2.5.1.3- Sexualité et relation avec les parents
La
puberté fait entrer l'adolescent dans la sexualité adulte. En
effet le corps devient sexué, ce qui veut dire que l'adolescent est
physiologiquement mature pour avoir des rapports sexuels et est apte à
la procréation. Cela change littéralement son rapport à
l'autre, notamment à ses parents. Son regard change sur les autres, mais
les autres aussi changent de regard sur lui. Cette sexualisation du corps remet
en question ce que l'on appelle le complexe d'Oedipe, questionnement endormi
pendant la phase de latence.
2.5.2- Le complexe d'Oedipe
Le
complexe d'OEdipe est cette période entre 3 et 5 ans où
généralement l'enfant « s'éprend » du
parent du sexe opposé et entre en rivalité avec le parent du
même sexe. La petite fille dévore son père des yeux et veut
se marier avec lui. Le petit garçon écarte le père quand
il veut embrasser la mère. Le rôle des parents à cette
période est de rappeler l'impossibilité de cette union
contre-nature (poser ce qu'on appelle « l'interdit de
l'inceste »). A l'adolescence, la question de l'OEdipe se pose
à nouveau, avec une nouvelle donne : la maturité sexuelle.
La proximité avec les parents qui rassurait l'enfant va devenir
rapidement insupportable (tension interne) pour l'adolescent. Ainsi, les gestes
de tendresse jusque là vécus comme anodins deviennent
embarrassants pour l'adolescent (et pour les parents). Soudain, l'adolescent
refuse les bisous, parfois le moindre contact. L'agressivité
éclate souvent.
Ainsi,
l'adolescent, du fait de sa maturité sexuelle, est amené à
prendre des distances par rapport à ses parents.
2.6- L'importance du corps à l'adolescence
En
1990, Françoise DOLTO qualifie l'adolescence de « complexe du
homard »22(*), se
référant à la fragilité de l'animal qui a perdu sa
carapace et pas encore acquis la nouvelle. L'adolescence est en effet un
passage entre l'enfance et l'âge adulte, et est lié à de
nombreux remaniements tant physiques que psychiques. L'apparition de la
puberté entraîne des modifications du corps et s'impose au
psychisme de l'adolescent. Celui ci subit passivement les transformations du
corps : les règles, les premières éjaculations, les
caractères sexuels secondaires et il doit réapprendre à
assimiler ce corps. Il sait qu'il n'est plus un enfant puisque son corps s'est
modifié, qu'il est désormais capable de procréer.
L'équilibre est précaire entre le corps de l'enfant et celui de
l'adulte qu'il n'est pas encore. « L'adolescent devient gauche, maladroit,
ingrat. S'installe l'inquiétude que les dimensions et les formes du
corps ne soient pas standards. Les bonnes manières laissent la place
à la grossièreté, à l'agressivité et au
refus du rangement, ce qui occasionne des disputes au sein de la famille. En
fait, l'adolescent a des difficultés à habiter ce corps nouveau
dont la puberté l'a affublé, il se sent dysharmonique. Son refus
de l'horaire des repas ou d'une séance de baignoire peut alors traduire
un refus du corps »23(*). Pour les psychanalystes, « l'adolescence peut
se définir par le travail psychique rendu nécessaire par les
bouleversements pubertaires, où se joue le devenir de l'organisation
psychique infantile antérieur »24(*). C'est Sigmund FREUD le premier, dans le domaine de
la psychanalyse, qui s'est intéressé à la question de
l'adolescence et a souligné l'importance de la puberté.25(*) Il semble en effet que les
changements physiologiques de cette période vont avoir un impact sur la
vie pulsionnelle de l'adolescent, puisque le complexe d'OEdipe va, sous
l'influence hormonale réapparaître à ce moment là.
Tout le processus de l'adolescence vise à surmonter la
résurgence du complexe d'OEdipe en luttant contre ses
représentations et en se détachant des parents. Cela peut
expliquer le comportement de nombreux adolescents qui rejettent leurs parents.
Cette transformation va être, à la fois source d'angoisse, de
fierté et d'affirmation. Ici les réactions de l'entourage seront
primordiales. Jalousie paternelle ou maternelle, jeu de séduction,
accession à la pudeur, etc.... Autant de réactions qui influeront
sur l'adolescent. Nous voyons donc que le phénomène physiologique
de la puberté a une incidence sur le psychisme de l'adolescent, sur son
identité.
2.7-
L'image du corps
2.7.1-
Approche de la psychologie génétique
Selon
Henri Wallon, pour que l'enfant arrive à avoir une notion de son corps
cohérente et unifiée, il faut qu'il distingue ce qui doit
être attribué au monde extérieur et ce qui peut être
attribué au corps propre. Le schéma corporel va devoir se
constituer selon les besoins de « l'activité ; c'est le
résultat et la condition de justes rapports entre l'individu et le
milieu ; celui des rapports entre l'espace gestuel et l'espace des objets,
celui de l'accommodation motrice au monde extérieur » (Wallon,
1954)26(*).
