Paragraphe 2 : Les règles régissant les
violations des obligations internationales
Il s'agira dans cette partie d'analyser les relations de
l'État défaillant avec le corps des règles qui
régissent les conséquences de son action consistant en la
violation d'une obligation internationale. Mais bien plus que la seule
violation d'une obligation internationale, il serait intéressant
d'examiner ici l'applicabilité du régime juridique de la
responsabilité internationale aux situations de défaillance
étatique. Car, sujet incontesté du droit international et
bénéficiant du même régime statutaire que tous les
autres Etats, l'État défaillant doit aussi être comptable
de son action dans l'ordre juridique international. Le corollaire
nécessaire du droit étant la responsabilité, celle de
l'État défaillant sera engagée si un fait
internationalement illicite lui est attribuable (A). Mais cette condition,
l'une des plus essentielles162 d'engagement de la
responsabilité internationale des Etats peut a priori être
difficilement remplie par un État défaillant qui souvent ne
dispose pas d'une véritable structure gouvernementale à qui il
pourrait être attribué la violation d'une obligation
internationale. Par contre, la situation de défaillance étatique
pourrait bien être considérée ici comme une circonstance
excluant l'illicéité de l'action de l'État
défaillant (B).
A. L'attribution d'un fait internationalement illicite
à l'État défaillant
En matière de responsabilité internationale, la
règle générale est donc que le seul comportement
susceptible d'engager la responsabilité internationale de l'État
est celui qui peut lui être attribué, c'est-à-dire celui de
ses organes de gouvernement ou celui d'autres entités qui ont agi sous
la direction, à l'instigation ou sous le contrôle de ces organes,
en qualité d'agents de l'État163. Cette approche
objective de la responsabilité internationale, adoptée par la
CDI, vise donc à limiter la responsabilité de l'État
à un comportement qui l'engage directement (par le canal de ses agents)
et à établir aussi l'autonomie des personnes privées qui
agissent pour leur propre compte et dont les agissements, sans lien avec une
entité publique, peuvent avoir une « portée internationale
»164. Cette définition des critères d'attribution
d'un fait internationalement illicite (ci-après fii) ne saurait
être appliquée aux
162 Rapport de la Commission de droit
international à l'Assemblée Générale sur les
travaux de sa cinquante-troisième session,
A/CN.4/SER.1/2001/Add.1(Part2), p. 39
163 Article 4 du Projet d'article de la CDI
sur la responsabilité des Etats, Annexe de la Résolution
A/RES/56/83, du 28 janvier 2002 ; Sur l'attribution d'un fait
internationalement illicite à un État de manière
générale voir CONDORELLI L., « L'imputation à
l'État d'un fait internationalement illicite : solutions classiques et
nouvelles tendances », RCADI, 1984-VI, Martinus Nijhoff
Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1988, t. 189, p. 19 - 216.
164 Article 1 du Statut de Rome de la Cour
Pénale Internationale, A/CONF.183/9 du 17 juillet 1998
48
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
Etats défaillants dont le principal symptôme est
l'absence d'organes officiels qui pourraient répondre internationalement
d'un fait internationalement illicite attribué à l'État
défaillant. Il faudrait alors rechercher ailleurs, dans le projet
d'articles de la CDI, des dispositions susceptibles de retenir la
responsabilité internationale d'un État en dépit de sa
défaillance.
Dans ce contexte, l'article 9 dudit projet pourrait
s'appliquer avec succès. En effet, cette disposition intitulée
« comportement en cas d'absences ou de carence des autorités
officielles », attribue à l'État le comportement d'un groupe
de personnes qui « exerce en fait des prérogatives de puissance
publique en cas d'absence ou de carence des autorités officielles et
dans des circonstances qui requièrent l'exercice de ces
prérogatives ». D'après le commentaire du projet
d'articles165, cette disposition vise en particulier un cas
exceptionnel à la suite d'une révolution, d'un conflit
armé, d'une occupation étrangère où des forces
irrégulières prennent la place des autorités officielles
empêchant ces dernières d'exercer leurs fonctions dans un domaine
ou un endroit précis. Plus loin dans le commentaire de son projet
d'article, la CDI précise aussi que ces situations envisagées
supposent « l'existence d'un gouvernement officiel et d'un appareil
d'État dont des irréguliers prennent la place ou dont l'action
est complétée dans certains cas ». A travers cette
dernière précision, la CDI semble viser davantage des situations
plus transitoires que celles qui caractérisent l'état de
défaillance. Dans ces conditions, il sera difficile d'attribuer à
l'État le comportement des groupes armés qui, pourtant,
contrôlent effectivement une partie du territoire de l'État
défaillant et y exerce aussi des prérogatives de puissance
publique comme c'est le cas, en Somalie du somaliland qui est sous le
contrôle des milices du Somalian National Movement (SNM) depuis les
années 1980 et du Puntland passé depuis la fin des années
1990 sous le contrôle des éléments du Somalian Salvation
Democratic Front (SSDF).
