HEC Montréal
La microfinance pour les femmes et le tableau de bord de
gestion
par
Alaa Benhammida
Sciences de la gestion
(Contrôle de gestion)
Mémoire présenté en vue de
l'obtention
du grade de maîtrise ès sciences
(M. Sc.)
Avril 2013
(c) Alaa Benhammida, 2013
ii
« [...] quand une fois la division du travail est
généralement établie, un homme ne peut plus appliquer son
travail personnel qu'à une bien petite partie des besoins qui lui
surviennent. Il pourvoit à la plus grande partie de ces besoins par les
produits du travail d'autrui achetés avec le produit de son travail, ou,
ce qui revient au même, avec le prix de ce produit. Or, cet achat ne peut
se faire à moins qu'il n'ait eu le temps, non seulement d'achever tout
à fait, mais encore de vendre le produit de son travail. Il faut donc
qu'en attendant il existe quelque part un fonds de denrées de
différentes espèces, amassé d'avance pour le faire
subsister et lui fournir, en outre, la matière et les instruments
nécessaires à son ouvrage. Un tisserand ne peut pas vaquer
entièrement à sa besogne particulière s'il n'y a pas
quelque part, soit en sa possession, soit en celle d'un tiers, une provision
faite par avance, où il trouve de quoi subsister et de quoi se fournir
des outils de son métier et de la matière de son ouvrage,
jusqu'à ce que sa toile puisse être non seulement achevée,
mais encore vendue. Il est évident qu'il faut que l'accumulation
précède le moment où il pourra appliquer son industrie
à entreprendre et achever cette besogne. »
Adam Smith (1776, Livre II), La Richesse des Nations
iii
Sommaire
Ce mémoire a pour objectif d'étudier la
possibilité d'utiliser le tableau de bord de gestion dans le cadre des
institutions de microfinance, notamment celles dont la stratégie est
axée autour des femmes. Ces institutions sont en majeure partie à
but non lucratif, et elles poursuivent souvent des missions sociales visant
à améliorer le niveau de vie de leur clientèle. Toutefois,
elles doivent pouvoir mettre en place un modèle d'affaire qui permette
de garantir la pérennité financière sur le long terme afin
de pouvoir atteindre leurs missions sociales.
Dans ce sens, le tableau de bord de gestion nous apparait
comme un outil de gestion utile pour étudier la performance de ces
institutions et les aider à optimiser leur chaine opérationnelle.
Nous avons donc analysé la performance de deux institutions de
microfinance dont la stratégie est axée autour des femmes, et
nous pensons avoir pu établir des diagnostics conformes à la
réalité. Ces analyses ont été faites grâce
à un tableau de bord élaboré selon le modèle de
Kaplan et Norton, modèle auquel nous avons dû apporter quelques
modifications pour adapter l'outil au contexte particulier de ces
institutions.
Mots clés : Microfinance, tableau
de bord, femmes, institution de microfinance, microcrédit, indicateur de
performance, carte stratégique, IMF.
iv
Table des matières
SOMMAIRE
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
REMERCIEMENTS
|
III
VI
VII
|
IV
|
CHAPITRE 1
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1
|
INTRODUCTION
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|
1
|
REVUE DE LITTÉRATURE
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5
|
|
CHAPITRE 2
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5
|
LE TABLEAU DE BORD
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5
|
Introduction
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5
|
I. Historique du tableau de bord
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6
|
II. Un outil de gestion de la performance
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|
9
|
III. Un outil de communication de la stratégie
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11
|
IV. Les critiques du Tableau de Bord
|
|
13
|
|
CHAPITRE 3
|
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16
|
LA MICROFINANCE
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16
|
I. La finance pour les plus petits
|
|
16
|
Introduction
|
|
16
|
1. Un besoin existant
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|
17
|
2. L'importance des entrepreneurs dans les pays en
développement
|
|
17
|
3. L'asymétrie de l'information comme obstacle au
prêt
|
|
19
|
II. Le microcrédit
|
|
20
|
1. Fournisseurs informels
|
|
20
|
2. Organismes non gouvernementaux
|
|
21
|
3. Institutions de microfinance formelles
|
|
21
|
4. Des méthodes de prêts variées
|
|
22
|
III. Les institutions de microfinance
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27
|
1. Bref historique
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27
|
2. Le champ d'action d'une IMF
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28
|
3. La sélection des projets
|
|
29
|
4. Le manque d'outils de gestion appropriés pour la
gestion des risques
|
|
30
|
IV. Mesurer la performance des institutions de microfinance :
un état des lieux
|
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33
|
1. Performance financière
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33
|
2. Performance sociale
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36
|
3. Conclusion
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39
|
|
V. Pertinence du choix des femmes
|
|
40
|
1. Un aperçu de l'inégalité entre l'homme
et la femme
|
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40
|
2. De l'inégalité quant à l'accès
au financement
|
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41
|
|
3. L'autonomie de la femme
|
|
42
|
4. La femme est-elle un meilleur client que l'homme?
|
|
43
|
VI. Conclusion
|
|
44
|
CADRE CONCEPTUEL
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45
|
|
CHAPITRE 4
|
|
45
|
Introduction
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|
45
|
I. La carte stratégique
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48
|
1. La carte stratégique et le tableau de bord
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48
|
2. Le choix des perspectives stratégiques
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50
|
3. Exemples de cartes stratégiques pour les IMF
|
|
51
|
II. Modèle théorique
|
|
55
|
1. Rappel de la revue de littérature
2. Présentation du modèle
III. Conclusion
ÉTUDES DE CAS
|
64
|
v
55
57
63
|
CHAPITRE 5
|
|
64
|
Introduction
|
|
64
|
I. Bandhan Financial Services
|
|
65
|
1. Situation socioéconomique de la femme indienne
|
|
66
|
2. Environnement politique et économique
|
|
66
|
3. La microfinance indienne
|
|
67
|
|
4. Bandhan Financial Services
|
|
68
|
5. Analyse de performance
|
|
71
|
II. FONDEP
|
|
83
|
1. Situation socioéconomique de la femme marocaine
|
|
83
|
2. Environnement politique et économique
|
|
84
|
3. La microfinance marocaine
|
|
85
|
4. Fondep
|
|
86
|
5. Analyse de performance
|
|
88
|
Synthèse
|
|
98
|
CHAPITRE 6
|
|
101
|
CONCLUSION
|
|
101
|
ANNEXES
|
107
|
|
ANNEXE 1 : INDICATEURS DE PERFORMANCE
|
|
108
|
ANNEXE 2 : PROPOSITION DE TABLEAU DE
BORD
|
|
110
|
BIBLIOGRAPHIE
|
|
111
|
vi
Liste des figures et des tableaux
PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LE PRÊT DE GROUPE
ET LE PRÊT INDIVIDUEL 25
DIFFÉRENTS TYPES DE RISQUES AUXQUELS FONT FACE LES
INSTITUTIONS DE MICROFINANCE 32
CONSIDÉRATIONS IMPORTANTES POUR LE TABLEAU DE BORD
46
EXEMPLE SIMPLIFIÉ D'UNE CARTE STRATÉGIQUE 49
LABIE (2005) - TABLEAU DE BORD POUR LES ORGANISATIONS DE
MICROFINANCE 52
MICROFINANCE CENTER (MFC, 2007) - CARTE STRATÉGIQUE
TYPIQUE POUR UNE IMF 53
EXEMPLES D'INDICATEURS DE PERFORMANCE DE LA LITTÉRATURE
ACADÉMIQUE 56
PROPOSITION DE TABLEAU DE BORD DE GESTION 62
PRODUITS FINANCIERS DE LA BANDHAN FINANCIAL SERVICES 70
TABLEAU DE BORD POUR LA BANDHAN FINANCIAL SERVICES
ENTRE 2009 ET 2011 72
LIENS DE CAUSE-À-EFFET PRÉSUMÉS SUITE
À L'ÉTUDE DE CAS DE LA BANDHAN FINANCIAL SERVICES
82
TABLEAU DE BORD POUR LA FONDEP ENTRE 2009 ET
2011 90
vii
Remerciements
Le mémoire de maitrise constituait pour moi l'occasion
d'approfondir mes connaissances dans un sujet qui me passionnait et que je
n'aurai pas forcément l'occasion d'étudier à
l'université ou pendant mon expérience professionnelle. Depuis
que j'ai découvert le monde de la microfinance, j'y ai trouvé un
domaine enthousiasmant, utile et qui méritait plus d'attention.
Toutefois, l'écriture de ce mémoire n'a pas été une
tâche facile pour moi, et le travail a été
particulièrement long et laborieux. C'est grâce à certaines
personnes que j'ai pu y arriver, et j'aimerais profiter de l'occasion pour les
remercier.
Je tiens d'abord à remercier mon directeur, Monsieur
Claude Laurin, pour son soutien inconditionnelle pendant la rédaction de
ce mémoire, mais aussi pendant mes études. Il a été
mon coach, mon professeur et mon directeur, et j'ai pu compter sur son soutien
à plusieurs reprises. Merci.
Je tiens aussi à remercier ma directrice de
mémoire, Madame Marlei Pozzebon, pour ses précieux conseils et
pour m'avoir permis de me dépasser plus loin que je ne m'en pensais
capable.
Je souhaite également remercier des amis très
précieux qui m'ont permis d'aller au bout de ce mémoire, Mehdi,
Marc et Badr, ainsi que ma copine, Mélanie.
Enfin, je ne remercierai jamais assez mes parents, Yamna
Ghabbar et Khalil Benhammida, pour avoir toujours été là
pour moi. Et merci aussi à mon petit frère, Sami, qui ne m'a pas
vraiment aidé pour ce mémoire, mais qui fait partie des trois
personnes les plus importantes pour moi, et que j'aime le plus.
Chapitre 1
According to the State of the Microcredit Summit Campaign
2001 Report, 14.2 million of the world's poorest women now have access to
financial services through specialized microfinance institutions (MFIs), banks,
NGOs, and other nonbank financial institutions. These women account for nearly
74 percent of the 19.3 million of the world's poorest people now being served
by microfinance institutions. Most of these women have access to credit to
invest in businesses that they own and operate themselves. The vast majority of
them have excellent repayment records, in spite of the daily hardships they
face. Contrary to conventional wisdom, they have shown that it is a very good
idea to lend to the poor and to women.
Cheston et Kuhn (2002 pg. 4)
Introduction
Dans les décennies qui ont suivies la seconde guerre
mondiale, il était généralement admis que les plus
démunis ne pouvaient avoir accès à des services financiers
(McGuire et Conroy, 2000). L'Europe avait pourtant connu l'émergence de
plusieurs systèmes, plus ou moins formels, de dépôts et de
crédits collectifs au cours du 19ème siècle
(Seibel, 2003). Depuis lors, la microfinance s'est de plus en plus
imposée comme un outil clef pour la lutte contre le chômage, la
pauvreté, ou encore l'exclusion sociale et financière (Commission
Européenne, 2007). Des compagnies de service-conseil tentent même
de standardiser un système de notation pour l'évaluation de la
performance des IMF (Planet Finance, M-CRIL...).
Avant de pouvoir mesurer la performance des institutions de
microfinance, il s'agit d'abord de définir celle-ci, et cet exercice ne
semble pas évident comme le soulignent Nanayakkara et Iselin (2012).
Nous pensons que le progrès et le développement du secteur de la
microfinance passe par une meilleure gestion des ressources, et l'utilisation
d'un système de mesure de la performance à l'interne peut
être bénéfique dans ce sens. En effet, les institutions de
microfinance poursuivent à la fois un objectif social à travers
des
Chapitre 1 : Introduction 2
programmes de lutte contre la pauvreté, mais elles
doivent aussi gérer leur propre santé financière, et
restent en grande partie subventionnées. À ce propos Lashley
(2004) dit :
Par essence, la nature complexe de ce problème
réside dans les parties prenantes qui ne définissent pas ce qu'on
entend par une microfinance réussie. À moins que les
gouvernements, les donateurs et les prestataires de microfinance ne puissent
explicitement et stratégiquement définir la mission de la
microfinance, le mouvement de la microfinance (...) continuera à
patauger. Que signifie le terme « microfinance réussie »?
Est-ce l'autonomie institutionnelle, la hausse des revenues durables au-dessus
du seuil de pauvreté, ou un secteur de micro entreprises performant?
Effectivement, il peut être toutes ces choses.
(Lashley, 2004 pg. 93)
Sur la scène publique, le microcrédit est au
coeur d'une polémique qui remet en question son apport réel
à la société, et aux pauvres plus spécifiquement.
On critique, entre autres, le fait que les taux d'intérêts
appliqués par les IMF sont beaucoup plus élevés que ceux
du marché. Par exemple, aux Philippines, Fernando (2006)
recense des taux d'intérêts de 30% à 70%,
et Hamm (2008) parle même de taux d'intérêts
dépassant les 100% annuels pour la banque Compartamos du
Mexique.
D'un autre côté, ceux qui défendent
l'emprunt aux plus démunis ne manquent pas de souligner le réel
besoin de microcrédits dans la société actuelle. Dans le
Rapport Annuel 2010 de l'Observatoire de la Microfinance (France, 2010),
on peut lire que les statistiques du Fonds de Cohésion Sociale
notent une augmentation d'environ 43% de la distribution de
microcrédits personnels en France, après une augmentation de 55%
en 2009.
De telles statistiques sont nombreuses et sont
constatées partout où les initiatives de microcrédits
existent. Dans son livre, A World Without Poverty, Mohamed Yunus
(2007) explique le succès du microcrédit par le fait que
ce système constitue le seul apport de capitaux formel d'une population
démunie. L'auteur affirme, par ailleurs, que les taux
d'intérêts du système informel sont plus grands que les
taux appliqués par les IMF, et l'accès au crédit dans le
système financier traditionnel est quasi inexistant (Yunus et
Chapitre 1 : Introduction 3
Chapitre 1 : Introduction 4
Weber, 2007). L'emprunt auprès des IMF reste donc une
alternative valable pour cette population, et les taux d'intérêts
élevés permettent à ces banques de couvrir les coûts
opérationnels et les risques engagés.
Néanmoins, les problèmes d'autosuffisance et de
financement des banques constituent des difficultés majeures pour les
acteurs de cette industrie, et ces problèmes nous intéressent
particulièrement pour les fins de notre étude. Des études
axées sur le développement de système de gestion pour le
microcrédit sont peu nombreuses. Les études sur le terrain et les
expériences sont certes innombrables, mais la littérature
académique présente très peu d'études à ce
sujet. En étudiant le Balanced Scorecard de Kaplan et Norton,
nous avons fait l'hypothèse qu'un tel outil de gestion pourrait aider
les IMF à mieux gérer leurs efforts et leurs coûts
opérationnels.
L'objectif de cette étude est donc d'élaborer un
système de contrôle de gestion de type Balanced Scorecard
(BSC) afin de pouvoir établir un diagnostic fiable de la
performance d'une IMF. Les évaluations externes peuvent coûter
très cher pour une IMF, et les informations tirées de ces
évaluations peuvent être très utiles afin de se situer dans
l'atteinte de sa mission. Il est peu réaliste pour une IMF de faire
appel à une agence externe de manière périodique. Le
tableau de bord nous apparait donc comme un outil pertinent pouvant soutenir un
bon contrôle à l'interne de l'institution. En effet, les
gestionnaires d'IMF, comme ceux d'autres organismes sans but lucratif tels que
des hôpitaux, sont contraints de devoir gérer la stabilité
financière de leurs institutions en offrant un maximum de services
à la population. Toutefois, la pression des besoins financiers les
amène à en oublier la vision stratégique globale (Inamdar,
Kaplan et Bower, 2002). Un tableau de bord de gestion permettrait de ne pas
dévier de la raison d'être de l'IMF en divisant les objectifs
stratégiques à long terme en plusieurs sous indicateurs de
performance financiers et sociaux.
Enfin, nous nous intéressons aux cas spécifiques
des institutions ciblant un marché féminin par
intérêt personnel pour ces institutions. En fait, les raisons qui
poussent ces IMF à élaborer une stratégie axée
autour des femmes nous ont convaincu de centrer notre étude sur ce type
d'institutions. L'emprunt à ces femmes a pour principal objectif de les
rendre financièrement et socialement indépendantes (Cheston et
Kuhn, 2002). Dans certains pays,
la structure sociale donne peu de liberté à la
femme qui se trouve à avoir moins d'accès au crédit ou
même à un emploi formel, mais qui se retrouve surtout avec un plus
faible poids sur les décisions familiales que le mari (Pitt, Khandker et
Cartwright, 2006). Au niveau d'un tableau de bord adapté
spécifiquement aux IMF dont la stratégie est axée autour
des femmes, la question se pose quant à l'influence qu'aurait une telle
stratégie sur le tableau de bord en question : Quelles
différences présenterait ledit tableau de bord par rapport
à un outil similaire développé pour les institutions de
microfinance en général? Ces adaptations sont-elles
justifiées? Apportent-elles de l'information de gestion pertinente?
Une telle étude s'inscrit comme une adaptation de l'un
des outils les plus modernes et les plus reconnus en matière de gestion
de la performance financière. Pour développer notre modèle
théorique de tableau de bord, nous commencerons par élaborer une
revue de littérature en portant une attention particulière sur le
modèle développé par Kaplan et Norton au début des
années 1990. Alors que certains auteurs, comme Gumbus et Lussier (2006),
font état du bénéfice que pourrait tirer une PME de
l'utilisation d'un tableau de bord, d'autres critiquent le manque de
flexibilité de l'outil (Voelpel, Leibold et Eckhoff, 2006).
Par la suite, nous développerons sur les
caractéristiques importantes de l'industrie de la microfinance, en
mettant l'emphase sur la demande actuelle d'un système financier
adapté aux plus pauvres. Enfin, nous conclurons la revue de
littérature sur les possibilités que présentent les deux
éléments d'étude, afin de pouvoir présenter le
tableau de bord retenu pour nos études de cas dans le cadre conceptuel
au troisième chapitre.
5
Revue de littérature
Chapitre 2
Le tableau de bord
Introduction
Le tableau de bord est un outil de gestion permettant de
mesurer la performance d'une entreprise. Dans ce sens, il permet un soutien
informationnel à l'organisation pour une meilleure prise de
décision et une direction plus réfléchie des
opérations et de la stratégie d'ensemble. Un outil de gestion et
de mesure de la performance permet, entre autres, à une entreprise de
répondre aux questions suivantes : Avons-nous la bonne stratégie
? Atteint-on nos objectifs ? Quels sont nos points faibles à corriger ?
Les clients sont-ils satisfaits ? Quel contrôle avons-nous sur les
opérations de l'entreprise ? etc.
Une mesure de performance est une unité de mesure
permettant d'évaluer un aspect spécifique de l'organisation. Elle
est toujours liée à un objectif à atteindre. Elle peut
prendre une dimension temporelle, dimensionnelle, monétaire, statistique
ou autre. Un centre hospitalier pourrait avoir intérêt à
connaitre le nombre de patients par centre de service, par exemple. Cette
information constitue une mesure de performance pour le cas
étudié. Une bonne mesure de performance devrait avoir plusieurs
qualités. Elle se doit, entre autres, d'être
compréhensible, précise et compatible avec le système
d'information interne, en plus de refléter fidèlement la
réalité. (Crampton et al., 2004).
Chapitre 2 : Le tableau de bord 6
Chapitre 2 : Le tableau de bord 7
Le tableau de bord comprend donc d'un ensemble de mesures de
performance et permet un soutien informationnel fiable pour les organisations.
Nous commencerons par faire un bref survol de l'historique de cet outil, avant
d'expliquer plus en détail en quoi cet outil est un outil de
communication de la stratégie et de la gestion de la performance, pour
conclure sur les principales critiques de la littérature
vis-à-vis de cet outil.
I. Historique du tableau de bord
Kaplan et Norton ont rendu célèbre le tableau de
bord dans un article de 1992, publié dans le Harvard Business Review
: « The Balanced Scorecard : Measures That Drive Performance ».
Ce texte est issu de la volonté des deux chercheurs de mesurer les
facteurs à l'origine de la performance d'une institution. Selon un credo
partagé avec Lord Kelvin, physicien britannique de la fin du
19ème siècle :
If you cannot measure it, you can't improve it.
Le tableau de bord s'articule donc comme un outil de gestion
regroupant un ensemble de mesures qui offrent au gestionnaire l'information
nécessaire à la bonne prise de décision dans
l'organisation. Autant pour les gestionnaires que pour les scientifiques, une
prise de mesure adéquate, ciblée et précise est
essentielle. La publication du texte en 1992 a entrainé l'adoption du
tableau de bord par plusieurs organisations publiques ou privées pour
l'implémentation de leur stratégie. Toutefois, le tableau de bord
en tant qu'outil de gestion et de mesure de la performance n'est pas une
idée nouvelle au début des années 1990, puisque d'autres
organisations avaient déjà adopté un modèle
semblable auparavant.
Parmi les pus anciens modèles de tableaux de bord,
certains se trouvent en France. À l'époque, le tableau de bord
était surtout le fruit du travail d'ingénieurs, dont la
volonté était d'offrir un outil aux dirigeants et aux
ingénieurs pour ne pas qu'ils perdent de vue leurs organisations, et
pour leur permettre de les observer et de les analyser de la manière la
plus efficace et efficiente possible (Lebas, 1994). Cet outil est venu
modéliser ce qui
n'était pas visible, permettant ainsi de
représenter et synthétiser la réalité de
l'organisation. Selon Pezet (2007), à partir de la seconde
moitié du 19ème siècle, les dirigeants
élaborent un système d'information de gestion présentant
les données, pour l'essentiel sous forme narrative, au travers d'un
« rapport hebdomadaire » ou « journal de marche ».
La révolution industrielle entraine la croissance de la taille des
entreprises et leur complexité. Le besoin des gestionnaires de plus
d'informations statistiques descriptives de la réalité
opérationnelle se fait de plus en plus important. En 1936, Robert Satet
(Pezet, 2007) propose un contrôle budgétaire permettant
la direction rationnelle des affaires. À travers son contrôle
budgétaire, il propose l'adoption d'une « documentation
appropriée », ou ce qu'il définit aussi comme des
« statistiques dont une sélection judicieuse est de rigueur
pour atteindre le but que l'on se propose ». Par exemple, Satet
considère dans le cas d'une organisation textile trois groupes de
statistiques : statistiques commerciales et économiques, statistiques
industrielles et statistiques financières. Ce système de gestion,
que Satet regroupe dans un contrôle budgétaire, semble
déjà définir les fondements de ce qu'on appellera plus
tard le tableau de bord.
Un modèle plus proche de la conception actuelle du
tableau de bord remonte au début des années 1950, avec le projet
de General Electric (GE) de développer les mesures de performance de ses
unités d'affaire (Kaplan et Norton, 2001). Pour ce faire,
l'équipe en charge du projet développa huit axes financiers et
non financiers de mesure de la performance tels qu'ils apparaissent dans cette
liste :
· Profitabilité
· Part de marché
· Productivité
· Leadership du produit
· Responsabilité sociale
· Développement des ressources humaines
· Attitudes des employés
· Balance entre objectifs long terme et court terme
Chapitre 2 : Le tableau de bord 8
Avec l'expérience de GE, le tableau de bord
n'était plus un outil de gestion réservé à la haute
direction. En étudiant le cas de GE, Drucker (1958) introduit
le management par objectif et soutient ainsi une démocratisation de
l'outil à tous les paliers de l'entreprise. À travers un choix
judicieux d'objectifs de performance pour chaque employé, une
organisation pourra atteindre une performance plus intéressante et plus
profitable pour les actionnaires :
Each manager, from the «big boss» down to the
production foreman or the chief clerk, needs clearly spelled-out objectives.
These objectives should lay out what performance the man's [sic] own managerial
unit is supposed to produce. They should lay out what contribution he and his
units are expected to make to help other units obtain their objectives. [...]
These objectives should always derive from the goals of the business
enterprise. [...] Managers must understand that business results depend on a
balance of efforts and results in a number of areas. [...] Every manager should
responsibly participate in the development of the objectives of the higher unit
of which his is a part. [...] He must know and understand the ultimate business
goals, what is expected of him and why, what he will be measured against and
how.
(Drucker, 1958, pg. 126, cité par Kaplan
2008)
L'approche de Drucker est intéressante puisqu'elle
implique une intégration de l'employé avec l'organisation.
L'employé est plus impliqué dans la gestion de l'organisation et
sa participation et compréhension de la stratégie sont mises
à profit.
Plus tard, dans les années 1960, Robert
Anthony propose un cadre global de planification qui propose trois types de
systèmes de contrôle : contrôle de la planification
stratégique, de gestion et d'exploitation. Il rejoint Drucker dans une
proposition de système basé sur la décision d'objectifs,
et la définition des ressources nécessaires à l'atteinte
de ces objectifs. Il définit la planification stratégique
ainsi:
Chapitre 2 : Le tableau de bord 9
The process of deciding upon objectives, on changes in
these objectives, on the resources used to attain these objectives, and on the
policies that are to govern the acquisition, use, and disposition of these
resources
(Kaplan, 2008, pg. 6)
Il se fait précurseur de ce que l'on définira
plus tard comme la carte stratégique, puisqu'il soutient que la
planification doit reposer « sur une estimation d'une relation de
cause-à-effet entre le cours d'une action et un résultat
désiré » (Kaplan, 2008, pg. 6).
Durant les décennies qui ont suivi,
l'établissement des objectifs est devenu un exercice bureaucratique
administré par le département des ressources humaines. Les
objectifs à atteindre étaient établis en fonction du poste
professionnel, rendant la remise en cause de ces objectifs et leur adaptation
à l'évolution de l'entreprise difficile. Le modèle de
Kaplan et Norton tente donc de rompre avec l'inflexibilité relative
à l'établissement des mesures de performance, tout en proposant
des lignes directrices pour générer un tableau de bord
équilibré. Au lieu de proposer des mesures de performance
standards et inflexibles, le modèle de Kaplan et Norton insiste
plutôt sur une structure selon quatre axes : finance (1), client (2),
processus internes (3) et apprentissage et innovation (4).
