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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

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par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Paragraphe 2 : les lendemains du 11 septembre 2001

L'attaque des Etats Unis, le 11 septembre 2001, par le mouvement terroriste Al-Qaida va accélérer le débat sur les Etats défaillants. En remontant la piste des pirates de l'air, les américains effectuent un long périple qui les mène de Ground Zero à Manhattan jusqu'aux grottes de l'est des montagnes afghanes. L'Afghanistan, selon les termes de Stephen Krasner et Carlos Pascual, « one of the poorest countries in the world, became the base for the deadliest attack ever on the U.S. »61. Si l'attention de la communauté internationale s'est focalisée au départ sur l'Afghanistan, considéré comme la base arrière d'Al-Qaida, très vite de nombreux Etats défaillants d'Afrique, d'Europe de l'Est, d'Amérique latine et du Moyen Orient vont aussi être considérés comme des sources potentielles d'instabilité internationale. A la suite des attentats du 11 septembre (ci-après attentats du 11/9), la criminalité internationale n'aura plus de frontières rationnelles dans la mesure où les problèmes des Etats défaillants peuvent affecter directement les autres Etats et entraîner des conséquences terriblement dramatiques. Dès lors au lendemain des attentats du 11/9, le consensus autour du concept d'Etats défaillants s'établit à partir d'une approche sécuritaire. Les Etats défaillants vont être considérés dans la politique étrangère internationale comme une menace pour la paix et la sécurité internationales (A) en raison du rôle important qu'ils jouent dans l'éclosion des filières transnationales hostiles liées au terrorisme islamiste international, au blanchiment d'argent, à l'immigration internationale et au trafic de drogue qui constituent de nouvelles problématiques sécuritaires internationales (B).

A. Le concept d'États défaillants dans la politique étrangère internationale

Les attentats du 11/9 vont pousser la communauté internationale à accorder une attention maximale à la problématique des Etats défaillants. Ils vont ainsi permettre l'entrée des Etats défaillants dans l'Agenda sécuritaire international62, suite à la pression des think tanks américains qui ont consacré de nombreuses études à ces entités. Alors même que la toute première prise en compte des Etats défaillants dans l'Agenda sécuritaire international remonte au début des années 1990, et plus précisément à 1992 date à laquelle le Conseil de sécurité autorise une intervention en Somalie63. Dans cette résolution, le conseil de sécurité n'a pas cherché à justifier son action en invoquant les implications régionales de la crise comme il l'avait fait par le passé64. Dans cette résolution 794, n'était pointée du doigt que la

61 KRASNER S. et PASCUAL C., « Addressing state failure », Foreign Affairs, vol. LXXXIV, n°4 Juillet/Août 2005, pp. 153 - 163 et précisément p. 153

62 Sur la construction de l'Agenda sécuritaire international, voir WASINSKI C. et MORSELLI V., « comment se construit l'agenda sécuritaire international ? », Revue internationale et stratégique, 2/2011 (n°82), pp. 77 - 85 ; Document disponible à l'adresse : http://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-2-page-77.htm (Consulté le 06 Juillet 2012)

63 S/RES/794 du 3 décembre 1992

64 S/RES 775 du 28 Août 1992 ; S/RES/733 du 23 Janvier 1992 ; S/RES/746 du 17 mars 1992 ; S/RES/751 du 24 avril 1992 et S/RES/767 du 27 juillet 1992.

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défaillance de l'État somalien, son échec dans la résolution d'un conflit interne qui a déjà fait beaucoup de victimes civiles. Cette extension de l'agenda sécuritaire international contribue ainsi à un changement de perspectives au niveau international au regard des approches traditionnelles des questions de sécurité : la menace contre la paix et la sécurité internationale ne naît plus de la puissance des Etats mais de leur faiblesse et de leur défaillance. Au lendemain des attentats du 11/9, cette extension de la sécurité internationale va se concrétiser autour de deux approches : d'une part la pauvreté et, partant, le sous développement dans les Etats défaillants est perçu par la communauté internationale comme un danger ; d'autre part, devant les risques de débordement de ce danger, les Etats défaillants apparaîtront comme une menace pour la paix et la sécurité internationales en raison de leur échec dans le maintien de l'ordre sur leurs territoires. Dans la politique étrangère internationale, les attentats du 11/9 ont donc permis de résoudre l'équation « défaillance des institutions étatiques = terrorisme = danger ».

