La persistance des sciences sociales coloniales en Afrique( Télécharger le fichier original )par Jean Barnabé MILALA LUNGALA Université de Kinshasa RDC - Doctorat 2009 |
Contre l'économie conventionnelle« Le renoncement systématique à un comportement intéressé, en faveur du devoir, de la loyauté et de la bonne volonté, joue un rôle considérable dans la réussite industrielle du (Japon)». Et même la prévalence du respect des règles au Japon s'observe non seulement en matière économique, mais aussi dans d'autres sphères de la vie sociale ; ainsi, il est rare de voir des détritus jetés sur la voie publique, les procès sont peu fréquents, les avocats sont étonnamment peu nombreux et le taux de criminalité est faible par rapport à des pays de niveau de vie comparable.186(*) On peut dire à la suite de Ronald Dore qu'il aurait eu « la recette confucianiste de la réussite industrielle » comme dans la montée de la chine aussi. « La dichotomie traditionnelle entre « égoïsme » et « utilitarisme » ... est trompeuse à plusieurs égards, omettant notamment le fait que les groupes intermédiaires entre soi-même et tous les autres - la classe sociale, le quartier ou la catégorie professionnelle - constituent le point focal de nombreuses actions qui témoignent d'un comportement engagé. »187(*) La question qui se pose est celle de savoir : comment inscrire la recherche économique dans une perspective intentionnaliste, parce que le temps, l'espace et la société sont pris tels qu'ils devaient être, et non pour ce qu'ils sont : complexes, particuliers, irréductibles, pavés de distorsions et d'incertitudes. Bref, relatifs. Ce sont des données « paramétrisées » à contenu vide. Les économistes critiques ont donc depuis exigé des reformes pour une science économique qui est restée « anhistorique » en tant que réalité sociale et humaine. La société est restée un lieu géométrique qui formalise des systèmes d'équations théoriques et non d'équation des systèmes réels : - Temps : Instant Ti, - Espace : position Pj, - Société : Individualité Ik (agent économique) qui poursuit le « maximum d'utilités ». L'économie conventionnelle tire son modèle de la physique mécanique, la macro et la micro économies se sont construites ipso facto sur le modèle de ces grandeurs qui sont des variables exprimant les rapports quantitatifs. Alors que comme le fait remarquer pertinemment Kabeya Tshikuku, Planck, Einstein, Bohr, Rutherford, Heisenberg et Helmholtz avaient ouvert le chemin vers une nouvelle connaissance de la continuité de l'Univers et des mutations de la matière, ainsi que vers une autre perspective de l'Univers. « L'influence de la théorie du choix rationnel est grande sur les sciences de l'homme. Elle est au coeur de la pensée économique contemporaine, parce qu'elle articule les fondements de la micro-économie qui a pris le relais de la micro-économie keynésienne discréditée. Elle se propage en sociologie, notamment sous l'influence de Gary Becker et de James Coleman. Dors déjà, elle est solidement implantée en théorie des relations internationales et la méthode communément admise dans une myriade d'études sociales de tous niveaux. »188(*) D'un point de vue théorique, tout part de l'action : « une action est une suite coordonnée de mouvements visant à obtenir une transformation du monde. Elle a un but, une visée, un objectif : un état du monde à réaliser. Elle a un agent : l'individu. Un groupe peut certes agir collectivement (une armée, par exemple), mais il n'est que l'agrégation des actions individuelles. En fin, l'action rencontre des contraintes dans un environnement changeant. L'individu, face à ces contraintes partiellement inconnues ,est donc forcé de choisir entre les actions qui lui offrent qu'une satisfaction partielle. Ainsi décrite de façon élémentaire, l'action peut être décomposée en trois composantes qui en forment pour ainsi dire la structure atomique. Il y a d'abord les préférences des individus. (...) Ces préférences induisent des plans d'action. Mais les plans d'actions rencontrent les contraintes de la situation. (...) ces contraintes, présentes et futures, qui conditionnement la réussite des plans des individus, leur sont données au travers de leurs croyances. Les croyances sont des représentations du monde. En fonction donc de ses préférences et de ses croyances à propos d'une situation contraignante, l'individu choisit un comportement censé réaliser « au mieux »ses préférences. Le comportement est ainsi expliqué par la relation qui unit les trois termes : préférences, croyances, espérance d'utilité (intérêt). Cette relation est susceptible de calcul. Le calcul (donne ) : 1/ les préférences doivent être transitives ; 2/ les croyances doivent être objectives ; 3 / et la sélection du comportement doit être optimale. »189(*) La théorie de choix rationnel est actionniste sui generis, elle est une théorie de l'intérêt personnel. L'action ici est animée par l'intérêt personnel. C'est une hypothèse de départ pour caractériser le comportement réel par la poursuite de l'intérêt personnel.190(*) Ici l'homme économique défendant ses propres intérêts, est une meilleure approximation du comportement des êtres humains. C'est là une hypothèse classique en économie : « nous vivons dans un monde d'individus (les parties) raisonnables bien informés, défendant intelligemment leurs propres intérêts ».191(*) Et « lorsque nous prédisons « le résultat d'une mise à l'épreuve systématique et exhaustive du comportement, dans des situations de conflit entre intérêt personnel et des valeurs éthiques largement partagées. Assez souvent, et même le plus souvent, c'est la théorie de