Paragraphe 2 : la protection de la qualité
d'Etat de l'État défaillant
L'État défaillant en dépit de ses
vicissitudes n'en demeure pas moins un État au sens juridique du terme.
Un État dont l'existence est protégée par sa
personnalité juridique internationale (A) et dont la souveraineté
doit être préservée (B) au même titre que tous les
autres Etats.
A. Une personnalité juridique internationale
protégée
D'une manière générale, la
personnalité juridique peut être entendue comme « le fait
d'être capable d'avoir des droits et des obligations juridiques dans un
système de droit donné ou, en d'autres termes, d'être le
destinataire direct des règles de ce système
»129. Ainsi, dans l'ordre juridique international, la
personnalité juridique internationale désigne concrètement
le statut légal des sujets du droit international qui sont
dépositaires de la capacité de recevoir des droits et de
contracter des obligations en droit international. Cette personnalité
juridique internationale renvoie en définitive à la possession de
droits et devoirs découlant du droit international et à la
capacité à les exercer ou à en être responsable en
cas d'inobservation. L'État, sujet par excellence de cet ordre
juridique, dispose de toute évidence de cette personnalité
juridique internationale même s'il ne possède que l'un de ces
droits et devoirs130. De l'avis de la CIJ, la personnalité
juridique internationale peut être conférée à une
entité (État ou organisation internationale) par le consentement
des personnes juridiques internationales existantes, soit par une
reconnaissance expresse ou une reconnaissance impliquée et donc
tacite131. Cela suppose en effet que pour acquérir la
personnalité juridique
129 BEDJAOUI, M., Droit international. Bilan
et Perspectives, Paris, A. Pedone, Tome 1, 1991, p. 23
130 CIJ, Affaire relative aux droits des
ressortissants des Etats Unis d'Amérique au Maroc, arrêt du
27 août 1952, Rec. CIJ, 1952, p. 185 « [...] le Maroc, même
sours le protectorat, a conservé sa personnalité d'État en
droit international ».
131 CIJ, Réparation des dommages
subis au service des Nations Unies, avis consultatif, 11 avril 1949, Rec.
CIJ, 1949, p. 174
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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
internationale, l'État postulant aura
démontré auprès des membres existants, jusque là
auteurs des règles de droit et responsables de leur application, sa
capacité à assumer les droits et obligations qui découlent
de l'ordre juridique international. C'est pourquoi, ayant acquis la
personnalité juridique internationale, l'État peut la conserver
aussi longtemps qu'elle possédera les moyens d'en assumer les
conséquences. Dans une telle configuration, il peut sembler difficile
pour un État défaillant, déstructuré, de pouvoir
prétendre encore à la personnalité juridique
internationale. Ce n'est cependant pas encore le cas en droit international.
L'exemple somalien illustre une nouvelle fois de façon pertinente le
paradoxe entre le maintien de la personnalité juridique internationale
des Etats défaillants et leur déliquescence avérée.
En effet, après plusieurs années de crises politiques à
répétition, la Somalie était encore, il y a quelques
années, « le seul pays au monde à ne pas avoir de
gouvernement national et dans lequel les fonctions incombant d'ordinaire
à un État (...) ne sont plus assurées
»132. Pourtant, la disparition définitive de la Somalie
en tant qu'État n'a jamais été validée, son
existence, au contraire, continue d'être approuvée par la pratique
de l'ONU. Le conseil de sécurité a toujours invité, entre
1992 et 1994, le chargé d'affaires somalien à assister aux
débats du conseil concernant son pays133. Les organes et
institutions de l'ONU ont aussi, dans leur pratique, continué à
affirmer l'existence de la personnalité juridique de la Somalie. Cette
dernière est membre de la Commission des Droits de l'Homme
jusqu'à la fin de son mandat en 1992. Par conséquent, la Somalie
n'a donc jamais perdu sa qualité d'État membre de l'ONU. La
présence symbolique de sa plaque dans la salle de l'AGNU peut de
surcroît en témoigner.
En outre, la protection de la personnalité juridique de
la Somalie se reflète dans les efforts sans cesse soutenus de la
communauté internationale à limiter la déliquescence de
son autorité et à rétablir la paix dans le pays. Cela se
concrétise par l'organisation de nombreuses conférences
nationales de réconciliation, d'abord au plan régional par les
Etats voisins, et à l'échelle internationale par l'intervention
humanitaire des autres Etats sous les auspices de l'ONU avec les interventions
des « casques bleus »134. Cette volonté de la
communauté internationale de maintenir la Somalie unie en tant
qu'État se manifeste aussi par l'absence de reconnaissance d'autres
Etats en faveur de la collectivité sécessionniste du Somaliland.
Ces recours de la communauté internationale au chevet de la Somalie et
de bien d'autres Etats défaillants témoignent de la
nécessité de la protection de la qualité d'État de
ces entités, en dépit de leur déliquescence, et suffisent
aussi à prouver qu' « une fois la situation juridique d'État
constituée, le droit international lui assure une certaine permanence,
indépendamment de la vérification effective des conditions »
à remplir pour bénéficier du statut
d'État135. L'État défaillant
bénéficie aussi de cette protection au regard de l'un de ses
principaux attributs, à savoir sa souveraineté.
132 S/1999/882, Rapport du Secrétaire
général sur la situation en Somalie, 16 août 1999,
§63.
133 S/23445 du 20 janvier 1992 in Répertoire de la
pratique du Conseil de Sécurité - Supplément 1989 - 1992,
p. 647.
134 Dans la période 1992 - 1995, on peut compter deux
opérations des Nations Unies en Somalie : ONUSOM I (1992 - 1993) et
ONUSOM II (1993 - 1995).
135 RUIZ FABRI H., « Genèse et disparition de
l'État à l'époque contemporaine », AFDI,
1992, pp. 153 - 178, précisément p. 162.
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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
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