Ce consensus autour de la menace que représenteraient les Etats défaillants va se traduire d'abord par l'harmonisation des discours des personnalités politiques internationales dans leur perception des Etats défaillants. C'est ainsi que l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan va estimer que « [...] contre des terroristes qui opèrent depuis des refuges dans les failed states aucune nation ne peut se protéger »65 ou encore Gerhard Schröder qui considère que : « les failed states sont une menace lorsqu'ils viennent accompagnés du terrorisme international et des armes de destruction massive »66. Pour sa part, Michelle Alliot-Marie, alors ministre française de la Défense Nationale, mentionnait en avril 2005, devant l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale, que « Les Etats défaillants, parce qu'ils ne peuvent maintenir l'autorité et l'ordre, sont à la source de troubles politiques, humanitaires, économiques qui peuvent rapidement s'exporter dans les pays voisins ou chez nous. Ils peuvent menacer notre sécurité et celle de nos ressortissants »67.

Ce consensus va également se concrétiser, de manière institutionnelle, par la création au niveau de l'ONU de la Commission de consolidation de la paix (ci-après CCP). Cet organe a été mis en place en 2005 et est en charge de la gestion de certains Etats qui ne parviennent plus à se stabiliser et qui sont potentiellement sources de menace pour la sécurité internationale68. Selon le président de l'Assemblée générale des Nations Unies, lors de la première séance de la CCP, cette dernière devra aider les Nations Unies à « empêcher les Etats de retomber dans les conflits ou de devenir des failed states [...] »69.

65 ANNAN KOFFI, «What I have learned», Washington Post, 11 décembre 2006, p. A19.

66 Discours devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, le 23 septembre 2004 à New York, disponible sur http://www.un.org/webcast/ga/59/statements/gereng040923.pdf (Consulté le 6 Juillet 2012)

67 GAULME F., « « Etats faillis », « Etats fragiles » : concepts jumelés d'une nouvelle réflexion mondiale », Politique Etrangère, 2011/1 Printemps, p. 23

68 Sur la création de la CCP, voir : CHAPAUX V., « La réforme des Nations Unies et consolidation de la paix : la création de la commission de consolidation de la paix », in CARDONA LLORENS, jorge, La ONU y el mantenimiento de la paz en el siglo XXI, entre la adaptacion y la reforma de la carta, Valencia, Tirant Lo Blanch, 2008, pp. 245 - 261.

69 Discours du président de l'AGNU, M. Jan Eliasson lors de la première séance d'ouverture des travaux de la commission de consolidation de la paix à New York, le 23 Juin 2006, disponible sur http://www.un.org/ga/president/60/speeches/060623.pdf (Consulté le 6 Juillet 2012).

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En somme, la mise en au programme sécuritaire de la défaillance étatique après les attentats du 11/9 a contribué à forger un consensus international autour du concept d'Etats défaillants. Ce consensus s'est progressivement imposé dans la politique étrangère internationale au regard du développement de nouvelles sources de menace à la paix et à la sécurité internationale dont les Etats défaillants sont souvent tenus pour responsables.

B. Le lien entre la défaillance étatique et les nouvelles menaces à la sécurité

internationale

Dans une démarche d'analyse de la crise de l'institution étatique, notamment sous l'angle de la défaillance étatique, une thèse voulant établir un lien entre cette dernière et l'apparition de nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationales70 peut paraître, a priori difficilement soutenable. Mais dans un monde de plus en plus interconnecté, du fait de l'intégration de l'économie mondiale, une telle thèse peut aisément emporter la conviction. C'est ce qui ressort du rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, qui considère qu' « aujourd'hui plus que jamais auparavant, les menaces sont étroitement liées entre elles et ce qui constitue une menace pour l'un d'entre nous [Etats] est une menace pour tous »71. Dans les Etats défaillants, la perte de l'effectivité du contrôle du territoire et des activités qui s'y déploient offre des conditions propices au développement de ces nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationales. A en croire l'ancien président américain Jimmy Carter, les Etats défaillants peuvent devenir « havens for terrorist ideologues seeking refuge and support. [...] the breeding grounds for drug trafficking, money laundering, the spread of infectious diseases, uncontrolled environmental degradation, mass refugee flows and illegal immigration »72: telles sont les nouvelles menaces qui proviendraient aujourd'hui des Etats défaillants.

