67
Le choix porté sur l'étude de la
fécondité relative à la place de la
fécondité absolue relève des résultats obtenus sur
cette dernière par diverses études (Legendre & Ecoutin, 1989,
1996). Ces auteurs ont montré une relation nettement positive entre le
nombre d'ovocytes pondus et le poids corporel des femelles. Ceci reflète
l'avantage que présente l'étude du nombre d'ovocytes par kg de
femelle ou d'ovaire par rapport à celle du nombre d'ovocytes produits
par individu mature.
La fécondité et la taille des ovocytes
des poissons varient généralement en fonction des
paramètres environnementaux. En situation environnementale difficile, le
poisson qui se reproduit doit ajuster sa fécondité ainsi que la
qualité des ovocytes produits (Schreck et al., 2001). Plusieurs
auteurs ont montré l'existence d'un équilibre entre la
fécondité et la taille des ovocytes chez les poissons en
général (Albaret, 1982 ; Duarte & Alcaraz, 1989) et chez les
tilapias en particulier (Legendre & Ecoutin, 1989, 1996 ; Duponchelle, 1997
; Gueye, 2006). Les comparaisons des fécondités relatives
moyennes et des tailles moyennes des ovocytes de S. m. heudelotii et
de T. guineensis montrent une tendance inverse entre les
évolutions spatio-temporelles de la fécondité et du
diamètre ovocytaire. Globalement les populations d'aval du barrage ayant
de fortes fécondités relatives ont en conséquence des
ovocytes de petites tailles. Par contre celles d'amont ont des
fécondités relatives faibles et de gros ovocytes. Mais la
population de poissons de Diana Malary a en particulier une forte
fécondité forte en mai.
Cette évolution « en miroir» du
nombre et de la taille des ovocytes a déjà été
observée chez S. m. heudelotii par Legendre & Ecoutin
(1996) en Côte d'Ivoire, par Panfili et al, (2004b) et par Gueye
(2006) dans le Saloum.
Ces observations mettent en évidence une
stratégie adaptative de ces espèces aux variations
spatio-temporelles des paramètres environnementaux, dont la
salinité : paramètre le plus fluctuant dans l'estuaire au cours
de cette étude. Une approche expérimentale du rôle de la
salinité sur la reproduction, réalisée par Gueye (2006)
montre clairement qu'elle peut constituer un facteur limitant pour la
reproduction chez S. m. heudelotii quand celle-ci avoisine 70. Des
résultats similaires ont été obtenus par Panfili et
al, (2004b, 2006) au Saloum.
Ces résutats sont proches de ceux que nous
avons obtenus lors de cette étude. Une salinité maximale de 75 a
été mesurée, salinité où des variations
spatiales et temporelles de la fécondité relative et du
diamètre ovocytaire moyen de S. m heudelotii et de T
guineensis ont été observées. De plus nous avons
travaillé sur des populations (d'amont et d'aval du barrage) qui
pourraient génétiquement se différencier le long du temps
et sous l'effet des conditions particulières dont elles sont
exposées. Pouyaud (comm. pers) rapporte que tous les tilapias
de
68
l'espèce Sarotherodon melanotheron du
Sénégal et de la Gambie appartiennent à la sous<
espèce S. m. heudelotii avec une structuration
génétique des différentes populations probablement
liée à l'échelle temporelle. D'autres auteurs
(Gourène et al., 1993 ; Pouyaud, 1994 ; Falk et al.,
2003) qui ont travaillé sur la génétique des poissons en
Afrique de l'ouest, affirment que les différentes populations de S.
m. heudelotii devraient être génétiquement
différentes.