II. Un outil de gestion de la performance
«What you measure is what you get»
Grâce à leur article « The Balanced
Scorecard - Measures that drive performance » (Kaplan et Norton,
1992), le tableau de bord gagne en popularité auprès des
gestionnaires et de la communauté scientifique. Le système de
mesure de la performance traditionnel, principalement axé sur des
mesures financières, était efficace pendant l'ère
industrielle, marquée par la production de masse et la
démocratisation de la mécanisation dans les organisations (Pezet,
2007). Toutefois, avec la mondialisation des échanges,
l'émergence des marchés asiatiques et la forte
compétitivité entre les marchés européens et
nord-américains, il fallait trouver un système de mesure de la
performance qui permette d'être
Chapitre 2 : Le tableau de bord 10
encore plus efficace et efficient dans la synergie des efforts
des ressources humaines. Alors que Kaplan et Norton proposaient un tableau de
bord équilibré entre mesures de performance
financières et non financières, une autre école de
pensée rejetait complètement l'utilisation des mesures de
performance financières :
« Forget the financial measures. Improve operational
measures like cycle time and defect rates; the financial results will
follow.»
(Kaplan, 2008, pg. 2)
Les recherches de Kaplan et Norton ont montré que les
gestionnaires d'expérience ne s'appuient pas seulement sur une seule
catégorie de mesures mais plutôt sur un jeu varié de
celles-ci, une combinaison qui puisse donner une vision globale de la gestion
de l'organisation en mesurant ses activités clefs. Ils veulent une
présentation équilibrée entre mesures financières
et mesures non financières.
Les deux auteurs donnent plus de précision sur leur
modèle de BSC en 1996, à travers l'article « Using the
BSC as a strategic management system » (Kaplan et Norton, 1996a).
Le BSC de Kaplan et Norton divise la vision et la stratégie d'une
organisation en quatre perspectives distinctes pour la mesure de la performance
:
l La perspective financière : quelle relation
l'organisation entretient-elle avec ses parties prenantes ? La gestion du
financement, des liquidités et de tous les aspects financiers de
l'organisation est essentielle pour sa survie. Cette survie est mesurée
par le cash flow généré par les activités
de l'organisation, l'augmentation des ventes, la part de marché etc.
Pour que la gestion d'une organisation soit saine, il est essentiel pour le
gestionnaire de ne jamais perdre de vue de tels aspects de l'organisation.
l La perspective client : quelle image a
l'organisation aux yeux du consommateurs ? Des mesures axées autour de
la qualité du produit, du délai de livraison ou encore de la
qualité du service après-vente permettent aux gestionnaires
d'avoir une vision claire de la relation de l'organisation vis-à-vis du
client et de la satisfaction du client en regard de la prestation offerte.
l
Chapitre 2 : Le tableau de bord 11
La perspective processus internes : dans la chaine de
création de valeur, où l'organisation devrait-elle exceller ? Si
certaines organisations se distinguent par rapport à la concurrence,
elles se distinguent à travers un nombre très limité
d'aspects de leurs produits. Alors que Walmart se démarque par
ses prix très compétitifs, Fedex est plutôt connu
pour sa rapidité de livraison du courrier. C'est donc au niveau
opérationnel que ces deux organisations se doivent d'être
très performantes. Toutefois, ce ne sont pas les mêmes aspects
opérationnels qui devront être compétitifs chez Walmart
et chez Fedex.
l La perspective innovation et apprentissage :
l'organisation pourra-t-elle continuer à créer de la valeur
dans le futur ? Bien que l'organisation soit compétitive aujourd'hui,
rien ne garantit sa place dans quelques années. Kaplan et Norton
soulignent la grande importance d'investir dans les ressources humaines, et de
créer un climat d'innovation et de développement continuel dans
l'organisation pour qu'elle puisse rester d'avant-garde face à ses
concurrents.
Un tel projet de BSC donne en effet une vision assez large et
complète de l'organisation. Par ailleurs, les deux auteurs recommandent
de limiter les mesures de performance d'un tableau de bord à un nombre
total variant entre 16 et 24 mesures. Limiter le nombre de mesures permet de ne
pas disperser l'information et de se concentrer à choisir les mesures
réellement pertinentes pour la gestion.
III. Un outil de communication de la stratégie
Dans la pratique, le BSC est reconnu aujourd'hui pour le
support que cet outil apporte à la gestion stratégique et
à la communication entre la haute direction de l'organisation et la
gestion opérationnelle (Kaplan et Norton, 2000). Kerr (1995), dans son
article « On the folly of rewarding for A, while hoping for B »
montre l'importance d'avoir un système de
rémunération de la performance aligné avec les
intérêts de la direction. Dans le même sens, Larry D. Brady,
vice président exécutif de FMC Corporation en 1993, dit à
ce propos :
Chapitre 2 : Le tableau de bord 12
« If you are going to ask a division or the corporation
to change its strategy, you had
better change the system of measurement to be consistent
with the new strategy»
(Kaplan et Norton, 1992, pg. 144)
Gumbus et Lussier (2006) font un état du
bénéfice que pourrait tirer une PME de l'utilisation d'un tableau
de bord dans la gestion quotidienne de l'organisation. Ils partent d'une
constatation sur l'écart entre l'établissement d'une
stratégie et son application au niveau opérationnel :
« Researchers have clearly stated that companies of
all sizes are good at developing mission statements and strategies but poor at
implementing operational strategies to achieve them, and that they are poor at
measuring whatever they are achieving the mission and strategy. The BSC
addresses this problem by linking the mission to strategy and then translates
the strategy into operational objectives.»
(Gumbus et Lussier, 2006, pg. 407)
Le plus intéressant dans l'article de Gumbus et
Lussier, par rapport à notre étude, est l'importance que les
auteurs accordent à l'utilisation d'un tableau de bord dans la gestion
d'une PME, démocratisant ainsi la vision de certains quant à
l'exclusivité d'un tel outil aux grosses organisations. Parmi les
principaux avantages de l'utilisation de cet outil, les auteurs citent :
l Le soutien à la croissance : le tableau de bord
crée un équilibre entre intérêts à long terme
et à court terme.
l Le suivi de la performance : son utilisation permet de
créer un historique des objectifs atteints par l'organisation et ainsi
permet ainsi une analyse historique des buts atteints par les gestionnaires.
l Concentrer les efforts et la clarté des objectifs :
en établissant des objectifs à court terme contrôlables et
réalisables, les employés de l'organisation savent vers où
la direction s'oriente et gèrent ainsi leurs efforts en fonction de
cette orientation.
l
Chapitre 2 : Le tableau de bord 13
Alignement des intérêts : des mesures de
performance bien établies permettent d'aligner les efforts des
employés et des actionnaires et d'éviter le mieux possible les
actions opportunistes.
Si nous portons autant d'intérêt au tableau de
bord dans les PME, c'est parce que la grande majorité des IMF sont de
tailles moyennes. Qui plus est, la nature même des IMF fait de ces
institutions des organismes qui ne sont pas à la recherche d'une
maximisation des bénéfices ou de la valeur des actions. La
mission humanitaire derrière la création d'une IMF en fait une
organisation dont la gestion se rapproche d'un hôpital qui doit rendre
service à un maximum de personnes avec un budget et des entrées
de fonds limités. Si on la compare à un hôpital, une IMF
doit s'occuper de la santé financière de ses clients tout en
offrant des prix abordables et un accès facile à un maximum de
patients.
Toutefois, le tableau de bord à lui seul ne permet pas
d'atteindre de tels objectifs. Il n'est qu'un support de communication au sein
d'une équipe de gestion. La manière dont Kaplan et Norton ont
présenté l'outil suscite beaucoup de critiques, et bien qu'il se
veuille offrir de la flexibilité par rapport à ses
prédécesseurs, on lui reproche justement d'être une sorte
de tableau de bord « one size fits all ».
IV. Les critiques du Tableau de Bord
Il est en général admis que le tableau de bord
aide à réduire les incertitudes dans un environnement dynamique
tout en donnant des prévisions plus justes dans le processus
budgétaire. Cependant, certains auteurs ont questionné le tableau
de bord à propos de problématiques différentes.
Voelpel et al. (2006) proposent une faiblesse quant à
l'utilité et la bonne flexibilité du tableau de bord de Kaplan et
Norton dans le passage d'une économie industrialisée à une
économie de l'innovation. La problématique proposée par
les auteurs peut être illustrée
Chapitre 2 : Le tableau de bord 14
ainsi: L'outil est-il assez flexible pour s'adapter au
changement et fournir l'information utile et pertinente dans un monde en
perpétuelle évolution ?
La méthodologie de Kaplan et Norton suggère
l'implication de tous les employés, pour permettre la transmission de
l'information du haut vers le bas de la hiérarchie, mais aussi dans le
sens inverse. Les auteurs suggèrent un calendrier de 26 mois pour la
mise en place de la stratégie. Selon Voelpel, Leibold et Eckhoff (2006),
cette durée est trop longue dans un environnement de plus en plus
dynamique. Une autre critique intéressante renvoie directement à
la dimension recherche et développement du tableau de bord qui serait
trop centrée sur les travaux internes de l'entreprise, alors que les
sources de solutions innovantes sont désormais partagées
grâce aux nouvelles technologies de l'information. Le tableau de bord ne
prend en effet pas en compte ce nouveau paradigme.
Le modèle de Kaplan et Norton est également
critiqué lors de l'évaluation du rendement et des mesures
incitatives (Hope et Fraser, 2001). Les régimes incitatifs liés
directement à la carte stratégique et les actions punitives
contre les objectifs non atteints peuvent conduire à une baisse de la
productivité et aux mêmes inconvénients que la
budgétisation traditionnelle. Les gestionnaires peuvent craindre
d'être évalués sur des éléments non
contrôlables, surtout que les liens de cause à effet de la carte
stratégique ont été vivement critiqués dans la
littérature (Haas et Kleingeld, 1999). Bien que Kaplan et Norton soient
ouverts à l'intégration de nouvelles perspectives dans le tableau
de bord, ils ne discutent pas de la manière dont ces perspectives
pourraient être intégrées, ni comment les mesures de
performance doivent être intégrées entre elles (Norreklit,
2000). Otley (1999) constate que le tableau de bord est surtout centré
sur les intérêts des actionnaires (« shareholders »)
alors qu'il constitue d'abord un outil de gestion pour les parties
prenantes (« stakeholders »). Enfin, Butler, Letza et Neale
(1997) dénoncent le fait que le tableau de bord n'est pas suffisamment
flexible pour s'adapter à la culture et au jargon organisationnels.
En bref, le principal apport du tableau de bord est de
permettre une vision équilibrée de la performance d'une
organisation grâce à quatre différents aspects de la chaine
de production de valeur d'une organisation. Le modèle suggère
aussi un équilibre entre des indicateurs sur le court et le long terme.
Enfin, il permet de s'assurer que chaque action
Chapitre 2 : Le tableau de bord 15
stratégique aboutisse aux résultats
escomptés. Par contre, l'outil est critiqué pour son manque de
flexibilité et pour la complexité de son intégration dans
les opérations de l'entreprise. Qui plus est, non seulement les
perspectives de Kaplan et Norton ne donnent pas une vue complète de la
performance de l'organisation, mais en plus celles-ci ne s'intègrent pas
aussi bien d'une industrie à l'autre.
Dans le prochain chapitre, nous commencerons par faire un
survol de l'historique et des origines de la microfinance pour expliquer par la
suite les différents types de services qu'offre cette industrie. Nous
discuterons des difficultés rencontrées par certaines populations
à se procurer du crédit, et nous nous concentrerons sur le public
cible qui englobe les femmes entrepreneures des classes démunies.
Chapitre 3
La microfinance
I. La finance pour les plus petits
Introduction
Le concept de la microfinance ne semble pas nouveau puisque
des systèmes similaires à ceux que l'on voit aujourd'hui ont
existé dans plusieurs pays. On peut citer comme exemples le
«susus» au Ghana, «chit funds» en Inde,
«tandas» au Mexique», «arisan» en
Indonésie, «cheetu» au Sri Lanka,
«tontines» en Afrique de l'Ouest ainsi que le
«pasanaku» en Bolivie1. Commençons d'abord
par définir le concept de microfinance.
Selon le CGAP (Consultative Groupe to Assist the
Poor)2:
« Elle (la microfinance) désigne les
dispositifs permettant d'offrir des crédits de faible montant («
microcrédits ») à des familles pauvres pour les aider
à conduire des activités productives ou
génératrices de revenus leur permettant ainsi de
développer leurs très petites entreprises. Avec le temps et le
développement de ce secteur particulier de la finance partout dans le
monde, y compris dans les pays développés, la microfinance s'est
élargie pour inclure désormais une gamme de services plus large
(crédit, épargne, assurance, transfert d'argent etc.) et une
clientèle plus étendue également. Dans ce sens, la
microfinance ne se limite plus aujourd'hui à l'octroi de
microcrédit aux pauvres mais bien à la fourniture d'un ensemble
de produits financiers à tous ceux qui sont exclus du système
financier classique ou formel. »
1 Voir l'étude de Bari (1998) ou encore l'article web de
l'organisation Global envision « The History of Microfinance
» publié le 14 avril 2006 à l'adresse suivante :
http://www.globalenvision.org/library/4/1051,
visité le 27 avril 2013.
2 Section FAQ du portail de la microfinance
http://www.lamicrofinance.org/ visité le 10 avril 2013
1. Chapitre 3 : La microfinance 17
Un besoin existant
Les institutions financières traditionnelles
n'avaient, en règle générale, pas tendance à offrir
du crédit à tous, encore moins aux plus démunis et aux
femmes. En parlant des plus démunis, Von Piscke (1998) explique le fait
qu'ils soient marginalisés par les politiques mêmes des banques
qui ne sont pas destinées à favoriser ce marché. Selon
l'auteur, ces personnes sont en général analphabètes et
les banques ne possèdent pas les compétences pour servir ce type
de clientèle, notamment dans les régions rurales. Les coûts
de transaction dans ces régions sont très élevés
étant donné la faible densité de la population et le temps
nécessaire pour rencontrer les clients (Schreiner, 2003). Par
conséquent, la clientèle des IMF ne peut répondre aux
exigences des banques traditionnelles en matière d'informations
(historique de crédit) et en matière d'actifs à offrir en
hypothèque pour contracter un prêt (Berger, Goldmark et Sanabria,
2006). Quant aux femmes, selon un rapport de CARE Organization (2005),
elles possèdent moins de 1% des recettes mondiales et ont, par
conséquent, plus de mal à obtenir un prêt
hypothécaire.
Cependant, moins de crédits accordés aux
entrepreneurs implique une création d'entreprises moins forte et
réduit le potentiel de création d'emplois (Pfeffermann, 2001).
Plusieurs auteurs insistent en effet sur l'importance de l'entrepreneuriat dans
la création d'emploi et dans l'augmentation du niveau de vie
(Malchow-Møller, Schjerning et Sørensen, 2011). D'ailleurs, comme
nous le verrons à travers l'étude de la Bandhan au Chapitre 5, le
taux de croissance de l'économie indienne pourrait augmenter de 4,2% si
les femmes bénéficiaient de plus d'opportunités.
2. L'importance des entrepreneurs dans les pays en
développement
i. La création de nouveaux emplois par les petites
entreprises
McMillan et Woodruff (2002) expliquent le manque de dynamisme
dans le marché du travail en partie par la main mise des grosses
entreprises, et le manque de ressources et de marge de manoeuvre dont disposent
les petits entrepreneurs. En effet, durant la seconde moitié du
siècle, la croissance de l'emploi aux États-Unis n'aurait pas
été si forte sans la
Chapitre 3 : La microfinance 18
dynamique créée par la naissance des petites
entreprises (Birch, 1987). Aujourd'hui , le marché de l'emploi
européen est propulsé par la création de nouvelles
entreprises, et les pays ayant une croissance soutenue de ce facteur sont les
mieux positionnés pour être compétitifs dans les
marchés internationaux (Bednarzik, 2000). Par ailleurs, Birch (1987)
ne manque pas de souligner l'importance des nouvelles technologies de
l'information et de l'innovation pour une croissance à long terme de
l'entrepreneuriat. Pfeffermann (2001) fait même le lien entre la
création d'emploi et la pauvreté :
L'obtention d'un emploi ou d'un meilleur emploi fait
partie des changements les plus étroitement liés à
l'amélioration de la situation économique. La création
d'emplois est un élément crucial de la lutte contre la
pauvreté.
(Pfeffermann, 2001, pg. 43)
ii. «Think global, act local»
Il est permis de croire qu'une facilité d'accès
aux crédits et qu'une offre de services financiers plus flexibles
pourraient faciliter la création d'entreprises, et donc d`emplois.
Plusieurs exemples de la microfinance et de témoignages diffusés
montrent la nécessité de rendre les structures bancaires plus
flexibles pour mieux répondre aux besoins de certaines
communautés. Voici un témoignage recueilli par Oiko Credit,
qui développe des services de microcrédit au Rwanda :
« I am a client at Vision Company (...) I don't have
a loan at another bank because the procedures are too complicated. The costs
for getting a loan are almost equal to the amount of the loan. Therefore I
decided not to go to this bank. Vision Finance doesn't require collateral. It
allows you to borrow as a member of a group. In our group we
guarantee each other.» Haabimanas
Pius3
En fait, comme l'explique Von Piscke (1998), la
structure des banques traditionnelles ne permet pas de servir en-dessous d'un
certain niveau d'emprunt ou de revenu. Comme le
3 Témoignage recueilli de la chaîne Youtube de
Oiko Credit sur le lien suivant, visité le 10/01/2012 :
http://www.youtube.com/watch?v=ziHb2R-mvg
Chapitre 3 : La microfinance 19
reflète le témoignage ci-dessus, les coûts
administratifs et la longueur des procédures sont trop importants pour
le type et la taille du service dont le client a besoin. Et si les banques
traditionnelles ne font pas l'effort d'essayer d'atteindre ce type de
clientèle, c'est à cause de moyens de contrôle non
adaptés à ce type de clientèle (Arwidsson, 2006;
Schreiner, 2003).
3. L'asymétrie de l'information comme obstacle au
prêt
Bakker, Udell et Klapper (2004) insistent sur le fait que
l'asymétrie de l'information et le manque d'outils de contrôle des
institutions financières pose obstacle à l'obtention d'un
prêt. Ce phénomène incite les agents des banques à
ne pas servir suffisamment les PME car celles-ci nécessitent souvent une
analyse plus approfondie et une meilleure compréhension de la gestion de
l'entreprise pour se prononcer sur leurs demandes.
Dans le même sens, Arwidsson (2006) soutient qu'une plus
forte asymétrie de l'information se situe dans les milieux où se
développe la microfinance. Pour l'auteur, l'information n'est pas
également partagée entre les différentes parties
impliquées dans une entente. Par ailleurs, elle soutient aussi que
l'allocation des ressources serait plus efficace si cette asymétrie
était réduite. En effet, ce phénomène augmente le
risque de non remboursement des emprunts et par conséquent, pousse les
banques à appliquer des taux d'intérêts plus
élevés. Ces derniers sont problématiques et créent
une inefficience dans l'allocation des ressources puisqu'ils repoussent les
meilleurs emprunteurs et les démotivent à contracter un emprunt
(Armendariz, Morduch et de Aghion, 2007).
Comme nous le verrons dans les prochaines pages, des banques
ont pu innover pour offrir des crédits de plus petite taille, sans actif
tangible à donner en garantie. En simplifiant les procédures
administratives, elles peuvent ainsi avoir une structure de coût plus
flexible pour répondre aux besoins de la clientèle. L`impact sur
le client est direct puisqu'il a accès à un service financier
à moindre coût. Même si les taux d'intérêts
sont plus importants que ceux offerts par les banques traditionnelles, nous
pensons que le client économise beaucoup en coûts de
transactions.
Chapitre 3 : La microfinance 20
II. Le microcrédit
Le microcrédit n'est qu'un outil qui fait partie du
système financier de la microfinance (Mitra, 2007). Le
microcrédit est le prêt d'un petit montant à des
entrepreneurs issus de milieux défavorisés, tandis que la
microfinance englobe l'ensemble des produits financiers, dont le
microcrédit, qui sont offerts à tous ceux qui sont exclus du
système financier formel. Ces produits peuvent comprendre des produits
d'assurance, d'épargne étude, etc. (Yunus et Weber, 2007).
Parmi les principaux fournisseurs de services de microfinance, outre les
institutions microfinancières (IMF) formelles, nous pouvons citer les
fournisseurs informels et les organismes gérés par des ONG
reconnus.
1. Fournisseurs informels
Dans les milieux défavorisés, le recours
à la communauté, à la famille et aux amis compense le
manque de services appropriés des banques et du gouvernement. La
cohésion sociale se fait plus forte étant donné la
précarité de la situation financière des personnes. C'est
ainsi que l'emprunt se fait surtout à travers un membre de la famille ou
un voisin (Helms, 2006).
Par ailleurs, des systèmes de prêts et de
dépôts similaires entre eux ont été constatés
entre des régions éloignées et de cultures pourtant
différentes. C'est ainsi qu'au Ghana et au Mexique, des clubs restreints
s'organisent pour pouvoir accumuler les dépôts de plusieurs
membres afin de répondre à des besoins en liquidités
ponctuels d'un membre en cas de nécessité (Helms, 2006).
C'est sur ce principe que se fondent les ROSCAs (Rotating Savings and
Credit Associations) et les ASCAs (Accumulating Savings and Credit
Associations). Dans les deux systèmes, les intérêts
payés par les emprunteurs permettent de contribuer à la
croissance d'un capital commun accessible pour fins d'emprunt pour les membres
seulement (Yunus et Weber, 2007). De nombreuses ONG internationales et
IMF à travers le monde (CARE, Oxfam) utilisent des modèles
similaires pour améliorer les conditions de vie des femmes africaines.
Selon un rapport de CARE Organization (2011), ce groupe social se
situerait au centre de l'économie de leurs pays malgré sa
situation financière complexe :
Chapitre 3 : La microfinance 21
« Women are a cornerstone of African economic
development, providing an estimated 70 percent of agricultural labor and
producing between 78 and 90 percent of all food - and they do so on subsistence
and small land holdings, owning very little land or other productive
resources.»
CARE (2011, pg. 10)
2. Organismes non gouvernementaux
Les ONG ont rapidement pris le pas sur l'émergence de
la microfinance pour devenir pionnières dans le domaine (Holth,
2011). Elles allouent un certain montant de leur budget, ou
reçoivent un capital de gouvernements ou donateurs privés pour
créer un fonds d'emprunt microfinancier (Dingue, 2005). Dans
leur cas, ces montants s'inscrivent souvent dans l'accomplissement d'une
mission globale ou pour répondre à des besoins de
liquidités ponctuels d'une clientèle ciblée bien
précise, telle que les réfugiés climatiques ou politiques,
les personnes atteintes de maladies graves, etc. (Helms, 2006).
Certaines ONG se retrouvent à jouer un rôle de
banquiers informels dans certaines conditions, et il a été
constaté que les OBNL (organismes à but non lucratif) et les
institutions non financières offrant des services de microfinance
étaient moins efficaces (Hassan et Sanchez, 2009). De fait,
pour pouvoir s'adapter à la conjoncture économique dans une
perspective de pérennité, les IMF devraient être
indépendantes des subventions et des dons en étant
financièrement autosuffisantes, ce qui n'est pas le cas de beaucoup
d'ONG qui survivent principalement grâce à ce type de fonds
(Dingue, 2005). Cet aspect est particulièrement important pour
notre étude, puisque nous proposerons un modèle de tableau de
bord qui vise la mesure de deux objectifs : l'un est social et est
étroitement lié à la mission sociale de l'institution, le
second est financier et se veut être un soutien pour l'autonomie
financière de l'institution.
Les institutions de microfinance (IMF) formelles sont d'une
grande diversité de par leur fonctionnement et leur statut légal.
En effet, par institutions de microfinance on entend les
3. Institutions de microfinance formelles
Chapitre 3 : La microfinance 22
coopératives régulées et les credit
unions, les banques publiques, les banques spécialisées en
microfinance, les banques rurales et les institutions financières
privées (Holth, 2011).
Les IMF peuvent travailler en collaboration avec d'autres
fournisseurs de service de microfinance, telles que des ONG. Par ailleurs, leur
capacité à atteindre leur mission est reliée à
plusieurs facteurs du système de gestion interne de l'institution. Une
étude de Hartarska et Mersland (2009) a trouvé que
certains systèmes étaient plus efficients. Ils ont notamment
trouvé que les institutions qui évoluent dans un environnement
mature avec des outils de contrôle de gestion appropriés ont une
croissance plus soutenue et atteignent mieux leurs objectifs. Un tableau de
bord de gestion équilibré pourrait donc aider une IMF à
mieux performer.
En outre, Dieckmann (2007) affirme que l'un des
principes de la microfinance est la solvabilité des créanciers et
entrepreneurs à petite échelle, sous-entendant une possible
économie d'échelle pour les IMF. Toutefois, pour profiter de la
solvabilité de ces créanciers et atteindre une efficacité
dans l'utilisation des ressources, les institutions de microfinance ont
dû innover dans la manière d'offrir du crédit.
4. Des méthodes de prêts variées
i. Contexte général
La microfinance est surtout présente dans les pays en
voie de développement, dans lesquels les PME ont du mal à trouver
du financement pour l'expansion de leurs activités (Robinson, 2001).
Elle se définit comme un outil de développement qui propose
des services financiers similaires aux banques traditionnelles mais à
plus petite échelle, tels que les microcrédits, la
micro-assurance et le transfert d'argent. Certaines IMF n'hésitent pas
à offrir d'autres services d'intermédiation sociale pour le
développement de la confiance en soi et la formation des membres d'un
groupe à la littérature financière et de gestion
(Ledgerwood, 1999). Elles ciblent en général des
travailleurs indépendants et entrepreneurs à faible revenu. Le
principal apport de leurs produits et services reste toutefois d'ordre
financier, puisqu'elles offrent du crédit à des hommes ou femmes
ne possédant quasiment pas d'actifs tangibles, n'ayant pas accès
à des sources d'emprunt conventionnelles, et qui sont bien souvent
analphabètes (Von Pischke, 1998).
Chapitre 3 : La microfinance 23
Par conséquent, non seulement les ROSCAs aident-elles
les individus à créer un fond de sécurité pour la
consommation ou pour les cas d'urgence, mais elles encouragent aussi une
L'offre de produits de microfinance implique toutefois des
coûts de transaction pour sensibiliser et atteindre le public
visé. Certaines institutions se rendent même directement chez
leurs clients afin de leur éviter le fardeau des coûts de
déplacement (Yunus et Weber, 2007). Mais pour être
rentable et perdurer à long terme, les IMF sont contraintes d'afficher
des taux d'intérêts supérieurs aux taux d'une banque
commerciale traditionnelle afin de pouvoir couvrir la totalité des
dépenses et des risques supportés (Holth, 2011). Ces
taux sont souvent subventionnés (Robinson, 2001), et même
si les taux sont élevés pour les demandeurs, il n'en reste pas
moins que ceux-ci sont capables de rembourser et de renouveler le prêt
à plusieurs reprises (Yunus et Weber, 2007). Qui plus est, les
avantages sociaux qui en découlent excèdent les hauts taux
d'intérêts appliqués (Rosenberg, 2009).
