Le principe de la responsabilité de protéger : une issue pour la protection des populations civiles. Cas de la république démocratique du Congo( Télécharger le fichier original )par Patience KATUNDA AGANDGI Université de Kinshasa RDC - Licence en droit international 2010 |
CHAPITRE V. PERSISTANCE DE VIOLENCE ET ECHEC DES INITIATIVES TENDANT A RESTAURER LA PAIXLa République Démocratique du Congo subi depuis 2004 jusqu'à ce jour un cycle interminable de violence qui est nourri par plusieurs groupes armés qui se focalisent principalement à l'Est du pays. Plusieurs opérations militaires ont été menées en vue d'anéantir ces mouvements rebelles, mais elles se sont soldées par des échecs notoires car ces groupes agissent et accroissent leurs activités criminelles chaque jour (Section II). Avant d'en parler nous allons d'abord évaluer la situation de violence qui a gagné du terrain depuis l'année 2008, et qui n'est pas encore résolue avec la multiplication des factions armées (Section I). Section I. PERSISTANCE DE VIOLENCE A L'EST DE LA RDCLa permanence de la barbarie et la perpétration dans l'impunité des crimes odieux font partie depuis quelques années du quotidien des populations de l'Est de la RDC. La violence a repris du terrain depuis 2008 avec la guerre contre le CNDP et d'autres groupes armés, et la commission des violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire (surtout le viol) s'est accrue de façon exponentielle (§.1.) ; sans oublier une multiplication étonnant des groupes armés (§.2.). §.1. Regain de violence et perpétration constante des crimes
Après l'entrée en vigueur de la constitution du 04 avril 2003 et la mise en place des institutions politiques de la transition avec à la tête du pays le gouvernement 1 + 4, les grands belligérants des deux grandes guerres de la RDC, ont enterré la hache de guerre. Mais cette période d'accalmie n'a pas duré longtemps, car en Ituri sous l'effet de la disparition de l'Etat, de la crise économique, des manipulations des tensions intercommunautaires par les forces d'occupation ougandaises et de la rivalité croissante entre Kampala, Kigali et Kinshasa pour le contrôle de la région, les violences suscitées par les conflits fonciers et les clivages de plus en plus entre communautés ont dégénéré en guerre interethnique ouverte entre populations Lendu et Hema277(*). En quatre ans, le conflit a fait plus de 50 000 morts et a forcé plus de 500 000 personnes à quitté leur résidence278(*).
Pour venir à bout de ce conflit interethnique, il a fallu une très forte mobilisation de la communauté internationale en faveur du désarmement des groupes armés locaux. Suite aux opérations militaires et de sensibilisation menées par la MONUC et aux enquêtes ouvertes par la Cour pénale internationale (CPI), la marge de manoeuvre laissée à ces groupes s'est progressivement réduite et un processus de désarmement a pu être engagé. Couplé au dialogue initié sur le tard par les autorités congolaises avec les derniers chefs miliciens et au rapprochement entre Kinshasa et Kampala, ces efforts ont abouti à une diminution significative du niveau de violence et du nombre de combattants évoluant dans les différentes milices de l'Ituri. On a donc assisté à une juxtaposition d'initiatives qui ont progressivement permis de ramener le calme sans toutefois régler en profondeur le problème d'insécurité dans le district ou les causes profondes du conflit279(*). En 2006, Laurent Nkunda créait le CNDP en vue de conquérir le pouvoir de Kinshasa et de protéger les tutsi qui étaient soi-disant en insécurité. Les deux premières années d'existence du CNDP sont entrecoupées de périodes d'affrontements et de négociations. Mais c'est l'échec de la mise en oeuvre d'engagements pris par le gouvernement de la RDC et des groupes armés congolais du Kivu durant une conférence de paix à Goma en janvier 2008, qui va précipiter une reprise des combats autour de la capitale provinciale du Nord Kivu280(*). Le 28 août 2008, l'armée nationale congolaise (FARDC) lance sa sixième offensive depuis 2004 contre les forces rebelles de Laurent. En moins de deux mois, les FARDC sont mises en déroute et les miliciens du CNDP aux portes de la ville de Goma évacuée par les troupes gouvernementales en octobre 2008. A la suite d'une réunion à Goma entre le