Analyse sociopolitique de la crise de l'enseignement supérieur au Burkina Faso: Cas de l'université de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par SIDI BARRY Université de Ouagadougou (UO) - DEA Droit Public: Option: Science Politique 2011 |
PARAGRAPHE 2 : DYNAMIQUE DES LUTTES UNIVERSITAIRES POUR LA PROMOTION DES VALEURS DÉMOCRATIQUESLe mouvement étudiant et enseignant a toujours pris une part prépondérante dans le combat politique en s'affichant comme une force avant-gardiste dans les luttes sociales. L'une des caractéristiques des organisations universitaires réside dans le fait qu'elles ont toujours depuis leur naissance refusé de s'enfermer dans les revendications corporatistes en s'engageant aux côtés des forces de changement d'où leurs liens réels ou supposés avec les syndicats et les partis politiques plus ou moins de gauche. En effet, à l'issue de son congrès le 4 août 1963 à Paris, l'UGEV adopte ce qu'il convient d'appeler la charte de l'étudiant voltaïque qui stipule en son article 1er que «tout militant doit être considéré comme un engagé et mobilisé contre l'impérialisme sous toutes ses formes, il doit lutter avec les syndicats progressistes et oeuvrer pour l'unité africaine et le maintien de la démocratie»71(*). L'adoption de cette charte a scellé désormais l'union entre le mouvement étudiant et les forces politiques de gauche. Le développement de cette ligne radicale et de contre-pouvoir s'est poursuivi après l'indépendance avec l'hégémonie des partis politiques de gauche à la tête de l'UGEV. Cela a permis à ce mouvement de développer une grande capacité de résistance face aux tactiques répressives des régimes successifs. L'UGEV fut une école, un vivier, un cadre de formation de l'élite politique et syndicale actuelle du Burkina Faso. Plusieurs dirigeants de partis politiques ou de syndicats ont été des anciens dirigeants ou militants de l'UGEV. Ainsi, le mouvement étudiant a toujours été la locomotive des changements politiques au Burkina Faso. La chute de la 1ère République a été l'oeuvre des élèves et étudiants qui ont lutté aux côtés des syndicats et des partis politiques pendant le soulèvement populaire du 3 janvier 1966. C'est également au sein du mouvement étudiant que les antagonismes idéologiques entre les partis communistes ont donné naissance à la révolution du 4 août 1983. «La révolution burkinabè, on l'a accouchée sur mon lit de célibataire-étudiant, SANKARA, Blaise et moi» dira un ancien dirigeant de l'UGEV72(*). Par ailleurs, la jeunesse estudiantine et scolaire a joué le rôle de fer de lance dans la lutte du Collectif des organisations démocratiques de masses et de partis politiques (CODMPP)73(*) après l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. A propos de cette crise Pascal BIANCHINI74(*) déclare que « Cet épisode est aussi une illustration exemplaire de l'absence d'hégémonie du régime sur l'intelligentsia et, à contrario, de sa prédilection pour le recours à la coercition. Au passage, cette épreuve a montré également, à l'Université comme ailleurs, une polarisation de l'espace des prises de position poussée à son maximum qui montre ainsi les limites de l'institutionnalisation des compromis et du rôle des groupes de médiation qui ont brillé par leur absence ». Le rôle d'avant-garde du mouvement étudiant dans les luttes sociales fera dire au Collège des sages75(*) que le militantisme étudiant serait à l'origine de la corruption, des détournements et de l'introduction de la violence en politique au Burkina Faso. En effet, on peut lire ceci dans le rapport du collège des sages76(*) : «Devenus leaders politiques, les étudiants d'hier n'ont pas su effectuer la maturation nécessaire pour devenir des hommes d'Etat tant et si bien que les valeurs telles que le patriotisme, l'humanisme, le respect de la vie humaine, morale, les us et coutumes qui incarnaient l'ancienne génération de politiciens, ont cédé la place à la violence politique avec les assassinats, les disparitions, le vandalisme, les tortures et les actes répréhensibles comme la corruption, les détournements, etc.». Or, en initiant le vaste mouvement de protestation en février 2011 à Koudougou suite à la mort de l'élève Justin ZONGO, les élèves et étudiants ont une fois de plus été à la pointe de la lutte contre l'impunité. D'ailleurs, suite à ces évènements, le Gouverneur de la région du Centre-Ouest a été relevé de ses fonctions le 26 févier 2011. Donc, le mouvement étudiant aux dires de nombreux analystes a su démontrer qu'il restait attaché aux idéaux de la démocratie, de liberté et de justice. Ce serait au nom de ces valeurs que les étudiants rejettent les mesures socialement injustes et participent massivement aux combats pour la démocratie et le respect des droits de l'homme. D'ailleurs, la surveillance policière intensive, voire la militarisation du campus lors des grèves serait un indice qui montre la position stratégique du mouvement étudiant dans les combinaisons sociopolitiques à même d'opérer des changements