Analyse sociopolitique de la crise de l'enseignement supérieur au Burkina Faso: Cas de l'université de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par SIDI BARRY Université de Ouagadougou (UO) - DEA Droit Public: Option: Science Politique 2011 |
PARAGRAPHE 3 : DE 1983 À NOS JOURSL'UGEV devient UGEB avec le changement du nom du pays par le nouveau régime. Elle inaugure une ère de clandestinité car elle est «Traquée» de toutes parts par les Comités de Défense de la Révolution (CDR) qui menacent régulièrement ses militants. Alors s'engagent des luttes hégémoniques entre les factions du CNR sur le campus (UCB, ULC) pour le contrôle de l'Université et surtout de l'AEVO devenue ANEB. En Janvier 1985, l'ULC de Valère SOME remporte les élections du bureau CDR de l'université au détriment de son rival de l'UCB qui contrôle le pouvoir Rectoral dirigé par Oumarou Clément OUEDRAOGO. Cette opposition entre les groupuscules communistes au sein du campus s'accentue après l'incident de Tenkodogo le 2 octobre 1987. Ce jour là, Jonas SOME, un étudiant proche de l'UCB, prononce un discours réfutant le point de vue de Thomas SANKARA qui prône l'unification des organisations révolutionnaires. Cet incident a exacerbé les tensions qui ont précipité la fusillade du 15 octobre 1987 qui a couté la vie au président Thomas SANKARA. L'année 1990 a été une année charnière pour le mouvement étudiant qui est sorti affaibli du CNR, puis du Front Populaire. Cette période est marquée par un reflux de la mobilisation dû à une faible capacité organisationnelle de l'UGEB sortie affaiblie des persécutions des CDR et des CR pendant la période révolutionnaire. Mais la chute du mur de Berlin, l'avènement de la démocratie, puis l'application des premières mesures des Programmes d'ajustement structurels (PAS) vont radicaliser le mouvement étudiant à l'Université de Ouagadougou. Ce mouvement de contestation sera marqué par les luttes dont les principales sont : la lutte menée sous la houlette du Collectif des organisations démocratiques des étudiants (CODE) de 1991 à 1993 ; la grande grève de 1997 dite «grève de 52 jours» et enfin celle ayant conduit à l'invalidation de l'année académique 1999-2000 et à la refondation de l'Université. ü Des évènements de mai 1990 à l'avènement du CODE Le mouvement étudiant sorti diminué de la période révolutionnaire est en phase de réorganisation et gagne en popularité au sein de la masse estudiantine. Au soir du 15 Mai 1990 l'ANEB tient une grande assemblée générale à l'ex- IDR malgré le refus catégorique des autorités universitaires. Ces manifestations sont considérées à l'époque par le ministre d'Etat et le Recteur comme un affront et il s'en est suivi une répression. Cette assemblée générale marque le départ d'un grand mouvement car dès le lendemain, c'est-à-dire le 16 mai, une marche s'ébranle de l'ex-IDR et se termine par un meeting devant le Rectorat. Après une intervention radiotélévisée du Bureau CR de l'Université par la voix de son porte parole, la décision fut prise par le Recteur d'exclure tous les membres du Comité Exécutif de l'ANEB de l'université. Malgré l'occupation du campus par l'armée, aidée par le Bureau CR de l'Université toujours actif à l'époque, l'ANEB tient un meeting le 19 mai 1990 pour protester contre cette mesure d'exclusion des responsables de l'ANEB. Ce jour là, les choses dégénérèrent avec l'intervention des forces de l'ordre qui procèdent à des arrestations, bastonnades, enlèvements à domicile et des incorporations de force dans l'armée. C'est au cours de cette journée du 19 mai que DABO Boukary, considéré comme le premier martyr du mouvement étudiant burkinabè, est enlevé et conduit au Conseil de l'Entente (caserne militaire et siège du pouvoir). L'action conjuguée des partis politiques de l'opposition, la médiation de la société civile et l'adoption de la constitution le 2 juin 1991 rendent possible la décrispation. ü La lutte du CODE L'entrée en vigueur le 8 octobre 1991 des premières mesures du PAS fragilise une fois de plus l'équilibre précaire qui prévaut sur le campus. En effet, l'adoption de ces mesures a eu pour conséquence la remise en cause des acquis sociaux des étudiants à travers la diminution du taux de la bourse, l'institutionnalisation de l'aide et du prêt FONER. Le taux de la Bourse qui était de 37500 F/mois en 1ere année passe à 27500 F/mois et une aide de 15000 F /Mois est accordée aux non boursiers. Le CODE qui est une fusion entre plusieurs organisations estudiantines (ANEB, RENBO, ANBUO, AMIE, MONENB) voit le jour et élabore une plate-forme consensuelle dont les principaux points sont entre autres : ü l'octroi de la bourse à tous les étudiants non-boursiers ; ü la diminution du prix des chambres en cité qui est de 6000 F/mois à 4000F/mois ; ü la diminution du prix des tickets au restaurant universitaire à100 F ; ü la création d'une ligne de transport pour les étudiants ; ü la lumière sur la mort de DABO Boukary. Cette alliance qualifiée