Pour pallier les risques de non remboursement de leur
clientèle, les IMF ont mis sur pied de nouvelles manières
d'offrir du crédit, et qu'elles adaptent en fonction du client et de son
historique de crédit auprès de l'institution. L'industrie de la
microfinance a innové avec de nouveaux systèmes de prêts
tels que les associations d'emprunts et de dépôts (ROSCAs) et le
prêt de groupe.
ii. Les ROSCAs
Les associations d'emprunts et de dépôts, plus
connues sous l'abréviation anglaise de ROSCAs, Rotating and Credit
Associations, font partie des institutions financières informelles
les plus communément utilisées dans les pays en voie de
développement (Bari, 1998). Leur origine ne peut pas être
précisément définie dans le temps, puisque plusieurs
modèles semblables ont existé auparavant dans différentes
régions du monde sous des noms différents (Aniket, 2005).
Bouman (1994, cité par Aniket, 2005) donne comme
exemples les Totines au Cameroun et au Sénégal,
Esusu au Nigéria, Stokvel en Afrique du Sud, Bishi
et Chti Fund en Inde. Ardener (1964, pg. 201)
définit les ROSCAs ainsi : une association formée d'un
groupe de participants qui se sont entendus pour contribuer
régulièrement à un fond qui est donné,
entièrement ou en partie, à chaque contributeur tour à
tour.
Chapitre 3 : La microfinance 24
culture de l'épargne (Cotler, 2005). Les
participants des ROSCAs sont en général des femmes, et on peut
constater leur émancipation même dans les pays
industrialisés, auprès des communautés de nouveaux
immigrants tels que les coréens, vietnamiens et mexicains aux
États-Unis (Morduch, 1999). Ce type de modèle a
été repris et adapté par des institutions de microfinance
pour éduquer des nouveaux emprunteurs à l'épargne et
à la gestion d'un crédit.
iii. Village Banking
Les banques de village4 offrent des services de
crédit et d'épargne aux résidents d'un village.
Contrairement à d'autres systèmes de microfinance, ce sont les
résidents du village qui créent, possèdent et dirigent
ladite banque5. Ils élisent parmi eux un comité de
direction qui s'occupe de la gestion des opérations de la banque.
Certaines IMF ont utilisé ce même concept pour développer
de nouveaux services de microfinance.
Parmi les exemples les plus connus des ces IMF, FINCA
(Foundation for International Community Assistance) a
été créée en 1984 par John Hatch. Cette
fondation fait figure de pionnière dans le microcrédit de type
Village Banking. Un groupe de type village banking est
constitué de 10 à 15 membres auquel FINCA accorde un
crédit qui sera géré de manière autonome par des
groupes comportant 70% de femmes6. Le groupe décide
lui-même du montant à accorder à chaque membre et s'occupe
aussi de la gestion du recouvrement.
Ce modèle a été récemment
répliqué dans plusieurs pays pour encourager l'entrepreneuriat de
régions rurales et quartiers à faible revenu d'Amérique
latine, du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie (Westley 2003, Nelson et
al. 1996, cités par Lavoie, 2009). Contrairement au
prêt de groupe, l'objectif de ce prêt est d'aboutir à la
constitution d'une institution de prêt autonome et
autogérée par ses membres dans un horizon de 3 ans
(Waterfield et Duval, 1996).
4 Traduction personnelle pour village banks
5 Informations tirées du Handbook for Village Bank
Management Committees and Support Organizations, 2008, publié par
la International Labour Organization, bureau régionale pour
l'asie de l'est. Disponible en ligne sur le site de l'organisation
http://www.ilo.org/ visité le 10 avril 2013.
6 Site web de l'organisation : http://www.finca.org/ ,
section Microfinance and Village Banking, visité le 02
décembre 2012.
Chapitre 3 : La microfinance 25
iv. Le prêt de groupe
Plusieurs banques de microfinance offrent des prêts de
groupe. Nous pouvons citer BancoSol (Bolivie) et la Grameen Bank (Bengladesh)
comme exemples. L'approche des prêts de groupe est différente de
celle des prêts individuels traditionnels, puisqu'elle a pour objectif de
compenser le manque de capital à offrir en garantie par les individus,
et de réduire le contrôle de la banque sur les emprunteurs
(Acevedo, 2007). Lorsqu'un emprunteur s'inscrit à un prêt
de groupe, aussi appelé prêt de solidarité, il rejoint
d'autres personnes pour lesquelles l'emprunt se fait de manière
conjointe. L'ensemble du groupe est ainsi responsable du remboursement de la
totalité de l'emprunt, de sorte que si une personne fait défaut
de payer, tout le groupe se verra refuser un emprunt futur et ce,
jusqu'à la couverture totale du montant (Yunus et Weber,
2007).
La formule la plus communément utilisée du
prêt de groupe s'applique à des groupes de 3 à
6 personnes (Acevedo, 2007). Ils ont en
général des taux de remboursement plus élevés que
les prêts aux individus puisqu'en cas de défaut de paiement de
l'un des membres, celui-ci se retrouve couvert par d'autres membres (Mitra,
2007). Pour mieux comprendre la distinction entre le prêt de
groupe et les prêts traditionnels (prêt individuel), le tableau
suivant présente les caractéristiques principales de chacun :
Caractéristiques distinctives
|
Prêt de groupe
|
Prêt individuel
|
Clients cibles
|
Groupes composés de 5 à 90 membres
|
Individus
|
Garantie pour l'emprunt
|
Prêt garanti par les pairs (mécanisme
de pression sociale)
|
Collatéral (co- signataire, actifs physiques)
|
Importance en Microfinance
|
Prédominant
|
Moins commun
|
Principales différences entre le prêt
de groupe et le prêt individuel7
7 Tableau tiré du mémoire de Frédéric
Lavoie, Conditions facilitating the replication of microcredit
methodologies, 2009, HEC Montréal
Chapitre 3 : La microfinance 26
v. Conclusion
Acevedo (2007) note trois principaux apports des
prêts de groupe à la société. D'abord, la
performance du marché financier local est améliorée
puisque les taux de remboursement augmentent et sont plus constants. De plus,
ceux-ci viennent réduire l'asymétrie de l'information et les
coûts de transaction, permettant aux banques d'offrir des taux
d'intérêts plus avantageux. Enfin, les prêts de groupe
créent un capital social et un réseau de contacts entre les
emprunteurs.
Quant aux ROSCAs, des modèles microfinanciers
similaires sont nés pour répondre à certains besoins dans
les communautés rurales et à moindre revenu (Van Bastelaer,
1999). Ils sont issus de groupes socialement interconnectés et exclus du
système financier commun (Besley, Coate et Loury, 1993, cités par
Van Bastelaer, 1999). Néanmoins, ces modèles ne constituent pas
des solutions suffisantes puisqu'on peut observer, par exemple, des situations
où des agents de crédit d'IMF accordent des prêts à
des taux plus élevés aux femmes sans raisons valables, et ce
malgré la transparence des procédures de l'institution. De tels
obstacles relèveraient davantage de préjugés culturels
quant à la capacité de la femme à être
financièrement autonome.
En conclusion, la microfinance pourrait être
identifiée comme une industrie non pas créée au
20ème siècle, mais plutôt
découverte et rendue populaire au 20ème
siècle. En effet, comme nous l'avons vu et nous continuerons de le voir
plus tard dans notre étude, elle semble issu du rassemblement de
plusieurs outils et méthodologies financières informels,
créés pour répondre aux besoins d'une population à
moindre revenu. Ces outils et méthodologies de gestion auraient donc
inspiré la naissance des institutions de microfinance modernes.
Chapitre 3 : La microfinance 27
III. Les institutions de microfinance
Le CGAP définit les institutions de microfinance ainsi
:
«En termes simples, une institution de microfinance
est une organisation qui offre des services financiers à des personnes
à faible revenu qui n'ont pas accès ou difficilement accès
au secteur financier formel (banques classiques). Au sein du secteur, le terme
institution de microfinance renvoie aujourd'hui à une grande
variété d'organisations, diverses par leur taille, leur
degré de structuration et leur statut juridique (ONG, association,
mutuelle/coopérative d'épargne et de crédit,
société anonyme, banque, établissement financier
etc.)»8
1. Bref historique
L'une des plus anciennes IMF ayant prospéré
était le Loan Fund System en Irlande, créée au
début du 18ème siècle (Seibel, 2003). Dans les
années 1840, l'institution se serait étendue pour couvrir une
grande partie du territoire national, offrant des emprunts à près
de 20% de la population irlandaise par an. Par la suite, l'Europe a connu une
émancipation d'institutions formelles d'emprunts et de
dépôts pour les démunis. Ces institutions étaient
surtout créées sous forme de coopératives ou de Credit
Unions (Seibel, 2003). Ces modèles sont devenus plus populaires
dans d'autres régions comme l'Amérique Latine et l'Asie au
début du 20ème siècle, notamment avec The Bank
Perkreditan Rakyat ouverte en 1895 en Indonésie, et qui
était l'une des plus importante IMF de l'époque. Avec le
développement de la finance moderne et des nouvelles théories
économiques, mais aussi à cause des deux guerres mondiales de la
période 1914-1945, ces institutions sont devenues de moins en moins
nombreuses.
À partir des années 1970, des programmes
expérimentaux au Bengladesh, au Brésil et dans d'autres pays ont
étendu le concept du microcrédit, jusqu'alors
réservé de manière quasi exclusive aux agriculteurs,
à des groupes de femmes dans le besoin (Yunus et Weber,
8 Site web du CGAP,
http://www.lamicrofinance.org/section/faq,
visité le 31 mars 2013.
Chapitre 3 : La microfinance 28
2007). L'un de ces programmes a entrainé la
création de l'une des banques les plus connues aujourd'hui, la
Grameen Bank.
Yunus (2007), professeur d'économie au
Bengladesh, raconte qu'au cours d'une étude détaillée sur
la famine qui sévissait dans son pays, il s'est rendu compte que
beaucoup de pauvres nécessitaient un petit prêt pour
démarrer une entreprise rentable. Il a donc fait l'expérience de
prêter quelques dollars à quelques familles qui arrivaient
à le rembourser sans trop de difficultés. C'est alors qu'il
décida de créer la Grameen Bank
spécialisée dans le microcrédit, et qui est devenue
l'une des plus grandes banques de microcrédit aujourd'hui, avec
11,35 milliards de dollars empruntés depuis sa
création9. En octobre 2007, la banque comptait
7,34 millions d'emprunteurs dont 97% étaient des
femmes. En fait, depuis sa création, la banque a priorisé le
prêt aux femmes. Plus tard, un nombre de plus en plus importants d'IMF a
choisi de prioriser l'emprunt aux femmes.
2. Le champ d'action d'une IMF
Les institutions de microfinance ciblent des populations aussi
diverses que variées. Alors que l'IMF marocaine Al
Amana10 offre des crédits au logement et des
crédits individuels pour le démarrage d'entreprise, l'institution
colombienne Fundación Mundo Mujer11 cible
exclusivement les femmes en offrant des services de microcrédits et de
microassurances. Mais pour évaluer la performance d'une institution dans
l'industrie de la microfinance, d'après la littérature
académique, deux facteurs semblent importants pour comprendre et
évaluer le champ d'action d'une IMF : sa profondeur et son
étendu.
i. Profondeur du champ d'action
La profondeur du champ d'action (deep of outreach) se
réfère au pouvoir d'achat financier de la clientèle servie
par une IMF (Holth, 2011). Bien qu'il existe plusieurs techniques pour
mesurer le niveau de pauvreté d'une clientèle donnée, il
n'y a pas toujours de consensus
9 Site web de l'institution : http://www.grameen-info.org/
visité le 6 juin 2012.
10 Site web de l'institution :
http://www.alamana.org.ma/,
visité le 24 novembre 2012.
11 Site web de l'institution : http://www.fmm.org.co/
visité le 24 novembre 2012.
Chapitre 3 : La microfinance 29
pour la mesure de cette profondeur (Holth, 2011).
Toutefois, on peut considérer que plus les montants
prêtés sont petits, plus les clients sont pauvres, et plus la
profondeur du champ d'action d'une IMF sera grande; par conséquent une
institution ayant des statistiques mesurant les montants prêtés
pourrait évaluer sa profondeur d'action.
ii. Étendue du champ d'action
L'étendu du champ d'action d'une IMF (breath of
outreach) se réfère au nombre de clients, ou de comptes
actifs, à un certain moment (Rosenberg, 2009). En
général, les institutions de microfinance ont tendance à
vouloir augmenter le nombre de clients servis et ayant accès à
leurs offres de services (Holth, 2011). Les clients actifs regroupent
tous les clients profitant des services de l'institution à un moment
donné. Toutefois, malgré leur volonté de vouloir servir et
aider un maximum de clients, les institutions de microfinance sont
amenées à faire un choix quant aux microentreprises à
financer étant donné leurs ressources limitées.
3. La sélection des projets
Tout comme les banques commerciales traditionnelles, les
institutions de microfinance font un choix quant à l'acceptation d'une
demande de prêt. Le marché ciblé, le stade de
développement de l'entreprise ou encore le secteur d'activité
sont des éléments importants considérés par l'IMF
(Ledgerwood, 1999). Entre autres, à travers leur analyse du
marché, les IMF doivent faire le choix de mettre l'accent sur les
entrepreneurs déjà existants ou sur les entrepreneurs potentiels
cherchant du financement pour démarrer une entreprise. Elles
considèrent moins risqué de travailler avec des microentreprises
existantes parce que celles-ci peuvent présenter un historique de
succès (Ledgerwood, 1999). Toutefois, les entreprises qui
nécessitent d'être financées à partir de zéro
auront un impact certain sur la société puisqu'elles vont
augmenter le niveau de revenu des entrepreneurs, réduire la
pauvreté et aider ainsi l'IMF à atteindre sa mission sociale
(Pfeffermann, 2001). Toutefois, les simples services financiers
traditionnels ne suffisent pas, puisque de tels entrepreneurs
Chapitre 3 : La microfinance 30
ont d'autres besoins tels que de la formation relative aux
finances et à la gestion. Qui plus est, les IMF sont amenées
à servir un nombre de clients relativement plus important que les
banques traditionnelles pour pouvoir rentabiliser leurs activités. Elles
sont amenées à développer des modèles d'affaires
qui allient mission sociale et viabilité financière, et le
contexte particulier dans lequel elles évoluent les force à
gérer des risques très variés.
4. Le manque d'outils de gestion appropriés pour la
gestion des risques
La dernière décennie a connu une croissance
exponentielle des IMF. Selon le CGAP (2010), de 2004 à 2008 la
microfinance mondiale a connu une croissance moyenne de 39% par an en
termes d'actifs, atteignant un total de plus de 60 milliards de dollars
d'actifs en décembre 2008 (Chen, Rasmussen et Reille, 2010a). Selon
Fernando (2007), la croissance rapide de la microfinance implique une
augmentation de la compétitivité entre les IMF et devrait les
pousser à revoir leurs méthodes de gestion de risques. L'offre de
produits des IMF est devenue très large et diversifiée, allant
des emprunts à court terme aux prêts agricoles à long
terme, et les méthodes de financement des IMF sont plus vastes puisque
certaines contractent des emprunts en devises étrangères pour
financer la croissance des opérations (Fernando, 2007). Les femmes ont
constitué un point d'intérêt particulièrement
important pour ces institutions, puisqu'une grande partie de ces IMF se donnent
pour mission de faciliter l'accès au crédit à cette
population pour promouvoir son émancipation sociale. En effet, les
femmes entrepreneures ont plus de mal à développer leurs
activités que les hommes car l'accès au crédit leur est
plus difficile. Nous développerons sur les raisons d'une telle
discrimination plus tard dans notre étude.
Par rapport à la gestion de ces IMF, une telle
croissance devrait être accompagnée d'une gestion proactive des
risques auxquels elles font face, et qui ont augmenté en nombre et en
importance avec la croissance de l'industrie. Avec l'augmentation des sources
financement des IMF, celles-ci doivent porter une plus grande attention aux
différents risques financiers qu'elles prennent (Powers, Brom et
Magnoni, 2005). Elles devraient, par conséquent, profiter de l'expertise
et des outils utilisés par les banques traditionnelles pour
développer et mettre à jour leur management et leurs techniques
de gestion des risques. La majorité
Chapitre 3 : La microfinance 31
des IMF focalisent surtout leur attention sur les risques de
crédits et de liquidités, alors que la pérennité de
l'IMF est désormais mise à l'épreuve par bien d'autres
facteurs (Fernando, 2007). Parmi les outils utilisés dans les
institutions financières traditionnelles, le tableau de bord de gestion
permet de mettre l'emphase sur différents aspects de la chaine de valeur
d'une institution, et à différents niveaux. Cet outil pourrait
donc être d'un bon support pour établir un diagnostic fiable de la
performance d'une IMF à l'interne, et mettre à jour certains
risques auxquels l'institution est confrontée.
Fernando (2007) a listé les plus importants risques
auxquels ces institutions font face. Ceux-ci sont présentés dans
le tableau qui suit. L'auteur définit le risque de microfinance comme
suit :
«The potential for events or ongoing trends to cause
futures losses or declines in future income of an MFI or deviate from the
original social mission of an MFI.»
(Fernando, 2007, pg. 3)
32
Sources12 :
|
|
Risques financiers
|
Risques opérationnels
|
Risques stratégiques
|
(Steinwand, 2000)
|
|
Risque de crédit
|
pas l'intégrité de comprend le risque
se réfère au cas d'un
se réfère au risque
composé d'un
pas répondre à ses
change et le risque du
risque de subir une perte dans le marché lié
à une perte due aux change
d'investissement se à long terme pour le de l'IMF
|
Risque de transaction
|
Risque de gouvernance
|
Risque que l'emprunteur ne rembourse l'emprunt à
l'échéance. Ce risque transactionnel et le risque de
portefeuille.
· Le risque de transaction emprunt individuel.
· Le risque de portefeuille
inhérent d'un portefeuille ensemble de comptes
Risque de liquidité
|
Le risque de transaction est lié aux activités
opérationnelles au jour le jour de l'IMF. Celui-ci est d'autant plus
grand si l'IMF connait un grand nombre de transactions de petits montants. Il
s'agit principalement
de risque de pertes liés à des erreurs ou
à de la fraude.
Risque de fraude
|
Risque lié à une inefficience dans la
prise de décision étant donné la
structure hiérarchique de l'IMF. Ce risque augmente
avec la faiblesse du système de contrôle ou de gouvernance.
Risque de réputation
|
|
|
|
|
|
|
|
|
et
|
Risques institutionnels
|
Risque de gestion financière
|
Risques externes
|
Risques opérationnels
|
|
· Passifs et actifs
· Inefficience
· Intégrité du système
|
· Régulation
· Compétitivité
· Démographie
· Macro-économique
· Environnemental
|
· Crédit
· Fraude
· Sécurité
· Personnel
|
|
Différents types de risques auxquels font
face les institutions de microfinance
12 Tableau tiré de Managing microfinance Risks : some
observations and suggestions, Fernando 2007.
Chapitre 3 : La microfinance 33
IV. Mesurer la performance des institutions de
microfinance : un état des lieux
Pour le marché, une bonne institution de
microfinance apporte plus de bénéfices sociaux que de
coûts, sa performance se mesure par l'atteinte de ses objectifs
aujourd'hui, sa durabilité se mesure par l'atteinte de ses objectifs
aujourd'hui et demain (Schreiner, 1997). Les institutions de
microfinance ont un rapport à la performance assez spécial,
puisqu'elles jouent un double rôle financier et social, et qu'elles
doivent être efficaces dans les deux (Gutiérrez-Nieto,
Serrano-Cinca et Molinero, 2007). La littérature offre une
large gamme d'indicateurs de performance sociaux et financiers pour les
institutions de microfinance. Toutefois, aucune étude ne semble proposer
une liste équilibrée de mesures de performance, sous la forme
d'un tableau de bord, pour le type d'institutions qui nous intéresse.
Qui plus est, peu d'études intègrent une analyse croisée
des performances sociale et financière d'une IMF (Guttierrez-Nieto et
al. 2009, cités par Christopoulos et Pozzebon,
2011).
1. Performance financière
Avec le développement de la microfinance, l'importance
de la rentabilité financière des IMF a pris plus d'ampleur avec
une prise de conscience du besoin de mesurer la performance financière
(Harraf, 2008). À la fin des années 90, Morduch
(1999) affirmait que la majorité des IMF restait
dépendante des subventions et donations externes; certaines avaient
commencé à prendre la voie de la rentabilité
financière, mais les institutions formelles bien établies ne
pouvaient être solvable avec leurs seules activités
opérationnelles. En analysant les données de l'organisation
Microfinance Information eXchange (MIX), Armandariz et Labie
(2011) ont trouvé qu'en 1998, 42 des 95
institutions inclues dans sa base de données
généraient des revenues inférieurs aux dépenses
opérationnelles, soient 44% de l'échantillon. Cinq ans
plus tard, le taux a baissé à 35% et a fini par
plafonner à 26% en
Chapitre 3 : La microfinance 34
2006, avec 226 institutions sur 853. L'industrie
offre désormais plusieurs outils pour mesurer la performance
financière d'une ou de plusieurs institutions. Nous allons
présenter deux exemples d'organisations centrées sur la gestion
de la performance financière des IMF. Nous introduirons par la suite ce
que la littérature académique propose comme indicateurs de
performance. Enfin, nous conclurons cette section en présentant des
organisations dont le travail tourne autour de la gestion de la performance
financière et/ou sociale.
i. MIX organisation
Microfinance Information eXchange (MIX)13
est une base de données centrée sur la performance de l'industrie
de la microfinance. L'organisation rend accessible des indicateurs de
performance financière, opérationnelle, sociale ou autre, pour
plus de 2000 institutions de microfinance à travers le monde. Les plus
anciennes données disponibles sur une IMF datent de 1999, de sorte qu'il
est possible d'analyser la performance d'une institution à travers le
temps en fonction d'une grande panoplie d'indicateurs.
ii. MicroSave organisation
MicroSave14 offre des outils d'analyse et de
formation pour des gestionnaires séniors d'institutions de microfinance,
pour construire et assurer la bonne tenue des processus financiers et
comptables. L'organisation propose des exercices de compréhension et de
mise en application des états financiers, des rapports
opérationnels, des ratios financiers de base et de l'analyse
financière. Ce type d'initiative nous parait particulièrement
intéressant dans le cadre de notre étude, puisqu'elle nourrit les
compétences techniques des institutions de microfinance vers une
meilleure utilisation de leurs ressources pour atteindre leurs missions
sociales.
13 Site web de l'organisation :
http://www.mixmarket.org/,
visité le 02 décembre 2012.
14 Site web de l'organisation : http://www.microsave.org/
, visité le 02 décembre 2012.
Chapitre 3 : La microfinance 35
iii. Les indicateurs de la littérature
académique
La littérature académique offre un certain
nombre d'outils pour l'analyse de la performance financière des
institutions. Dans les années 1990, certains auteurs
proposaient déjà des indicateurs de performance pour les IMF en
général. L'étude la plus intéressante que nous
avons trouvée pour notre étude est celle de Ledgerwood
(1999). Celle-ci semble en effet avoir inspiré un grand nombre
d'études (Armendáriz et Morduch, 2007; De Crombrugghe,
Tenikue et Sureda, 2008; Helms, 2006). L'auteur divise les
indicateurs de performance en six catégories :
· Qualité du portefeuille (ex : taux de
remboursement...)
· Productivité et efficience (ex : nombre de clients
actifs par agent de crédit...)
· Viabilité financière (ex : autosuffisance
opérationnelle/financière...)
· Profitabilité (ex : rendement sur l'actif ...)
· Levier et adéquation des fonds propres (ex : ratio
dette/fonds propres...)
· Échelle, portée et croissance (ex : emprunt
moyen ...)
Chacun des indicateurs de performance a été
choisi pour son utilité quant à la gestion d'une IMF (Ledgerwood,
1999 pg 205); certains sont même utiles aux parties
prenants externes (levier financier, croissance...). Outre l'étude de
Ledgerwood, certains auteurs ont proposé des outils moins
généraux, pour mesurer certains aspects particuliers de la
performance des IMF. Ainsi, Paxton et Fruman (1998) proposaient des
diamants de mesure de la portée d'une IMF. Saltzman, Rock et Salinger
(1998), quant à eux, ont développé le
système CAMEL pour mesurer les conditions financières et
l'efficacité opérationnelle.
Il existerait aujourd'hui un consensus sur une liste de 21
indicateurs financiers et qui sont les plus communément
utilisés en microfinance; ces indicateurs sont classés en quatre
catégories : profitabilité, gestion des actifs, qualité du
portefeuille et productivité (CGAP, 2003; Gutierrez-Nieto,
Serrano-Cinca et Mar Molinero, 2007). Ces indicateurs sont d'ailleurs
fortement inspirés de l'étude de Ledgerwood (1999). En
parallèle, certains modèles d'évaluation de la performance
des IMF proposent des analyses statistiques pour trouver les facteurs
déterminants de cette performance (Weber et Ferro-Luzzi, 2006).
D'autres sont plus spécifiques et tentent de s'adapter à des
formes nouvelles de services de
Chapitre 3 : La microfinance 36
microfinance. Christopoulos et Pozzebon (2011) proposent une
série d'indicateurs pour évaluer la performance des banques de
correspondance brésiliennes15.
2. Performance sociale
Des fonds sont accordés aux IMF par des gouvernements,
des fondations ou des donateurs privés dans l'optique de pouvoir aider
les plus démunis. En contrepartie, ces institutions doivent
générer des rapports périodiques de leurs
opérations pour démontrer la bonne utilisation de ces fonds. Il
est donc important de pouvoir mesurer l'impact socioéconomique de l'IMF
(CGAP, 2007), et les outils de mesure de la performance sociale peuvent
être très différents d'une organisation à une
autre.
i. CERISE
L'outil CERISE16 mesure la performance sociale
d'une institution en évaluant ses intentions par rapport à ses
actions. L'outil utilise un questionnaire divisé en quatre sections, et
permet d'évaluer l'impact social d'une IMF en fonction des dimensions
suivantes: l'atteinte des pauvres et des exclus, l'adaptation des produits et
services à la clientèle cible, les bénéfices
économiques et sociopolitiques pour les clients et leurs familles, et la
responsabilité sociale de l'institution.
ii. Social Performance Assessment
Le Social Performance Assessment tool (SPA) offre des
outils pour mesurer la performance sociale d'une institution et la communiquer
aux parties prenantes17. Il analyse l'infrastructure et les
processus opérationnels d'une IMF, et permet de comparer l'IMF
à
15 Chritopoulos et Pozzebon (2011) définissent les
banques de correspondance (BCs) ainsi : « an arrangement by which a
retail operator makes a financial transaction on behalf of a commercial bank
[...]BCs are integrated in a network that connects: its clients, banks and
sometimes intermediaries, called network integrators. These integrators are
hired by Banks and are responsible for management of BCs' infrastructure
provision, maintenance and training ».