En revanche, l'article 10 du projet d'articles qui
régit le comportement des mouvements insurrectionnels pourrait
s'appliquer aux cas de défaillance étatique dont de tels
mouvements sont souvent à l'origine. Mais afin d'attribuer un fii
à un mouvement victorieux devenu le nouveau gouvernement d'un
État défaillant, il faudrait au préalable réussir
à qualifier de mouvement insurrectionnel. Or, la CDI, dans son projet
d'article, ne fournit ni la définition du mouvement insurrectionnel ni
les critères permettant de qualifier un mouvement comme tel.
Au vu de tous ces éléments, on peut remarquer
que dans son projet d'articles, la CDI n'a pas tenu grand compte de la
défaillance étatique dans la codification du régime
juridique de la responsabilité internationale des Etats. C'est pour
cette raison que les différentes dispositions du projet d'articles
peinent à s'appliquer véritablement aux Etats défaillants.
Mieux encore, dans l'économie générale du projet
d'articles, la défaillance étatique peut être
considérée comme une circonstance excluant
l'illicéité.
165 Projet d'articles sur la
responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite et
commentaires y relatifs, Annuaire de la CDI, 2001, Vol. II, p. 117
49
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
B. La défaillance étatique, une
circonstance excluant l'illicéité ?
En droit de la responsabilité internationale, une
circonstance excluant l'illicéité est une situation ayant une
valeur d'exception ou de justification qui vient dédouaner l'État
de sa responsabilité qui serait pourtant effectivement fondée sur
la violation d'une obligation internationale. Dans le chapitre V de son projet
d'articles, la CDI a défini six circonstances excluant
l'illicéité d'un fait qui serait pourtant internationalement
illicite et qui serait attribué à un État. Il s'agit du
consentement (art 20), de la légitime défense (art 21), des
contre-mesures (art 22), de la force majeure (art 23), de la détresse
(art 24) et de l'état de nécessité (art 25).
Parmi toutes ces circonstances, la défaillance
étatique peut être assimilée à un cas de force
majeure définie par le projet d'articles de la CDI comme « la
survenance d'une force irrésistible ou d'un évènement
extérieur imprévu qui échappe au contrôle de
l'État et induit qu'il est matériellement impossible,
étant donné les circonstances, d'exécuter l'obligation
»166. La force majeure, dans le projet d'articles, va
au-delà de la simple impossibilité d'exécuter un
traité167 car les circonstances dans lesquelles la force
majeure peut être invoquée s'étendent jusqu'à la
perte de contrôle d'une partie du territoire de l'État, suite
à une insurrection ou à la dévastation d'une zone
engendrée par des opérations militaires conduites par un
État tiers168. Ainsi, l'État défaillant, en
proie à un conflit armé et ayant perdu le contrôle d'une
partie de son territoire, ne peut donc pas être tenu responsable des
dommages résultant de son incapacité matérielle à
prévenir les actes des particuliers ou encore à en assurer la
répression, conformément à son obligation de diligence.
Cependant, l'application de la force majeure à une
situation de défaillance étatique pourrait être compromise
par les dispositions du paragraphe 2 du même article 23. En effet, en
vertu de cette disposition, l'État défaillant ne pourra pas
s'exonérer de sa responsabilité en invoquant une force majeure
lorsque cette dernière est due soit uniquement soit en conjonction
d'autres facteurs à son propre comportement. De fait, même si de
multiples causes structurelles et conjoncturelles peuvent expliquer la
défaillance étatique, il faudrait indiquer que les
décisions unilatérales prises en toute souveraineté par
les autorités d'un État, avant son processus de
désintégration, peuvent aussi rentrer en ligne de compte. Ces
décisions unilatérales, les choix de politique
opérés peuvent constituer la « contribution » des
gouvernants des Etats défaillants à l'effondrement de l'appareil
d'État et à la décomposition du pays. On pourrait alors
considérer que l'État défaillant a contribué d'une
manière ou d'une autre à la survenance de la circonstance qui a
rendu impossible l'exécution de ses obligations internationales.
