Conclusion
Tout au long de ce chapitre, nous avons vu l'histoire et les
types des cimetières, leur réglementation et leur situation. Au
Burundi, les cimetières datent de l'époque coloniale tandis qu'en
Europe, les premiers cimetières retrouvés se situent à
10.000 av. J.C. En parlant du Burundi, c'est à cette période
coloniale que les textes réglementaires ont été mis sur
pied. Avant, les Burundais enterraient leurs morts dans des lieux non publics,
autour de la maison, puis dans les champs et enfin dans les cimetières
communaux. Au fur et à mesure que les sites funéraires ont connu
des changements, a évolué aussi la façon de les
présenter au point de vue des constructions. Cependant, il existe un
grand écart entre l'état des cimetières urbains et celui
des campagnes. On a respectivement, des constructions sophistiquées et
une absence d'entretien faisant des cimetières ruraux une sorte de
forêt à l'intérieur de laquelle s'observent de petites
croix qui attendent d'être abîmées par des termites.
En considérant les points de vue des personnes
enquêtées, il y a un manque d'importance attachée aux
cimetières. Ils sont laissés à eux-mêmes. Sur trois
cent soixante cimetières recensés dans les cinq provinces
(Bururi, Cibitoke, Muyinga, Mwaro et Rutana), vingt cimetières seulement
sont entretenus. Pire, les lieux de conservation des morts, ont
été ces dernières années l'objet de
ségrégation ethnique, religieuse et sociale. Les
cimetières, spécialement ceux des villes, deviennent de plus en
plus de véritables chantiers où maçons et vendeurs des
services funéraires trouvent chacun son pain quotidien.
61
CHAPITRE III. LES SERVICES FUNERAIRES: VERS UN NOUVEAU
MODE DE GESTION DES MORTS
Introduction
Au Burundi, le domaine des services funéraires n'est
pas encore développé. Il s'agit d'un service très
récent né surtout en milieu urbain vers les années 1990. A
l'intérieur du pays, il n'y a que des groupes de menuisiers qui
s'occupent de la fourniture des cercueils. A la capitale de Bujumbura, cinq
pompes funèbres offrent généralement des cercueils, des
emballages et des gerbes de fleurs.
Les pompes funèbres identifiées
présentent des techniques rudimentaires étant donné
qu'elles ne datent que de quelques années comme on vient de le
mentionner. Elles ont un personnel réduit et sans qualification.
Signalons que leur localisation se limite dans le plein centre ville où
la demande est croissante. Il y a au total six sociétés dont cinq
sont privées et une attachée à la municipalité de
Bujumbura. Parmi les sociétés privées, trois se situent
sur la Chaussée du peuple Murundi tandis que les deux autres se
trouvent, l'une à Rohero I et l'autre à Buyenzi. Ces pompes
funèbres sont en perpétuel déménagement à la
recherche d'une clientèle plus offrant ou un loyer modelé.
Prenons en quelques exemples pour comprendre leur fonctionnement.
1. La pompe funèbre " La Différence"
Elle se situe à la Chaussée du peuple Murundi,
en face du bureau de la zone Buyenzi. Parmi les services qu'elle offre, on peut
citer: des cercueils de différentes qualités, des couronnes de
fleur, des véhicules funèbres, des décorations des
voitures et des maçons pour la construction des tombes.
2. Pompe funèbre de la 10ème
avenue à Bwiza
Située à la Chaussée du Peuple Murundi,
cette pompe funèbre comme les autres maisons de sa nature disponibilise
des cercueils des prix divers, des couronnes de fleur, des voitures pour le
transport des dépouilles mortelles, des décorations de voitures
et des maçons pour la construction des tombes et des monuments. Elle se
différencie de la première par son emplacement dans un quartier
populaire donc, aux faibles ressources.
62
3. Funèbre Sociale "FUS"
La funèbre "FUS" ou Funèbre Sociale se trouve
à la croisée de la Chaussée du Peuple Murundi et l'avenue
Mutoyi. Elle aménage des tombes, assure la vente des cercueils et des
couronnes de fleurs.
4 . Pompe funèbre"Uwugukunda aguhisha uwawe"
Cette pompe funèbre dont l'appellation nous semble pour
le moins curieuse
( son nom part d'un faux adage ! ) se trouve en zone Rohero,
à l'avenue de l'Eucalyptus dans le quartier Rohero I. Elle fabrique et
vend des cercueils et des couronnes de fleurs, elle offre des véhicules
pour le transport des morts, fournit des pierres tombales et elle organise
même des cérémonies funéraires comme le lavage
après l'enterrement (gukaraba), la petite levée de deuil
(gucakumazi) et la grande levée de deuil
(kuganduka).