16 Site web de l'organisation :
http://www.cerise-microfinance.org/ , visité le 25 novembre 2012.
17 Site web de Moody's Analytics :
http://www.moodysanalytics.com/ , visité le 26 novembre 2012
Chapitre 3 : La microfinance 37
l'industrie de la microfinance en fonction de la mission
sociale, la stratégie, la relation client, l'impact sur la
clientèle, la gestion des ressources humaines et la performance
environnementale.
iii. ACCION SOCIAL
L'organisation ACCION a mis en oeuvre un outil
d'évaluation de la performance sociale dont SOCIAL constitue les
acronymes (en anglais) des aspects sociaux pris en compte : la mission sociale
(social mission), l'atteinte du client (outreach), le service
à la clientèle (clients), la transparence de
l'information (information transparency), la relation avec la
communauté (association with the community) et le climat de
travail (labor) 18 . L'organisation effectue son
évaluation au travers de rencontres avec les différentes parties
prenantes (employés, gestionnaires, clients etc.) et agit ainsi en tant
que consultant externe pour l'IMF.
iv. Progress out of Poverty Index (PPI)
Développé par la collaboration de la Ford
Foundation, le Consultative Group to Assist the Poor (CGAP), et
le professeur Mark Shreiner19, le PPI permet de mesurer le
niveau de pauvreté de la clientèle d'une IMF et de faire le suivi
de son niveau de vie au fil du temps20. Il définit un certain
nombre de standards qu'une IMF doit atteindre pour pouvoir compter sur un
processus de report transparent au sujet de l'impact socioéconomique de
l'activité de l'institution sur sa clientèle. L'outil est
adapté en fonction de chaque pays permettant une comparaison
réaliste avec les standards de vie régionaux.
18 Site web de ACCION : http://www.accion.org/ ,
visité le 26 novembre 2012
19 Site web sur les travaux de Mark Shreiner :
http://www.microfinance.com/ , visité le 26 novembre 2012
20 Site web de la Grameen Foundation :
http://www.progressoutofpoverty.org/ , visité le 26 novembre 2012
v. Chapitre 3 : La microfinance 38
FINCA's Client Assessment Tool
FINCA est une institution de microfinance qui opère
dans plusieurs pays21 et qui a développé son propre
outil de mesure de la performance sociale. Cet outil lui permet de comparer les
résultats entre les différentes divisions de FINCA, et
évalue les besoins de la clientèle en terme d'emprunts, de
dépenses du foyer, d'éducation, de santé et de
satisfaction de la clientèle. Cet outil permet de cibler la
clientèle pouvant le mieux profiter des services de l'institution et
d'adapter les produits et services en fonction.
vi. Les agences de notation
Des agences de notation externes se proposent de noter la
performance sociale des institutions de microfinance. Nous avons retenu trois
agences importantes :
? M-CRIL mesure la performance sociale d'une institution et
évalue l'alignement de l'institution avec sa mission
sociale22. Elle évalue la capacité de l'IMF à
répondre aux besoins de sa clientèle et à avoir une grande
profondeur de champ d'action.
? Microfinanza Rating a développé un premier
outil similaire à celui de M-CRIL puisqu'il mesure la mission, la
stratégie, l'efficacité opérationnelle, la qualité
du service et la responsabilité sociale de l'institution23.
Elle a développé un second outil, plus simple puisqu'il ne
nécessite pas de conduite d'entrevues auprès de la
clientèle et se suffit à l'information disponible chez l'IMF.
? Planet Rating24 a développé l'outil
Girafe qui diffère des deux outils précédents
dans le sens où il s'appuie entièrement sur les données
disponibles auprès de l'IMF. Il évalue différents aspects
des opérations de l'institution tels que la gouvernance, le
système d'information, la gestion du risque etc.
21 Site web de FINCA : http://www.finca.org/ ,
visité le 26 nomvembre 2012
22 Site web de M-CRIL : http://www.m-cril.com/ ,
visité le 26 novembre 2012.
23 Site web de Microfinanza :
http://www.microfinanzarating.com/ , visité le 26 novembre 2012
24 Site web de Planet Rating :
http://www.planetrating.com/ , visité le 10 avril 2013
Chapitre 3 : La microfinance 39
3. Conclusion
Au niveau de la mesure de la performance, autant
financière que sociale, des IMF, l'industrie propose aujourd'hui
plusieurs outils d'évaluation, voire de notation des institutions de
microfinance. Ces outils sont parfois développés à
l'interne, parfois par des agences externes à but lucratif ou non
lucratif, ou alors proposés au travers d'études
académiques empiriques.
L'outil que nous désirons proposer sera spécial
dans le sens où il s'adresse à un cercle spécifique d'IMF
qui cible une clientèle principalement féminine. Nous pensons
qu'un tel outil pourrait permettre à une institution de mieux concentrer
ses activités sur les besoins de sa clientèle cible. Il offrirait
un cadre de réflexion pour la mise en place d'un système
d'information efficace pour le contrôle de gestion de l'institution. Qui
plus est, il permettrait de nourrir une réflexion quant à la mise
à niveau du système d'information pour pouvoir en récolter
les informations utiles de gestion. Finalement, cette étude soutiendrait
une réflexion croisée de la performance des IMF entre les aspects
sociaux et financiers, puisqu'il semble que peu d'études traitent une
analyse combinée de ces deux aspects (Guttierrez-Nieto et al. 2009,
cités par Christopoulos et Pozzebon, 2011).
De nombreuses IMF ont développé des
stratégies pour contourner les barrières de la tradition qui
empêchent les femmes d'avoir accès à des services
financiers (Cheston et Kuhn, 2002). Au niveau de l'accès au
crédit, d'énormes progrès doivent encore être
réalisés pour que la femme ait un accès convenable aux
services bancaires, du moins autant que l'homme.
Chapitre 3 : La microfinance 40
V. Pertinence du choix des femmes
La pénétration du marché féminin
se réfère au nombre de femmes et au pourcentage de celles-ci qui
ont accès au crédit d'une institution microfinancière, ou
encore qui utilise d'autres services de l'institution de manière
volontaire, tels que les services de dépôt, microassurances etc.
(Holth, 2011). En 2001, un sondage effectué par l'Unité
Spéciale de Microfinance du Capital de Développement des Nations
Unies a révélé que 60% de la clientèle de 29
institutions microfinancières étudiées étaient des
femmes, 6 de ces institutions ciblaient exclusivement cette clientèle
(Cheston et Kuhn, 2002).
Parmi les principales raisons de vouloir cibler exclusivement
une clientèle féminine, nous pouvons citer
l'inégalité d'accès à l'emploi, mais aussi
l'inégalité quant à l'accès à
l'éducation, aux services publics, financiers etc. Certains chercheurs
affirment pourtant que les femmes ont un meilleur apport sur leur environnement
immédiat puisqu'elles dépensent plus d'argent pour le
bienêtre du foyer, qu'elles constituent des créditeurs solvables,
et qu'elles épargnent autant sinon plus que les hommes (Felder-Kuzu,
2006).
1. Un aperçu de l'inégalité entre
l'homme et la femme
L'inégalité entre l'homme et la femme quant au
partage des richesses et du travail est encore très grande dans le
monde. Selon un rapport de CARE Organisation (2005):
? Sur les 1,3 milliards de personnes vivant en-dessous du seuil
de pauvreté,
70% sont des femmes.
? Les femmes fournissent deux tiers du travail mondial : La
grande majorité du
travail domestique nécessaire à la
société (éducation des enfants, cuisine, nettoyage) est
fourni par les femmes. En règle générale, ce travail est
sous-estimé et/ou non rémunéré.
? Elles gagnent moins de 10% des recettes mondiales.
Chapitre 3 : La microfinance 41
? Elles possèdent moins de 1% des propriétés
mondiales. Étant donné la
ségrégation de la femme et son statut légal
vulnérable dans certaines régions, la
femme ne possède en général pas d'actifs
tangibles pour sa sécurité financière.
? Pour ces mêmes raisons, deux tiers des
illettrés dans le monde sont des
femmes.
Par ailleurs, la majorité des femmes démunies
dans les pays en développement travaille dans le secteur informel :
dans les pays en développement, les femmes représentent plus
de 60% de l'emploi informel hors secteur agricole - un pourcentage qui serait
plus élevé si ce secteur était pris en compte
(UNIFEM, 2005). Souvent, avec l'aide de la famille, elles survivent
grâce à des petits commerces et entreprises en vendant de la
nourriture, des services ménagers ou par des petits commerces. Selon
Felder-Kuzu (2006), bien que cela dépende de la législation du
pays quant aux droits de propriété, lorsque le revenu de ces
femmes augmente, elles peuvent se permettre d'acheter une petite
propriété ou de construire une maison. Elles étendent
aussi leur microentreprise, créant de l'emploi autour d'elles, et leur
intégration économique et sociale se fait alors plus
évidente.
2. De l'inégalité quant à
l'accès au financement
Les femmes entrepreneures ont plus de mal à
développer leurs activités que les hommes. L'accès au
financement est plus difficile et les taux d'intérêts s'en
trouvent parfois plus élevés. Dans le rapport de 2011 de l'IFC
(International Finance Corporation), Strengthening access to
Finance for Women-Owned SMEs Countries, l'organisation a définit
les principaux points de différences entre l'homme et la femme
entrepreneurs. Un premier point à noter est que les femmes ont tendance
à gérer des entreprises de bien plus petites tailles que les
hommes, et le manque d'accès au crédit marginalise cette
population qui se retrouve enclavée dans des entreprises de cette
taille. Ensuite, l'accès au capital humain et physique est très
faible chez la femme, entravant par le fait même l'accès au
financement. Ces deux types de capitaux sont très importants pour une
banque pour l'évaluation d'une demande de crédit. Toutefois,
étant donné l'inégalité quant à
l'accès à l'emploi et à la propriété dans
Chapitre 3 : La microfinance 42
beaucoup de pays en développement, la femme se retrouve
limitée pour exprimer son potentiel humain d'entrepreneure.
Pour ces raisons, les femmes sont considérées
plus risquées ou moins rentables que les hommes, incitant l'institution
bancaire formelle à discriminer les demandes de crédit par sexe.
La microfinance a partiellement équilibré l'accès au
crédit pour le développement des affaires. Comme son entreprise
croît, la femme a besoin d'avoir un accès à de plus grands
capitaux et à un soutien réel de la part des banques pour pouvoir
maintenir la croissance de leur commerce (IFC, 2011).
3. L'autonomie de la femme
L'autonomie des femmes (women empowerment) est au
coeur de la mission de beaucoup d'IMF. L'UNIFEM définit l'autonomie de
la femme comme le fait de gagner l'habilité de générer des
choix et d'exercer son pouvoir de négociation, de développer son
estime de soi et de se rassurer par rapport à son désir de
changement. Ces éléments sont essentiels pour l'autonomie de la
femme. En bref, ils tournent autour du choix, du pouvoir et
du changement (Cheston et Kuhn, 2002).
Les programmes de microfinance peuvent avoir un impact
énorme sur la vie de leurs clientes et sur leur habilité à
faire des choix dans leur vie. Dans les pays en développement, la
structure sociale dans laquelle elles vivent les empêche bien souvent
d'exprimer leur plein potentiel et de s'accomplir en tant que personne (Cheston
et Kuhn, 2002).
There is education in the family: first you shouldn't
speak because you are a girl, then later you shouldn't speak because no one
will marry you, then later you shouldn't speak because you are a new bride.
Finally, you might have the chance to speak but you don't speak because you
forgot how to.25
Kosovo Prishtina, women activist
25 Citation extraite par Cheston et Kuhn (2002) du rapport des
« International Helsinki Federations for Human Rights », Women
2000 : An investigation into the status of women's rights in central and
south-eastern europe and the newly independent states.
Chapitre 3 : La microfinance 43
En encourageant la solidarité sociale, les institutions
de microfinance cherchent l'accomplissement personnel et l'autonomie des
membres de ces groupes (Acevedo, 2007). Pour que ces femmes deviennent
autonomes et puissent être maitresses d'elles mêmes et de leurs
choix, la société doit leur donner accès aux ressources
matérielles et financières adéquates.
4. La femme est-elle un meilleur client que l'homme?
Armendariz de Aghion et Morduch (2007) ont identifié
trois principales raisons pour lesquelles les femmes seraient de meilleurs
clients pour les IMF (et pour la société en
générale) que les hommes :
? Selon le principe économique de retour sur
investissement, les auteurs avancent que les femmes auront un meilleur retour
sur investissement que les hommes puisqu'elles sont plus pauvres. Yunus (2007)
ajoute d'ailleurs que les femmes ont un accès beaucoup plus restreint au
financement, et par ce fait même, elles auront une plus grande
volonté à rembourser leurs emprunts pour ne pas être
davantage marginalisées par le système financier.
? Les femmes ont une moindre mobilité que les hommes,
et sont par le fait même des emprunteurs moins risqués pour les
banques. Étant donné leurs obligations familiales, elles seront
moins susceptibles de fuir les pressions externes.
? Aussi, comme les femmes sont moins mobiles que les hommes,
elles sont plus sensibles aux pressions sociales, plus facilement
contrôlables par les banques et constituent donc des clients prenant des
décisions moins risquées pour leurs investissements.
Outre les raisons professionnelles, les dépenses pour
le domicile familial reflètent le partage des responsabilités
dans le couple. Selon Arwidsson, les femmes dépenseraient une plus
grande proportion de leurs revenus pour les enfants du couple que les hommes.
Les politiques supportant l'autonomie des femmes s'appuient donc sur le fait
que leur épanouissement professionnel sera profitable pour elle et pour
les enfants, entrainant par conséquent des bénéfices
sociaux plus importants tel qu'une meilleure scolarisation des plus jeunes
(Arwidsson, 2006).
Chapitre 3 : La microfinance 44
VI. Conclusion
Dans la section relative à la microfinance, nous avons
fait un large survol de cette industrie, du microcrédit, des
institutions de microfinance et enfin du marché cible des femmes. Nous
avons vu comment les IMF pouvaient constituer un moyen de lutte contre la
pauvreté puisqu'elles dynamisaient la création d'emplois en
offrant un accès au crédit pour les entrepreneurs à faible
revenus, exclus du système financier traditionnel. Nous avons aussi
constaté que la femme était davantage marginalisée que
l'homme de ce système, et qu'en réponse à cette
discrimination, certaines IMF centraient leurs efforts sur cette
clientèle. Par ailleurs, nous avons abordé la
problématique quant à la gestion de la performance de ces
institutions. Les revues scientifiques et académiques proposent des
outils de mesure de la performance sociale ou financière, mais
très peu, sinon aucune, ne semblent permettre une réflexion
croisée de ces deux dimensions.
Dans le cadre conceptuel, nous présenterons les
indicateurs de performance retenus pour le tableau de bord. Nous expliquerons
aussi comment nous avons modifié le modèle de Kaplan et Norton
pour adapter l'outil au contexte particulier des institutions qui nous
intéressent.
Cadre conceptuel
Chapitre 4
Introduction
Pour que notre outil se rapproche le plus proche possible de
la réalité, nous avons essayé de prendre en compte les
principaux facteurs qui influencent les dirigeants dans leurs choix des
indicateurs de performance et des orientations stratégiques.
La littérature scientifique identifie ces facteurs.
Entre autres, Kaplan et Norton (1996b) insistent sur l'importance de
refléter la mission et la vision de l'institution dans l'outil de
gestion en y intégrant des mesures de performance adéquates. Par
exemple, une organisation qui se voudrait avoir le meilleur service à la
clientèle inclurait des indicateurs de performance relatifs à la
satisfaction de la clientèle, avec comme objectif des taux de
satisfaction supérieurs à la concurrence.
Dans le cas d'une organisation à but non lucratif,
Kaplan (2002) souligne l'importance de bien comprendre l'environnement dans
lequel elle évolue. En effet, il suggère une analyse
préliminaire afin de définir son marché, de comprendre les
facteurs déterminant la satisfaction de la clientèle ainsi que
ses valeurs organisationnelles, en plus de déterminer les objectifs
à court et moyen terme. Par ailleurs, Creelman et Makhijani (2011)
insistent sur l'établissement d'une carte stratégique avant de
commencer à choisir les indicateurs de performance pertinents. Cette
carte permettrait de visualiser et de comprendre les relations de
cause-à-effet entre les différentes perspectives afin de
s'assurer de la cohérence du tableau de bord (Kaplan, 2008). Enfin,
Epstein et Birchard (1996) discutent
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 46
d'une judicieuse combinaison par type d'indicateurs afin de
pouvoir aboutir à un tableau de bord qui soit équilibré :
De façon générale, la liste définitive doit
comprendre des indicateurs financiers et des indicateurs non financiers,
externes et internes, retardés et avancés (Epstein et
Birchard, 1996, pg 7).
Nous aboutissons donc à un ensemble de
considérations importantes à prendre en compte pour
l'élaboration de notre tableau de bord. Ces considérations
créent en quelque sorte le cadre conceptuel dans lequel l'outil doit
être développé.
Carte
stratégique
Marché cible
Objectifs
stratégiques
Tableau de bord
Mission & vision
Considérations importantes pour le tableau de
bord
Au cours de cette étude, nous évaluerons la
pertinence de l'utilisation d'un tableau de bord dans le cadre d'institutions
de microfinance dont la stratégie est axée autour des femmes.
Pour ce faire, nous appliquerons notre modèle à quelques cas
réels pour étudier la possibilité d'établir un
diagnostic fiable de la performance de l'institution grâce à cet
outil. Dans la suite de la présente section, nous approfondirons
certains éléments d'analyse avant de nous lancer dans les
études de cas. Nous commencerons par discuter de la carte
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 47
stratégique et des différentes formes que
celle-ci peut prendre pour s'adapter au contexte particulier de notre
étude. Par la suite, nous ferons un rappel des différents
indicateurs de performance que propose la littérature avant de conclure
sur la liste des indicateurs qui composeront notre tableau de bord.
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 48
I. La carte stratégique
La carte stratégique constitue un préalable
indispensable au développement d'un tableau de bord. Elle permet de bien
aligner les mesures de performance à la stratégie interne de
l'entreprise (Kaplan et Norton, 1996c). Pour la prise de décision, la
carte stratégique et le tableau de bord permettent de démontrer
aux parties prenantes externes que leurs intérêts sont pris en
compte. Ces éléments permettent aussi la communication de la
stratégie au sein de l'équipe de direction. Enfin, ils guident
les dirigeants pour la création d'un système de pilotage
complémentaire ou alternatif au système budgétaire
(Meyssonnier et Rosolofo-Distler, 2011).
1. La carte stratégique et le tableau de bord
La carte stratégique est une représentation
graphique de la stratégie organisationnelle supportant la chaine de
création de valeur dans l'organisation (Kaplan et Norton, 2004).
À travers l'élaboration de la carte stratégique, les
gestionnaires font le lien entre les actifs intangibles de l'organisation et
les attentes de la clientèle et des actionnaires. Elle apporte une
discussion quant à l'alignement des objectifs à moyen terme et
à long terme de l'organisation avec les besoins des principales parties
prenantes, en dévoilant les liens de cause-à-effet entre les
différentes perspectives du tableau de bord (Kaplan et Norton,
2004). Les objectifs à long terme de l'organisation sont ainsi
divisés en plusieurs objectifs à court et moyen terme, plus
faciles à contrôler. Pour illustrer les liens de
cause-à-effet, nous pouvons prendre un exemple très simple d'une
carte stratégique contenant un objectif stratégique par
perspective :
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 49
Finances
|
Profitabilité
|
Retour sur investissement
|
Clients
|
Fidélisation de la clientèle
|
Taux de satisfaction de la clientèle
|
Processus internes
|
Contrôle qualité
|
Taux de rejets
|
Innovation et apprentissage
|
Formation des employés
|
# Jours de formation par employé
|
Exemple simplifié d'une carte
stratégique
Supposons une entreprise manufacturière utilisant les
quatre perspectives de Kaplan et Norton pour son tableau de bord, et ayant
représenté sa stratégie à travers la carte
stratégique ci-dessus. Dans ce modèle très simple, chaque
perspective aurait un impact sur la perspective supérieure. Ainsi,
à travers une meilleure formation des employés, les gestionnaires
pensent pouvoir mieux contrôler la qualité de la production, une
garantie de bonne qualité permettant une bonne fidélisation de la
clientèle et ultimement une profitabilité intéressante
pour l'organisation. C'est ainsi que la représentation graphique de la
stratégie permet de mieux comprendre le processus de création de
valeur. Au niveau du tableau de bord, il s'agit de pouvoir contrôler
chacun des objectifs stratégiques grâce à des indicateurs
de performance pertinents. Dans notre exemple, nous avons proposé le
nombre de jours de formation par employé, les taux de rejets, le taux de
satisfaction de la clientèle et le retour sur investissement comme
indicateurs de performance. En gardant l'oeil sur ces indicateurs, le
gestionnaire peut ainsi contrôler le processus opérationnel de
création de valeur dans l'organisation. Dans notre exemple, le tableau
de bord comporte l'ensemble de ces indicateurs de performance dont il est
possible de mieux comprendre les interrelations grâce à la carte
stratégique.
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 50
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 51
Le choix des indicateurs de performance est étroitement
lié aux perspectives stratégiques retenues pour le tableau de
bord. Kaplan et Norton (1992) ont proposé des perspectives qui
peuvent s'adapter à une grande proportion d'entreprises commerciales.
Néanmoins, Kaplan (2002) discute de l'importance d'adapter le
système de contrôle de gestion au contexte des organismes à
but non lucratif et, pour ce faire, certains auteurs proposent de revoir le
choix des perspectives stratégiques.
2. Le choix des perspectives stratégiques
Pour l'élaboration d'une carte stratégique
destinée à un organisme à but non lucratif, plusieurs
auteurs proposent d'adapter les perspectives stratégiques standards de
Kaplan et Norton au contexte particulier de ces organisations.
Les institutions de microfinance poursuivent
généralement plusieurs objectifs simultanément, d'ordre
social et/ou financier, alors que la finalité des entreprises
commerciales pourrait être résumée à la maximisation
de la valeur (Labie, 2005). Dans le cadre du tableau de bord, Labie
propose de remplacer l'axe financier de Kaplan et Norton par un axe
d'efficacité quant à l'utilisation des ressources. En effet, les
OBNL se distinguent des entreprises commerciales de par plusieurs aspects. Tout
d'abord, il existe une scission entre les apporteurs de fonds et ceux qui
gèrent ces fonds, contrairement aux autres entreprises où l'on
parle plutôt d'actionnaires à la recherche d'un rendement pour
leurs investissements. Ensuite, les OBNL doivent faire un arbitrage quant aux
missions qu'elles veulent accomplir pour ne pas trop disperser leurs efforts;
elles établissent alors ces missions en fonction des ressources
financières et humaines disponibles, et d'une évaluation des
coûts de transaction de chaque mission. Enfin, des mécanismes de
contrôle doivent aussi être mis en place dans ces organismes.
Toutefois, ce qui importe aux apporteurs de fonds et à l'équipe
dirigeante n'est pas forcément l'utilisation efficace des fonds et le
rendement sur le capital investi, mais plutôt les externalités
positives générées par l'utilisation de ces fonds. Et ces
externalités sont parfois difficiles à mesurer, puisqu'il s'agit
bien souvent de la satisfaction d'un tiers.
Meyssonnier et Rosolfo-Distler (2011) proposent
plutôt d'intégrer un cinquième axe au-dessus de l'axe
financier, qui serait un axe de développement durable :
économique, sociale et/ou environnemental. C'est ce que les auteurs
appellent le Sustainability Balanced Scorecard. L'intégration
d'une dimension de responsabilité sociale permettrait de rappeler
à l'équipe de direction la primauté de l'aspect social
dans les activités de l'institution. Qui plus est, le tableau de bord
qui en découlerait poursuivrait plusieurs fonctions parallèles.
D'une part il soutiendrait le processus budgétaire de l'institution afin
de permettre son autosuffisance financière. D'autre part, il permettrait
l'institutionnalisation des préoccupations sociales, et serait un
système de pilotage du développement durable de l'institution.
Enfin, il pourrait être utilisé comme un document de communication
des activités de l'IMF.
En ce qui concerne notre outil, un des objectifs est non
seulement de pouvoir contrôler l'efficience de l'utilisation des
ressources pour poursuivre un objectif d'autosuffisance financière, mais
aussi de donner la primauté aux externalités sociales de l'IMF.
Par conséquent, il nous parait judicieux d'intégrer le
cinquième axe de développement durable au-dessus de l'axe
financier, respectant ainsi la logique de Meyssonnier et Rosolfo-Distler
(2011). Par ailleurs, l'axe financier pourrait permettre de
contrôler l'efficacité de l'utilisation des ressources comme le
suggère Labie (2005).
3. Exemples de cartes stratégiques pour les IMF
Nous avons retenu deux modèles génériques
de cartes stratégiques proposés dans la littérature. Le
premier est issu d'une étude de cas de Labie (2005) sur les
institutions de microfinance. Le modèle est relativement simple est peu
développé mais il suit la philosophie de l'auteur, telle que
discutée précédemment, puisque l'axe financier se
concentre sur l'utilisation optimale des coûts et non sur la maximisation
du profit. Le second modèle a été élaboré
par le Microfinance Centre (2007) et correspond à la
philosophie de Meyssonnier et Rosolfo-Distler (2011) puisqu'il
intègre un cinquième axe stratégique au-dessus de l'axe
financier. Ces modèles sont présentés dans les deux
prochaines pages.