166 Article 23, projet d'articles de la CDI sur la
responsabilité des Etats, A/RES/56/83, 12 décembre 2001
167 Annuaire de la Commission du Droit International, 1966, vol.
II, p. 278
168 Rapport de la Commission à l'Assemblée
générale sur les travaux de sa cinquante-troisième
session, ACDI, 2001, Vol. II, p. 81
50
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
Partie 2 : L'État défaillant, un concept
opératoire en droit international
S'il peut être établi que le concept
d'États défaillants a servi de manière théorique
à décrire et expliquer la crise de l'État, il est par
contre assez difficile de démontrer l'utilité
opérationnelle d'un tel concept dans la pratique des acteurs de la
scène internationale. En effet, l'étude des enjeux
théoriques du concept d'Etats défaillants nous a permis de
démontrer qu'il s'agit d'un système de sens mis en place dans les
milieux universitaires et politiques pour expliquer la crise de l'institution
étatique à laquelle est confrontée la
société internationale. Et comme pour tout système de
sens, les acteurs qui l'utilisent ne démontrent pas clairement la
finalité particulière qu'ils poursuivent. Toutefois, une
étude des caractéristiques intrinsèques de l'objet du
concept - les Etats défaillants en tant que réalité
matérielle - et des actions de la communauté
internationale169 à l'égard de ces Etats, peut nous
permettre d'appréhender l'objectif pratique de ce concept. A cet effet,
l'une des premières et sans doute la principale réponse à
la crise de l'État est ce que Jean-Denis MOUTON appelle «
l'internationalisation de l'État »170. Il s'agit d'une
autre forme d'intervention internationale qui se met en place le plus souvent
après les conflits dans les Etats défaillants et qui opère
une double mission : endiguer la violence et le chaos qui y règnent et
surtout réaffirmer la présence et la puissance de ses pouvoirs
publics contestés et fragilisés. La communauté
internationale vient ainsi au secours de l'État défaillant pour
pallier à sa déliquescence en restaurant sa
légitimité et son autorité. Au nom d'une action sous forme
de principe de subsidiarité, la communauté internationale
s'érige en architecte de la reconstruction des Etats qui sont incapables
de le faire eux-mêmes. Ces actions de reconstruction peuvent rappeler un
phénomène, déjà très ancien, ayant vu le
jour dans l'entre-deux-guerres à savoir le système
d'administration internationale. Mais après la guerre froide, ce mode de
gestion des territoires a été réactualisé et s'est
davantage généralisé. Les acronymes renvoyant à ce
type d'intervention internationale peuvent en témoigner : APRONUC
(Autorité des Nations Unies au Cambodge), CPR (Coalition Provisional
Authority in Irak), l'ATNUTO (Administration Transitoire des Nations Unies au
Timor Oriental)171, etc. L'ONU n'est pas le seul acteur de cette
« internationalisation » des Etats. Elle est secondée par
d'autres acteurs poursuivant le même objectif. Ainsi, l'administration de
la ville de Mostar par la Communauté Européenne ou celle de la
Bosnie - Herzégovine par le « Haut Représentant »
participent aussi de ce type d'intervention internationale172.
Que la communauté internationale intervienne dans les
Etats défaillants, cela ne constitue sans doute pas un
phénomène nouveau en droit international. Mais ce qui a retenu
notre
169 Dans cette partie, l'expression abstraite
« communauté internationale » servira à désigner
l'ensemble des organisations internationales composées d'Etats et autres
bailleurs de fonds étatiques qui interviennent dans la reconstruction
des Etats défaillants.
