I. Introduction
Les estuaires sont des milieux d'interface
naturellement perturbés entre le domaine marin et le domaine
continental. Ils sont soumis à des modifications globales du climat qui
ont des conséquences sur les populations de poissons et sur la
structuration des communautés (Blaber, 1997 ; Lévêque &
Paugy, 1999 ; Whitfield & Elliott, 2002 ; Elliott et al., 2007).
Les estuaires sont des écosystèmes fortement influencés
par ces systèmes adjacents qui y établissent ainsi des conditions
environnementales très variables (Albaret, 1999).
Les milieux estuariens et lagunaires de l'Afrique de
l'ouest présentent des peuplements de poissons très
diversifiés et abritent un nombre élevé d'espèces
de manière temporaire ou permanente (Albaret, 1994 ; Albaret &
Diouf, 1994 ; Baran, 1995). Cette richesse spécifique peut être
reliée à certaines caractéristiques de ces
écosystèmes comme la taille du milieu, l'importance et la
permanence des interfaces, la diversité des habitats entre autres
(Albaret, 1999). Ils sont le siège d'une intense activité de
reproduction pour une gamme très large d'espèces (Albaret, 1994 ;
Baran, 1995 ; Diouf, 1996). Ils sont également des
écosystèmes très productifs (Horn & Allen, 1985 ;
Day et al., 1989) et sujets à d'importantes pressions
anthropiques directes ou indirectes (Albaret, 1999).
Jadis peu étudiés, les estuaires et les
lagunes attirent aujourd'hui la communauté scientifique mondiale. Ils
font actuellement l'objet d'un intérêt scientifique lié
d'une part au développement des activités humaines (pêche,
aquaculture, aménagement hydro-agricole, tourisme...) dont ils sont le
siège (Albaret & Ecoutin, 1990 ; Albaret & Diouf, 1994), et
d'autre part à la prise de conscience de l'importance des fonctions
écologiques et économiques de ces écosystèmes
(Warburton, 1978).
Les péjorations climatiques des années
70 (Albergel et al., 1991) ont entraîné une baisse des
apports d'eaux douces et ont établi un gradient de salinité
croissant d'aval en amont (estuaire inverse) avec des salinités
dépassant celles de la mer (sursalinisation). Celles-ci ont ainsi
provoqué un fonctionnement inverse de certains estuaires ouest africains
dont celui de la Casamance au Sénégal. Diverses études ont
été menées sur les peuplements et populations de poissons
le long d'un gradient inverse: sur la Casamance (Albaret 1984, 1987), sur le
Saloum (Albaret & Diouf, 1994 ; Diouf, 1996 ; Vidy, 1998).
Dans ces conditions, la question qui se pose est de
comprendre les différences des traits de vie de populations
d'espèces tolérantes dans des situations extrêmes :
plusieurs approches sont possibles (comparaison de populations naturelles
distantes par exemple).
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Une situation particulière a été
observée sur le fleuve Casamance (estuaire inverse) au niveau d'un
barrage anti-sel qui sépare une zone totalement dessalée (d'eaux
douces) toute l'année, d'une zone sous influence de l'estuaire inverse
avec de fortes variabilités et des salinités pouvant atteindre
des valeurs maximales (66 à Sakar en mai 2005). L'originalité de
cette situation tient à la présence d'espèces similaires
des deux cotés du barrage: Sarotherodon melanotheron heudelotii,
Tilapia guineensis, Hemichromis fasciatus, Ethmalosa fimbriata, Elops lacerta,
Par la « plasticité éco-physiologique » qu'elles
présentent (Gueye, 2006), ces espèces adopteraient des
stratégies d'adaptation qui pourraient affecter leurs traits de vie
(reproduction, régime alimentaire, croissance etc...).
Les études sur la reproduction des poissons
(Thiaw, 1984 ; Kone & Teugels, 1999, 2003 ; Faunce, 2000 ; Panfili et
al., 2004a, b, 2006), sur leur régime alimentaire (Fagade &
Olaniyan, 1973 ; Hié Daré, 1980 ; Sene, 1994), sur leur
croissance (Legendre, 1983, 1986 ; Gilles, 1995) et sur leur exposition aux
infections parasitaires (Pauly, 1976 ; Pariselle & Euzet, 1996) sont
nombreuses.
D'une manière générale la plupart
des études réalisées jusqu'ici sur les traits de vie des
populations de poissons estuariens sont intégrées dans des
recherches biologiques et écologiques monospécifiques souvent
menées d'ailleurs dans le cadre de projets d'élevage (notamment
chez les Cichlidae) ou dans l'optique de la gestion rationnelle et de la
protection des stocks exploités (Ecoutin et al., 1994).
Plusieurs études ont été menées sur
l'écologie de l'ichtyofaune de la Casamance (Albaret, 1984 ; Le Reste,
1986 ; Albaret, 1987 ; Pandaré et al., 1997).
Notre étude figure parmi les premières
à s'intéresser à la comparaison des traits de vie de
populations de poissons en amont et en aval d'un barrage anti-sel sur la
Casamance. Elle vise à mettre en évidence les différences
en termes de distribution des tailles, de régime alimentaire et de
reproduction entre ces populations, proches spatialement, mais soumises
à des stress halins différents.
Cette étude nous permettra de mieux comprendre
les stratégies adaptatives adoptées par ces poissons dans des
conditions de salinité contrastée et d'affiner les connaissances
déjà acquises sur leur bioécologie.
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Figure 1 : Situation géographique de la Casamance
et des stations étudiées.
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