En ce qui concerne le terrorisme international, il faudrait observer d'emblée, qu'il n'a rien de « nouveau » puisque le terrorisme, en tant qu'infraction internationale, était déjà reconnu par le droit international depuis l'époque de la Société des Nations73. Mais au lendemain des attentats du 11/9, sa « nouveauté » a résidé essentiellement dans l'ampleur de sa puissance destructrice et déstabilisatrice. Au vu de ces considérations, le conseil de sécurité était même amené à qualifier les actes de terrorisme international comme « l'une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationale au XXe siècle »74. Après les attentats du 11/9, le lien établi entre les Etats défaillants et l'émergence du terrorisme international

70 Pour une analyse approfondie de ces nouvelles menaces, voir S.F.D.I., Les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationales/New threats to international Peace and security, Paris, A. Pedone, 2004, 297 p.

71 Assemblée générale, A/59/565, Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur p. 21, §17.

72 JIMMY CARTER, « The Human Right to Peace», Global Agenda, 2004, http://www.globalagendamagazine.com

73 Allusion est ici faite à la Convention sur la « prévention et la répression du terrorisme » du 16 novembre 1937.

74 S/RES/1377 () du 12 novembre 2001.

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s'explique par trois arguments75. En premier lieu, les Etats défaillants, en ayant perdu l'effectivité du contrôle sur la totalité de leur territoire, offrent souvent aux groupes terroristes l'opportunité d'avoir un territoire sur lequel ils pourront procéder aux opérations d'entraînement de leurs membres, construire des dépôts d'armes et surtout bénéficier des facilités de communications. Le plus souvent, les groupes terroristes prennent le contrôle sur ces portions de territoire en soutenant les mouvements de rébellion. L'accord entre AQMI et le mouvement rebelle Ansar Dine dans la crise au Nord du Mali en constitue la parfaite illustration. En outre, les groupes terroristes profitent en général de ces conflits pour développer des trafics lucratifs de drogue ou de pierres précieuses afin de financer leurs activités. Enfin, l'extrême pauvreté dans les Etats défaillants ajoutée aux problèmes de chômage et d'éducation rendent les jeunes très réceptifs au discours extrémiste qui, pour l'essentiel, désigne l'Occident comme responsable de leur malheur. Toutes ces frustrations concourent au développement du terrorisme dans les Etats défaillants.

Par ailleurs, le terrorisme, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent alliés aux autres sources d'instabilité créent un cercle vicieux menaçant de façon continue la paix et la sécurité internationales. Ainsi, les Etats défaillants, par leur sous-développement, favorisent le développement des réseaux d'immigration illégale. Ces réseaux exploitent la misère et le désespoir des populations qui sont prêtes à recourir à des méthodes souvent dangereuses pour gagner les pays développés, en quête d'un avenir meilleur. De même, la déficience du système sanitaire dans les Etats défaillants entraîne aussi la propagation des maladies pandémiques comme le VIH/SIDA. A titre illustratif, l'Afrique subsaharienne, dont les Etats dans leur quasi-totalité, peuvent être considérés comme défaillants, présente le plus fort taux de prévalence de contamination au virus du VIH/SIDA. Ce taux est de l'ordre de 5%, soit une population contaminée d'environs 22, 4 millions de personnes sur les quelques 829 millions d'habitants vivant sur de cette partie du continent76.

Toutes ces menaces et surtout leur complexité appellent une plus forte collaboration entre les Etats. Car, « il est en effet de l'intérêt de chaque État d'aider les autres à régler leurs problèmes de sécurité les plus pressants afin de pouvoir s'assurer leur concours le moment venu »77. C'est également dans ce contexte qu'a pu émerger un consensus autour de la notion d'Etats défaillants, consensus illustré par la conception de la stratégie de sécurité et de défense de quelques puissances mais aussi par le discours des institutions internationales qui mènent des actions dans ces Etats dits défaillants.

75 Pour une analyse approfondie sur le lien entre terrorisme et les Etats défaillants, voir STEWART P., « weak states and global threats : fact or fiction ? », The Washingtion Quaterly, n° 29, 2006, pp. 27 - 53 ; TAKEYH R. and GVOSDEV N., « Do Terrorist networks need a home ? », The Washington Quaterly, n°25, 2002, disponible sur http://www.cfr.org/world/do-terrorist-networks-need-home/p7348 (Consulté le 08 Juillet 2012)

76 Rapport mondial 2010 de l'ONUSIDA, disponible sur
http://www.unaids.org/globalreport/documents/20101123_GlobalReport_Full_Fr.pdf

77 AGNU, A/59/565, « Un monde plus sûr, notre affaire à tous »,Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, p. 22

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo