Section II : Le rejet de la répudiation pour sa
contrariété au principe d'égalité
Si avant 2004, une répudiation pourrait facilement
être reconnue en France grâce à l'effet
atténué de l'ordre public. À partir de 2004, la Cour de
cassation a changé son fondement pour intégrer la Convention
européenne des droits de l'Homme et ses protocoles, et par
conséquent, la répudiation sera contraire au principe
d'égalité entre époux. Ceci a mené à la
non-reconnaissance de la répudiation en France. Deux questions se posent
donc à ce stade : la position de la Cour de cassation est-elle la
meilleure ? (§1), et quels sont les risques possibles et
les dangers si la Cour de cassation poursuit l'utilisation de cette
démarche ? ( §2 ).
§1- Le respect des droits fondamentaux et de la
CEDH.
À partir des arrêts de 2004, la première
Chambre civile de la Cour de cassation française se réfère
au principe d'égalité, pas seulement comme un principe faisant
partie
123 ibid. ; M.-C. MEYZEAUD-GARAUD, op. cit.
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de l'ordre public français en matière
internationale, mais comme un droit fondamental à portée
universelle garanti par la Convention européenne des droits de
l'Homme.
Effectivement, la Convention européenne des droits de
l'Homme est une convention internationale, et le fait que le juge
français se réfère à un texte international est
différent d'une simple référence à l'ordre public
français en matière internationale qui a un caractère
nationaliste. Le principe d'égalité homme / femme n'est pas
seulement un principe français, mais, c'est un principe qui a une vision
internationale qui paraît même plus forte, puisqu'il est
respecté par plusieurs États, ce qui donne l'impression que les
principes et les droits reconnus par la Convention européenne des droits
de l'Homme auraient une nature universelle. En effet, cette idée peut
être admise dans la mesure où les principes reconnus par la
Convention européenne des droits de l'Homme figurent dans d'autres
textes internationaux ( qui regroupent un plus grand nombre d'États )
qui, eux, ont une valeur universelle comme la Déclaration universelle
des droits de l'Homme de 1948. En outre, on peut très bien dire que si
l'Égypte n'a pas signé la Convention européenne des droits
de l'Homme, puisqu'elle n'est pas membre du Conseil de l'Europe, mais, en
revanche, l'Égypte est un membre de l'ONU. Mais la question qui se pose
donc est : est-ce que la force obligatoire de la Convention européenne
des droits de l'Homme en France est équivalente à celle de la
Déclaration universelle des droits de l'Homme en Égypte ? En
d'autres termes, peut-on invoquer la Déclaration universelle des droits
de l'Homme devant le juge national comme on fait pour la Convention
européenne des droits de l'Homme ?
On a donc un problème relatif au caractère
contraignant et impératif du texte international. Par conséquent,
on pourrait même dire que les droits fondamentaux reconnus dans les
textes internationaux n'ont pas tous, la même valeur juridique.
En revanche, on peut regarder au problème d'un autre angle
autre que celui du caractère des textes. On peut dire que les droits
fondamentaux sont des droits relatifs à l'Homme en tant qu'être
humain quel que soit son sexe, sa nationalité, sa race ou sa religion.
On a donc d'après ce point de vue, un ensemble de droits relatifs
à l'Homme qui s'appliquent à tout le monde sans aucune
discrimination. C'est pour cela que le juge français refuse d'admettre
la répudiation au profit du principe d'égalité qui
concerne tout
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les individus quel que soit son sexe ou sa nationalité. En
outre, si on approfondit dans cette réflexion, on peut même dire
que ces droits forment un patrimoine commun pour tous les États qu'ils
doivent respecter, d'où vient le caractère universel. Mais cette
idée est tout à fait abstraite. Pourrait-on nier les
différentes lectures des droits fondamentaux qui existent dans chaque
système juridique ? Et même si on admet le caractère
universel des droits fondamentaux, pourquoi la Cour de cassation conserve
l'ordre public de proximité lorsqu'elle raisonne en fonction d'un
principe universel ?!! En effet, la Cour de cassation dans l'arrêt du 17
février 2004 n° 01-11.549 affirme que : « ...dès
lors que, comme en l'espèce les époux étaient
domiciliés sur le territoire français... »124.