de «contre-nature» sera vite confrontée à des dissensions internes à cause des divergences d'appréciations sur les conceptions politiques et idéologiques, les méthodes de lutte et la lecture de la condition étudiante. Le mot d'ordre de grève qui devrait durer deux semaines est levé par le président du RENBO à la télévision nationale à la grande surprise des associations et des étudiants. Cette situation va entrainer la fin du mouvement de grève, la `'mort'' du CODE et une démobilisation des étudiants. Néanmoins, la lutte menée sous la houlette du CODE a enregistré quelques acquis dont les principaux sont : la réduction du prix du ticket au restaurant universitaire (100 F), la diminution du prix des chambres en cité (4000 F/mois), la promesse du gouvernement de supprimer l'aide de 15000 F octroyée aux non-boursiers et son remplacement par une bourse de 25000 F en 1ère année. Malheureusement, au cours de l'année académique 1992-1993 le gouvernement ne tint pas sa promesse d'accorder la bourse aux non boursiers et la lutte reprit de nouveau mais cette fois-ci sous la direction du CODE II. Au cours de cette lutte, l'ANEB prône une unité d'action entre élèves- étudiants et travailleurs tandis que le RENBO II et le MONENB optent pour des actions isolées allant jusqu'à décréter une grève illimitée. Des divergences apparaissent une fois de plus au sein des organisations qui animent le CODE II. Malgré les menaces des autorités et l'exclusion de l'ANEB du CODE par certaines organisations comme le RENBO et le MONEB, l'ANEB lance sur le Ministère des Enseignements supérieur une marche qui sera rapidement dispersée par les forces de l'ordre. Malgré les nombreux échecs notons que l'expérience du CODE fut une étape assez importante, enrichissante pour le mouvement étudiant Burkinabé. Cette alliance engrangea des acquis non-négligeables en dépit des divergences politiques et idéologiques et les méthodes de lutte qui opposent les organisations membres. La lutte du CODE a été une réaction des étudiants mobilisés autour de leurs syndicats respectifs pour exprimer leur mécontentement face à la dégradation de leurs conditions de vie et d'étude suite à l'application des premières mesures du PAS. La capacité de mobilisation des organisations estudiantines s'est fortement érodée après la lutte du CODE. Et l'accalmie qui a prévalu pendant cette période de reflux de la mobilisation a préparé la mise en place du prêt FONER. ü De la lutte de 1997 à l'invalidation de l'année académique 1999-2000. Pendant la décennie 1990, l'essentiel des revendications porte sur l'amélioration des conditions de vie et d'étude des étudiants. Malgré un reflux de la mobilisation suite à la déception des étudiants pendant les luttes de 1992 et 1993, l'ANEB mobilise à partir de novembre 1996 les étudiants autour de la question du remplacement du FONER par une aide de 165000 francs. Le mouvement se radicalise en janvier 1997 avec la répression et l'arrestation du président de l'ANEB. Mais le gouvernement tente de briser le mouvement et fait passer le taux du FONER à 165000 francs et propose une aide exceptionnelle de 75000 francs aux étudiants non boursiers. Ces mesures sont rejetées en bloc par l'ensemble des étudiants qui boycottent le paiement du FONER et continuent la grève en dépit des menaces du Premier ministre. Excédé par les longues et infructueuses négociations et convaincu de la manipulation de l'ANEB par l'opposition, le gouvernement décide de fermer le campus et « vider » les étudiants des cités universitaires. La décrispation intervient après cinquante deux jours (52) suite aux propositions de sortie de crise du Médiateur du Faso. Il s'agit de l'octroi d'une aide de 100000 francs aux étudiants qui ne remplissent pas les conditions d'octroi de la bourse, d'une aide exceptionnelle de 75000 francs aux étudiants non boursiers, enfin la reconnaissance de la responsabilité du pouvoir dans la mort de DABO Boukary. Estimant que les propositions du gouvernement étaient largement en deçà des attentes des étudiants, l'aile radicale de ce mouvement prône la poursuite de la lutte. Mais dans une ambiance électrique à l'amphithéâtre A600 de l'Université de Ouagadougou, l'ANEB décide de la levée du mot d'ordre de grève au grand mécontentement des étudiants craignant une invalidation de l'année. Le 13 décembre 1998, le journaliste Norbert ZONGO et trois de ses compagnons trouvent la mort à Sapouy. L'accalmie qui a suivi la lutte de 1997 est de courte durée car l'Université de Ouagadougou sera l'épicentre de la crise sociopolitique née du drame de Sapouy. En effet, les étudiants à travers leurs organisations respectives vont activement prendre part aux côtés du Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques qui réclame toute la lumière et la justice dans cette affaire. Profitant de la fragilité du pouvoir suite au contexte national de crise, l'ANEB adopte le 4 décembre 1999 une plate forme revendicative qui s'articule autour des