2.7.1.2-
Approche psychanalytique : Paul Schilder
Selon
Schilder. L'image du corps, c'est l'image de notre propre corps que nous
formons dans notre esprit, autrement dit la façon dont notre corps nous
apparait à nous
Mêmes.
Schilder définit ce dernier comme «l'image tridimensionnelle que
chacun a de soi-même. Il voit donc le schéma corporel comme un
« standard » spatial, qui nous permet d'avoir une connaissance de la
posture, du mouvement, de la localisation de notre corps dans l'espace et de
son unité. Ce modèle postural du corps n'est pas une
entité statique, fixe, elle est dynamique, c'est-à-dire,
changeante, en croissance, « en perpétuelle auto-construction et
autodestruction interne. (Schilder, 1968)27(*)
2.7.1.3-
Jacques Lacan
Pour
Lacan, l'immaturité proprioceptive du nourrisson lui fait
apparaître son corps comme morcelé, ce manque d'unité du
corps ayant un effet anxiogène. La relation fusionnelle avec sa
mère semble être le seul moyen de satisfaire les données
proprioceptives éparpillées et ainsi d'atténuer l'angoisse
de morcellement. Ce n'est qu'aux environs de 6 mois, que la perception visuelle
a une maturation suffisante pour permettre la reconnaissance d'une forme
humaine. Ceci ne manque pas d'entraîner une modification dans
l'éprouvé affectif et mental du corps : « en prolongement,
en fusion plutôt avec les données proprioceptives
morcelées, viendront s'inscrire les données visuelles
liées au corps de l'Autre ; soudainement s'unifiera, sous la forme de la
`'représentation inconsciente'', ou Imago, cette image de l'Autre, et
à travers elle, la proprioceptivité qui lui était
liée » (Lacan, 1966). A ce moment, on peut observer l'enfant qui
jubile devant le miroir. Cette expérience féconde et riche,
liée à l'apparition de l'imago de l'Autre, est identifiée
par Lacan comme le « stade du miroir ». Cette identification
primordiale va permettre la structuration du « Je »,
l'expérience d'un corps unifié, et va mettre un terme à ce
vécu psychique du fantasme du corps morcelé.28(*)
2.7.1.4-
Françoise Dolto
Pour
Dolto, l'image du corps du sujet est faite des superpositions des images
passées de son corps et de l'image actuelle. Cette image est le lieu
d'intégration des zones de ce corps investies par des échanges
structurants et créatifs. Dans cette optique, le corps devient un lieu
de langage archaïque, non-verbal, une forme dynamiquement structuré
d'un système de significations. Dolto insiste pour « ne pas
confondre image du corps et schéma corporel » (1984, )29(*) elle en propose une
distinction systématique :
2.8-
L'identité et les identifications
L'adolescence
est aussi l'âge ou le sujet s'aperçoit plus ou moins consciemment
à quel point il était jusque là tributaire du rêve
de ses parents, déplacé sur lui. Et qu'il doit remettre en cause
ce qui lui servait alors de repère. Ce qui anime son désir n'est
plus un idéal à accomplir, et les parents doivent comprendre son
intransigeance et ses attitudes d'opposition non comme des attaques
dirigées contre eux mais plutôt comme des tâtonnements qui
l'aident à mieux cerner et faire valoir ce qu'il désire.
Comme nous l'avons vu, il y a un besoin chez l'adolescent de se
détacher des parents mais aussi de faire le deuil du lien aux parents de
la petite enfance. Pour Peter BLOS il s'agirait d'un « second processus de
séparation-individuation ».30(*) Pour Peter BLOS, l'adolescent devrait donc, pour
grandir, se séparer des représentations internes parentales pour
leur substituer de nouveaux objets d'investissement. L'adolescent cherche alors
de nouveaux modèles d'identification. L'identification est « le
processus généralement inconscient par lequel un individu
assimile l'aspect, la propriété, l'attribut d'un autre et se
transforme en partie ou parfois même en totalité suivant le
modèle de celui-ci ».31(*) En ce qui concerne l'identité, il semble
qu'elle soit étroitement liée aux identifications. Pour
KESTEMBERG « Identité et identification sont pratiquement un seul
et même mouvement. On retrouvera dans l'adolescence et à la faveur
du remaniement biologique et avec une acuité particulière, cette
constante communication anxieuse entre l'autre et soi-même, entre
l'identification et l'identité.32(*) A l'adolescence, la constitution de l'identité
du sujet s'appuie donc de plus en plus sur des modèles extra familiaux.
Mais comme le souligne Alain BRACONNIER et Daniel MARCELLI : «
L'adolescent intègre peut être encore plus profondément
qu'avant une partie identificatoire aux deux parents et en particulier au
parent du même sexe. Nous pouvons dire ici « plus
profondément » en raison de la nécessité de se
reconnaître comme différent et autonome de ce parent tout en
s'appuyant au plus profond de soi sur ce qui a pu s'intérioriser de
l'image parentale ».33(*)
Tout
se passe comme si l'adolescent devait se séparer de ceux auxquels il
doit s'identifier. Marcelli souligne l'intérêt du groupe, de la
bande dans cette quête identitaire. Elle donne à l'adolescent
à la fois « une protection, une possibilité de
régression mais aussi un étayage identificatoire de transition
(...) qui permet au jeune de se différencier de l'image paternelle en
cherchant à prélever des fragments d'identité sur les
différents
membres
de la bande tout en s'affirmant lui même porteur de traits paternel mais
à l'extérieur du cadre familial : au milieux des copains, il peut
laisser parler le père qui est en lui sans que cet aveu soit source de
soumission, de faiblesse ou d'allégeance ».34(*)
Cet
anticonformisme exalté étant d'ailleurs plus le fait du sexe
masculin plus enclin à des réactions tournées vers
l'extérieur.
