Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.( Télécharger le fichier original )par Amadou BA CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011 |
Chapitre 1 :NAISSANCE ET DIFFUSION DE LA PHOTOGRAPHIE AU SENEGAL Au Sénégal, la photographie apparaît à Saint-Louis puis à Dakar. Durant toute la période coloniale, elle est restée un outil très surveillé qui devait d'abord servir les intérêts coloniaux en vertu du décret Laval (alors ministre des Colonies) voté en 1934 : le contrôle de la production et la diffusion des films et des disques est strictement réglementé dans toute l'AOF.13(*) Mais au fil des ans, la photographie finit malgré tout par se diffuser à l'ensemble de la population. Section 1 : Le rôle des civils, des administrateurs, des militaires et des missionnaires.Si la photographie comblait pleinement les attentes de certains civils occidentaux avides d'exotisme, pour beaucoup d'autres (administrateurs, militaires et missionnaires), elle est partie intégrante de leur mission colonisatrice. A/ Le rôle des civils et des administrateursEn cette première moitié du XIXème siècle, Saint-Louis est une ville européano-africaine où le commerce est florissant.14(*) Témoins de ce passé, les vestiges des « comptoirs des Bordelais », décrits par Frédérique Chapuis dans les Précurseurs de Saint-Louis du Sénégal, croulent sous le poids des âges. Aujourd'hui, ces vastes bâtisses, occupées pour certaines par les populations locales, sont encore visibles sur les quais. Dans la capitale de l'Afrique occidentale française (AOF), véritable comptoir commercial, se concentrent d'innombrables commerçants, administrateurs, militaires, aventuriers en mal de sensation et...photographes.15(*) On y recense quelques 700 commerces, parmi lesquels on trouve le premier studio de daguerréotypie ouvert en 1860 par Washington de Monrovée.16(*) D'autres commerçants ou aventuriers suivront le mouvement. En 1861, Decampe ouvre son commerce. Bonnevide aussi s'installe à Saint-Louis avant d'aller à Dakar où il ouvre en 1885 l'un des premiers studios. Il laisse ainsi la place à d'autres : Hostalier, son ex-assistant et éditeur de cartes postales, Tacher, Hautefeuille etc. En 1908, Etienne Lagrange, qui formera nombre de photographes africains, installe, à son tour, son studio à Saint-Louis.17(*) En outre, les explorateurs scientifiques, mais aussi les commerçants et les industriels apportent dans leurs bagages cette nouvelle invention. Ils utilisent la photographie comme témoignage de leur rencontre avec cette lointaine terre africaine. Ce foisonnement de la pratique de la photographie est en partie facilité par les avancées techniques en la matière. Dès les années 1880, conjointement au début de cette conquête, la photographie instantanée se développe grâce à une nouvelle émulsion à base de gélatino-bromure d'argent et à la commercialisation d'une chambre 9X12 « tout terrain ».18(*) Comme on peut l'imaginer à cette époque, toute cette photographie reste d'abord le témoignage de la civilisation européenne, fortement ethnocentriste.19(*) Tout est photographiable et donc avidement photographié, remarque Frédérique Chapuis.20(*) Pour asseoir ses rêves de grandeur politique et économique, la France entreprend rapidement une vaste campagne de travaux publics (routes, voies ferrées, ports, ponts, etc.). A la fin des années 1880, Ernest Portier, directeur du Service du Chemin de fer du Soudan français, réalise des photographies illustrant la construction du chemin de fer du Haut-Sénégal. Ces grands travaux, qui monopolisent la force de centaines de milliers d'Africains déplacés et contraints au travail, sont également l'occasion d'établir de nouveaux contacts culturels et techniques entre les populations et les coloniaux.21(*) A Saint-Louis, mais aussi à Dakar, les commerces photographiques, répliques des studios parisiens avec les intérieurs bourgeois, sont tenus par les coloniaux. Bien que son nom soit lié à la région de Bamako, la capitale du Soudan (ancien nom du Mali), pour y avoir ouvert le premier magasin de photographie,22(*) Pierre Garnier est venu vivre à Dakar entre 1955 et 1956. Dans cette ville, il a poursuivi son commerce photographique pour subvenir aux besoins de sa famille. Quelques décennies plus tôt, Oscar Lataque, un autre photographe français, avait établi ses quartiers à Dakar. Tennequin dirigeait le Comptoir Photographique de l'Afrique occidentale française (AOF), sis à l'avenue Roume, actuelle avenue Léopold Sédar Senghor. Leurs studios comptaient dans les années 1920 parmi les plus célèbres de la place.23(*) Deux pionniers de la photographie sénégalaise, Mama Casset (1908-1992) et Amadou Guèye « Mix » (1906-1994), eux aussi originaires de Saint-Louis, seront initiés par Lataque, qui réalisait essentiellement des cartes postales. Edmond Fortier, photographe-reporter le plus prolixe du Sénégal des années 192O, est rendu célèbre par les cartes postales qu'il réalise sur cette contrée longtemps présentée comme hostile. Les photographies de monuments, de paysages, ou bien de scènes de vie en brousse servent de trait d'union entre la colonie et la Métropole. Très vite, l'édition se développe à Saint-Louis, et l'engouement que suscitent les images est tel que le pays compte plus d'une cinquantaine d'éditeurs avec une production de 5000 images différentes. Des journaux comme Le Monde illustré ou Le Tour du monde participent à leur diffusion.24(*) Mais comme on peut le penser, toute cette production photographique reste le reflet du « regard partial et ethnocentriste du colonisateur ». L'image, c'est connu, produisant un impact psychologique plus intense quant à la durée, ces photographies ont-t-elles contribué, peu ou prou, à asseoir les représentations racistes toujours actuelles du Blanc sur le Noir ? Frédérique Chapuis répond : « (...) Les seules images que nous reconnaissons aujourd'hui, ne l'oublions pas, sont celles qui furent au service de l'idéologie coloniale ».25(*) * 13 ID., op. cit, p. 31 * 14 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours. Paris : Revue Noire, 1998. pp. 49-50. * 15 ID., op. cit, p. 49. * 16 ID., op. cit, p. 50 * 17 ID., op. cit, p. 50 * 18 E. Nimis, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours. Paris : Editions Revue Noire, 1998, p. 6. * 19 ID., op. cit, p. 7 * 20 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours. Paris : Collection Revue Noire, 1998, p. 51. * 21 E. Nimis, Photographes de Bamako. De 1935 à nos jours. Paris : Editions Revue Noire, 1998, p. 12. * 22 ID., op. cit, p. 15. * 23 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours, op. cit., pp. 52-54. * 24 ID., op. cit, p. 52. * 25 ID., op. cit, p. 56. |
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