52
Perspective
|
Objectif
|
Indicateurs possibles
|
Financier
|
Couverture de l'ensemble des coûts (coûts du capital,
coûts organisationnels, coûts liés aux provisions pour
arriérés) au moyen d'une offre qui ait du sens du point de vue
économique que du point de vue social
|
· Degré de couverture des coûts
· Indices de dépendance par rapport aux
subventions
· Rapport entre taux d'intérêt
pratiqués et ceux du concurrent
· Coût total d'obtention d'un crédit pour un
client (en incluant les coûts de transaction qu'il supporte)
|
Clients
|
Satisfaction des clients
|
· Nombre de crédits successifs
· Durée moyenne de l'épargne
· Taux de croissance du nombre de clients
· Taux d'arriérés
|
Processus internes
|
Efficacité dans l'octroi de services financiers (ce qui
suppose une participation adéquate du personnel)
|
· Coûts organisationnels/volume de portefeuilles
· Taux d'arriérés
· Rotation du personnel
|
Innovation et apprentissage
|
Développement des produits qui correspondent aux souhaits
des clients
|
· Degré de satisfaction des clients par rapport aux
produits
· Rotation du personnel
|
|
Labie (2005) - Tableau de bord pour les
organisations de microfinance
Microfinance Center (MFC, 2007) - Carte
stratégique typique pour une IMF
53
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 54
Le fait que certains auteurs ou institutions, comme nous
venons de le voir avec Labie (2005) et le microfinance center
(2007), intègrent une perspective sociale souligne l'importance de
considérer cette dimension à part entière. Son
intégration dans le modèle de Kaplan et Norton permettrait
éventuellement d'intégrer une étude de performance
financière et sociale au sein d'une même réflexion lors de
l'analyse d'une institution de microfinance. Comme le souligne Woller
(2007), les institutions de microfinance relèvent le
défi de développer un modèle d'affaire qui présente
un équilibre entre les performances financière et sociale.
« Extending formal financial services to poor and
hard-to-reach clientele necessarily entails higher costs and lower per unit
returns and is, susequently, harder to scale-up. The trade-off inherent in this
relationship creates incentives for microfinance institutions (MFIs) to move
up-market and away from their traditional poor clientele - a phenomenon known
as mission drift. »
(Woller, 2007 pg 14)
Cette dérive de la mission (mission drift) sur
laquelle insiste Woller semble être une menace importante du secteur de
la microfinance. En supportant une réflexion croisée des
performances financière et sociale, les gestionnaires seraient plus
à même de protéger leur institution de ce risque.
La présente étude s'adonne donc à un
exercice de compilation équilibrée d'indicateurs de performance.
Cet équilibre n'est pas évident, puisqu'il doit avoir une
dimension à court terme et à long terme, être accessible
à son utilisateur cible, être synthétique quant à
l'information fournie etc. Par conséquent, avant de présenter les
indicateurs de performance retenus, nous ferons un court rappel de la revue de
littérature pour mieux expliquer le raisonnement suivi en vue de retenir
certains indicateurs plutôt que d'autres.
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 55
II. Modèle théorique
1. Rappel de la revue de littérature
Selon Holth (2011), afin de devenir
financièrement autosuffisantes, les institutions se doivent de garder la
quête du profit alignée avec les autres objectifs institutionnels;
une telle gestion de l'institution ne signifie pas forcément
l'inscription de l'institution en tant qu'organisme à but lucratif. En
effet, alors que les organismes à but lucratif ont la possibilité
de réinvestir les bénéfices générés
par les activités dans l'institution ou de les redistribuer à ses
actionnaires, les organismes à but non lucratif n'ont d'autre choix que
de réinvestir ces revenus au profit de l'institution dans son ensemble
(Holth, 2011). Par conséquent, la gestion d'une IMF se doit
d'être élaborée dans une perspective de rentabilité
financière pour assurer la viabilité de l'institution dans son
ensemble. Elle se doit d'être faite dans une perspective de
pérennité à long terme qui ne pourra exister sans une
indépendance de l'institution face aux subventions et aux dons, et
nécessitera donc une autosuffisance de l'institution grâce aux
revenus générés par ses propres activités (Dingue,
2005). Le tableau suivant présente une partie des indicateurs
de performance provenant des études présentées dans la
revue de littérature.
56
Sources26
|
|
(CGAP, 2003)
|
|
(Christopoulos et Pozzebon, 2011)
|
(Gutiérrez-Nieto, Serrano- Cinca et Molinero,
2007)
|
|
(Rosenberg, 2003)
|
Indicateurs
|
·
|
Taux de provision pour
|
·
|
Portefeuille à risque
|
·
|
Total des actifs
|
·
|
Nombre de clients actifs
|
|
|
créances douteuses
|
|
(PAR30, Portfolio At
|
·
|
Coûts opérationnels
|
·
|
Emprunt moyen par
|
|
·
|
Taux d'abandon de
|
|
Risk) en retard de plus
|
·
|
Nombre d'employés
|
|
client
|
|
|
créances
|
|
de 30 jours
|
·
|
Nombre de femmes
|
·
|
Portefeuille à risque
|
|
·
|
Taux de
|
·
|
Ratio de coûts
|
|
parmi les emprunteurs
|
|
(PAR30, Portfolio At
|
|
|
rééchelonnement des
|
|
opérationnels
|
·
|
Nombre d'emprunteur
|
|
Risk)) en retard de plus
|
|
|
prêts
|
·
|
Ratio de la dette sur les
|
·
|
Emprunt moyen par
|
|
de 30 jours
|
|
·
|
Ratio de liquidité
|
|
fonds propres
|
|
client / PIB par habitant
|
·
|
Emprunts à risque
|
|
|
immédiate
|
·
|
Frais moyen par
|
·
|
Montant du portefeuille
|
|
(LAR30, Loans At Risk)
|
|
·
|
Marge nette d'intérêts
|
|
transaction
|
·
|
Revenus financiers
|
|
de plus de 30 jours
|
|
·
|
Augmentation annuelle du nombre
|
·
|
Taux d'intérêts sur les emprunts
|
·
|
Etc.
|
·
·
|
Taux de recouvrement Rendement de l'actif
|
|
·
|
d'emprunteurs
Taux de croissance annuel de l'épargne
|
·
|
Nombre de services différents offerts aux clients
|
|
|
·
·
|
Rendement des capitaux propres Ratio de coûts
|
|
·
|
Augmentation annuelle
|
·
|
Âge de l'institution
|
|
|
|
opérationnels
|
|
·
|
du nombre de déposants
Nombre de clients actifs
|
·
·
|
Ratio coûts/revenues Taux d'acceptation des demandes de
crédit
|
|
|
·
|
Etc.
|
|
·
|
Pourcentage de clientes
|
·
|
Etc.
|
|
|
|
|
|
·
|
Montant médian des premiers prêts
|
|
|
|
|
|
|
|
·
|
Etc.
|
|
|
|
|
|
|
Exemples d'indicateurs de performance de la
littérature académique
26 Le tableau n'est pas un récapitulatif exhaustif des
indicateurs proposés par les auteurs. Certains indicateurs ont
été omis volontairement car ils ne correspondent pas au type
d'IMF que nous voulons étudier ou au type d'analyse que nous voulons
poursuivre. Les auteurs ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir
présenté de tels
indicateurs, mais ils constituent les principales sources
desquelles nous avons sélectionné nos indicateurs.
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 57
2. Présentation du modèle
i. Considérations théoriques
Le tableau de bord de gestion pourrait être
utilisé comme outil diagnostic à l'interne pour mieux comprendre
la performance des IMF. Étant donné leur objectif à la
fois financier et social, l'introduction de mesures financières et non
financières semble appropriée pour ce type d'analyse, et le
modèle de Kaplan et Norton suggère l'utilisation de ces deux
types de mesures. Comme nous l'avons vu dans la revue de littérature,
l'émergence de cet outil est venu combler certaines faiblesses des
systèmes de contrôle de gestion traditionnels, en apportant des
éléments de réponses et d'analyse pour mieux comprendre
les origines de l'inefficacité opérationnelle des entreprises. Ce
type d'outil pourrait donc permettre aux IMF qui nous intéressent de
mieux comprendre leur performance financière tout en s'assurant qu'elle
s`harmonise avec leur objectif social. En décomposant la performance
globale d'IMF en plusieurs aspects de la chaine opérationnelle, et en
mesurant chacun de ces aspects, le gestionnaire d'une IMF serait plus à
même de comprendre les déterminants de la rentabilité de
l'institution : Quels facteurs soutiennent l'autosuffisance financière
de l'institution? Dans quel processus l'IMF devrait-elle exceller pour
atteindre tel ou tel objectif? Etc.
D'autres études ont traité des mesures de
performance des institutions de microfinance, et il serait intéressant
de faire le parallèle entre les perspectives stratégiques du
modèle de Kaplan et Norton (auxquelles nous avons ajouté une
perspective sociale) avec les dimensions que proposent certaines de ces
études. Parmi elles, nous avons retenu l'étude de Ledgerwood
(1999). Le tableau suivant aide à représenter cette idée
:
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 58
Kaplan et Norton
|
Ledgerwood
|
Perspective :
? Sociale
? Financière
? Clients
? Processus internes
? Innovation et apprentissage
|
Qualité du portefeuille Productivité et efficience
Viabilité financière Profitabilité
Levier et adéquation du capital Échelle,
portée et croissance
|
Les perspectives de Kaplan et Norton et les
dimensions de Ledgerwood
Nous pensons que les deux modèles ci-dessus sont
très similaires, de sorte que nous proposons d'inclure les dimensions de
Ledgerwood dans les perspectives de Kaplan et Norton. Il nous semble que toutes
les dimensions de l'étude de Ledgerwood pourraient être incluses
dans les perspectives financière, clients, et processus internes du
modèle de Kaplan et Norton. À travers la perspective innovation
et apprentissage, ainsi que la perspective sociale suggérée par
Meysonnier et Rosolfo-Distler, notre outil offrirait deux nouveaux aspects
à considérer dans la mesure de la performance des IMF. Par
conséquent, nous pouvons penser que le tableau de bord pourrait
constituer un outil à fort potentiel pour le contrôle de gestion
des IMF.
Avant de passer à la description des indicateurs de
performance, il serait intéressant de faire un rappel de la
définition de la performance d'une institution de microfinance.
ii. Qu'est ce qu'une IMF performante?
Comme nous l'avons vu dans la littérature, il existe
peu, sinon pas, de consensus pour définir la performance des
institutions de microfinance (Lashley, 2004; Nanayakkara et Iselin, 2012). Des
mesures de performance d'entreprises commerciales telles que le retour sur
investissement ou le cours de l'action ne semblent pas appropriées pour
ce type d'institution. Celles-ci tentent en effet d'avoir un impact social
positif sur leur clientèle pour
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 59
améliorer le niveau de vie des clients, et les outils
de mesure de la performance accordent une importance prioritaire à cette
performance dite sociale.
D'un côté, il s'agit donc de mesurer la
performance sociale d'une IMF. Par exemple, le Consultative Group to Assist
the Poor a étudié la performance sociale d'institutions de
microfinance à travers le niveau de scolarité des enfants en
Ouganda, la réduction de la malnutrition au Bangladesh et la diminution
des périodes de carence alimentaire au Vietnam (CGAP, 2002 ,
cité par Nanayakkara et Iselin 2012). D'un autre
côté, il est essentiel pour une institution de gérer sa
performance financière pour pouvoir oeuvrer à long terme.
L'avenir de la microfinance passerait par une indépendance des
institutions de microfinance quant aux subventions et dons externes (Dingue,
2005). En conclusion, concernant les institutions de microfinance,
deux aspects essentiels sont à considérer pour mesurer leur
performance : la viabilité financière (ou l'autosuffisance
opérationnelle) ainsi que l'étendue du champ d'action. À
travers les études de cas du prochain chapitre, nous pourrons
déterminer s'il est possible d'établir un diagnostic fiable de la
performance de ces institutions grâce au tableau de bord.
Kaplan et Norton (1992) recommandent de
sélectionner un nombre restreint d'indicateurs par perspective
stratégique. Il nous a semblé aussi important de
représenter chacune des dimensions de Ledgerwood dans le tableau de bord
par au moins un indicateur de performance. D'autres indicateurs ont
été ajoutés pour prendre en compte le contexte particulier
des IMF dont la stratégie est axée autour des femmes. Enfin, pour
ce qui est de l'origine des données financières du prochain
chapitre, nous avons combiné la base de donnée publique de
l'organisation Microfinance eXchange27 avec les
différents ratios calculés par les IMF et disponibles sur leur
site internet.
iii. Le choix des indicateurs de performance
L'annexe 1 présente les détails de calcul des
indicateurs de performance retenus pour le tableau de bord. Notre choix des
indicateurs de performance a été réalisé sans
étude de terrain, et s'est appuyé exclusivement sur nos
recherches de la littérature scientifique et
27 Site web de l'organisation : http://www.mixmarket.org/
données collectées le 28 janvier 2013.
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 60
académique. Plusieurs modèles de gestion de la
performance ont retenu notre attention, principalement le PPI (Progress Out
of Poverty Index) développé par Mark Shreiner, l'outil
CERISE, de l'agence de notation Planet Finance, et les
différents outils de la Social Performance Task Force
(SPTF). Toutefois, ces outils sont élaborés sous
forme de questionnaires et/ou de sondages et ne fournissent pas d'indicateurs
de performance relatifs à la gestion de l'IMF conformément
à notre étude. Le PPI, par exemple, permet de mesurer le niveau
de pauvreté de la clientèle d'une IMF et, par conséquent
évalue la performance de ladite institution en fonction
l'amélioration du niveau de vie de la population. Une telle approche
quant à la mesure de la performance d'une IMF est intéressante,
mais contrairement au tableau de bord élaboré selon l'esprit de
Kaplan et Norton, elle ne renseigne pas sur l'utilisation efficiente des
ressources par l'institution et sur sa pérennité à long
terme.
D'autres études correspondaient davantage au
modèle du tableau de bord de gestion. Parmi ces études, nous
avons retenu celles de Ledgerwood (1999), Christopoulos et Pozzebon (2011),
CGAP (2003), Rosenberg (2003, 2009); (Rosenberg, 2009), Gutiérrez-Nieto,
Serrano-Cinca et Molinero (2007), Von Stauffenberg et Ramirez (2003),
Waterfield et Ramsing (1999) et Weber et Ferro-Luzzi (2006). Nous avons ainsi
observé tous les indicateurs de performance que proposait cette
littérature pour en tirer des mesures relatives à chacune des
perspectives de Kaplan et Norton. Nous avons pris en compte les principales
caractéristiques du tableau de bord tel qu'introduit
précédemment dans la revue de littérature. La liste
suivante en présente quelques-unes :
? Indicateurs simples à calculer et à comprendre
car l'outil s'adresse à des personnes n'ayant pas forcément une
formation poussée en gestion ou en statistiques;
? Information de gestion précise et unique à
chaque indicateur : par exemple, chacun du nombre d'employés et de
clients nous informe sur la taille de l'institution, mais le second donne
également une idée de l'étendue du champ d'action et a
donc davantage tendance à être retenu par rapport au premier;
? Tableau de bord équilibré entre mesures
financières et non financières, mais aussi entre mesures
d'efficacité, d'efficience, de rendement, de productivité et
d'économie;
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 61
? Chaque indicateur de performance lié à un
aspect de la structure opérationnelle doit faciliter la
définition d'un objectif stratégique. Par exemple, nous faisons
le choix du rapport entre les dettes et les fonds propres pour mesurer la
structure de financement; une IMF pourrait donc juger qu'une structure de
financement convenable pour ses opérations impliquerait un ratio
inférieur à tel ou tel palier.
Par ailleurs, nous nous sommes inspirés de
l'information disponible sur la base de données du Microfinance
eXchange28 car elle constitue notre principale source de
données financières et comptables sur les institutions
étudiées dans le prochain chapitre. Cet élément a
constitué une limite quant au choix et à la qualité des
indicateurs disponibles, et nous avons surtout été limités
au niveau des indicateurs de performance des perspectives sociales, et
innovation et apprentissage. La page suivante présente les indicateurs
de performance retenus et l'annexe 1 fournit plus de détails quant
à leur définition et formule de calcul.
Pour conclure, le tableau de bord de la page suivante ne
présente pas d'objectifs à atteindre pour chaque indicateur. Dans
le chapitre suivant, bien que nous ayons essayé de proposer des
éléments de comparaison tels que des ratios de l'industrie et des
principaux concurrents, nous sommes conscients que l'absence de tels objectifs
affaiblit la pertinence de notre étude. Nous approfondirons sur ce point
plus tard, au niveau des limites de l'étude.
28
http://www.mixmarket.org/,
visité le 01 mars 2013.
62
Perspective sociale
|
|
Marché cible
|
|
|
|
Pourcentage de femmes parmi la clientèle
|
|
Perspective financière
|
Gestion des coûts
|
Structure de financement
|
Autosuffisance financière
|
Rendement sur l'actif
|
|
|
|
|
Coûts opérationnels / Portefeuille de
prêts
|
Dette / Fonds propres
|
Ratio d'autosuffisance financière
|
Bénéfice net / Actif total
|
Perspective client
|
Dépôts de la clientèle
|
Étendue du champ d'action
|
Profondeur du champ d'action
|
|
|
|
Dépôts / Portefeuille de prêts
|
Nombre d'emprunteurs actifs
|
Emprunt moyen
|
Perspective processus internes
|
Distribution de la
|
Clients à risque
|
Distribution des activités
|
Coût des emprunts
|
Distribution des agents
|
clientèle
|
de crédits
|
|
|
|
|
|
Nombre d'emprunteurs actifs par succursale
|
% du Portefeuille en retard de plus de 30 jours
|
Nombre d'emprunteurs par agent de crédit
|
Moyenne du coût par emprunt
|
Nombre d'agents de crédit par succursale
|
Apprentissage et innovation
|
Conditions salariales
|
Femmes
|
Femmes
|
|
|
|
Salaire moyen / PIB par habitant
|
% de femmes employées
|
% de femmes gestionnaires
|
Proposition de tableau de bord de gestion
Chapitre 4 : Cadre conceptuel 63
III. Conclusion
Dans le cadre conceptuel, nous avons vu les principaux
facteurs à prendre en compte dans le choix des indicateurs de
performance. Nous avons aussi suggéré de placer une
cinquième perspective sociale au-dessus de la perspective
financière de Kaplan et Norton afin de montrer la primauté du
rendement social sur le rendement financier d'une IMF.
Comme nous l'avons vu dans la revue de littérature,
certains modèles de mesure de la performance ont déjà
été développés, mais aucun ne semblerait
intégrer les performances sociale et financière dans un
même modèle; qui plus est, aucun ne semble se concentrer sur les
IMF dont la stratégie est axée autour des femmes. Par ailleurs,
nous avons soulevé le manque de standards de performance dans
l'industrie de la microfinance. Nos analyses de performance devraient donc se
faire au cas par cas, en fonction des objectifs stratégiques et des
activités sociales de chaque institution.
Finalement, nous avons présenté les indicateurs
de performance qui pourraient composer notre tableau de bord de gestion et que
nous utiliserons pour faire un diagnostic d'IMF dont la stratégie est
axée autour des femmes dans le prochain chapitre. L'objectif
étant d'évaluer la possibilité d'établir un
diagnostic de performance fiable d'IMF grâce au tableau de bord.
Etudes de cas
Chapitre 5
Introduction
Suite à la revue de littérature et au cadre
conceptuel, nous pouvons maintenant rentrer dans le vif du sujet et
évaluer l'utilisation du tableau de bord sur quelques situations
réelles. Nous avons vu que plusieurs modèles de mesure de la
performance proposaient des indicateurs pour évaluer les finances et la
durabilité des IMF. Toutefois, il semblerait qu'aucun n'ait
abordé le sujet à travers un tableau de bord, en y ajoutant une
perspective sociale, et en s'intéressant aux IMF dont la
stratégie est axée autour des femmes particulièrement.
Dans le présent chapitre, nous allons tenter de faire
un diagnostic de performance de deux institutions de microfinance, l'une en
Inde, l'autre au Maroc, grâce au tableau de bord que nous avons
présenté dans le cadre conceptuel. L'objectif est de savoir s'il
est possible de formuler une évaluation juste de la performance d'une
IMF à travers cet outil. Nous avons retenu ces deux IMF car nous pensons
qu'elles peuvent nous aider à comprendre si le tableau de bord permet
d'aboutir à un diagnostic fidèle de la réalité. En
effet, selon les littératures professionnelles et scientifiques, l'une
de ces institutions jouit d'une excellente performance financière et
sociale contrairement à la seconde institution, et le tableau de bord
que nous vous proposons devrait nous permettre d'aboutir à des
conclusions similaires.
Le présent chapitre ne traite pas d'une étude de
cas à proprement dit, avec une étude terrain et une collecte de
données auprès des institutions de microfinance. À partir
d'informations financières et comptables collectées de sources
secondaires, il s'agit d'évaluer la possibilité de
réaliser un diagnostic fiable de la performance de ces institutions
à partir de ces mêmes données. Ces dernières ont
été principalement recueillies du site
Chapitre 5 : Études de cas 65
web du Microfinance eXchange29,
précédemment présenté dans la revue de
littérature. Le site propose en effet une base de données
contenant des indicateurs financiers pour plus de 2000 institutions à
travers le monde. Une minorité d'indicateurs, à savoir les
indicateurs sociaux de la Bandhan Financial Services30, a
été collectée du site web de l'institution.
Kaplan (2002) a noté l'importance de comprendre
l'environnement sociopolitique et la culture d'entreprise d'une organisation
avant de pouvoir en apprécier la performance. Par conséquent,
pour chacune des institutions de microfinance, nous ferons une analyse de
l'environnement politique et économique du secteur de la microfinance
dans le pays ainsi que de l'historique et du fonctionnement de l'institution.
Par la suite, nous présenterons le tableau de bord de chacune des
institutions sur 3 ans pour voir si ces indicateurs de performance nous
permettent d'arriver à des conclusions cohérentes avec la
réalité.
I. Bandhan Financial Services
Pour l'évaluation de notre outil, nous avons choisi une
institution renommée, ayant a priori une bonne performance
financière et opérationnelle, et reconnue par ses pairs. Notre
choix s'est porté sur la Bandhan Financial Services (Bandhan),
classée deuxième institution la plus performante par le magazine
Forbes en 200731 et 13ème par l'organisation
Microfinance eXchange en 200932. Nous pensons ainsi avoir
un modèle d'institution de microfinance performante sur laquelle nous
pourrions tester notre outil, et voir s'il permet d'aboutir à une image
de la Bandhan similaire à celle que perçoit le marché.
29 Site web de l'organisation http://www.mixmarket.org/
visité le 8 avril 2013.
30 Site web de l'organisation http://www.bandhan.org/
visité le 8 avril 2013.
31 Site web de Forbes, page du classement affiché le 20
juillet 2007, visité le 3 février 2013
http://www.forbes.com/2007/12/20/microfinance-philanthropy-credit-biz-czms1220microfinancetable.html
32 Site web de Microfinance eXchange, page du classement
affiché en janvier 2010, visité le 3 février 2013
http://www.themix.org/sites/default/files/2009%20MIX%20Global%20100%20Composite.pdf
Chapitre 5 : Études de cas 66
Aussi, comme notre outil porte sur les IMF dont la
stratégie est axée autour des femmes, il nous semble important de
présenter la situation socioéconomique de la femme dans le pays
de l'institution.
1. Situation socioéconomique de la femme
indienne
Bandhan a choisi de travailler à l'amélioration
des conditions de vie de la femme indienne qui ne bénéficie pas
encore des mêmes droits que l'homme.
Sur le site de la Banque Mondiale, nous pouvons constater une
augmentation de 11,9% du PIB par habitant de l'Inde de 2010 à 2011.
Néanmoins, il semblerait que cette croissance ne soit pas à son
plein potentiel, et surtout qu'elle ne profite pas à tous. Dans le
rapport du CSIS, Center for Strategic & International Studies, par
Inderfurth et Kahmbatta (2012), les auteurs soulignent l'importance de
l'économie indienne avec la seconde plus grande population active
mondiale, soit 478 millions d'habitants. Seulement, l'accès à
l'emploi et aux opportunités économiques ne semble pas
égal pour les deux sexes, puisqu'on peut constater que les femmes ne
constituent que 24% de la population active indienne, que le taux de femmes
séniors employées atteint à peine 5% pour une moyenne
nationale de 20%, et que près de la moitié des femmes
arrête de travailler avant d'achever la moitié de leur
carrière.
Cette discrimination présente un coût pour
l'économie indienne. Selon Lakshmi Puri, assistante au secrétaire
général de United Nations Women33, le taux de
croissance de l'économie indienne pourrait augmenter de 4,2% si les
femmes bénéficiaient de plus d'opportunités.
2. Environnement politique et économique
Selon le rapport annuel de la Reserve Bank of India
(2012), la microfinance en Inde a été
développée dans une perspective d'extension du système
bancaire, avec l'ambition de
33 Témoignage recueilli dans le rapport de Khambatta et
Inderfurth (2012).
Chapitre 5 : Études de cas 67
pouvoir intégrer tout le peuple indien dans ce
système traditionnel. Depuis lors, les institutions de microfinance ont
évolué vers un modèle formel, avec une approche
orientée vers le profit. L'industrie a vu se multiplier les IMF à
but lucratif enregistrées en tant que non-banking financial company
(NBFC). Les NBFC sont des institutions financières offrant des
services bancaires, sans être enregistrées en tant que banque. Ces
institutions sont traitées différemment puisqu'elles ne sont pas
toutes autorisées à accepter des dépôts du public,
mais restent régulées par la Reserve Bank of India
(RBI)34. La RBI accorde néanmoins cette
autorisation à certains IMF sous certaines conditions relativement
strictes.
En juillet 2010, l'industrie de la microfinance en Inde a
connu le premier passage en bourse de la SKS, la plus grosse IMF jusqu'à
présent avec un portefeuille de prêts de 1,2 milliards de dollars.
Le magazine The Economist (2013) rapporte que l'évaluation de
la banque était plus de 13 fois surestimée. Une crise de
l'industrie s'en est suivie, et les méthodes de collecte et les taux
d'emprunts ont été remis en cause, puisque certaines IMF
profitaient principalement aux investisseurs privés (The Economist,
2013; M-CRIL, 2012; RBI, 2012). La situation a été
rattrapée par la RBI qui émit une nouvelle règlementation
de la microfinance fin 2011 et qui imposa, entre autres, un plafond aux taux de
prêts (The Economist, 2013). Certaines IMF ont pu survivre et accroitre
leurs activités pendant cette période de crise. Parmi ces IMF,
Bandhan a pu continuer à offrir des taux d'intérêts
compétitifs grâce à un contrôle serré des
coûts opérationnels, en « créant des succursales
à une salle contenant à peine plus que des chaises en plastique
»35.