Dans un autre arrêt de la même date, la Cour de cassation a
dit : « ...sinon même les deux époux étaient
domiciliés sur le territoire français ...»125.
Le Doyen H. FULCHIRON trouve que « raisonner en termes de
proximité pourrait laisser penser que la répudiation n'est pas
contraire à l'ordre public pourvu que des français ou des
étrangers résidant en France ne soient pas en cause, ce qui
serait pour le moins étrange compte tenu du fondement
général et apparemment absolu de la condamnation.
»126. En outre, et comme le dit Monsieur J.
SAGOT-DUVAUROUX, l'utilisation du principe de proximité peut
entraîner une incertitude. En effet, il dit que : « L'intrusion
de ce principe dans le droit de la compétence indirecte est d'ailleurs
assez paradoxale puisqu'elle avait initialement pour finalité de
faciliter la circulation des jugements étrangers sur lesquels les
parties avaient pu fonder leurs prévisions. Pourtant l'incertitude s'est
déplacée au niveau de l'appréciation du degré de
proximité au litige avec le juge étranger ou même le juge
français. »127.
Ainsi, on voit bien que la nouvelle position de la Cour de
cassation française n'apporte pas la solution la plus pertinente au
problème de reconnaissance de la répudiation musulmane au sein du
système juridique français, cette solution peut être
à l'origine de plusieurs problèmes.
§ 2 - Les risques et les dangers de cette
démarche
124 Juris-Data n° 2004-022373
125 Juris-Data n° 2004-022374
126 H. FULCHIRON, JCP, G, n°36, 1e
/9/2004, P.1486
127 J. SAGOT-DUVAUROUX, « La régularité
internationale d'un divorce musulman », D. 2006, n°16
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Il est clair que le fait de se référer aux droits
fondamentaux n'est pas une solution parfaite. Il est vrai que le fait de se
référer à un droit qui a une vocation universelle
libère le juge du nationalisme juridique pour reconnaître les
jugements étrangers, mais, il ne faut pas oublier que l'utilisation des
droits fondamentaux avec leur force et leur dynamisme peut
éventuellement aboutir à des résultats qui n'ont pas
été voulus dès le départ. Effectivement, l'objectif
voulu est d'avoir une coordination entre les systèmes juridiques.
Le fait de raisonner en fonction de droits fondamentaux ne permet
pas d'avoir une conciliation entre les différents systèmes
juridiques. Il faut aussi examiner la situation en l'espèce pour
vérifier la contrariété du droit étranger aux
droits fondamentaux sur la question posée. Si la jurisprudence
française continue à suivre le raisonnement selon lequel elle
considère que la répudiation est contraire au principe
d'égalité hommes / femmes, aucune répudiation musulmane
sera reconnue. Il faut donc se référer au système
juridique étranger et voir comment il conçoit le principe
d'égalité et voir aussi comment le principe
d'égalité entre époux est compris dans ce
système.
En effet, la solution du problème n'est pas d'imposer une
lecture spécifique des droits fondamentaux ou de prévaloir une
lecture sur une autre. Mais, l'idée est d'essayer de respecter le
contenu des droits fondamentaux en fonction des faits de l'espèce en
tenant compte de la spécificité du système juridique
auquel les parties appartiennent pour aboutir à un respect raisonnable
du principe d'égalité.
Donc, effectivement, la démarche de la Cour de cassation
française de 2004 pourrait causer des problèmes pour les parties
elles mêmes ( A ), mais aussi, cette démarche condamnera la
répudiation sur un fondement abstrait ( B ).
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