points suivants : · L'octroi de la bourse à tout nouveau bachelier de moins de 23 ans ayant une moyenne de 11/20 et l'octroi d'une aide renouvelable à tout étudiant non boursier et son augmentation à 160000 francs ; · Les repas en qualité et en quantité au restaurant universitaire et le maintien des oeuvres universitaires durant les vacances ; · La mise à la disposition des étudiants de bus pour leur transport et à un prix social. L'augmentation de la capacité d'accueil des cités universitaires, des salles de cours et leur équipement en matériels ; · L'extension de la mesure de 20% directe en pharmacie aux étudiants non boursiers ; · L'indication de la tombe de DABO Boukary, étudiant en 7è année de médecine, assassiné en mai 1990. La désignation des auteurs et commanditaires du crime et leur traduction en justice ; · Le respect des franchises scolaires et universitaires et l'abrogation du décret n° 97-287/ PRES/PM/MESSRS/DEP relatif aux franchises universitaires. Les pourparlers avec le gouvernement sur cette plate-forme qui reprenait l'essentiel des points de celle de 1997 piétinent. Et pour l'ANEB « Le ministre comme d'habitude a répondu de façon lapidaire, imprécise et vague à toutes les questions relatives aux points de la plate-forme revendicative. Cela n'est pas étonnant de la part de notre gouvernement... ».33(*) Le 6 avril 2000, au cours d'un meeting, l'ANEB lance une grève de soixante douze (72) heures pour exiger la satisfaction de sa plate forme. Convaincu de la manipulation des étudiants par l'opposition et surtout par le Collectif, le gouvernement réprime le mouvement de contestation, procède aux arrestations et à la fermeture du campus en juillet. Par ailleurs, dans une ultime concession appelle les étudiants à la reprise des cours et propose une somme de 20 000 francs comme mesure d'accompagnement. Une fois de plus l'unité d'action entre les organisations estudiantines n'est pas de mise et l'UNEF à travers la voix de son président qui craint une année blanche appelle à la radio les étudiants à la reprise des cours en septembre. Ce dernier appelant à la reprise des cours affirme que : « La lutte est collective mais le destin est individuel». Ledit mouvement, contrairement à l'ANEB, se montra favorable au FONER. Jugé proche du pouvoir par de nombreux étudiants, il entra en conflit avec les militants de l'ANEB et des affrontements physiques se déroulèrent sur le campus. Malgré l'implication du médiateur du Faso, des autorités coutumières et religieuses pour la résolution de la crise, le gouvernement annonce à la surprise générale le 6 octobre 2000 l'invalidation de l'année académique et la refondation de l'Université. Cette crise a révélé que l'Université est un lieu stratégique investi par les acteurs politiques et syndicaux et qui est souvent vu d'un mauvais oeil par le gouvernement. Et la décision d'invalider l'année académique a été considéré par de nombreux analystes comme étant une sanction à l'égard des étudiants. Elle visait aussi à donner un signal fort aux partis politiques et syndicats qui soutenaient d'une manière ou d'une autre ces derniers. La marche de soutien du Collectif en novembre 2000 pour dénoncer le «sabotage» de l'enseignement par le pouvoir, le boycott du baccalauréat par des milliers d'élèves, et la mort par balle de l'élève Flavien NEBIE à Boussé au cours des affrontements avec les forces de l'ordre ont sans doute été les faits majeurs qui ont marqué ce vaste mouvement de contestation. Au terme de notre analyse, notons que l'histoire du mouvement étudiant burkinabè a été celle d'un mouvement très politisé soucieux de maintenir une cohésion de point de vue en son sein et a aussi constitué un terrain d'affrontement entre partis politiques pour son contrôle. En effet, le verrouillage de l'espace politique et syndical par les régimes successifs a contraint les partis politiques et les syndicats à un repli vers le mouvement étudiant qui se prête fort à ce jeu du fait d'une riche tradition de lutte aux côtés de la FEANF. Enfin, son discours critique et radical a été énormément inspiré par l'idéologie marxiste-léniniste dans ses différentes versions à savoir prosoviétique, prochinois et pro-Ablanais. Mais depuis la chute du mur de Berlin et l'avènement de l'ajustement éducatif, le discours politique anti-impérialiste stricto sensu est de plus en plus un alibi qui ne mobilise plus. Donc, la plupart des revendications sont sorties du cadre idéologique et politique pour s'orienter désormais dans la lutte pour l'amélioration des conditions de vie et d'étude de la masse estudiantine. Le mouvement étudiant a été le cadre dans lequel de nombreux hommes politiques Burkinabé ont forgé leurs armes. Malheureusement, c'est en son sein que sont nés les nombreux antagonismes idéologiques et politiques qui continuent toujours de marquer la vie politique actuelle du pays. * 33 L'étudiant Burkinabé, n°29, février 2000, p7. |
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