II. 4. 3. Un seul cimetière officiel mais
abandonné : Rusabagi
Au Burundi, il n'existe pratiquement pas de cimetière
fonctionnel et légal. On constate qu'avant la crise de 1993, le seul
cimetière qui remplissait les conditions légales était
celui de Rusabagi, en commune Mutimbuzi, entre les zones Maramvya et Mubone,
dans la province de Bujumbura rural.106 Actuellement, il n'est plus
utilisé à cause de la crise déclenchée il y a 12
ans. Il faut dire que la guerre a rendu l'endroit inaccessible. Les Tutsi ont
abandonné ce site de peur d'être tués par des rebelles
106 . Enquête réalisée auprès d'un
responsable de l'état civil en Mairie de Bujumbura.
55
majoritairement hutu. Les Hutu ont eux-mêmes fui
redoutant des attaques des milices tutsi connues sous le nom de « sans
échecs » d'où l'abandon du cimetière.
Cependant, jusqu'ici, il n'y a pas d'ordonnance de la
fermeture de ce cimetière et la population enterre partout où
elle sent la sécurité. C'est le début des
cimetières ségrégationnistes.
Photo n° 2: Cimetière de Rusabagi II.
4.4. Des Cimetières ségrégationnistes
Une grande ségrégation caractérise les
cimetières surtout de Bujumbura et de ses environs. Il est
nécessaire de souligner quelques éléments d'exclusion
courants. Il s'agit de l'exclusion liée à la religion, au rang
social ou à l'ethnie.
En effet, concernant l'exclusion religieuse, on peut dire
qu'au Burundi, il y a une séparation entre les terrains
funéraires pour les musulmans et le reste de la communauté
(chrétienne et païenne). Pendant la colonisation, les catholiques
ont été séparés des païens d'une part et des
protestants, d'autre part, et ensuite des musulmans. Ainsi, la lettre n°
508/Just, écrite au Résident de l'Urundi à Kitega par
l'Administrateur du territoire de Rutana, le 20 avril 1954 est significative
à ce sujet. Selon cette correspondance là où l'on dispose
des terres suffisantes, les cimetières
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communaux devraient avoir une superficie de quatre hectares
réparties comme suit: 2 hectares réservées aux
catholiques, 1,5 hectares pour les païens et 0,5 hectares pour les
protestants. 107
Comme on le constate dans cette lettre, on ne prévoit
même pas de place pour des musulmans dont "les tombes doivent occuper
un emplacement spécifique dans le cimetière, à
l'écart des tombes des morts d'autres religions. Il serait souhaitable
que cet emplacement représente l'équivalent de la population
musulmane résidant sur la commune (...)".108
Notons que cette répartition suivant les confessions
posait aussi des problèmes
pour les protestants pour lesquels rien n'était plus
prévu par la législation coutumière. Ainsi, en date du
18 novembre1954, le Représentant Légal de World Gospel Mission
à Kayero (Rutana), Monsieur Harold SHINGLEDECKER a adressé une
correspondance à l'Administrateur de Territoire de Ruyigi pour l'amener
à prévoir un lieu d'inhumation pour cette catégorie de la
population. Voici ses propos:
« (...) quelle disposition vous pourvoyez pour
l'enterrement des morts protestantes. Est-il possible pour le sous-chef de nous
mesurer une partie du cimetière? Nos catéchistes près de
Buranga disent qu'il y a des cimetières de l'Etat près de chacune
de nos chapelles-écoles. Si nous en pouvons avoir une partie pour nos
indigènes (...) ».
La réponse de l'Administrateur territorial semble
catégorique à en croire sa lettre du 23 novembre 1954:
"(...) il ne peut être question de créer des
cimetières protestants avant que l'arrêté du Mwami relatif
à la création de cimetières indigènes n'ait
paru."
A Mpanda, par exemple, étant donné que les
musulmans constituent une minorité démographique, la place leur
réservée est très réduite comparativement à
celle occupée par d'autres composantes religieuses.
107. F. Vermuyten, l'Administrateur de Territoire Rutana,
lettre au Résident de l'Urundi à Kitega, Archives Nationales,
Bujumbura, Kitega AA 152, 1933-1960, liasse 1 (1954-1956).
108. A.A.SAMI, Les Cimetières, normes et pratiques
chez les Musulmans et leur implication en Suisse, l'Harmattan, Paris,
2001, p.34
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Selon une circulaire de la Fondation des Cimetières
Islamiques Suisses (FCIS) de mars 1993, "les tombes des musulmans doivent
occuper un emplacement spécifique dans le cimetière, à
l'écart des tombes des morts d'autres religions". 109
Quant au rang social, on remarque toujours que ceux qui ont
été bien considérés sur terre, occupent des places
d'honneur au cimetière. En guise d'illustration, retenons la place
nouvellement réservée aux hauts cadres burundais à Mpanda.
Cette partie a été créée avec la mort de feu
Ministre de l'intérieur Simon Nyandwi. En multipliant les exemples de
ségrégation, on peut évoquer le cas des responsables de
l'Eglise catholique, c'est-à-dire les évêques qui sont
enterrés à l'intérieur des cathédrales.
Ainsi, les évêques André Makarakiza et
Joachim Ruhuna reposent à l'intérieur de la cathédrale de
Gitega pendant que les autres membres du clergé (prêtres et
soeurs) rejoignent le cimetière commun de Mushasha. Dans ce même
ordre d'idée, actuellement les tombes des gens aisés sont en
matériaux durables avec une architecture sophistiquée à
côté des tombeaux sans identité. Le
phénomène, quoique récent pose de sérieux
problèmes de reconversion des anciens sites d'inhumation. On assiste de
plus en plus à une demande accrue d'espaces supplémentaires
destinés à la clôture des tombes. Comme déjà
dit, à côté de ces espaces construits et
réservés, il existe d'autres sites funéraires dont les
tombes ne sont qu'une simple motte de terres surélevée et dont la
durée reste éphémère comme si les demeures de ces
retraités de la terre sont l'image de l'habitat des vivants qu'ils
furent.
Pour ce qui est de la division ethniste des morts, cela a
fortement été observé pendant la crise de 1993 surtout
dans les cimetières de Mpanda et Kamenge, devenus respectivement pour
Tutsi et pour Hutu. Ces pratiques séparatistes et ethnistes aux
cimetières étaient le prolongement de la "balkanisation" des
quartiers de la capitale en hutuland et en tutsiland.
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