président Kabila, les responsables du gouvernement, le président de l'Assemblée nationale de l'époque, Vital Kamerhe, et la médiation internationale mis en place par le processus de Nairobi, un plan de désengagement fut convenu dans lequel la MONUC était chargée de garantir son application et de contrôler les mouvements de troupes. Le CNDP conditionna sa participation à l'ouverture de pourparlers directs avec le gouvernement en dehors du cadre du programme Amani281(*), une condition que Kinshasa rejeta catégoriquement282(*). La suspension des hostilités fut donc de courte durée. L'escalade de la crise aboutit rapidement à des échanges d'accusations entre Kinshasa et Kigali, illustrant l'échec du processus de Nairobi. L'apogée de cette confrontation fut atteint le 26 octobre quand des attaques coordonnées du CNDP anéantirent de nombreuses positions FARDC. Les insurgés reprirent Rumangabo et la ville de Rutshuru en progressant vers Goma. Lors de l'attaque du camp de Rumangabo, le CNDP reçu un soutien direct de l'armée rwandaise (RDF) qui prit la forme de tirs de chars rwandais à partir du poste frontalier de Kabuhanga283(*). Alors que les troupes du CNDP approchaient, la MONUC restait seule à pouvoir défendre la ville de Goma. Les unités des FARDC s'étaient dispersées sans combattre, pillant et violant avant de fuir vers le sud. Les commandants militaires de la 8ème région militaire du Nord Kivu furent les premiers à fuir la ville pour se réfugier à Bukavu, la capitale de la province du Sud Kivu, suivis de près par les unités de la Garde Républicaine. La pression diplomatique des Etats-Unis, de l'Afrique du Sud et des partenaires européens du Rwanda incita finalement Nkunda à déclarer un cessez-le-feu unilatéral le 29 octobre et à stopper la progression de ses forces aux portes de Goma. Elles furent déployées à 19 km au nord de la ville tandis que des combats sporadiques dans le Masisi et le Rutshuru continuaient jusqu'au milieu du mois de novembre 2008284(*). Ce conflit a abouti à un rapprochement spectaculaire entre le Rwanda et la RDC. En effet, le Rwanda voulant réduire la capacité de nuisance des FDLR qui constituent un danger pour sa sécurité, et la RDC cherchant à en découdre avec le CNDP, vont ensemble négocier un accord secret pour leurs causes communes. En effet, Laurent Nkunda était devenu une gêne pour les deux présidents. L'animosité entre le chef du CNDP et Kabila n'avait fait que grandir de manière évidente depuis 2004, lorsque Nkunda s'était rebellé contre Kinshasa et avait conquis la ville de Bukavu. Depuis l'été 2008, Kagame constatait que Nkunda quittait progressivement son rôle de protecteur de la minorité congolaise tutsi du Kivu pour investir le champ de la politique nationale du Congo285(*). C'est ainsi que fut émis le 5 décembre 2008 depuis Goma, un communiqué qui annonçait que l'offensive conjointe devait débuter au mois de janvier et bénéficierait d'une « forte implication rwandaise ». Le concept initial officiel prévoyait que les RDF apportent un soutien logistique, opérationnel et en renseignement aux unités FARDC. Celles-ci seraient renforcées par l'intégration dans leurs rangs des combattants CNDP ralliés à Kinshasa depuis l'annonce surprise de Bosco Ntaganda du 16 janvier 2009286(*). Dans une intervention télévisée ultérieure, le président Kabila précisa que la durée de l'action de la coalition FARDC-RDF ne dépasserait pas le mois de février. Le 20 janvier 2010, l'opération Umoja Wetu (Notre Unité) fut lancée officiellement. Trois colonnes de RDF pénétrèrent dans le territoire congolais et progressèrent rapidement sans rencontrer de résistance au Nord et à l'Ouest de Goma. La première colonne se dirigea vers Jomba pour encercler et désarmer les derniers loyalistes de Laurent Nkunda regroupés autour de leur chef. Laurent Nkunda sera arrêté par les forces de sécurité rwandaises dans la nuit du 22 au 23 janvier, après avoir rejoint la ville de Gisenyi au Rwanda. La deuxième colonne avança vers Tongo, Bambu et Kikuku, tandisque la dernière colonne progressa vers Masisi et Rubaya pour s'affronter aux forces FDLR287(*). L'opération Umoja Wetu a été un succès politique, mais un échec sur le plan du désarmement des FDLR, car ces derniers se sont dispersés dans tous les sens dans les provinces du Kivu, mais n'ont pas été