A côté de ces maisons funéraires qui sont
plus ou moins modernes, il existe une autre que l'on peut qualifier de
traditionnel, c'est la Funèbre locale de Buyenzi.
5 . Pompe funèbre locale de Buyenzi
Elle est sise à la seizième avenue, sur la route
qui mène au marché de Buyenzi communément appelé le
marché de Ruvumera. Elle fabrique des cercueils en bois
nécessitant un tissu pour les emballer si l'acheteur le demande. Par
rapport à d'autres sociétés funèbres, les prix sont
bas. Ainsi, on a :
- Un cercueil, dont la longueur est d'un mètre et non
emballé pour un enfant vaut 8.000 Fbu,
- Un cercueil non emballé pour un adulte (2 mètres)
vaut 15.000 Fbu.
Concernant des cercueils emballés soit à
l'extérieur seulement, soit à la fois à l'extérieur
et à l'intérieur, on a, pour un adulte, des prix respectivement
estimés à 22.000 Fbu et à 25.000 Fbu.
- Pour un enfant, un cercueil emballé à
l'extérieur seulement coûte 10.000 Fbu et celui emballé,
à la fois à l'extérieur et à l'intérieur,
revient à 12.000 Fbu. Ailleurs, les prix se répartissaient comme
suit dans le tableau.
63
Tableau n°3: Comparaison des prix des cercueils selon
les pompes funèbres
Pompe funèbre/
prix selon les cercueils
|
Cercueil non emballé pour un enfant
|
Cercueil non emballé pour un adulte
|
Cercueil emballé seulement
à l'extérieur
|
Cercueil emballé à l'extérieur et
à l'intérieur
|
Pompe funèbre
locale de Buyenzi
|
8.000 Fbu
|
15.000 Fbu
|
20.000 Fbu
|
25.000 Fbu
|
"Uwugukunda aguhisha uwawe"
|
15.000 Fbu
|
25.000 Fbu
|
35.000 Fbu
|
45.000 Fbu
|
"FUS"
|
12.000 Fbu
|
20.000 Fbu
|
25.000 Fbu
|
35.000 Fbu
|
Pompe funèbre de la 10ème av.
Bwiza
|
10.000 Fbu
|
18.000 Fbu
|
22.000 Fbu
|
30.000 Fbu
|
"La
Différence"
|
10.000 Fbu
|
18.000 Fbu
|
22.000 Fbu
|
30.000 Fbu
|
Le coût des services de ces maisons funéraires
variait selon la valeur du dollar, nous a fait entendre leur personnel.
Selon les personnes rencontrées aux pompes
funèbres modernes, le coût d'une couronne de fleurs peut varier de
15.000 Fbu à 150.000 Fbu. Ces maisons s'inquiètent de l'absence
de clientèle à cause du faible pouvoir d'achat des familles des
défunts. Remarquons que les sociétés funèbres sont
encore au stade embryonnaire pour dire qu'en dehors de la capitale de
Bujumbura, peu de villes de l'intérieur du pays en sont
déjà dotées. En province de Bururi par exemple, les
fournisseurs des services funéraires sont le CFPP (Centre de Formation
et de Perfectionnement Professionnel), l'Economat et la prison. Les services
qu'ils offrent sont limités aux cercueils sinon les familles des
défunts se procurent du reste à partir de
Bujumbura.114
Disons que les pompes funèbres ont un grand rôle
à jouer dans des centres urbains. D'abord parce qu'elles mettent en
place un matériel dont les membres qui ont perdu les leurs se servent
sur place et sans perdre beaucoup de temps.
114. Témoignage de Nininahazwe
Acquilline, greffière au TGI de Bururi, août 2005
64
Il s'agit du matériel prêt à porter.
Ensuite, ces entreprises de la mort ont mis sur pied un personnel plus ou moins
qualifié dans l'art funéraire. Enfin, l'emploi qu'elles offrent
sert non seulement à venir en aide aux dépourvus mais aussi il
permet à ceux qui pratiquent ce métier de rehausser
l'économie du pays de par le payement des frais au trésor
public.
Cependant, il y a là un paradoxe, celui lié
à la culture burundaise même. Normalement, une famille qui perd un
membre devrait trouver des services gratuits sur place. Pour le cas des ces
entreprises de la mort, ce n'est plus le cas, l'entraide suppose
l'échange des services. Certains voient dans ces entreprises un statut
ambigu.
