
liens parentaux à la première place »13. Les
liens conjugaux sont désormais solubles (d'un point de vue juridique)
tandis que le lien de filiation, lui, est caractérisé par le long
terme. L'enfant est à présent enfant-individu, enfant-roi et, de
plus en plus, enfant-consommateur.
Mais on voit apparaître un nouveau paradoxe : l'enfant
du XXIème siècle est sans cesse poussé vers la
performance, en milieu scolaire et extra-scolaire, tandis que les sciences
sociales et la psychologie, l'invite à ne pas quitter son enfance,
prônant une « philosophie » de vie tendue vers
l'épanouissement. Ainsi, l'insouciance, l'innocence, et la
spontanéité sont devenues des valeurs centrales. Cette pression
de la société sur l'enfant révèle des angoisses et
des inquiétudes constantes chez les parents, qui se demandent sans cesse
si leurs enfants sont bien éduqués, s'ils vont réussir
comme les autres, etc. Un stress qui est bien évidemment
décuplé lorsque la pauvreté et la précarité
s'en mêle, car il est indéniable que l'enfant issu d'un milieu
aisé réussira mieux qu'un enfant issu d'un milieu pauvre. En
effet, dans notre société de la connaissance, les personnes peu
instruites courent un risque de pauvreté nettement plus
élevé (23,8%) que celles très instruites
(6,5%).14
A partir de ces constats, quels sont
véritablement les devoirs des parents envers leur enfant ? Quel est le
schéma traditionnel occidental qui doit être appliqué en
matière d'éducation de nos jours ? Comment les parents
perçoivent-ils leur rôle ?
13 FOURNIER Martine, La Révolution des poussettes,
2011.
14 Données statistiques, EU-SILC, enquête 2013,
Belgique.
42
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