Chapitre 1 - Méthodologie d'enquête
Comme le soulignent Stéphane Beaud et Florence Weber,
« les "données" d'enquête ne sont pas analysables en dehors
de leur contexte de production »4, qu'il s'agisse du contexte
réflexif propre à l'enquêteur, du contexte local qui
constitue le terrain d'investigation, ou du contexte des relations
d'enquête (c'est-à-dire le rapport
enquêteur-enquêtés). C'est pourquoi nous tenterons de
restituer, de façon chronologique, la démarche intellectuelle qui
a sous-tendu les orientations successives de notre recherche. Ce choix est
d'autant plus justifié que nous avons suivi un cheminement
d'enquête inductif qui ne peut être mis à jour dans ses
grandes étapes qu'a posteriori. Bien qu'un certain cadre
réflexif ait joué le rôle de fil conducteur, le recueil des
matériaux de terrain s'est fait selon les opportunités et les
obstacles qui se sont présentés à nous. Enquêter
c'est « saisir des occasions », « saisir des chances
»5, sans pour autant que cela s'opère de façon
anarchique.
Cadre théorique et méthodologique :
l'approche ethnographique
La démarche qui a animé notre recherche s'ancre
dans une perspective interactionniste qui se situe à la croisée
de la démarche ethnographique, de l'échelle microsociologique et
de l'ambition de la sociologie pragmatique. Notre objectif était de
saisir les représentations et pratiques des usagers en habitat
social6 par le bas afin de les rendre intelligibles aux yeux du
technicien territorial. Ce cadre, à la fois théorique et
méthodologique, se justifie par le fait que l'interactionnisme
symbolique « accorde une place théorique à l'acteur social
en tant qu'interprète du monde qui l'entoure et, par conséquent,
met en oeuvre des méthodes de recherche qui donnent priorité aux
points de vue des acteurs. Le but de l'emploi de ces méthodes est
d'élucider les significations que les acteurs eux-mêmes mettent en
oeuvre pour construire leur monde social. »7.
Alors que la figure de l'usager apparaît sous une forme
relativement homogène et standardisée aux yeux du technicien,
l'intérêt de l'investigation sociologique consiste à
restituer « les visions d'en bas plus variées qu'on ne le croit
»8. Surtout, la microsociologie, en adoptant un point de vue
complémentaire à la macrosociologie, permet de confronter des
4 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de
l'enquête de terrain, Paris : La Découverte, avril 2010, p.
17.
5 Ibid., p. 107.
6 Nous utiliserons indifféremment les
terminologies d'usager, de locataire ou d'habitant pour désigner la
population au centre de notre analyse.
7 COULON Alain, L'école de Chicago,
Paris : PUF, Que sais-je ?, 2012 (1992), p. 16.
8 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op.
cit., p. 7.
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enjeux plus larges - tels que la mise en place d'une politique
de tri - aux « conditions sociales des micro-changements qui touchent les
acteurs de l'espace domestique »9 et qui s'expriment à
travers l'apparente trivialité des gestes du quotidien. Ainsi, comme le
signale Gérard Bertolini à propos des services urbains, notamment
en matière de gestion des déchets ménagers, « la
sociologie ne doit pas être tenue à l'écart de l'analyse,
ni de l'opérationnel, alors que le génie urbain tend
traditionnellement à privilégier les sciences de
l'ingénieur, dites "dures", par rapport aux sciences humaines, dites
"molles". [...] Le recours au sociologue permet d'élargir le champ de
vision ou de porter un regard plus profond, de remettre en cause certains
présupposés. »10.
Néanmoins, l'approche ethnographique n'a pas pour
ambition d'obtenir des résultats généralisables sur une
large population qui aient valeur de loi universelle mais s'intéresse
plutôt à des groupes sociaux circonscrits dans le temps et
l'espace dans l'intention de mettre en relief « des "processus" et des
"relations" [...] : sous telle et telle condition, dans tel ou tel contexte, si
tel événement (action) a lieu, alors tel autre
événement (réaction) devrait suivre. »11.
En l'occurrence, les processus qui nous intéressent concernent les
raisons qui poussent un usager à consentir ou refuser de s'investir dans
le tri de ses déchets, à connaître ou
méconnaître la problématique de la gestion des
déchets ménagers telle qu'elle est définie
institutionnellement par la CAGB. De cette façon, l'identification et la
compréhension des logiques de l'usager sont susceptibles de provoquer
une prise de distance chez le technicien, d'alimenter sa réflexion et
ainsi déboucher sur la transformation de son mode d'action à
travers la construction d'une approche et d'outils adaptés aux
réalités du terrain.
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