l'intérêt personnel (telle que l'interprète selon Smith) qui l'emporte. »192(*) Dans une pragmatique formelle de Jürgen Habermas, la situation de la parole est un cadre qui nous permet de resituer l'ensemble des composantes de l'action stratégique comme sous ensemble de l'action communicationnelle. On va le voir en ce qui concerne la critique de la théorie du choix pur, selon Amartia Sen les vérifications empiriques de ce type ont été jusqu'à maintenant très rare, que ce soit en matière économique ou dans des domaines tels que les relations conjugales ou le comportement religieux, en dépit d'analyse intéressante du point de vue de l'analyse conceptuelle de certaines théoriciens.» L'étude du comportement dans les domaines de couple, des enfants, de la criminalité, de la religion, et autres ne vérifient pas cette hypothèse. Pour son dépassement, Kabeya Tshikuku193(*) emprunte les armes théoriques à l'analyse des Structures et Systèmes Economiques, (ASSE).194(*) Pour lui justement, les « postulats « classiques » (de la science économique), les concepts de « société », de « structure », et de « système » ne sont pas compatibles.»195(*) Il évoque plusieurs raisons dont certaines d'entre elles sont ici présentées, notamment l'individualisme méthodologique : la grandeur « société » renvoie à l'individualité Ik (considéré comme agent économique poursuivant le « maximum d'utilités ». A propos, souligne-t-il, la science économique « ne veut voir dans l'activité fébrile des humains qu'une kyrielle d'entreprises individuelles, rationnellement égoïstes, à la recherche de maximum de profit. »196(*) Pour nous, c'est la théorie du choix rationnel qui s'empêtre dans le paradoxe de l'hyperrationnalité ou des idiots rationnels.197(*) Amartian Sen pense que toutes les deux tendances de la disciple économique dépendent de la politique : « l'économie est en faite issue de deux origines, toutes deux liées à la politique, mais de manière différente : l'une s'intéresse à l' « Ethique », l'autre à ce que l'on pourrait appeler la « mécanique ». Kabeya Tshikuku relève le défaut de «la profession néo- libérale, sacralisant le marché comme mécanisme de régulation et jetant l'anathème sur l'Etat (y compris pour les sociétés du globe, comme le Congo, où marché rime avec corruption et où l'on meurt de déficit d'Etat ! »198(*) Il relève également le fait que, c'est ici un des points focaux de son analyse la « représentation de l'univers social ignore tout discours sociologique et s'apparente à la Mécanique de l'horloge. »199(*) Il en appelle clairement à une approche multidisciplinaire. Ce point de vue montre in fine la pertinente critique de l'individualisme méthodologique au moyen du structuralisme, du fonctionnalisme et de la systémique dont il fait aussi tour à tour un examen tout aussi critique. Il en appelle finalement sans coup férir au postulat de l'interdépendance de l'activité sociale. Toutes les sciences sociales se trouvent dans cette situation. Tshikuku analyse et démasque de surcroit l'inadéquation de l'approche systémique ou cybernétique qui porte la théorie du choix rationnel , appliquée dans les modèles économiques par les Institutions de Breton Wood à travers le Programme d'Ajustement Structurel, comme exigence des références de rationalité extérieure. Nous pouvons dire qu'une telle rationalité se prolonge aujourd'hui dans le programme PPTE (pays pauvres très - endettés). C'est l'effet de «la cybernétique appliquée à des systèmes économiques extravertis, post- et néocoloniaux, dont les deux principes caractéristiques sont le divorce d'avec la demande sociale domestique et l'irréductible incohérence entre les structures internes ».200(*) La critique de Jürgen Habermas se ramène à la dénonciation des abstractions maladroites de l'approche structuro-fonctionnaliste et systémique. Pour nous la question plus que pertinente posée par Kabeya Tshikuku, celle de l'interdisciplinarité et de reconstruction théorique est paradigmatique. Le cadre théorique nous resitue tous les éléments rélevants du comportement. Le savoir préthéorique, le savoir théorique, la croyance collective, la préférence, l'intérêt personnel et collectif, la situation de l'action communicationnelle, le thème de l'action, le sens subjectivement visé, etc. Il faut analyser la théorie de l'action du comportement qui est motivé par des valeurs éthiques à la suite de Max Weber. Une telle « approche praxéologique a déjà été définit par Max Weber qui comprend l'activité sociale comme un comportement ayant un sens subjectif, c'est-à-dire guidé par un sens subjectivement visé qui le motive. Il ne peut être adéquatement appréhendé qu'en fonction des objectifs et des valeurs qui guident le sujet de l'action »201(*). Elle s'oppose à l'action motivée par l'intérêt personnel. * 186 Voir Amartya SEN, op.cit.,p.21. * 187Ibidem,p.22. * 188 Jean De MUNCK ,L'institution sociale de l'esprit ;Nouvelles approches de la raison ,Puf,1999,Paris, p.19. * 189Ibidem, p.18. * 190 Amartya SEN, Ethique et économie, Puf, 2002, p.19. * 191 George STIGLER , in Tanner Lectures ,cité par Amartya SEN, Ethique et économie, Puf, 2002,p.19. * 192Amartya SEN, op.cit., p.20. * 193Ibidem. * 194 voir Jürgen HABERMAS, AprèsMarx, traduit de l'allemand par Jean-René Ladmiral et Marc B.de Launay, Hachette littérature, Suhrkamp , 1976,Fayard ,1985,Paris . * 195 KABEYA TSHIKUKU, op.cit .,p. 40. * 196Ibidem, 37. * 197Voir Amartia SEN. * 198Ibidem, p. 38. * 199Ibidem, p. 37. * 200Ibidem, p.205. * 201 Jürgen HABERMAS, Logique des sciences sociales et autres essais, Puf, 1987, Paris , p.74. |
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