de régime. A travers ces analyses, l'on est tenté de s'interroger sur les raisons profondes qui guident et orientent l'action du mouvement étudiant au Burkina Faso. Les organisations estudiantines sont-elles à la solde des syndicats et des partis d'opposition qui se cachent derrière elles pour déstabiliser le pouvoir ? A ce sujet, un ancien Ministre77(*) déclare : « J'ai toujours exécré le PCRV mais je dois reconnaitre qu'il a toujours joué un grand rôle dans la mobilisation des étudiants. Le PCRV depuis sa naissance a pris comme champ d'action spécifique le mouvement étudiant. Donc, ils sont accusés à tort ou à raison d'être derrière l'ANEB. Les syndicats comme l'ANEB, le SYNTHER, le SYNTSHA sont considérés par beaucoup comme étant les instruments du PCRV ». En effet, si l'on observe de près l'actualité, on s'aperçoit vite que les élèves et étudiants font l'objet de sollicitations politiques et idéologiques de la part des partis politiques et des syndicats. Aussi, les syndicats d'étudiants partagent souvent les mêmes analyses que d'autres organisations, notamment les formations politiques et les organisations clandestines comme le PCRV. Et ces dernières en quête de bases sociales rivalisent pour le contrôle de ces organisations qui deviennent souvent leur caisse de résonance. Par exemple, depuis 1979, en décidant de se placer ouvertement sous la tutelle politique et idéologique du PCRV, et en se rapprochant des syndicats plus ou moins radicaux, l'ANEB s'est vu nier son autonomie de pensée et d'action. Dès lors, la thèse de la manipulation des syndicats étudiants par les forces politiques est devenue récurrente pendant les crises universitaires et est utilisée par le pouvoir comme un épouvantail. Du reste, cette devise commune au PCRV et à l'UGEB (ANEB) qui est « pain et liberté pour le peuple » tend en apparence à accréditer la thèse de la collusion entre ces deux structures. Réfutant cette thèse un ancien dirigeant de l'ANEB déclare : «Je ne crois pas en cette prétendue manipulation de l'ANEB par le PCVR. C'est une pure invention du pouvoir en place pour réprimer durement la contestation estudiantine. A mon avis, les étudiants sont plutôt manipulés par la colère, la misère et l'injustice dont ils sont victimes... » Interrogé au sujet de la manipulation des étudiants par les partis politiques et les syndicats, un enseignant à l'UFR/SVT78(*) lance : « Personnellement, je pense que cette thèse est fondée car on a souvent vu des étudiants prendre part à des luttes politiques qui n'ont rien à voir avec l'université. Ce fut le cas en 1999-2000 ou les étudiants ont âprement lutté aux côtés du Collectif pour demander lumière et justice sur la mort de Norbert ZONGO. Cela a plus tard conduit à l'invalidation de l'année académique 1999- 2000 ». Par ailleurs, on peut reconnaître que les partis politiques et les syndicats à travers la manipulation affective ou idéologique peuvent rallier les étudiants à leur cause et mots d'ordre. Mais peut-on soutenir sérieusement que les effets de la manipulation et du conditionnement des étudiants par les partis politiques et les syndicats sont beaucoup plus puissants que la marge de liberté dont disposent ces derniers et qui leur permet de se soustraire ou de participer volontairement aux actions de protestation? En effet, l'homme ne peut être considéré seulement comme une main et un coeur selon CROZIER et FRIEDBERG79(*). Il est aussi et avant tout une tête, c'est-à-dire une liberté, un agent autonome qui est capable de calculs et de manipulation ; qui s'adapte et invente en fonction des circonstances, de ses intérêts et des mouvements de ses partenaires. Donc, accusés à tort ou à raison d'être manipulés par des forces invisibles, les acteurs du monde universitaire disposent néanmoins d'une marge de manoeuvre leur permettant de contourner ou d'utiliser ces situations à leur profit. * 71 Claude CISSAO, L'association des étudiants burkinabè en France, P187 in D'ALMEIDA-TOPOR, COQUERY VIDROVITCH ; Les jeunes en Afrique : La politique et la ville, tome2, l'Harmattan, 1992. * 72 Entretien avec VS ancien dirigeant de l'UGEV * 73 Le président de l'ANEB dans un quotidien de la place affirme que : «l'ANEB est le bras droit du Collectif». * 74 Pascal BIANCHINI, Crises de la scolarisation, mouvements sociaux et reformes des systèmes d'enseignement en Afrique noire : cas du Burkina Faso et du Sénégal (1966-1995), thèse de doctorat, Université, Paris VII, 1997, P239. * 75 Elle a été mise en place pendant la crise née du drame de Sapouy. Elle dépose son rapport et fait des recommandations pour une sortie de crise. * 76 L'Etudiant Burkinabè, n°27- décembre 1999, p4. * 77 Entretien avec Laya SAWADOGO ; ancien Ministre des enseignements secondaire, supérieur et de la recherche scientifique ; le 21/02/2011 * 78 Entretien avec TC enseignant à l'UFR/SVT; le 27/02/2011 * 79 Michel Crozier et Erhard Friedberg : L'acteur et le système, éditions du seuil, Paris 1977; P202. |
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