Ces variations notées sur ces traits de vie
montrent que ces espèces doivent adapter leurs caractéristiques
reproductives aux variations des conditions environnementales et en particulier
à celle de la salinité. En environnement salé tel est le
cas de particulier de la partie aval du barrage et du mois de mai, ces tilapias
produisent un grand nombre de petits ovocytes. Par contre en eau douce ou
faiblement salée (amont du barrage), ils produisent un petit nombre de
gros ovocytes. Diverses études (Legendre & Ecoutin, 1996 ; Panfili
et al., 2004b ; Gueye, 2006) prétendent qu'un poisson dans un
environnement donné doit « choisir» entre: produire un grand
nombre de petits ovocytes ou produire un petit nombre de gros ovocytes. Ces
stratégies reproductives adoptées par ces espèces en amont
et en aval du barrage s'expliquent par le fait qu'elles allouent une partie de
leur énergie à l'osmorégulation au détriment de la
reproduction. Mais également les petits ovocytes en eau salée
(aval du barrage) pourraient diminuer les échanges avec le milieu
extérieur et réduire les dépenses
énergétiques pour le maintien de la pression osmotique. Ces
résultats ont déjà été
démontrés chez S. m. heudelotii (Panfili et al.,
2004b; Gilles et al., 2004). La production de nombreux ovocytes
de petites tailles en aval du barrage peut s'expliquer par l'adoption par ces
populations d'une stratégie particulière
d'accélération de l'effort de reproduction pour assurer leur
pérennité malgré le stress halin. Gueye (2006) avait
trouvé des résultats identiques chez S. m. heudelotii
dans le Saloum. A l'inverse le petit nombre d'ovocytes de grandes tailles
produits par S. m. heudelotii et T. guineensis en amont du
barrage pourrait constituer un choix stratégique afin de donner
naissance à une progéniture peu nombreuse mais très
résistante aux contraintes dont elle pourrait être exposée.
Legendre & Trébaol (1991) attribuaient les fortes variations de la
fécondité absolue en Côte d'Ivoire à l'incubation
buccale. Mais cela n'est pas le cas en amont du barrage, car les mâles
incubateurs capturés, ont été rencontrés à
Sakar (février) et à Maka aval (mai) : stations et
périodes où les plus fortes fécondités relatives
ont été trouvées. Ceci confirme une fois encore le
rôle de la salinité dans ce phénomène.
La forte fécondité relative moyenne et
par conséquent les nombreux ovocytes de petites tailles
rencontrés dans la station de Diana Malary au mois de mai, trouvent
leurs justifications dans l'envahissement de cette station par les eaux
salées de l'aval suite à la destruction des vannes
69
au cours de ce mois mais également à la
forte température. Cette nouvelle situation a pu augmenter la
sensibilité de la population de poisson qui a demeurée longtemps
en eau douce à l'augmentation de la salinité. Watanabe & Kuo
(1985) ont observé une meilleure résistance à la
salinité après une exposition aussi précoce que possible
des individus aux fortes salinités. Ces résultats expliquent
également l'absence d'une induction identique de la population de Maka
amont, station soumise à des invasions temporaires d'eau salée.
Les variations spatio-temporelles de ces caractéristiques biologiques
sont pratiquement identiques pour S. m. heudelotii et T.
guineensis et répondent aux mêmes interprétations.
En revanche, l'absence de différence significative de la
fécondité relative chez T. guineensis entre l'amont et
l'aval du barrage peut être liée au nombre réduit de
femelles de stade 4 capturées en octobre et en février au pied
amont et aval du barrage, mais également à la dégradation
des vannes en mai. Par contre la comparaison des diamètres ovocytaires,
nécessite moins de femelles de stade 4 que celle de la
fécondité relative, d'où l'absence de différence
significative des diamètres ovocytaires s'expliquerait par la large
gamme de tolérence aux variations de la salinité en particulier
dont dispose cette espèce. Mais également aux effets de la
dégradation des vannes en mai. L'absence de différence
significative de la fécondité relative chez ces deux
espèces entre octobre et février serait liée à la
faible variation de la salinité entre ces deux
périodes.
La fécondité relative moyenne de S.
m heudelotii trouvée dans cette partie de l'estuaire de la
Casamance (6172 ovocytes/kg de femelle) peut être rapprochée
à celle obtenue par Gueye (2006) dans le Saloum chez cette même
espèce (6042 ovocytes/kg de femelle). Le diamètre moyen des
ovocytes (1,7 #177; 0,27 mm) trouvé au cours de cette étude est
légèrement inférieur à celui obtenu dans le Saloum
(2,6 #177; 0,06 mm) par Gueye (2006). Ceci suggère que les populations
de poissons de cette partie de la Casamance, qui est un estuaire inverse tout
comme l'estuaire du Saloum, sont très stressées (Tableau
24).