170 Voir MOUTON J. - D., « Crise et
internationalisation de l'État : une place pour l'État
multinational ? », in L'État multinational et l'Europe,
Presses Universitaires de Nancy, 1997, pp. 9 - 18
171 Voir N. QUOC DINH, DAILLIER P. et PELLET
A., Droit international public, Paris, L.G.D.J.,
7ème éd., 1992, p. 611 - 612
172 Pour une présentation
générale des projets d'administration internationale depuis 1932,
voir WILDE R., International territorial Administration - How Trusteeship
and the Civilizing Mission Never Went Away, Oxford, Oxford University
Press, 2008, pp. 94 - 95
51
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
attention et qui nous permettrait de mettre en lumière
l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants dans cette
ingénierie de la reconstruction étatique, est le fondement
à la fois juridique et politique d'un tel projet. Dans ce contexte, le
concept d'Etats défaillants vient donc légitimer une nouvelle
forme d'action internationale qui va au-delà de la traditionnelle
ingérence humanitaire et qui implique une véritable «
réinterprétation »173 de la souveraineté
des Etats défaillants. L'État défaillant, en
représentant une menace pour sa propre sécurité et celle
des autres Etats, impose à ces derniers une nouvelle obligation. La
CIISE appelle cette nouvelle obligation, la responsabilité de
protéger, qui rend admissible une intervention à des fins de
protection humaine, y compris une intervention militaire dans les cas
extrêmes, lorsque des civils sont en grand danger ou risquent de
l'être à tout moment et que l'État en question ne peut pas
ou ne veut pas mettre fin à ce péril ou en est lui-même
l'auteur »174. Cette responsabilité, quoique dite de
protéger, ne se limite pas en réalité à la seule
protection des personnes civiles, elle implique une autre obligation, celle de
construire. C'est ce versant de la responsabilité de protéger qui
focalisera notre intérêt dans cette partie car il permet de mettre
nettement en avant l'aspect opérationnel du concept d'Etats
défaillants à travers cette nouvelle forme d'intervention
internationale considérée comme une réponse
adéquate à la défaillance étatique (Chapitre 1).
Cette analyse de l'aspect opérationnel du concept d'Etats
défaillants devra conduire à une réflexion en profondeur
sur son efficacité dans la résolution de la crise de
l'État. Ce sera alors l'occasion d'envisager d'autres perspectives qui
pourront dépasser la simple catégorisation des Etats et proposer
d'autres approches et solutions au problème de la défaillance
étatique (Chapitre 2).
173 Robert KEOHANE, «Political Authority
after Intervention : Gradations in Sovereignty», in J-L.
Holzegrefe and R-O. Keokane (eds.), Humanitarian Intervention : Ethical,
Legal and Political Dilemmas, Cambridge University Press, 2003, p. 276
174 Rapport de la Commission Internationale
sur les Interventions et la Souveraineté des Etats (CIISE), Ottawa,
2001, p. 16
52
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
Chapitre 1 : L'intervention internationale,
réponse à la défaillance étatique
La principale solution à la crise de l'État
proposée par la communauté internationale a pris, depuis ces
dernières décennies, la forme des interventions internationales.
Ces interventions internationales se caractérisent par leur
diversité et leur complexité croissante. Mais dans un contexte
post-conflit, elles revêtent de manière générale la
forme d'opérations de paix. Apparu au lendemain de la guerre froide, le
concept d'opérations de paix a été consacré d'abord
par l'Agenda pour la paix175 de 1992 et ensuite par le
Rapport Brahimi176 de 2000 et il visait à remplacer
l'ancien concept de maintien de paix dans le mandat des Nations Unies dans le
maintien de la paix et de la sécurité internationales.
D'après ce même rapport, les opérations de paix consistent
à déployer une ou plusieurs équipes organisées de
spécialistes civils, policiers ou militaires au lendemain d'un conflit
dans le but de remplir deux fonctions : le maintien et la consolidation de la
paix177. Tandis que les opérations de maintien de la paix
visent le rétablissement et parfois l'imposition de la paix par des
forces armées sous mandat international, les opérations de
consolidation de la paix, quant à elles, qualifient une mission de long
terme visant à créer les conditions d'une paix durable en
renforçant les capacités fonctionnelles de l'État
après un épisode conflictuel178. On peut
déduire de ces définitions que la réponse à la
crise de l'État dans les Etats s'orientera bien plus vers une
opération de consolidation de la paix, combien même le maintien de
la paix peut se révéler tout à fait indispensable et
conditionne souvent la réussite de la reconstruction de l'État.
Les termes anglais « peacebulding » et «
state-bulding », termes les plus souvent employés pour
désigner les opérations de consolidation de la paix traduisent
mieux leur dimension concrète qui vise fondamentalement la
reconstruction des Etats défaillants. C'est ce qui justifie le choix,
dans les développements qui vont suivre, de l'expression
state-bulding pour mettre en lumière les efforts de
reconstruction déployés par la communauté internationale
dans les opérations de consolidations de paix.
Quoiqu'il en soit, il faudrait observer que même si les
fondements philosophiques de cette nouvelle génération d'action
internationale remontent loin dans le passé, leur introduction au sein
des mandats des opérations de paix est assez récente (Section 1).