3. La microfinance indienne
Le secteur de la microfinance en Inde connait deux
modèles majeurs : les réplications de la méthodologie de
la Grameen Bank, et le Bank-Self-Help Group (Karmakar, 2009).
34 Site de la Reserve Bank of India
http://www.rbi.org.in/ visitée le 5 février 2013.
35 Témoignage du PDG de Bandhan, rapporté par
The Economist, édition imprimée du 12 janvier 2013.
Traduction personnelle.
Chapitre 5 : Études de cas 68
Le premier tire son origine de l'autorité de la Grameen
Bank comme étant l'une des institutions de microfinance les plus
performantes (Seibel et Torres, 1999). Les expériences de
réplications du modèle se fondent principalement sur la
méthodologie de prêt de groupe dont la réussite doit
être évaluée du point de vue « de l'empowerment
» (autonomisation) de la clientèle plutôt que de celui
du taux de pénétration du marché (Syed, 2009).
Avec des structures de financement orientées vers les donations,
certaines réplications n'ont pas été à la hauteur
des espérances, les taux d'intérêts observés
étaient inadéquats et les coûts administratifs exorbitants
(Seibel et Torres, 1999).
Le second modèle, le Bank-Self-Help Group
(BSHG), est chapeauté par des institutions de microfinance et la
discipline de la gestion d'un prêt est enseignée à un
groupe d'emprunteurs à travers un modèle bien défini.
Selon Harper (2002), un groupe d'une vingtaine de personnes provenant
d'une classe sociale homogène est constitué. Ces personnes
créent un fonds commun à partir des épargnes de chacun,
fonds qui leur sera emprunté, tour à tour, moyennant des
intérêts qui serviront à faire grossir ledit fond. Une fois
que le groupe a assimilé la rigueur du crédit bancaire, des
banques formelles sont alors encouragées à fournir des emprunts
sans garantie à ce groupe qui s'est constitué un historique de
crédit. Les membres décideront alors eux-mêmes des termes
du prêt et de la manière dont celui doit être
géré entre eux.
4. Bandhan Financial Services36
Bandhan a été créée en 1995,
et a commencé ses opérations de microfinance sous sa forme
actuelle en 2006 en tant que non banking financial company.
À la fin de 2011, l'institution comptait 1 553
succursales, pour 9 309 employés et 3,5 millions
de clients, répartis dans 18 états indiens.
36 Toutes les informations de la présente section sont
publiques et disponibles sur le site du Microfinance eXchange et sur
celui de l'institution, visités le 5 février 2013.
L'évaluation de performance étant faite pour la période
2009 à 2011, à défaut d'indication contraire, les
données font état de la situation de l'IMF à la fin de
l'exercice fiscal terminant le 31 mars 2011.
i. Chapitre 5 : Études de cas 69
Gouvernance
L'IMF est incorporée sous la supervision de la
Reserve Bank of India, sa forme légale actuelle lui permettant
d'accepter l'épargne de sa clientèle. Le conseil d'administration
est formé de sept membres, dont six directeurs indépendants, et
tous les membres ont plus de dix ans d'expérience dans leur domaine de
spécialisation. Le comité de gestion se réunit sur une
base mensuelle pour discuter de la performance financière et
opérationnelle et des nouvelles directives. Étant donné
l'étendue des opérations, le CA a formé des
sous-comités (gestion de risque, comité d'audit etc.) pour la
gestion saine de l'institution et pour accroitre la transparence des
opérations.
ii. Mission, vision et stratégie
L'IMF travaille à la réduction de la
pauvreté et à la responsabilisation des femmes. Avec 3,5 millions
de clients en 2011, l'institution espère pouvoir servir 10 millions de
clients à l'horizon 2020. Bandhan progresse quant à l'atteinte de
sa mission en privilégiant une stratégie tournée vers la
création de l'emploi à travers le financement d'entrepreneurs
à très faible revenu pour la promotion de l'entreprenariat et de
la microentreprise.
iii. Marché cible
Certaines activités de développement
communautaire visent les jeunes de moins de 18 ans, d'autres activités
à caractère éducatif se concentrent sur les enfants de 8
à 14 ans sans discrimination quant au sexe. En ce qui concerne le
microcrédit, Bandhan s'est engagée à fournir des services
de microfinance à un marché cible exclusivement féminin.
Elle fournit des formations de leadership et de gestion
financière à sa clientèle pour assurer une bonne
utilisation des crédits. Les produits et services ne visent pas
seulement la microentreprise, mais s'étendent également à
l'entreprise de taille moyenne.
Chapitre 5 : Études de cas 70
iv. Produits et services
Bandhan semble diversifier son offre de produits et de
services puisqu'elle propose notamment des services de transfert bancaire et de
marge de crédit par exemple. Aussi, elle propose des prêts non
seulement pour le financement d'entreprise, mais aussi pour les soins
hospitaliers. En règle générale, le client doit
démontrer le potentiel qu'il présente de générer
des revenus supplémentaires grâce au prêt. En cas de
défaut de paiement ou de prépaiement, aucune
pénalité n'est appliquée et les emprunts se font sans
hypothèque. Le tableau ci-dessous récapitule les principaux
produits financiers offerts par l'IMF37 :
Produit financier
|
Montant
|
Durée
|
Taux d'intérêt
|
Sushana (microcrédit)
|
18$ - 25$
|
12 mois
|
22,90%
|
Srishti
(microentreprise)
|
25$ - 90$
|
24 mois
|
22,90%
|
Samriddhi (micro, petite et moyenne
entreprise)
|
90$ - 900$
|
12/18/24 mois
|
22,90%
|
Suraksha
(microcrédit pour soins hospitaliers)
|
18$ - 180$
|
12 mois
|
20%
|
Susikhsha
(microcrédit pour l'éducation)
|
18$ - 180$
|
12 mois
|
20%
|
Fisheries
|
18$ - 90$
|
12/24 mois
|
22,90%
|
Produits financiers de la Bandhan Financial Services
37 Page web de l'institution
http://www.bandhanmf.com/loan.aspx
visité le 6 février 2013
Chapitre 5 : Études de cas 71
5. Analyse de performance
Après avoir présenté le contexte dans
lequel évolue l'IMF, la situation socioéconomique de la femme en
Inde, ainsi que le fonctionnement général de l'institution, nous
pouvons maintenant nous concentrer sur l'analyse de performance de cette
institution à partir du tableau de bord que nous avons introduit dans le
cadre conceptuel. La page suivante présente les indicateurs de
performance pour Bandhan sur la période 2009 à 2011. Ceux-ci sont
présentés par année et par perspective stratégique.
Nous rappelons que l'objectif et d'étudier la possibilité
d'établir un diagnostic de la performance de l'institution à
partir du tableau de bord. Pour rester dans l'esprit de l'outil selon Kaplan et
Norton, nous analyserons la performance de l'institution perspective par
perspective, du bas vers le haut, en commençant par la perspective
innovation et apprentissage, afin de mieux apprécier l'existence de
relations de cause-à-effet.
Chapitre 5 : Études de cas 72
Les devises sont en dollars américains
|
2009
|
2010
|
2011
|
Apprentissage et innovation
|
Salaire moyen/PIB par habitant
|
1,63
|
1,11
|
1,29
|
Pourcentage de femmes employées
|
ND
|
ND
|
ND
|
Pourcentage de femmes gestionnaires
|
ND
|
ND
|
ND
|
Processus internes
|
# Emprunts par succursale
|
2 155
|
2 192
|
2 096
|
PAR30
|
0,09%
|
0,13%
|
0,57%
|
# Emprunteurs/Agent de crédit
|
530
|
522
|
521
|
Coût par emprunt
|
7,76
|
6,61
|
9,73
|
# Agents de crédit/Succursale
|
4,07
|
4,20
|
4,02
|
Clients
|
Dépôts/Portefeuille de
prêt
|
16,21%
|
17,66%
|
1,41%%
|
# Emprunteurs actifs
|
1 454 834
|
2 301 433
|
3 254 913
|
Emprunt moyen
|
86
|
144
|
173
|
Financière
|
Coûts opér./Portefeuille de
prêts
|
8,78%
|
5,43%
|
6,12%
|
Dettes/Fonds propres
|
15,39
|
8,57
|
6,24
|
Autosuffisance opérationnelle
|
174%
|
158%
|
156%
|
Retour sur actif
|
8,66%
|
3,52%
|
5,32%
|
Sociale
|
Pourcentage de femmes clientes
|
100%
|
100%
|
100%
|
# Élèves du Bandhan Education
Program
|
1 980
|
3 645
|
5 002
|
# Familles du Bandhan Health Program
|
37 500
|
75 000
|
186 330
|
Tableau de bord pour la Bandhan Financial
Services entre 2009 et 2011
i. Chapitre 5 : Études de cas 73
Perspective innovation et apprentissage
En 2011, l'Inde affichait un PIB par habitant de 1
410$US, à titre de comparaison le Canada affichait 45 560$
pour la même année38. Le salaire
moyen pour les employés de Bandhan se serait donc situé entre 1
565$ (1,11 x 1 410) et 2 298$ (1,63 x 1 410) par an entre
2009 et 2011. Pour fins de comparaison, le ratio du salaire
moyen/PIB par habitant des IMF indiennes Grameen Bank et
Spandana39 était respectivement de 4,05 et
2,79 en 2009, avec 1,63 pour Bandhan la même
année.
Au niveau de la composition du personnel par sexe, nous
n'avons pu pas avoir accès aux données des années 2009
à 2011. Par contre, nous avons pu identifier un
pourcentage de femmes de 7,75% parmi les employés, et un
pourcentage de 3,35% de femmes gestionnaires en 2012.
En conclusion, les conditions salariales de Bandhan semblent
a priori très faibles, surtout que la concurrence affiche des ratios
presque deux fois plus élevés. Au niveau de
l'équité quant à l'accès à l'emploi, la
proportion des femmes est, elle aussi, très faible parmi les
employés de la Bandhan, mais les conditions socioéconomiques
particulières à la femme indienne expliquent en grande partie ce
déséquilibre. Qui plus est, la concurrence n'affiche pas
forcément de meilleurs résultats puisque le pourcentage de femmes
parmi les employés de Spandana plafonnait à 0,50% et
3,78% en 2010 et 2011.
ii. Perspective processus internes
Au niveau des opérations, le nombre d'emprunteurs par
succursale est demeuré relativement stable avec une moyenne sur la
période d'environ 2 150. Les ratios du nombre d'emprunteurs par
agent de crédit et du nombre d'agents de crédit par succursale
sont eux aussi restés stables avec des moyennes respectives d'environ
525 et de 4 sur la période. Ce constat nous semble
très positif étant donné la rapide augmentation du nombre
de succursales qui a plus que doublé sur la période, passant de
675 en 2009 à 1 553 en 2011. Bandhan
pourrait avoir profité de la croissance du secteur de la microfinance
38 Site de la Banque Mondiale http://data.worldbank.org/
visité le 6 février 2013.
39 La Grameen Bank et Spandana peuvent
constituer de bons éléments de comparaison puisque les trois IMF
(avec Bandhan) font partie des plus grosses IMF en Inde.
Chapitre 5 : Études de cas 74
indienne pour aller toucher un plus grand nombre
d'emprunteurs, dont le nombre est passé de 1 450 000 à 3 250 000
sur la même période. Qui plus est, l'institution semblerait
investir les moyens nécessaires pour continuer à répondre
adéquatement à la clientèle puisque le nombre d'agents de
crédit a crû dans les mêmes proportions, en passant de 2700
à 6 200.
Au niveau de la qualité du portefeuille, le
portefeuille à risque de plus de 30 jours (PAR30) a conservé des
valeurs très basses en restant inférieur à 1%. Cela
signifie que plus de 99% des clients de Bandhan recouvrent leur emprunt dans
les temps. Le coût par emprunt a quant à lui a connu une baisse de
15% de 2009 à 2010, en passant de 7,76$ par emprunt à 6,61$,
avant d'augmenter de près de 50% en 2011 pour atteindre 9,73$.
Malgré l'augmentation du coût par emprunt, les résultats
semblent très encourageant lorsque l'on compare à la
compétition. En effet, alors que Spandana est demeurée autour
d'une moyenne de 9$ par emprunt sur la même période, les
opérations de la Grameen Bank coûtaient 14$ par emprunt.
En conclusion, au niveau des processus internes de Bandhan,
l'institution semble investir les moyens nécessaires pour
répondre à la forte demande en services de microfinance en Inde,
puisqu'elle a su doubler le nombre de ses agents de crédits et de ses
succursales pour continuer à évoluer au même rythme que le
nombre de clients. Qui plus est, le contrôle des dépenses et les
procédures de recouvrement ne semblent pas avoir souffert de cette
augmentation, puisque Bandhan a su conserver une excellente qualité de
portefeuille avec un PAR30 inférieur à 1% sur la période,
et un coût par emprunt concurrentiel. Avec l'expansion des
activités de la Bandhan, nous posons la question quant à la
source du financement ayant permis une telle croissance, puisqu'il nous semble
peu probable de pouvoir doubler l'effectif des agents de crédit ou le
nombre de succursales sans un emprunt bancaire ou un investissement externe.
Nous espérons pouvoir trouver des éléments de
réponse dans la suite de notre analyse.
Chapitre 5 : Études de cas 75
iii. Perspective client
Comme nous l'avons vu dans la section
précédente, l'augmentation des ressources opérationnelles
(nombre de succursales et d'agents de crédit) semble avoir permis une
augmentation significative de l'étendue du champ d'action de l'IMF. Le
nombre d'emprunteurs actifs a en effet augmenté de 60% entre
2009 et 2010, et de 41% entre 2010 et
2011, portant le nombre total de 1 450 000 à 3 250 000.
Cette augmentation s'aligne parfaitement avec la vision de Bandhan de
servir 10 millions de clients à l'horizon 2020.
Au niveau de l'emprunt moyen, celui-ci a plus que
doublé sur la période, passant de 86$ à 144$ de
2009 à 2010, pour atteindre une moyenne de 173$ en
2011. À titre de comparaison, les emprunts moyens de la Grameen
Bank et de Spadana sont passés respectivement de 127$ à 140$,
et de 215$ à 155$. Qui plus est, la moyenne des emprunts
du secteur de la microfinance en Inde se chiffrait à 144$ en
2010 (Kashyap et Kotoky, 2010). Ces observations apportent
plusieurs réflexions au niveau de la stratégie de Bandhan. Tout
d'abord, étant donné l'émancipation des activités
de l'institution, il est possible que la profondeur du champ d'action
(mesurée par l'emprunt moyen) ait été revue à
la baisse afin de garantir l'efficience financière de
l'institution. En effet, toute chose étant égale par ailleurs,
nous pouvons supposer que plus l'emprunt est gros, plus il est rentable pour
l'institution car il apporte plus d'intérêts pour les mêmes
coûts opérationnels. Néanmoins, une telle constatation ne
signifie pas un éloignement de la raison sociale de Bandhan en tant
qu'institution de microfinance, puisqu'elle était en-dessous de la
moyenne nationale de 144$ et de ses concurrents. Avec une croissance
des activités, il fallait trouver un nouvel équilibre entre les
coûts opérationnels et les revenus générés
des activités, et cet équilibre semble passer par un
rééchelonnement de l'emprunt moyen pour Bandhan.
Pour passer au dernier indicateur de la perspective client, le
rapport entre les dépôts et le portefeuille de prêts est
resté relativement stable de 2009 à 2010, mais a
chuté de plus de 90% l'année suivante, passant de
17,66% à 1,41% de 2010 à 2011. Cette chute
s'explique en partie par l'augmentation rapide du nombre clients dont
l'épargne n'a pas augmenté à la même
vitesse. Avec un montant total des dépôts passant de 99,7
millions de dollars à 10,3 millions de dollars, il semble
y avoir un changement dans l'approche de l'institution
vis-à-
Chapitre 5 : Études de cas 76
vis du client. Dans Ledgerwood et White (2006), les
auteurs expliquent la difficulté pour une IMF de devenir et rester une
institution de dépôts. Le statut de la Bandhan en tant que Non
Banking Financial Company a certes l'avantage de pouvoir attirer de gros
investissements locaux et étrangers, mais il requiert des approbations
très strictes de la part de la Reserve Bank of India. Dans une
entrevue de l'un des directeurs de la Bandhan40, nous pouvons
apprendre la volonté de l'IMF d'obtenir une certification bancaire afin
de pouvoir mobiliser les dépôts et épargnes de sa
clientèle et ainsi emprunter à des taux plus intéressants.
Ce recul dans les dépôts de la clientèle pourrait donc
être vu comme provisoire, pour mieux préparer le passage de
Bandhan du statut d'IMF à celui de banque certifiée.
Pour conclure sur la perspective client, malgré la
chute des dépôts de la clientèle en 2011, la
direction semble accorder une grande importance à ce service
étant donné sa volonté d'obtenir une certification en tant
qu'institution financière formelle. Par ailleurs, l'augmentation des
ressources opérationnelles a été suivie par une plus
grande étendue du champ d'action (augmentation du nombre de clients) et
par une diminution de la profondeur du champ d'action (augmentation de
l'emprunt moyen). D'un point de vue conceptuel, nous pouvons voir ici les liens
de cause-à-effet dont parlent Kaplan et Norton dans la
présentation de leur modèle de tableau de bord; l'augmentation du
nombre d'agents de crédit et de succursales (perspective Processus
internes) ayant permis de toucher un plus grand nombre de clients
(perspective Client). A priori, nous pensons que cette augmentation
est liée aussi à la diminution de la profondeur du champ d'action
pour des raisons de rentabilité, et il serait intéressant de voir
si ce constat est confirmé par les indicateurs de rentabilité
financière de la perspective Finances.
iv. Perspective finances
Au niveau des indicateurs de performance financiers,
il semble que Bandhan ait pu conserver ses coûts à un niveau
raisonnable comme le montre la baisse du ratio des coûts
opérationnels sur le portefeuille de prêts de 8,78%
à 6,12% pour la période étudiée.
L'IMF
40 Article paru le 25 janvier 2013, interview de Chandra Sekhar
Ghosh « Bank for the unbanked », site web visité le 8
février 2013
http://www.mydigitalfc.com/news/bank-unbanked-114
Chapitre 5 : Études de cas 77
aurait donc profité d'une certaine économie
d'échelle suite à la croissance de ses activités. Les
indicateurs de retour sur actifs et d'autosuffisance opérationnelle ont
aussi connu une légère baisse mais restent à des niveaux
très satisfaisants. En effet, sur les trois années, ceux-ci
restent à des niveaux supérieurs à 3,5% et à 150%
respectivement. Des ratios de retour sur actifs et d'autosuffisance
opérationnelle respectivement supérieurs à 0% et à
100% démontrent la capacité de l'institution à couvrir ses
charges d'exploitation par les revenus tirés de sa propre
exploitation.
Au niveau de la structure de financement, nous avons
précédemment posé la question de l'origine du financement
de la croissance des activités de Bandhan. Le ratio de la dette sur les
fonds propres montre un profond bouleversement dans cette structure, puisque le
ratio est passé de 15,4 en 2009 à 6,24 en 2011. Jusqu'en 2009, il
semble que Bandhan se soit financée principalement par de la dette, qui
représentait plus de 15 fois le montant des fonds propres. Seulement, la
diminution observée du ratio de la structure de financement laisse sous
entendre un investissement important de la part d'une partie externe (ou un
remboursement anticipé de la dette). En retraçant les
investissements en capitaux propres dans l'IMF, nous pouvons apprendre que la
SIDBI, agence d'investissement gouvernementale indienne, a investi près
de 10 millions de dollars en 2009, pour quelques 10,8% des parts; encore plus
important, la International Finance Corporation, filiale de la Banque
Mondiale, aurait investi à son tour plus de 25 millions de dollars en
2011 pour 11% des parts de l'IMF41.
Pour conclure, les résultats financiers de l'IMF nous
semblent excellents étant donné la forte croissance des
activités de 2009 à 2011. Cette croissance n'aurait pas
été possible sans les investissements représentant
près de 35 millions de dollars (combinés) de deux agences
externes. Au niveau de l'analyse de performance, grâce au tableau de
bord, nous avons pu faire le lien entre deux problématiques
soulevées plus haut. Nous avons d'abord pu expliquer la source de
financement expliquant la croissance des investissements, et soulevée
dans la perspective Processus Internes. Ensuite, nous pensons que le
maintien de
41 Article web sur The Economic Times, publié le
5 septembre 2011, « IFC picks up close to 11% in MFI Bandhan Financial
Services for Rs 135 crore », site du journal
http://articles.economictimes.indiatimes.com/ visité le 8
février 2013.
Chapitre 5 : Études de cas 78
la rentabilité et de l'efficience opérationnelle
de l'institution n'aurait pas pu être aussi intéressant sans
l'augmentation de l'emprunt moyen constaté dans la perspective
Clients.
v. Perspective sociale
Comme nous l'avons vu dans la revue de littérature, les
IMF peuvent avoir des missions sociales très spécifiques. Nous
avons proposé d'évaluer le pourcentage de femmes parmi la
clientèle pour la perspective sociale de notre tableau de bord.
Toutefois, cet indicateur peut s'avérer très peu informatif comme
dans le cas de Bandhan. En effet, l'institution sert une clientèle
exclusivement féminine, et il n'est donc pas étonnant de
constater des ratios de 100% sur toute la durée de la période
étudiée.
Par conséquent, nous avons ajouté deux
indicateurs de performance sociale parmi les indicateurs de l'institution, qui
s'adaptent davantage au contexte de cette IMF :
? Le nombre d'élèves du Bandhan Education
Program : Ce programme vise les enfants de 8 à 14 ans vivant dans
des régions rurales. L'institution espère pouvoir
améliorer l'accès à l'éducation de cette
clientèle en finançant la construction et les opérations
d'écoles primaires. Sur la période étudiée, Bandhan
a pu augmenter son champ d'action de 1 980 à 5 002 au niveau du nombre
d'élèves, et de 60 à 167 au niveau du nombre
d'écoles. Ce programme a d'ailleurs été
récompensé du Skoch Financial Inclusion Award42
en 2012.
? Le nombre de familles du Bandhan Health Program :
Lancé en 2007 avec l'association californienne Freedom from Hunger
43 , le programme vise principalement les enfants, les
adolescentes et les jeunes femmes. Celui-ci se veut être un moyen
d'améliorer les habitudes d'hygiène, d'assurer un accès
facile aux services de santé d'organismes gouvernementaux et non
gouvernementaux et de réduire les dépenses de santé des
familles défavorisées. Depuis son instauration,
42 Selon le site de la HDFC Bank,
http://www.hdfcbank.com/ visité le 8 février 2013, le
« Skoch Financial Inclusion Awards recognises best practices and
achievement in the banking and financial services sector for promoting
inclusive growth and poverty alleviation from across urban and rural India.
»
43 Site de l'association http://www.freedomfromhunger.org/
visité le 9 février 2013.
Chapitre 5 : Études de cas 79
44 Document public disponible sur le site du Microfinance
eXchange à l'adresse
http://www.mixmarket.org/sites/default/files/gradingreportnovember11.pdf
visité le 8 février 2013.
Bandhan a pu offrir ses services à 37,500
familles en 2009, et a étendu son champ d'action pour
toucher 186,330 familles en 2011.
En conclusion, l'IMF s'est donnée deux objectifs
sociaux pour améliorer l'accès à l'éducation
primaire aux enfants et pour améliorer les conditions sanitaires des
enfants et jeunes femmes en milieu rural. Avec un nombre d'enfants et de
familles touchés par ces programmes plus de deux fois plus
élevé en 2011 qu'en 2009, l'importance
qu'accorde Bandhan à ses objectifs sociaux ne semble pas être des
moindres. Nous pourrions donc conclure que l'IMF a profité de
l'augmentation des opérations et de la stabilité de ses
résultats financiers observés plus haut pour étendre
encore plus l'étendue sociale de son champ d'action. Néanmoins,
nous avons eu accès à peu d'informations financières et
statistiques descriptives des activités sociales de la Bandhan.
Les indicateurs de la perspective sociale sont tirés directement du
site web de l'institution, et nous aimerions souligner une certaine
réserve quant l'image très positive que ceux-ci
reflètent.
vi. Synthèse
À travers les cinq perspectives du tableau de bord,
nous avons pu établir un diagnostic très positif de la
performance financière et sociale de Bandhan Financial Services.
Nous avons pu constater une augmentation des opérations de
l'institution, augmentation qui a permis de doubler le nombre de ses
emprunteurs tout en conservant de très bon résultats financiers.
Au niveau social, l'institution semble toucher un plus grand marché
grâce à ses programmes d'éducation et de santé. Nous
avons néanmoins noté des conditions salariales inférieures
à la concurrence et une nette diminution des dépôts de la
clientèle.
Pour confirmer la fiabilité du diagnostic établi
grâce à ces indicateurs de performance, nous avons pu avoir
accès au rapport de notation 2011 de l'IMF, établi par
l'agence de notation CARE Ratings44. L'agence apporte une
note de 2+, égale à la notation de 2010, et qui
se réfère à une échelle de 1 à 5,
une note de 1 étant la plus élevée, et une note de
5 la plus basse. Outre la note très positive établie par
l'agence, nous avons pu constater de
Chapitre 5 : Études de cas 80
nombreux points communs entre notre évaluation et le
rapport de notation. Ci-dessous quelques commentaires tirés du rapport
de notation :
· Adequate loan appraisal & monitoring
systems.
· Adequate system for tracking over-dues.
· Risk management systems are in place & are
commensurate with the size of the operation.
· Comfortable asset quality with gross NPA of less than
1%.
· Legal form allows equity infusion from
investors.
· High collection efficiency (more than 99%)
· Low operating cost ratio vis-à-vis the size of
the operation.
· Diversified funding profile.
· Until FY11, the company was mainly dependent on bank
funding. However, during the current year the company has been successful in
diversifying its funding mix by placing long term instrument in order to recap
cost advantage.
Nous pensons avoir pu couvrir correctement une bonne partie
de ces points d'analyse à travers notre analyse de performance,
grâce au tableau de bord proposé. Par ailleurs, nous avons pu
supposer quelques liens de cause-à-effet, que nous présentons
à travers les flèches du tableau de bord à la fin de cette
section:
· Au niveau de la perspective des processus internes :
o L'augmentation du nombre d'agents de crédit aurait
permis de toucher une clientèle plus importante.
o La pression sur les coûts notée par
l'augmentation du coût par emprunt aurait incité la direction
à augmenter l'emprunt moyen pour mieux couvrir ses coûts
opérationnels.