D'une part, on croit qu'elles sont des sociétés
sans but lucratif et d'autre part des entreprises commerciales qui
s'enrichissent aux malheurs des autres. En regardant leur prix majoritairement
contesté, il y a lieu de confirmer cette dernière
hypothèse. Le danger à tout cela, c'est que si l'enterrement
prend des allures d'une opération lucrative, il y a risque de
détérioration des pratiques et rites funéraires bafouant
ainsi le droit à une mort digne que chaque homme doive avoir. Ce risque,
lié au coût de la mort de plus en plus élevé,
apparaît au grand jour quand une famille qui perd un membre se trouve
dans l'impossibilité de l'inhumer dignement.
C'est ainsi qu'on entend dire surtout en milieu urbain que
vaut mieux prendre en charge cinq personnes que de s'occuper d'un mort. Cela se
remarque par le fait qu'après l'enterrement, la famille du
défunt, dans le but de limiter les dépenses liées au deuil
en ville, préfère l'organiser à la campagne où la
vie coûte moins cher. La formule en kirundi est connue: «
Ikigandaro kizobera ruguru » (le deuil se déroulera
à la colline natale). Même l'argent qu'on récolte lors des
visites de réconfort sert généralement à payer des
dettes contactées à l'occasion du décès.
Après s'être amusé à calculer le
montant que les services funéraires peuvent prendre, nous avons
constaté qu'il peut remonter à 200.000 Fbu en moyenne. Cette
somme se répartirait comme suit :
- Tombe: 10.000 fbu
- Cercueil: 15.000 fbu
- Tôle tombale: 25.000 fbu
- Draps + couverture +parfum: 50.000 fbu
- Rafraîchissement (gukaraba) dépendant du nombre de
participants: 50.000 fbu (en
moyenne)
- Frais de transport (défunt et les accompagnants du
défunt): 50.000 fbu
65
Ce total des dépenses ne prend pas en compte les
imprévus.
En conséquence, il est à remarquer que la mort
en plus qu'elle nous prend un être cher, elle nous pille de nos biens qui
pourraient permettre aux survivants de subvenir à leurs besoins
fondamentaux. Dans les pays développés, où le
système d'assurance-vie fonctionne, il existe des entreprises
contractantes, notamment des compagnies d'assurance, qui supportent dans la
mesure du possible certaines dépenses de leurs clients. Elles
remboursent par exemple les frais des obsèques d'un affilié ou de
son ayant droit.
Pour rester chez nous, la législation burundaise
oblige, à travers le Code du travail, chaque employeur à payer
les frais occasionnés par le décès de son employé.
Il s'agit généralement d'une participation qui ne couvre pas
l'ensemble des dépenses.
On comprend que dans la plupart des cas la solidarité
reste l'unique voix de recours dans de telles circonstances. En effet, quelles
sont ces familles burundaises qui peuvent payer des sommes aussi colossales
pour cet événement si inattendu ? A part certaines familles
disposant d'un certain revenu, nombreux sont des Burundais incapables de
supporter cette dépense par ailleurs rarement prévue dans le
budget familial. La mort profite bien entendu à ces maisons
spécialisées dans la gestion des cadavres et évitent par
tous les moyens toute concurrence. Un membre de la pompe funèbre
oeuvrant tout près de la commune Buyenzi que nous avons approché
nous a vite sorti à notre première question:
« Mwebwe Abarundi ndabazi mubonye ico umuntu yikoreye
muca muza kukimuterako ».
C'est-à-dire, vous les Barundi, je vous connais assez,
si vous voyez une activité que quelqu'un entreprend, vous venez
l'assaillir, vous faites la même chose que lui pour l'empêcher de
prospérer. 115
III.1. Le personnel des pompes funèbres
Le comportement des gestionnaires des services funèbres
est tout à fait différent de celui des membres de la famille du
défunt. En effet, sur le visage de ce personnel, en présence du
client rempli de douleur, apparaît une douleur artificielle
doublée d'une gaieté d'amasser des fonds pendant que le client
est totalement chagriné et désorienté.
115. Enquête réalisée
auprès d'une pompe funèbre en Mairie de Bujumbura, août
2005.
66
Leur façon de présenter leurs produits choque :
un joli cercueil qui ne s'abîme pas facilement ; nous sommes des
ingénieurs dans la construction des tombes!, etc. En outre, c'est un
personnel qui se presse car leur souci est de terminer vite puis partir,
oubliant ainsi l'état d'émotion des gens avec qui ils sont au
cimetière. Lors des échanges sur la personne
décédée, on observe que leur discours est
détourné bien qu'il ne porte pas atteinte à la
dignité de la personne défunte.
Par contre, quelque soit la religion ou le rang social du
disparu, le moment des obsèques est totalement incompatible avec
l'esprit de rapidité. Des proches et des gens de l'église sont
là pour chanter des cantiques rappelant notre vie
éphémère sur terre et notre espoir de se rencontrer dans
l'au-delà entre les amis, les parents du disparu et le défunt.
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