Les opérations visant la reconstruction des Etats défaillants se
particularisent aussi par leur caractère multidimensionnel ou
multifonctionnel. C'est ainsi que le cadre opérationnel de ces
opérations touche à la fois les volets sécuritaire,
politique, économique et social (Section 2).
175 BOUTROS BOUTROS-Ghali, op. cit. p.
7, §57
176 A/55/305 - S/2000/809, Etude d'ensemble
de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous
leurs aspects, 21 Août 2000.
177 WHITE N., « Opérations de
paix » in CHETAIL V. (dir.), Lexique de la consolidation de
la paix, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 293 - 313, 313.
178 Département de maintien de la paix
des Nations Unies, Opérations de maintien de la paix des Nations Unies :
principes et orientations, New York, 2008, p. 19 ; Voir aussi TARDY T.,
Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : acteurs,
activités, défis, Bruxelles,De boeck, 1ère
éd., 2009, p. 280
53
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
Section 1 : L'introduction des pratiques de
consolidation de la paix au sein des
mandats des opérations de paix
La pratique de la consolidation de la paix doit son
entrée dans le vocabulaire international et en particulier dans celui
des Nations Unies, au lendemain immédiat de la guerre froide, à
l'Agenda pour la paix de l'ancien secrétaire
général de l'ONU Boutros BOUTROS-GHALI. L'ancien
secrétaire général y décrivait déjà
la consolidation de la paix comme l'un des quatre domaines d'activités
essentielles de la gestion des conflits aux côtés de la diplomatie
préventive, du rétablissement de la paix et du maintien de la
paix. Plus loin, il précisait la finalité de la consolidation de
la paix : « reconstruire les institutions et les infrastructures des
nations déchirées par la guerre civile et les conflits internes
[...] »179. En 1995, dans le Supplément à
l'Agenda pour la paix180, il rappelait « le
bien-fondé des efforts de consolidation de la paix après les
conflits » et mettait aussi en exergue la nécessité de
« mener une action intégrée » à travers les
quatre domaines d'activités de la consolidation de la paix. Ces deux
documents ont ainsi fait évoluer considérablement la conception
de la consolidation de la paix au niveau de l'ONU. De l'Agenda pour la paix
en 1992 au Supplément à l'Agenda pour la paix de
1995, la conception onusienne de la consolidation de la paix est passée
d'une approche linéaire à une approche qui se veut plus
intégrée. L'introduction, et surtout l'évolution de la
consolidation de la paix dans le mandat des Nations Unies, seront
entérinées en 2005 lors du sommet mondial qui confirmera «
la nécessité d'une approche coordonnée, cohérente
et intégrée de la consolidation de la paix au lendemain de
conflits en vue de l'instauration d'une paix durable »181. Ce
besoin de coordination a conduit l'ancien secrétaire
général, Kofi Annan, à proposer à la suite du
sommet, la création d'une Commission de Consolidation de la Paix afin de
pallier au déficit institutionnel dans le domaine de la coordination des
opérations de reconstruction des Etats après les conflits. Ainsi,
les opérations de consolidation de la paix ont pu s'imposer dans
l'arsenal des actions internationales en vue de résoudre la
défaillance étatique et permettre par la même occasion
à l'ONU, principal acteur de ces opérations, d'atteindre son
principal but, à savoir « maintenir la paix et la
sécurité internationales et à cette fin : prendre des
mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les
menaces à la paix (...) »182.
Aussi importante qu'elle puisse paraître, la notion de
consolidation de la paix n'est cependant pas clairement précisée
dans les textes officiels de l'ONU. Les différents rapports qui traitent
de la consolidation de la paix, n'abordent la question que par le biais des
opérations de consolidation de la paix. Cette constatation rend ainsi
nécessaire la détermination des fondements substantiels de la
notion de consolidation de la paix (Paragraphe 1). Ensuite, le fait que ces
opérations, orientées vers la reconstruction des Etats,
179 BOUTROS BOUTROS-GHALI, op. cit., §15
180 Supplément à l'Agenda pour la paix,
Rapport de situation présenté par le secrétaire
général à l'occasion du cinquantenaire de l'ONU, A/50/60 -
S/1995/1, 25 janvier 1995
181 Nations Unies, Secrétaire général,
Dans une liberté plus grande : développement,
sécurité et respect des droits de l'homme pour tous,
A/59/2005, 21 mars 2005, p. 26
182 Article 1er, Charte de l'ONU.
54
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
puisse porter atteinte à la souveraineté des
Etats défaillants oblige à préciser la
spécificité de son cadre juridique (Paragraphe 2)
|