· Au niveau de la perspective client :
o L'augmentation de l'étendue du champ d'action a
permis de conserver un ratio d'autosuffisance opérationnelle grâce
à une économie d'échelle suggérée par la
diminution du ratio des coûts opérationnels sur le portefeuille de
prêts.
Chapitre 5 : Études de cas 81
o Par l'augmentation de l'emprunt moyen, l'institution a pu
soutenir l'efficience opérationnelle et le retour sur l'actif
(conformément aux résultats de l'étude de Gonzales et
Rosenberg (2006)).
? Au niveau de la perspective financière, les bons
résultats financiers de l'institution ont permis de donner plus d'essor
aux programmes sociaux de l'institution.
Le tableau à la page suivante illustre ces liens
présumés de cause-à-effet. Évidemment, ceux-ci
dépendent étroitement du choix des indicateurs, mais ils semblent
aussi dépendre d'autres facteurs comme le contexte dans lequel
évoluent l'institution et la stratégie de la direction. Par
exemple, nous avons constaté une augmentation du coût moyen par
emprunt et de la moyenne des emprunts. Par conséquent, nous avons
suggéré une décision de la direction d'accorder des
emprunts plus grands afin d'améliorer la rentabilité de
l'institution. Toutefois, l'institution aurait pu décider autrement en
augmentant les taux d'intérêts.
Par conséquent, avant de pouvoir affirmer l'existence
d'un lien de cause-à-effet, nous pensons qu'une étude plus
poussée (étude statistique et/ou de terrain) de plusieurs
institutions apporterait plus de crédibilité. La pertinence
même des indicateurs de performance pourrait dépendre de facteurs
comme l'âge de l'institution ou le pays dans lequel elle évolue.
Dans la prochaine section nous étudierons l'application de notre tableau
de bord sur une IMF marocaine, et nous pourrions peut-être apporter plus
d'éclaircissements à ces questions.
82
Perspective sociale
|
Marché cible
|
Mission sociale 1
|
Mission sociale 2
|
|
|
|
Pourcentage de femmes parmi la clientèle
|
Bandhan Education Program
|
Bandhan Health Program
|
|
Perspective financière
|
Gestion des coûts
|
Structure
|
de financement
|
Autosuffisance financière
|
Rendement sur l'actif
|
|
|
|
|
|
Coûts opérationnels / Portefeuille de
prêts
|
Dette
|
/ Fonds propres
|
Ratio d'autosuffisance financière
|
Bénéfice net / Actif total
|
|
Perspective client
|
|
Dépôts de la clientèle
|
Étendue du champ d'action
|
Profondeur du champ d'action
|
|
|
|
Dépôts / Portefeuille de prêts
|
Nombre d'emprunteurs actifs
|
Emprunt moyen
|
Perspective processus
|
internes
|
Distribution de la
|
|
|
|
Distribution des agents
|
|
Clients à risque
|
Distribution des activités
|
Coût des emprunts
|
|
clientèle
|
|
|
|
de crédits
|
|
|
|
|
|
Nombre d'emprunteurs actifs par succursale
|
% du Portefeuille en retard de plus de 30 jours
|
Nombre d'emprunteurs par agent de crédit
|
Moyenne du coût par emprunt
|
Nombre d'agents de crédit par succursale
|
Apprentissage et innovation
|
Conditions salariales
|
Femmes
|
Femmes
|
|
|
|
Salaire moyen / PIB par habitant
|
% de femmes employées
|
% de femmes gestionnaires
|
Liens de cause-à-effet présumés
suite à l'étude de cas de la Bandhan Financial Services
Chapitre 5 : Études de cas 83
II. FONDEP
Suite à l'évaluation de l'IMF Bandhan, il serait
intéressant de tester le tableau de bord sur une autre institution a
priori moins performante. Nous avons porté notre choix sur l'IMF
marocaine FONDEP, Fondation pour le Développement Local et le
Partenariat - Micro-Crédit, qui semble avoir traversé une
période de crise en 200945. Nous pensons qu'il serait
intéressant de mesurer la portée de notre outil en confirmant
cette période de crise à travers les indicateurs de performance
retenus pour le tableau de bord.
1. Situation socioéconomique de la femme
marocaine
Le droit de la femme au Maroc a connu de profonds changements
au cours des dernières décennies, notamment avec des
bouleversements des comportements familiaux et des nouvelles
législations du pays.
Au niveau législatif, l'un des changements majeurs date
de février 2004, lors de la révision de la Moudawana (le
Code de la Famille) par le gouvernement du Maroc, en vue d'une formulation
moderne des droits et devoirs des composantes de la famille (Moudawana, 2004).
Par soucis de garantir l'équité entre l'homme et la femme, le
nouveau texte accordait plus de droits à la femme qu'elle n'en avait
jusqu'alors. À titre d'exemple, celle-ci n'a désormais plus
besoin de tutelle pour se marier, avec un âge légal du mariage
à 18 ans pour les 2 sexes (au lieu de 15 pour les femmes dans
l'ancien texte). Au niveau du divorce, celui-ci peut être demandé
par la femme et la garde d'enfants lui revient en premier lieu. Le texte se
prononçant même sur la polygamie en imposant des conditions
tellement strictes qu'elle en devient quasi impossible.
Zerari (2006) propose une analyse sociale de
l'évolution de la famille marocaine à travers le dernier
siècle. Le taux de fécondité par femme est passé de
7,7 à 2,6 dans les milieux urbains de 1962 à 1997. L'âge du
premier mariage, quant à lui, n'a cessé de reculer pour
45 Journal L'Économiste du 26 mai 2011 «
Microcrédit : Fondep remonte la pente », article disponible
sur le blog http://moroccomicrofinanceblog.blogspot.ca/ visité le
6 février 2013.
Chapitre 5 : Études de cas 84
passer de 22,3 ans à 27,4 ans en
moyenne pour les femmes de 1982 à 2000. D'autre part,
l'auteur constate un déséquilibre quant à l'accès
à l'éducation, puisque le pays comptait 10 millions
d'analphabètes en 2006, dont une majorité de femmes
à 62%. Ce déséquilibre a d'ailleurs poussé
le gouvernement à mettre en place le « Plan d'action de lutte
contre l'analphabétisme pour un développement global », et
dont les femmes constituent la cible prioritaire.
Il apparait aujourd'hui que le pays soit à mi-chemin
entre traditions et modernité, et plusieurs changements sont encore
à venir pour inscrire le pays dans l'ère moderne. C'est ainsi
qu'un violeur peut éviter la peine carcérale si celui-ci consent
à épouser sa victime. Une incongruité qui serait en passe
d'être abrogée suite aux vagues de protestation de mars
201246.
2. Environnement politique et économique
L'essor de l'industrie de la microfinance au Maroc a
démarré au milieu des année 90, grâce
à des acteurs majeurs comme le PNUD, l'USAID et le fonds Hassan II
(Amana, 2010). Sur le site de la FNAM47, nous pouvons voir
que sur ses 31 millions d'habitants, le Maroc comptait 820 000
clients actifs en microfinance en 2010, pour un emprunt moyen de
600$. La répartition de la clientèle est à 50/50
entre les milieux urbains et ruraux, certains auteurs notant une forte
concentration des IMF dans les grands villes (Reille, 2009).
Dans son rapport au CGAP, Reille (2009) discute de la
croissance exponentielle du secteur de la microfinance au Maroc entre 2003
et 2007. Le portefeuille de prêts du secteur a en effet
été multiplié par 11 avec une clientèle qui a
quadruplé sur la même période. La croissance aurait
été entrainée par 4 principales IMF : Zakoura, Al
Amana, Fondation des Banques Populaires et l'IMF dont nous étudions la
performance financière et sociale, à savoir la Fondep.
46 Magazine Jeune Afrique, article du 23 janvier 2013
« Maroc : un pas en avant pour le droit des femmes ». Lu
sur http://www.jeuneafrique.com/ visité le 6 février
2013.
47 Fédération Nationale des Associations de
Microcrédit http://www.fnam.ma/ visité le 6 février
2013.
Chapitre 5 : Études de cas 85
En 2007, le Maroc jouissait donc d'un secteur microfinancier
parmi les plus performants au monde. Il fut supervisé de 1999 à
2007 par le Ministère des Finances, responsabilité transmise
à la banque centrale et à Bank Al Maghrib par la suite. Ce
secteur a été supporté par le gouvernement marocain depuis
l'instauration de la Loi du Microcrédit promulguée en 1999, et
offrant un cadre légal pour le développement du secteur :
« Est considéré comme
microcrédit tout crédit dont l'objet est de permettre à
des personnes « économiquement faibles » :
? De créer ou de développer leur propre
activité de production ou de service en vue d'assurer leur insertion
économique;
? D'acquérir, de construire ou d'améliorer leur
logement;
? De se doter d'installations électriques ou d'assurer
l'alimentation de leurs foyers en eau potable.
Le montant du microcrédit (...) ne peut
excéder cinquante mille dirhams (près de 7500$ en 1999)
»48.
Dans un autre rapport au CGAP, Reille (2010) discute de la
crise du secteur à partir de 2007. Avec un déclin du portefeuille
d'emprunts et une dégradation de la qualité des portefeuilles, la
moyenne nationale du portefeuille à risque de plus de 30 jours (PAR30)
atteint des sommets de plus de 10%. Selon l'auteur, cette crise est due
à une croissance fragile et non durable, avec une mauvaise gestion des
coûts et des clients empruntant de plusieurs IMF à la fois.
3. La microfinance marocaine
L'article de loi 18-97 relative au microcrédit
promulguée le 5 février 1999 tente d'établir un cadre
transparent et équitable pour le développement de la microfinance
au Maroc. Ainsi, les IMF ont le devoir de servir leur clientèle sans
discrimination de genre, de sorte qu'une telle institution ne pourrait
décider de servir uniquement des femmes ou des
48 Le texte en langue arabe a été publié
dans l'édition générale du « Bulletin Officiel »
n. 5207 du 26 avril 2004. Vu sur le site de la FNAM http://www.fnam.ma/
visité le 6 février 2013.
Chapitre 5 : Études de cas 86
hommes. L'article propose aussi une transparence des services
et impose aux IMF certaines procédures, comme l'affichage des conditions
de prêts dans les locaux et l'audit des livres comptables par une agence
habilitée externe.
Toutefois, après la crise de la microfinance marocaine
en 2007, ce cadre ne semble plus suffisant pour la croissance durable du
secteur. Dans un rapport du CGAP (Chen, Rasmussen et Reille, 2010b), nous
pouvons constater que cette crise n'est pas un cas isolé du Maroc,
celle-ci ayant également touché plusieurs autres pays comme le
Nicaragua, la Bosnie-Herzégovine et le Pakistan. Toujours selon le
même rapport, la crise économique mondiale n'aurait pas
été le seul facteur du ralentissement de la microfinance dans ces
pays, et les auteurs identifient trois vulnérabilités principales
qui constituent le fond du problème :
? La concentration des IMF dans certaines régions
saturées et l'endettement croisé de la clientèle;
? Des systèmes de contrôle inefficaces dans les
institutions;
? Un relâchement de la discipline de crédit dans
les institutions.
Dans ces quatre pays, les auteurs ont constaté une
augmentation de la taille de l'emprunt moyen, et une structure de financement
où l'épargne est très faible, avec un ratio entre les
dépôts d'épargne et un encours de crédit
inférieur à 10%, comparé une moyenne mondiale de 46%.
Malgré la crise, l'impact sur les communautés marocaines semble
positif, et certains auteurs ont pu constater une augmentation des revenus
agricoles dans les régions rurales, et une augmentation des
dépenses en santé et en éducation des foyers
(Crépon et al., 2011).
4. Fondep49
La Fondep, Fondation pour le Développement Local et le
Partenariat, a été créée en 1996 dans le secteur du
développement, et a changé de statut en 1999 pour se consacrer
exclusivement aux activités de microfinance. Enregistrée comme
association à but non
49 Toutes les informations de la présente section sont
publiques et disponibles sur le site du Microfinance eXchange
visité le 6 février 2013. L'évaluation de performance
étant faite pour la période 2009 à 2011, à
défaut d'indication contraire, les données font état de la
situation de l'IMF à la fin de l'exercice fiscal se terminant le 31
décembre 2011.
Chapitre 5 : Études de cas 87
lucratif, elle comprenait 169 succursales en
2010, réparties principalement entre les régions rurales
et périurbaines.
i. Gouvernance
Durant l'exercice fiscal de 2008, la composition du
conseil d'administration fut profondément modifiée pour
améliorer la gestion et la prise de décision institutionnelle.
Des sous-comités au conseil d'administration et de nouveaux
départements ont ainsi été créés pour
soutenir la croissance de l'IMF, en réponse à la crise de la
microfinance au Maroc en 2007. Par exemple, depuis 2008, un
comité de ALM (Assets Liabilities Management) se réunit
mensuellement pour faire un suivi rapproché des risques de
surendettement de la clientèle et pour de meilleures pratiques de
recouvrement des emprunts.
ii. Mission, vision et stratégie
La Fondep est une organisation non gouvernementale, à
but non lucratif, qui appuie des microentreprises ainsi que des projets
d'amélioration des conditions d'habitat dans le but de contribuer
à la lutte contre la pauvreté. Outre les produits microfinanciers
proposés à sa clientèle, l'IMF offre aussi des formations
en alphabétisation à une population majoritairement
féminine et rurale. Elle tente de mieux toucher sa clientèle avec
des agents de crédit sensibles aux activités et à la
culture de la région.
iii. Marché cible
Tel que le confirme sa mission, la Fondep vise une
clientèle majoritairement féminine vivant en région rurale
et périurbaine. En 2006, le taux de pénétration
du marché rural était estimé à 3%, comparativement
à un taux de 30% dans les régions urbaines et
périurbaines. L'organisation offre des conditions plus flexibles pour la
clientèle rurale étant donné les distances importantes
entre les agences de l'IMF et les lieux de travail et de résidence de la
clientèle.
Chapitre 5 : Études de cas 88
iv. Produits et services
La Fondep offre principalement des crédits en groupe de
4 à 25 personnes, en offrant la possibilité d'augmenter le
montant du crédit octroyé au fur et à mesure de la
construction d'un historique de crédit positif. Les principaux produits
financiers sont présentés dans le tableau ci-dessous :
Nom du produit
|
Commentaires
|
Crédit mutuel
|
·
|
Crédit de groupe
|
|
·
|
Engagement du client à suivre une formation de groupe sur
le microcrédit
|
Crédit souple
|
·
|
Destiné aux demandeurs dont le revenu est
inférieur à 2$ par jour
|
|
·
|
Modalités de remboursement souples
|
Crédit confiance
|
·
|
Nécessité d'avoir un historique de crédit
|
|
·
|
Destiné à des microentreprises en croissance
|
|
·
|
Crédit aux individus, maximum de 3500$
|
Crédit aménagement
|
·
|
Destiné à l'amélioration des conditions
d'habitat
|
|
·
|
Améliorer l'accès à
l'électricité ou à l'eau potable
|
Carte privilège
|
·
|
Emprunteurs ayant un bon historique de crédit
|
|
·
|
Permet un accès prioritaire et plus facile au niveau de
crédit supérieurs
|
5. Analyse de performance
Après avoir présenté le contexte dans
lequel évolue l'IMF, la situation socioéconomique de la femme au
Maroc, ainsi que le fonctionnement général de l'institution, nous
pouvons maintenant nous concentrer sur l'analyse de performance de cette
institution à partir du tableau de bord que nous avons introduit dans le
cadre conceptuel. La page suivante présente les indicateurs de
performance pour la Fondep sur la période 2009 à 2011. Ceux-ci
sont présentés par année et par perspective
stratégique. Nous rappelons que l'objectif
Chapitre 5 : Études de cas 89
est d'étudier la possibilité d'établir un
diagnostic de la performance de l'institution à partir du tableau de
bord. Pour rester dans l'esprit de l'outil selon Kaplan et Norton, nous
analyserons la performance de l'institution perspective par perspective, du bas
vers le haut, en commençant par la perspective innovation et
apprentissage, afin de mieux apprécier l'existence de relations de
cause-à-effet entre les perspectives.
Chapitre 5 : Études de cas 90
Les devises sont en dollars américains
|
2009
|
2010
|
2011
|
Apprentissage et innovation
|
Salaire moyen/PIB par habitant
|
2,79
|
2,65
|
3,74
|
Pourcentage de femmes employées
|
ND
|
43%
|
44%
|
Pourcentage de femmes gestionnaires
|
ND
|
ND
|
19,70%
|
Processus internes
|
# Emprunts par succursale
|
613
|
784
|
776
|
PAR30
|
8,00%
|
2,37%
|
1,97%
|
# Emprunteurs/Agent de crédit
|
193
|
256
|
241
|
Coût par emprunt
|
84
|
98
|
121
|
# Agents de crédit/Succursale
|
3,17
|
3,06
|
3,22
|
Clients
|
Dépôts/Portefeuille de
prêts
|
0%
|
0%
|
0%
|
# Emprunteurs actifs
|
110 277
|
132 431
|
131 879
|
Emprunt moyen
|
520
|
610
|
645
|
Financière
|
Coûts opér./Portefeuille de
prêts
|
16,52%
|
17,83%
|
18,94%
|
Dettes/Fonds propres
|
4,93
|
3,56
|
3,48
|
Autosuffisance opérationnelle
|
82%
|
135%
|
119%
|
Retour sur actif
|
(4,69%)
|
6,52%
|
4,57%
|
Sociale
|
Pourcentage de femmes clientes
|
57%
|
54,33%
|
56,34%
|
Tableau de bord pour la Fondep entre 2009
et 2011
i. Chapitre 5 : Études de cas 91
Perspective innovation et apprentissage
La Fondep semble proposer de meilleures conditions salariales
à ses employés comme le montre l'augmentation du rapport entre le
salaire moyen et le PIB par habitant. Celui-ci a en effet connu une
augmentation de près de 40% sur la période
étudiée. En 2011, la Maroc affichait un PIB par habitant
de 2 970$US. À titre de comparaison, le Canada affichait
45560$ pour la même année50. Le salaire moyen
pour les employés de la Fondep se serait donc situé entre 8
286$ (2,79 x 2 970) et 11 107$ (3,74 x 2 970). À titre de
comparaison, les IMF Zakoura et Al Amana51 présentaient des
ratios de 2,33 et 2,65 respectivement en 2010, avec
2,65 pour la Fondep la même année.
Au niveau du pourcentage de femmes parmi les employés,
la Fondep semble fournir des conditions relativement équitables avec un
taux de 44% de femmes en 2011, et un gestionnaire sur cinq
étant une femme.
À partir de ces observations, nous pouvons
supposer que la Fondep offre des conditions salariales relativement
bonnes (comparativement à la concurrence). Elle semble d'ailleurs
appliquer sa mission d'autonomisation de la femme au sein de son propre
personnel puisque près d'un employé sur deux est une femme.
ii. Perspective processus internes
Au niveau des indicateurs de productivité, le nombre
d'emprunteurs par succursale a augmenté sur la période
étudiée, en passant de 613 à 776. Cette
augmentation s'explique par une augmentation de 20% du nombre
d'emprunteurs actifs, mais aussi par une diminution du nombre de succursales,
passé de 180 en 2009 (186 en 2008) à
170 en 2011. Par ailleurs, l'augmentation de la
clientèle a entrainé une augmentation du nombre d'emprunteurs par
agent de crédit dont l'effectif a lui aussi connu une diminution sur
ladite période. Le nombre d'agents de crédit est en effet
passé de 570 à 517 à 547 sur
les trois années.
50 Site de la Banque Mondiale http://data.worldbank.org/
visité le 9 février 2013.
51 Zakoura et Al Amana peuvent constituer de
bons éléments de comparaison puisque les trois IMF (avec la
Fondep) font partie des 4 plus grosses IMF du Maroc.
Chapitre 5 : Études de cas 92
Au niveau de la qualité du portefeuille, le
portefeuille à risque de plus de 30 jours (PAR30) a connu une nette
augmentation en 2009. Celui-ci est en effet passé de 2,46% en 2008
à 8% en 2009, pour revenir à un niveau aux alentours de 2% par la
suite. Le coût par emprunt, quant à lui, a continué
à croitre graduellement sur la période étudiée,
pour passer de 84$ à 121$ par emprunt de 2009 à 2011.
La crise de la microfinance au Maroc (Chen, Rasmussen et
Reille, 2010a) semble avoir grandement affecté les opérations de
la Fondep. Le nombre d'agents de crédit et de succursales a en effet
été revu à la baisse, tout en conservant un ratio stable
du nombre d'agents par succursale. Le PAR30 a atteint un niveau maximal de 8%
en 2009, et cette augmentation semble avoir affecté le coût par
emprunt, qui a augmenté de 17% et de 23% respectivement en 2010 et 2011.
Le PAR30 a par la suite diminué de plus de 70% pour atteindre un niveau
raisonnable se situant autour de 2% en 2010 et 2011. Pour parfaire notre
analyse, il serait intéressant de consulter un indicateur non inclus
dans notre tableau de bord : le taux de radiation des comptes client
(write-off ratio, voir annexe 1). Celui-ci a atteint près de
10% en 2009, 6,6% en 2010, puis 3,9% en 2011. Les valeurs élevées
du taux de radiation expliquent la diminution rapide du PAR30 sur la
période étudiée et confirment l'explication de Chen,
Rasmussen et Reille (2010a) sur les mauvaises pratiques de recouvrement des
emprunts des IMF marocaines ayant contribué à la crise de
l'industrie de la microfinance du pays.
Au niveau de l'étude du tableau de bord comme outil
diagnostic, nous avons pu constater des liens présumés de
cause-à-effet existant entre les indicateurs de performance de la
perspective processus internes. Dans l'étude de performance de
Bandhan, nous avons constaté une augmentation de l'emprunt
moyen pour améliorer la performance financière de l'institution.
Nous pensons donc constater des liens de cause-à-effet similaires sur
l'emprunt moyen ainsi que sur les indicateurs de performance financière
plus haut dans le tableau de bord.
iii. Chapitre 5 : Études de cas 93
Perspective client
Comme nous l'avons souligné plus haut, le nombre
d'emprunteurs actifs a augmenté de quelques 20% sur la
période, passant de 110 000 à 132 000 emprunteurs actifs
sur la période étudiée et ce, malgré la diminution
du nombre de succursales et d'agents de crédit. L'emprunt moyen, quant
à lui, a crû de près de 25%, passant de 520$
à 645$. Enfin, le ratio du montant des dépôts
sur l'actif est resté nul étant donné la
législation marocaine entourant le microcrédit. En effet, selon
l'article 3 de la loi 18-97 relative au
microcrédit52, les associations de microcrédit ne
peuvent recevoir des fonds du public. Cette règlementation serait
d'ailleurs sur le point de changer, et un nouveau projet de loi serai
bientôt présenté devant la Première Chambre du
Parlement marocain53.
L'augmentation de l'emprunt moyen pourrait être
interprétée comme une volonté de la direction
d'améliorer la rentabilité de l'institution. La profondeur du
champ d'action serait donc limitée par la rentabilité globale de
l'institution qui semble être assez faible en début 2009. Qui
plus est, nous pensons que l'emprunt moyen pourrait être encore plus
élevé si la loi n'imposait pas un plafond de microcrédit
équivalant à 50 000 dirhams54 (+/-
5,990$). Au niveau du cadre théorique du tableau de bord, nous
pensons que l'augmentation de l'emprunt moyen est une conséquence de la
détérioration de la qualité du portefeuille, et nous
pensons être en mesure d'observer un impact de cette
détérioration sur les indicateurs de rentabilité
institutionnelle de la perspective financière.
iv. Perspective finances
Au niveau des indicateurs financiers du tableau de bord, la
structure de financement semble avoir connu de légers changements avec
un ratio de la dette sur les fonds propres entre 3,5 et 4,9
sur la période. Le ratio des coûts opérationnels sur
le portefeuille de prêts a connu une légère augmentation,
passant de 16,5% à 19% de 2009 à
2011. Un ratio pouvant
52 Disponible sur le lien suivant visité le 9
février 2013
http://www.lamicrofinance.org/files/15729
loi microfinance maroc.pdf
53 Site du magazine web
http://www.econostrum.info/,
article du 12 octobre 2012 « Au Maroc, la microfinance vise 3 millions
de bénéficiaires ».
54 Article 2 de la loi 18-97.
Chapitre 5 : Études de cas 94
être interprété comme satisfaisant si on
le compare aux résultats des autres grandes IMF du Maroc, Al Amana et
Zakoura ayant observé des ratios de 7% et de 20% en 2009.
Malgré cela, la rentabilité financière
témoigne d'une période de crise en 2009, avec un ratio
d'autosuffisance opérationnelle et retour sur actif de 82% et -4,7%
respectivement. Par conséquent, l'IMF n'a pas pu financer ses
activités avec les revenus tirés de ses opérations pendant
l'exercice 2009. Elle a tout de même pu remonter la pente pour
rétablir ses ratios d'autosuffisance opérationnelle et de retour
sur actif à des niveaux satisfaisants, à raison de 135% et 6,52%
respectivement dès 2010.
v. Perspective sociale
Contrairement à l'analyse de cas de la Bandhan
Financial Services, nous n'avons pu obtenir davantage d'informations sur
les activités et les programmes sociaux de la Fondep55. Nous
pouvons néanmoins constater qu'à défaut de pouvoir
légalement servir les femmes de manière exclusive
légalement, l'institution accorde une certaine priorité à
ce marché qui représente entre 54% et 57% de l'ensemble de la
clientèle.
vi. Synthèse
En présumant les liens de cause-à-effet du
tableau de bord, nous pouvons faire le lien entre différents
éléments d'analyse énoncés dans les
différentes perspectives, et tenter une interprétation des
faits.
Comme le suggèrent Chen, Rasmussen et Reille (2010a),
la crise de la microfinance au Maroc est due, entre autres, à une
mauvaise discipline dans les procédés de recouvrement des
emprunts et à des emprunts croisés de la clientèle
(microcrédit auprès de plusieurs agences par un même
client). Nous pouvons en effet constater un niveau très
élevé du PAR30 en 2009, suggérant une incapacité de
la clientèle à rembourser les crédits. Cette situation
implique une détérioration des liquidités et une
inefficience opérationnelle de l'institution (ratio d'autosuffisance
opérationnelle inférieur à 100% et retour sur actif
négatif en 2009). En réponse à son besoin de
liquidité, l'institution a pu avoir accès à des
55 Site web indisponible pendant la durée de notre
étude http://www.fondep.com/ , dernière visite le 27
février 2013.