2.9- La crise à l'adolescence
L'adolescence
apparaît avec la puberté lorsque les bouleversements hormonaux
entraînent des changements aussi bien physiologiques que psychologiques.
La crise est le témoin d'un moment critique du développement
humain et en même temps l'expression d'un travail psychique au service de
ce développement. C'est pourquoi on parle de crise d'adolescence, qui
est aujourd'hui bien admis, voire considéré comme un passage
obligé, une période transitoire de la vie. Ce terme de «
crise » suppose que l'on reconnaît une spécificité
adolescente, mais qu'il s'agit d'une période sensible, une
période d'affrontement. Il ne s'agit pas de considérer toutes les
manifestations de l'adolescence comme pathologiques dès lors qu'elles
sont conflictuelles et perturbantes. Il ne s'agit pas non plus de banaliser ou
de sous estimer les manifestations de désarroi les plus violentes La
différence entre normal et pathologique est parfois difficile à
faire par l'entourage.
2.10-
Situation des adolescents en Haïti
En
Haïti certains enfants, au cours de leur période d'adolescence,
travaillent ou se retrouvent en situation de domesticité ; certains
d'entre eux vivent dans les rues et essuient les voitures. Certains d'entre eux
ne jouent pas assez pour leur âge, d'autre ne font presque pas de sport.
Dans les pays occidentaux, on devient adultes quand on travaille ; en
Haïti, le taux de chômage est très élevé, il
atteint 65% de la population active. Cette situation de pauvreté affecte
également les adolescents. Passés l'âge d'adolescence,
certains vivent encore chez leurs parents. Ils sortent difficilement de
l'adolescence. Et même quand ils prennent femme, ils vivent encore sous
le toit des parents.
Dans
son mémoire intitulé « Domesticité et estime de
soi à l'adolescence »35(*), Evenson Lizaire, parlant des adolescents qui vivent
en situation de domesticité en Haïti, croit que le plus souvent ces
adolescents commencent à travailler lorsqu'ils ont quitté le
foyer de leurs parents biologiques pour s'installer dans la famille d'accueil.
Généralement les adolescents qui vivent en domesticité
sont astreints à des travaux divers ; alimenter la maison en eau,
assurer la vente de petits commerces, accompagner les enfants à
l'école, accomplir d'autres tâches ménagères comme
la lessive et la vaisselle. Jean Robert Cadet, dans son livre,
Restavek36(*), affirme que
très souvent certains d'entre eux se lèvent de bonne heure et
dorment très tard en raison du volume de travail qu'ils ont à
accomplir.
Parfois,
poursuit-il, l'enfant ou l''adolescent peut être prêté par
un(e) ami(e) de sa personne responsable pour accomplir ces mêmes taches.
* 22 DOLTO Françoise,
Paroles pour adolescents ou le complexe du homard, Hatier. Paris 1990,
107p.
* 23 RICHARD François,
Les troubles psychiques a l'adolescence. Dunod, Paris 1998. P26
* 24 Id
* 25 FREUD Sigmund, Trois
essaies sur la théorie sexuelle. Folio essays, Ed Gallimard. Paris
1987, 165p.
* 26 WALLON H,
« Kinesthésie et image visuelle du corps propre chez
l'enfant », Bulletin psychologique. 1954, vol VII
p.239-246
* 27 SCHILDER Paul,
L'image du corps. Gallimard. 1968, P 35.
* 28 LACAN Jacques, Le stade du
miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est
révélée dans l'expérience psychanalytique.
Ecrits. Paris 1966, Seuil, p. 93-100.
* 29 DOLTO Françoise,
L'image inconsciente du corps. Paris : Editions du Seuil, 1984, P
17
* 30 BLOS Peter, Les
adolescents, Stock. Paris 1967, 208 p.
* 31 BRACONNIER Alain,
MARCELLI Daniel et al L'adolescence aux 1000 visages. Edition Odile
Jacob. Paris, 1991, p55
* 32 KESTEMBERG Evelyne, Les
troubles psychiques à l'adolescence, in François Richard, Dunod,
Paris. 1998. p42
* 33 Ibid P 55
* 34MARCELLI Daniel, « Les
copains, l'amie» in Le lien groupal à l'adolescence,
Dunod, Paris 2000. P 219
* 35 LIZAIRE Evenson,
Domesticité et estime de soi à l'adolescence. P Port-au-Prince,
UEH, Fasch, 2007. 103p, pp78.
* 36 CADET Jean Robert,
Restavek, enfants esclaves en Haïti, University of Texas, Austin
1997.106p.
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