IV.4- Régime alimentaire
IV.4.1- Sarotherodon melanotheron heudelotii et
Tilapias guineensis
Le pourcentage d'estomacs vides chez ces tilapias
peut être relié à la proportion importante des captures aux
filets maillants faites en octobre, étant donné que ce
pourcentage a été plus important pendant ce mois. Par contre
durant les autres périodes d'échantillonnage l'épervier a
été principalement utilisé. T. guineensis et
S. m. heudelotii ont des comportements alimentaires intermittents
(respectivement Fagade, 1971 ; Fagade, 1979). Pour cette dernière
espèce la période de plus faible prise alimentaire est
située entre minuit et trois heures du matin (Fagade, 1979). Les filets
étaient placés lors de nos échantillonnages pendant la
nuit, ce qui pouvait aussi entrainer la poursuite de la digestion pendant le
temps que les poissons étaient encore dans le filet.
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Cette étude révèle comme d'autres
(Pauly, 1976 ; Fagade, 1979 ; Kone & Teugels, 2003) un rapprochement des
régimes alimentaires de ces deux espèces. Cependant T.
guineensis est à tendance herbivore alors que S. m. heudelotii
est plutôt filtreur de vase. S. m. heudelotii et T.
guineensis diversifient leurs proies en élargissant leur spectre
trophique en aval du barrage et au cours du mois de mai. En d'autres termes il
existerait une corrélation positive entre le régime alimentaire
de ces espèces et de l'augmentation de la salinité. Mais le
spectre trophique de T. guineensis est plus large que celui de S.
m. heudelotii. Fagade (1971) constatait que cette dernière
espèce avait un rapport: poids estomacs/poids corporel plus faible que
T. guineensis. Levêque & Paugy (1999) ont montré
l'existence de variations ontogéniques du régime alimentaire de
plusieurs poissons en Afrique. Ils mettent ces variations chez les Cichlidae en
rapport avec le type de dentition.
Dans tout les cas, le protocole que nous avions
entrepris lors de cette étude, consistant à échantillonner
toutes les classes de tailles dans chaque station et sur tout le long des
périodes d'échantillonnage réduirait les effets
évoqués par ces auteurs.
D'autres auteurs (Ugwemba & Adebisi, 1992) ont
trouvés des changements saisonniers du régime alimentaire de
Sarotherodon melanotheron au Nigeria, qu'ils attribuaient aux
variations d'abondance des types de proies dans l'environnement. Mais des
études faites sur la Casamance (Diouf & Diallo, 1987), ont
montré qu'il existe une relation entre les variations qualitatives et
quantitatives du zooplancton et la salinité. Leur abondance diminue
lorsque la salinité dépasse 70. Durant notre étude une
salinité moyenne de 75 a été mesurée au mois de mai
dans la station de Sakar, où des proies supplémentaires ont
été rencontrées dans les estomacs des spécimens
capturés. Tout ceci confirme que les variations spatio-temporelles
observées chez ces espèces seraient liés aux variations de
la salinité.
Durant cette étude, les bivalves ont
constitué un bon indice de proies pour les fortes salinités en ce
qui concerne ces deux espèces. S. m. heudelotii réduit
les occurrences de vase en faveur des débris végétaux
lorsque la salinité augmente. Par contre l'inverse est observé
chez T. guineensis. Ces tilapias augmenteraient leur spectre trophique
pour compenser les pertes d'énergie dues au phénomène
d'osmorégulation afin d'accomplir leurs activités biologiques. Le
choix porté par ces espèces sur les bivalves dans ces conditions
d'hyperhalinité pourrait être lié à leur composition
en lipides.
Les oeufs rencontrés dans les estomacs de
T. guineensis constituent une proie pour cette espèce. Par
contre ceux trouvés dans les estomacs de S. m. heudelotii,
nécessitent d'être discuté. L'incubation buccale par les
mâles est actuellement un phénomène bien connue à la
suite de plusieurs études (Albaret, 1987 ; Fagade, 1979 ; Legendre &
Ecoutin, 1989, 1996 ;
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Legendre, 1991). Les estomacs de ces mâles
étaient pratiquement vides avec un nombre élevé d'oeufs
suggérant ainsi leur ingestion sous l'effet de stress. Pauly (1976) et
Fagade (1979) considèrent que les oeufs trouvés dans des estomacs
de S. m. heudelotii, ont été avalés à
cause de la pression de captures des mâles incubateurs. Mais la capture
des ces individus à des périodes et au niveau des stations les
plus salées (en février à Sakar et en mai à Maka
aval), mettrait également en évidence un rôle de la
salinité dans l'amplification de ce phénomène.
IV.4.2- Ethmalosa fimbriata
Le régime alimentaire d'E. fimbriata
a été étudié par plusieurs auteurs
(Bainbridge, 1957 ; Fagade & Olaniyan, 1972 ; Nieland, 1980).
Les résultats d'analyses des contenus
stomacaux révèlent une variation saisonnière du
régime alimentaire des ethmaloses. Mais les migrations
différentielles des classes de tailles dans l'espace et dans le temps
présumées au cours de notre étude compromettent une
interprétation qui relirait cette variation aux fluctuations
spatio-temporelles de la salinité. Fagade & Olaniyan (1972), ont
prouvé l'existence d'une variation ontogénique du régime
des ethmaloses. Les juvéniles sont zooplanctonophage, puis deviennent
par la suite phytoplanctonophage en grandissant. Mais les proies (surtout les
copépodes) trouvées dans les estomacs des spécimens pris
en février, n'illustrent pas une telle relation, car les plus grandes
ethmaloses ont été capturées au cours de ce mois. L'engin
de pêche principalement utilisé à savoir l'épervier,
pourrait réduire l'effet de digestion intra-stomacale des
éléments fragiles tels que le phytoplancton comme le
prétendait Bainbridge (1957). Lazarro (comm. pers.) qui a mené
une étude en lagune Ebrié (Côte d'Ivoire) sur environ 200
contenus stomacaux d'E. fimbriata suggère que ces variations
seraient liées aux disponibilités alimentaires. Mais des
études faites sur la Casamance (Diouf & Diallo, 1987), ont
montrés qu'il existe une relation entre les variations qualitatives et
quantitatives du zooplancton et la salinité. Leur abondance diminue
lorsque la salinité dépasse 70. Durant notre étude une
salinité de 75 a été enregistrée au mois de mai
dans la station de Sakar, où des proies supplémentaires ont
été également rencontrées dans les estomacs des
spécimens capturés. Ces changements du régime alimentaire
de ces espèces pourraient être donc liés directement aux
variations de la salinité ou indirectement par l'intermédiaire de
la disponibilité des proies, car ces dernières sont directement
influencées par les variations de la salinité. Mais les
migrations différentielles des classes de tailles
présumées chez E. fimbriata dans l'espace et dans le
temps lors de cette étude, méritent une attention
particulière dans l'interprétation de la variation de ce trait de
vie chez cette espèce.
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