Chapitre 5 : Études de cas 95
fonds externes en capitaux propres, comme le témoigne
la diminution du ratio de la dette sur les fonds propres de 4,9 à 3,6,
ou encore la croissance de plus de 300% des fonds propres
assimilés56 dans les états financiers de
l'exercice terminé le 31 décembre 200957.
En 2010, le PAR30 a pu être rétabli à un
niveau convenable de 2,4%, non sans un taux de radiation des comptes
très élevés, à hauteur de 10% en 2009, et 6,6% en
2010. C'est ainsi qu'au niveau des processus internes, l'IMF semble avoir suivi
une stratégie d'allègement de la structure de coûts,
diminuant les frais fixes par la fermeture de succursales et la mise à
pied d'une partie du personnel, notamment des agents de crédit. Au
niveau du client, la Fondep a pu augmenter l'étendue de son
champ d'action en touchant un plus grand nombre de clients, mais sa profondeur
a dû être revue à la baisse comme en témoigne la
croissance de l'emprunt moyen.
De nouvelles directives semblent donc avoir été
données pour améliorer la rentabilité de l'institution,
qui a pu retrouver une performance financière satisfaisante comme le
témoigne le ratio d'autosuffisance opérationnelle et le retour
sur actif, respectivement de 135% et 6,5% en 2010, et 119% et 4,6% en 2011.
Comme pour la Bandhan, nous avons pu supposer quelques
liens de cause-à-effet : ? Au niveau de la perspective des processus
internes :
o Le niveau du PAR30 de 8% en 2009 a engendré un taux
de radiation des comptes en souffrance très élevé,
à raison de 10% et 6,6% en 2009 et 2010.
o La pression sur les coûts notée par
l'augmentation de 44% du coût par emprunt aurait incité la
direction à augmenter l'emprunt moyen de 24% pour mieux couvrir ses
coûts opérationnels.
56 Selon le Ministère de l'Économie et des
Finances du Maroc: capitaux restant à la disposition de l'entreprise
en application des dispositions légales ou réglementaires. Il en
est ainsi pour la rubrique de financement permanent comprenant les subventions
d'investissement et les provisions réglementées,
assimilées à des capitaux propres en dépit d'une dette
latente d'impôts qu'elles sont censées incorporer.
57 L'article du quotidien L'Économiste du 4
février 2008 « La Fondep décroche 113 millions de DHS
», disponible à l'adresse ci-dessous témoigne des
nouveaux fonds débloqués pour l'institution pendant la
période de crise.
http://www.leconomiste.com/article/microcreditbrla-fondep-decroche-113-millions-de-dh
Chapitre 5 : Études de cas 96
? Au niveau de la perspective client :
o Contrairement à la Bandhan, l'augmentation
de 19% de l'étendue du champ d'action a été jumelée
d'une diminution du nombre d'agents de crédits, et d'un ratio
d'emprunteurs par agent de crédit ayant augmenté de 25% de 2009
à 2011.
o Par l'augmentation de l'emprunt moyen, l'institution a pu
soutenir l'efficience opérationnelle et le retour sur l'actif,
conformément aux résultats de l'étude de Gonzales et
Rosenberg (2006).
Nous constatons donc des liens de cause-à-effet plus ou
moins similaires avec la Bandhan, bien qu'ils ne soient pas tous
évidents. En effet, si nous revenons à l'augmentation du nombre
d'emprunteurs par agent de crédit au niveau de la perspective des
processus internes, avec l'augmentation du champ d'action au niveau de la
perspective client, la conclusion en faveur d'un lien de cause-à-effet
n'est pas évidente. Pour la Bandhan, nous avons constaté
une augmentation du nombre d'agents de crédit pour un ratio constant
d'emprunteurs par agent de crédit. Dans les deux études de cas,
l'étendue du champ d'action augmente significativement, mais dans le cas
de la Fondep, le nombre d'agents de crédit diminue et le
personnel encore en place doit donc gérer une charge de travail plus
grande avec moins de ressources. Le point que nous voulons souligner ici est
qu'il est parfois difficile de rester dans un cadre de pensée
centré autour des liens de cause-à-effet entre les
différentes perspectives du tableau de bord. En effet, pour mieux
comprendre l'augmentation de la charge de travail par agent de crédit,
il faut d'abord constater la très faible performance financière
en 2009 au niveau du retour par actif (perspective finances), ainsi que le taux
PAR30 très élevé sur la période (perspective
processus internes), pour en déduire la nécessité pour la
direction d'alléger sa structure de coûts. Qui plus est,
l'augmentation du champ d'action est aussi un élément essentiel
à prendre en compte.
Il existerait donc bien des liens de cause-à-effet
entre les perspectives, mais ils ne semblent pas forcément toujours
aller dans le même sens, à savoir du bas vers le haut. De plus,
comme le suggèrent Haas et Kleingeld (1999), l'explication de ces
interrelations ne peut être fournie «qu'après coup »
:
Chapitre 5 : Études de cas 97
Kaplan and Norton talk about causal links between so
called lagging and leading performance indicators. However, the notion of
causality is merely assumed by organisational actors who participate in the
strategic dialogue. Its validity can at best be demonstrated « after the
fact », when (non-) achievement of related result indicator targets has
been established.
Haas et Kleingeld (1999, pg. 244)
Le modèle de Kaplan et Norton offrirait donc un cadre
trop rigide pour apprécier les interrelations entre les indicateurs de
performance. Norreklit (2000) suggère plutôt de chercher à
établir une cohérence entre les indicateurs plutôt que des
relations de cause-à-effet58. Ainsi, dans le but d'atteindre
un certain objectif, la cohérence implique de se poser la question de la
pertinence de certains phénomènes, et s'ils sont compatibles et
se complémentent :
For example, an action is coherent if the actions used and
the means are appropriate with respect to the intended end. Thus one condition
for obtaining an end is that of having access to input factors with a potential
to realize the end and, in the case of managers or employees, it's a condition
that they have access to methods which allow them to control the input factors
and, in turn, to obtain the end intended.
(Norreklit, 2000, pg. 83)
Ces deux dernières observations soulèvent un
point intéressant pour notre étude. Elles suggèrent que le
modèle de Kaplan et Norton, avec les relations de cause-à-effet
qu'il implique, aurait un potentiel de prévision de la performance
future relativement faible, puisqu'il ne prend pas en compte le contexte
organisationnel de l'institution. Il permettrait plutôt d'expliquer les
causes de la performance « après coup », et c'est ce que nous
avons fait lors de nos études de cas. En effet, nous n'avons pas
cherché à évaluer la capacité du tableau de bord
à prédire les résultats futurs. Nous sommes plutôt
partis d'une liste d'indicateurs de performance présents dans la
littérature pour essayer d'obtenir un
58 Pour soutenir cette idée, Norreklit (2000) cite les
auteurs suivants : Edwards (1972), Norreklit et Schoenfeld (1996), Collis et
Montgomery (1997), Haas et Kleingeld (1999).
Chapitre 5 : Études de cas 98
ensemble équilibré de déterminants qui
expliquent la performance passée des IMF choisies.
Synthèse
À travers les deux études de cas, nous avons pu
dresser certaines conclusions ainsi que des liens de cause-à-effet
probables entre les indicateurs de performance. Parmi ces
éléments d'analyse, certains sont conformes aux résultats
d'autres études, donnant plus de crédibilité au potentiel
du tableau de bord en tant qu'outil diagnostic.
Parmi les principales observations, conformément aux
études de Ledgerwood (1999) et de Di Bella (2011),
nous pensons que le PAR3059 est un bon indicateur de la
qualité du portefeuille, et cette observation a été
confirmée dans les deux analyses. En effet, le taux très bas pour
la Bandhan, inférieur à 1%, était cohérent
avec les bonnes performances opérationnelles de l'institution et le
retour sur actif élevé constaté sur les 3 années.
Pour la Fondep, ce taux a connu une diminution inversement
proportionnelle à la croissance du retour sur actif. En effet, le PAR30
est passé de 8% à moins de 2%, de 2009
à 2011, et le retour sur actif est passé de 5% dans
le négatif à 5% dans le positif sur la même période.
En fait, comme l'expliquent Ayayi et Sene (2010), un PAR30
élevé impliquerait moins de fonds disponibles pour l'IMF, et
aurait donc un impact négatif sur sa performance financière.
Autre postulat, il semblerait aussi que les
dépôts aient un effet positif sur la rentabilité d'une IMF;
Mersland et Strøm (2009) expliquent cela par le fait que les
dépôts de la clientèle constituent des sources de
financement à bas prix. Ils ajoutent qu'une meilleure régulation
de la microfinance permettrait aux IMF d'avoir un accès plus facile
à de tels fonds, et les cas de la Bandhan et de la Fondep
illustrent bien cette situation. Étant mieux régulée,
la Bandhan profite de la régulation indienne qui lui permet de
collecter les dépôts de la clientèle contrairement à
la Fondep qui connait une performance financière plus
faible.
Le tableau de la page suivante récapitule certaines
observations et postulats tirés des deux études de cas, et leur
fiabilité est présumée puisqu'ils ne découlent que
de notre propre
59 Montant du portefeuille de prêts dont le remboursement
est en retard de plus de 30 jours, voir annexe 1.
Chapitre 5 : Études de cas 99
interprétation du tableau de bord de chaque
institution. Les croix du tableau suivant précisent de quelle
étude de cas l'observation est issue.
Chapitre 5 : Études de cas 100
|
Bandhan
|
Fondep
|
Le PAR30 est un bon indicateur de la qualité du
portefeuille
|
X
|
X
|
Le taux de radiation (write-off ratio) permet de mieux
apprécier la qualité du portefeuille
|
|
X
|
Le coût par emprunt se reflète assez vite sur
la moyenne des emprunts
|
|
X
|
La perspective sociale est plus pertinente que la
perspective innovation et apprentissage
|
X
|
|
Les variations du ratio de la structure de
financement concordent avec un bouleversement dans les
activités opérationnelles de l'institution
|
X
|
X
|
Les dépôts permettent d'alléger la
structure de coût en fournissant une source de financement à bas
coût (comparaison entre Bandhan et la Fondep)
|
X
|
X
|
Toute chose étant égale par ailleurs, la
moyenne des emprunts est proportionnelle à la rentabilité de
l'institution
|
X
|
X
|
Les emprunts moyens des plus grosses IMF d'un même
pays semble converger vers un montant « optimal »
|
X
|
|
Une économie d'échelle est constatée
par une augmentation de l'étendu du champ d'action
|
X
|
X
|
La performance financière supporte la
performance sociale de l'institution
|
X
|
|
Le suivi de la clientèle doit être
collaboré entre les grandes IMF pour permettre une stabilité de
la microfinance à un niveau régional et éviter les
endettements croisés
|
|
X
|
Chapitre 6
Conclusion
La présente étude avait pour objectif de
développer un tableau de bord de gestion adapté aux institutions
de microfinance dont la stratégie s'axe autour des femmes. L'outil a
été principalement inspiré du modèle de Kaplan et
Norton (1992) auquel nous avons ajouté une cinquième perspective
sociale au-dessus de la perspective financière, selon les
recommandations de Meyssonnier et Rosolofo-Distler (2011), afin de mieux
adapter l'outil au contexte social des institutions de microfinance (IMF). La
littérature présente de nombreuses études autour des
indicateurs de performance des IMF, et à partir desquelles nous avons pu
monter un tableau de bord équilibré. Nous nous sommes
particulièrement inspirés de l'étude de Ledgerwood (1999)
qui présente plusieurs dimensions à prendre en compte pour
évaluer correctement les aspects importants de la performance
financière et opérationnelle des IMF. Par contre, nous n'avons
pas trouvé d'outils qui croisent les performances sociales et
financières de ces institutions. Nous sommes donc partis d'une longue
liste d'indicateurs de performance proposés dans la littérature,
pour aboutir à un peu plus d'une quinzaine de mesures. Ce sont ces
mesures qui ont constitué notre tableau de bord, et dont nous voulions
vérifier le potentiel diagnostic sur des situations réelles. Ces
études de cas n'ont pas été menées sur le terrain,
mais nous avons pu recueillir les informations financières
nécessaires du site du Microfinance Information eXchange (MIX).
Nous avons retenu deux IMF, la Fondep et la Bandhan Financial
Services, et nous avons monté un tableau de bord par an et par
institution, sur 3 ans. D'autres informations, davantage d'ordre qualitatif,
ont aussi recueillies des sites web des deux institutions afin de mieux
comprendre le contexte dans lequel celles-ci évoluent. Au moment
d'évaluer l'utilité de ces outils à travers les deux
études de cas, plusieurs questions se posaient : L'outil peut-il
apporter de l'information de gestion utile à ces institutions? Est-il
vraiment pertinent de cibler les IMF dont la stratégie est axée
autour des femmes? Comment peut-on appliquer ce
Chapitre 6 : Conclusion 102
tableau de bord pour analyser la performance de ces
institutions? La perspective sociale, elle aussi, est-elle vraiment
pertinente?
Parmi les grandes conclusions de l'étude, nous pensons
avoir pu croiser de manière satisfaisante les performances
financières et sociales d'une institution de microfinance au sein d'une
même réflexion, grâce à un seul outil. La gestion
financière de l'institution apparait alors comme un socle indispensable
à l'atteinte de la mission sociale de l'IMF. Dans l'une des
études de cas, nous avons d'ailleurs constaté une augmentation de
l'impact social de l'institution parallèlement à la croissance
des activités opérationnelles et de l'étendu de son champ
d'action. Plus généralement, pour un outil destiné
principalement à une utilisation à l'interne, nous avons
constaté une cohérence relativement forte entre les indicateurs
de performance. Par exemple, lors de l'étude de performance de la
Fondep, nous avons pu expliquer la mauvaise performance
financière de l'institution (en partie) par la mauvaise qualité
de son portefeuille de prêts, conséquence d'une mauvaise
régulation de la microfinance à un niveau régional. Ainsi,
pour le gestionnaire de l'IMF, une telle information peut s'avérer
très précieuse pour la gestion de l'institution qui comprend
mieux les maillons faibles de sa chaine opérationnelle.
Nous pensons que les deux principaux défis de la mise
en application de l'outil résident dans la mise en place d'un
système d'information qui permette d'obtenir facilement les mesures de
performance, mais aussi dans le choix des bons indicateurs de performance. Dans
le cas de notre étude, nous avons pu approfondir la réflexion
quant à la performance des deux institutions, et certains liens entre
différents indicateurs de performance étaient relativement
évidents. Par conséquent, outre les défis cités
ci-haut, l'outil nous parait accessible et relativement simple d'utilisation.
Nous avons accordé une attention particulière aux liens de
cause-à-effet de Kaplan et Norton (1992). Toutefois, nous avons
trouvé qu'en essayant de faire de tels liens, nous nous restreignions
à un cadre de pensée qui n'était pas assez flexible pour
une étude de performance, puisqu'il n'existait pas toujours de liens de
cause-à-effet entre les indicateurs. À travers les deux
études de cas, nous avons plutôt ressenti une cohésion
globale entre les indicateurs de performance qui se complétaient entre
eux pour décrire les rouages de la performance des institutions. Haas et
Kleingeld (1999) et Norreklit (2000) parlent plutôt de
cohérence entre les indicateurs
Chapitre 6 : Conclusion 103
Au niveau des limites de l'étude, les données
financières et comptables n'ont pas fait l'objet d'une
vérification approfondie, et elles proviennent essentiellement du site
du Microfinance
dont les résultats doivent être liés avec
les ressources disponibles et la stratégie globale de l'institution.
Enfin, pour en revenir à la question de la pertinence
de cibler les IMF dont la stratégie est axée autour des femmes,
nous pensons que ce choix a eu un impact positif sur notre étude. En
effet, il a permis de donner plus de profondeur au tableau de bord et à
la perspective sociale qui intégrait des indicateurs centrés sur
l'atteinte de la mission de l'institution. Aussi, à défaut de
pouvoir développer un tableau de bord pour un cas précis d'IMF
avec une étude sur le terrain en bonne et due forme, nous avons pu mieux
délimiter notre champ d'action à un certain type d'IMF partageant
le même marché cible. Nous avons ainsi pu mieux justifier le choix
de certains indicateurs, particulièrement en ce qui concerne la
perspective innovation et apprentissage et la perspective sociale. D'ailleurs,
la perspective sociale s'est mieux intégrée aux analyses de
performance puisqu'elle renseigne sur la mission sociale des institutions, et
joue ainsi un rôle important pour mener une réflexion
croisée des performances financières et sociales.
Au niveau de la contribution pour la recherche, l'étude
fait état des principales études des mesures de performance des
institutions de microfinance et de l'application du tableau de bord de gestion
pour les organisations poursuivant une mission sociale. Elle définit un
cadre de réflexion pour l'analyse croisée de la performance
financière et sociale des IMF, et le tableau de bord de gestion apparait
comme un bon support pour ce type d'analyse. Ainsi, l'outil
développé peut constituer une contribution pour la gestion de la
performance des IMF. Bien qu'il ait été développé
pour les IMF dont la stratégie est axée autour des femmes, le
chercheur peut y trouver une base de comparaison pour l'adapter à un
autre type d'institutions. L'étude présente d'ailleurs une
variété d'auteurs dont il est possible de s'inspirer pour trouver
des indicateurs de performance mieux adaptés à un contexte
différent.
Chapitre 6 : Conclusion 104
Information eXchange (MIX). Le site de MIX
offre un grand nombre d'informations financières et de ratios de
gestion pour mener une étude de performance, néanmoins cette base
de données reste limitée pour la construction d'un tableau de
bord équilibré. Cette limite a assurément joué un
rôle quant à notre incapacité à sélectionner
des indicateurs pour la perspective innovation et apprentissage qui
s'intègrent mieux avec le reste des perspectives. Qui plus est, nous
n'avons pas pu trouver d'indicateurs de performance pertinents pour la
perspective sociale de l'étude de cas de la Fondep.
Pour l'étude de cas de la Bandhan Financial
Services, les indicateurs de performance sociale ont été
obtenus à travers le site internet de l'institution. Malheureusement,
nous n'avons pas pu avoir accès à autant d'informations sur les
activités sociales de la Fondep dont le site était en
maintenance tout le long de notre étude. Par ailleurs, cette
étude a été élaborée avec l'information
publique disponible sur le web, ainsi que dans la littérature
scientifique et académique. L'analyse et la compréhension du
fonctionnement des deux institutions ont donc été limitées
aux études théoriques et aux données financières
publiques disponibles. Cette limite est relativement importante dans le cadre
d'un outil dont le but ultime réside dans une utilisation à
l'interne. Aussi, nous pensons qu'une application sur le terrain aurait permis
de mieux cibler l'information utile. Pour conclure sur les limites de
l'étude, le principal aspect du tableau de bord ayant été
évalué à travers cette étude est sa capacité
à fournir des éléments d'analyse-diagnostic pour
l'évaluation de la performance d'institutions de microfinance. Comme
nous l'avons vu dans la revue de littérature, le tableau de bord
servirait d'autres intérêts au sein d'une organisation, tels une
meilleure communication de la stratégie, ou encore la prédiction
de la performance future de l'organisation. De tels aspects n'ont pas
été traités à travers cette étude.
Au niveau des voies de recherches futures, une application sur
le terrain de cet outil constitue une voie intéressante dans le cadre du
contrôle de gestion et de la microfinance. À travers des entrevues
de personnes qualifiées et grâce à une base de
données plus intéressantes, il serait possible d'aboutir à
une meilleure sélection d'indicateurs de performance. Entre autres, il
serait possible d'étudier le système d'information d'IMF pour
comprendre sur quelles informations de gestion se basent les gestionnaires pour
évaluer la
Chapitre 6 : Conclusion 105
performance de l'institution à l'interne. Le chercheur
pourrait aussi sonder l'avis de gestionnaires d'IMF sur la pertinence des
indicateurs de performance de cette étude, et lesquels pourraient
être de meilleurs choix.
Par ailleurs, il est possible que la culture organisationnelle
et les besoins d'information soient différents d'un pays à un
autre étant donné le contexte politique, économique et
social de chaque institution. Nous avons d'ailleurs appris, à travers
cette étude, que le gouvernement du Maroc ne permettait pas aux IMF de
collecter les dépôts du public, alors que certaines IMF indiennes
sont sur le point d'obtenir une licence bancaire formelle. Par
conséquent, le chercheur pourrait étudier l'importance
qu'accordent les gestionnaires aux différents types d'indicateurs de
performance en fonction des régions, de la règlementation locale,
de l'âge ou de la maturité de l'institution.
Les technologies de l'information offrent aussi plusieurs
avenues de recherche très intéressantes. Les IMF sont en effet
limitées au niveau de leurs ressources humaines et technologiques, et le
système d'information supportant le tableau de bord doit être
pensé en fonction d'outils informatiques peu onéreux et simples
d'utilisation. Au cours de notre étude, nous avons appris que plusieurs
organismes travaillaient au développement de nouvelles technologies de
l'information adaptées aux contextes, aux besoins et aux ressources
limitées des IMF. Par exemple, Mifo60 est un
système d'information basé sur le web. Il a été
développé par la COSM, Community for Open Source
Microfinance, une communauté d'institutions de microfinance, de
professionnels des technologies de l'information, de volontaires et de
contributeurs. Leur objectif est de soutenir et propulser la microfinance
grâce aux nouvelles technologies de l'information. Avec Mifo,
une IMF peut gérer les comptes de sa clientèle, ses projets,
faire le suivi de la performance globale mais aussi faire un suivi par client.
Grâce à une bonne connaissance des indicateurs de performance
pertinents pour la gestion des IMF, nous pensons que la contribution d'un
chercheur serait non négligeable pour permettre à ce type de
système d'information de mieux cibler l'information utile de gestion. Le
chercheur pourrait même y trouver
60 Site web de l'organisation : http://mifos.org/
visité le 6 octobre 2012.
Chapitre 6 : Conclusion 106
l'opportunité de développer des tableaux de bord
en cascades, qui présentent des indicateurs de performance pertinents
par niveau hiérarchique de chaque employé. Ainsi, une IMF
pourrait mieux aligner les efforts des employés avec la vision
institutionnelle. En fait, l'outil développé à travers
cette étude a été conçu dans l'optique d'un haut
gestionnaire qui aimerait avoir un aperçu global des activités de
l'institution. Par conséquent, les informations contenues dans ce
tableau de bord ne seraient pas autant utiles pour un chef de succursale,
davantage soucieux de l'efficience opérationnelle de ses agents de
crédit par exemple.
107
Annexes
61 Mix Market ne propose pas de définition
pour les indicateurs de performance. Par conséquent, nous proposons
notre propre interprétation des formules mathématiques
utilisées par Mix Market.
108
Annexe 1 : Indicateurs de performance
Indicateur Définition Formule
Autosuffisance opérationnelle61
|
Capacité de l'institution à subvenir
à ses dépenses opérationnelles à partir des
revenus tirés de sa propre exploitation
|
Revenus financiers
|
Frais financiers
+ Frais opérationnels
+ Perte de valeur du portefeuille
|
Emprunt moyen
|
Moyenne des emprunts de la clientèle active
|
Portefeuille de prêts brut
|
Nombre d'emprunts
|
Coût par emprunt
|
Estimation des frais marginaux supportés par
l'institution pour un emprunt additionnel
|
Frais opérationnels
|
Nombr e d ' e m p r u n t s a c t i f s
|
Salaire moyen / PIB par habitant
|
Estimation du niveau salarial des employés de l'IMF
en fonction du niveau de vie du pays
|
Charges salariales
|
Nombre d'emprunts
--
|
PIB par habitant
|
Ratio d'endettement
|
Structure de financement de l'institution, entre dettes
bancaires et fonds propres des actionnaires
|
Dette
|
Capitaux p r o p r e s
|
Dépôts/ Portefeuille de prêts
|
Pourcentage du montant des dépôts de la
clientèle par rapport au portefeuille de prêts
|
Total des dépôts
|
Portefeuille de prêts brut
|
Pourcentage de femmes employées
|
Pourcentage de femmes parmi les employés de
l'institution
|
Nbr de femmes parmi les employés
|
Nombre total d'employés
|
PAR30
|
Montant du portefeuille de prêts dont le remboursement
est en retard de plus de 30 jours
|
Emprunts en retard de 30 jours
|
Porte f e u i l l e d e p r ê t s b r u t
|
Retour sur actif
|
Mesure de la rentabilité de l'institution en fonction
de ses actifs
|
Bénéfice net
|
Total de l'actif
|
Taux de radiation des comptes client (write-off
ratio)
|
Pourcentage des emprunts
jugés irrécouvrables
|
Emprunts radiés dans la période
|
Portefeuille brut moyen
|
# Emprunteurs par succursale
|
Nombre d'emprunteurs par succursale
|
'
Nombre d emprunteurs actifs
|
Nombre de succursales
|
109
# Emprunteurs par agent de crédit
|
Nombre d'emprunteurs par agent de
crédit
|
|
|
# Agents de crédit par succursale
|
Nombre d'agents de crédit par succursale
|
|
|
110
Annexe 2 : Proposition de tableau de bord
Perspective sociale
|
|
Marché cible
|
|
|
|
Pourcentage de femmes parmi la clientèle
|
|
Perspective financière
|
Gestion des coûts
|
Structure de financement
|
Autosuffisance financière
|
Rendement sur l'actif
|
|
|
|
|
Coûts opérationnels / Portefeuille de
prêts
|
Dette / Fonds propres
|
Ratio d'autosuffisance financière
|
Bénéfice net / Actif total
|
Perspective client
|
Dépôts de la clientèle
|
Étendue du champ d'action
|
Profondeur du champ d'action
|
|
|
|
Dépôts / Portefeuille de prêts
|
Nombre d'emprunteurs actifs
|
Emprunt moyen
|
Perspective processus internes
|
Distribution de la
|
Clients à risque
|
Distribution des activités
|
Coût des emprunts
|
Distribution des agents
|
clientèle
|
de crédits
|
|
|
|
|
|
Nombre d'emprunteurs actifs par succursale
|
% du Portefeuille en retard de plus de 30 jours
|
Nombre d'emprunteurs par agent de crédit
|
Moyenne du coût par emprunt
|
Nombre d'agents de crédit par succursale
|
Apprentissage et innovation
|
Conditions salariales
|
Femmes
|
Femmes
|
|
|
|
Salaire moyen / PIB par habitant
|
% de femmes employées
|
% de femmes gestionnaires
|
111
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