totalement anéantis288(*). Aussi, le coût est terrible pour les populations civiles qui ont subies des violences extrêmes de la part des FDLR dans leur fuite. Après l'opération Umoja Wetu, plusieurs autres opérations ont été entreprises par le gouvernement, seul, ou en symbiose avec la MONUC, nous avons notamment l'opération Kimia II, Amani Leo, Ruwenzori, Iron Stone ... Toutes ces opérations n'arrivent toujours pas à mettre les FDLR hors d'état de nuire. Au contraire, les forces FDLR s'accroissent et peaufinent d'avantage leurs capacités de nuisance et ainsi que leurs moyens de survie. Les FDLR pillent, tuent, et violent en toute impunité. Cette situation est exacerbée par les FARD qui s'illustrent dans le pillage des ressources minières, le viol, et même le recrutement des mineurs comme soldats. Il faut noter aussi les massacres commis par les forces de la LRA de Joseph Konyi, malgré l'opération Rudia II lancée en symbiose avec la MONUC, les FARDC sont toujours incapables de maîtriser les rebelles de la LRA. Et le résultat n'a pas changé même après l'opération Ruwenzori, menée par les FARDC, seules, sans l'appui de la MONUC. Décrivant la situation actuelle de la RDC, le Secrétaire Général de l'ONU dans son tout dernier rapport sur la MONUSCO dit : « Les violences sexuelles et les autres violations des droits de l'homme qui sont perpétrées en toute impunité en République démocratique du Congo sont une telle abomination que tous ceux qui sont chargés de protéger les civils se doivent de tout mettre en oeuvre pour empêcher que de telles horreurs ne soient commises à l'avenir et pour traduire en justice les auteurs de tels actes289(*). » En bref, la situation sécuritaire dans le Kivu demeure précaire et les violations massives des droits de l'homme et de droit international humanitaire, donc les crimes de guerres, et les crimes contre l'humanité se commettent sous le regard coupable de la communauté internationale. Les toutes dernières atrocités commises sont celles de Kibua-Mpofi (Walikale) entre le 31 juillet et le 02 août 2010. * 277 Voir le rapport Afrique de International Crisis Group n° 140, Congo : Quatre priorités pour une paix durable en Ituri, 13 mai 2008, p. 1, disponible sur www.crisisgroup.org * 278 Human Rights Watch, Ituri : couvert de sang, violences ciblées sur certaines ethnies dans le Nord-Est de la RDC, juillet 2003, disponible sur www.hrw.org * 279 Rapport Afrique d'International Crisis Group n° 140, Congo : quatre priorités pour une paix durable en Ituri, 13 mai 2008, p. 1 * 280 Voir le rapport Afrique d'International Crisis Group n° 165, Congo : Pas de stabilité au Kivu malgré le rapprochement avec le Rwanda, 16 novembre 2010, p. 1. * 281 Le 2 février 2008, le président Kabila a crée par décret présidentiel le programme de paix « Amani » destiné à mettre en oeuvre les recommandations de la conférence de Goma pour le Nord et le Sud Kivu. * 282 Voir Fourth special report of the Secretary-General on the United Nations Organisation Mission in the Democratic Republic of Congo, 21 novembre 2008, S/2008/728, p. 2. * 283 Voir le Rapport final du Groupe d'Experts sur la République démocratique du Congo, S/2008/773, 12 décembre 2008. * 284 Rapport Afrique d'International Crisis Group n° 150, Congo : cinq priorités pour une stratégie durable de construction de la paix, 11 mai 2009, p. 3 * 285 Rapport Afrique d'International Crisis Group n° 151, Congo : une stratégie globale pour désarmer les FDLR, 9 juillet 2009, p. 3 * 286 Le 16 janvier 2009, Bosco Ntaganda a évincé Laurent Nkunda en obtenant le ralliement des cadres militaires du CNDP. Il a tenu le même jour une conférence de presse aux cotés du ministre congolais de l'intérieur Célestin Mbuyu et du chef d'état-major des forces rwandaises James Kaberebe. Au cours de cette conférence de presse, Ntaganda annonçait la transformation du CNDP en parti politique et l'intégration de ses combattants dans l'armée nationale congolaise. * 287 Rapport Afrique de Crisis Group n° 151, op. cit., p. 6 * 288 Nous revenons sur les détails du bilan de cette opération à la deuxième section de ce chapitre. * 289 Rapport du Secrétaire Général de l'ONU au Conseil de sécurité sur la MONUSCO, S/2010/512, disponible sur www.un.org, p. 19, §.80 |
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