L'étude part de quelques constats :
Premier constat : la crise de l'Etat-Nation date
de plus ou moins 1960.
Sa cause majeure : la crise de la colonisation et de la
décolonisation. La colonisation s'impose à l'Afrique comme si
elle n'était pas préparée. (Pour cela, il faut savoir que
la colonisation est un accident historique. C'est un incident de parcours, il
faut bien résoudre).
Pour cela, chaque pays cherche sa propre voie de sortie de la
crise :
· Voie économique,
· sociale,
· politique et
· idéologique.
Première option : le
régionalisme comme possibilité de légitimation de son
indépendance et de sa souveraineté. Ceci se fait par la mise sur
pieds des regroupements régionaux.
Deuxième option : le souci de
survie contre les autres Etats. Ceci conduit aux diverses crises ethniques,
tribales d'affirmation entre majorités et minorités, vues sous
divers angles : politique, économique, tribal, religieuse.
C'est avec cette option que l'Afrique entre dans la
période de la guerre froide.
Troisième option : l'intervention des
pères fondateurs.
Les pères fondateurs se posent la question du
modèle à suivre pour tout le continent. Après
débats de camps, ils optent pour le souci de créer une Afrique
des Etats souverains, indépendants et stables.
Comme si cela ne suffisait pas, cette option engendre des
conflits territoriaux, conflit de rente et conflits ethniques. Ces conflits
sont d'ordre interne et externe. Il faut souligner que les débats des
pères fondateurs étaient orientés et divisés :
entre les partisans d'une Afrique des peuples (fédéralistes) et
celle des Etats (unitaristes). Ce débat n'a pas porté sur la
nature de l'Etat mais plutôt sur son organisation, plus encore sur la
forme de l'Etat à lui donner.
Ce débat remporté par les souverainistes
incarnés par Léopold Sédar Senghor sur les
fédéralistes représenté par Kwame N'krumah, fut
clos au moins pour ce temps là. Il a caché le vrai débat,
sur la nature de l'Etat-Nation africain post colonial, qui dure encore
jusqu'à ce jour.
En 1963, la création de l'organisation de
l'Unité Africaine a consacré la fin du débat et le choix
de s'aligner sur le modèle européen d'Etat : l'ordre de
Berlin, c'est-à-dire l'affirmation de l'égalité souveraine
des Etats, la non ingérence, l'intangibilité des
frontières héritées de la colonisation et le respect de
l'intégrité territoriale.
A analyser le bilan de cette organisation, il y a lieu de
savoir qu'il est totalement négatif. La coopération
interafricaine au plus bas niveau, au lieu d'instaurer la cohabitation inter
étatique, l'OUA a résolu les conflits interétatiques.
Ainsi, l'Afrique est aujourd'hui un continent en crise
généralisée. Quand on en évoque en Europe, elle
signifie : guerre, pauvreté, maladie, calamité même
naturelle. C'est le terrain des OI de tout genre, des ONG
européenne et des multinationales prédatrices.
Ceci revient à dire que l'Etat africain post colonial a
échoué sur toute la ligne. Il est porteur de la pauvreté
et de l'instabilité. C'est un Etat belligène. L'OUA de son
coté a échoué dans le maintien de la paix et n'a pas
réussi à assurer la stabilité politique et
économique. Elle n'a pas non plus réussi à construire un
système politique de survie acceptable.
Il y a aussi des évidences ou des
constances
C'est principalement le recours à la tribu ou encore
à la province d'origine. Ces éléments culturels sont de
plus en plus instrumentalisés. Cette réalité qui ne semble
appartenir qu'à l'Afrique est généralisée. Dans
l'histoire universelle, il y a des grands ensembles qui ont été
déconstruits par simple recourt aux valeurs identitaires. C'est
notamment les cas de l'Urss, la Yougoslavie, le Soudan et peut être la
Syrie.
Ceci nous permet de reposer la question du débat des
pères fondateurs aujourd'hui : celle-ci se rapporte à la
nature de l'Etat africain post colonial. De quelle Afrique avons-nous
besoin ? Une Afrique des peuples ou celle des Etats, quelle serait son
organisation, sa forme de l'Etat (unitaire ou fédérale), son
système politique (démocratie universelle ou une
démocratie adaptée).
Ces quelques questionnements nous poussent à comprendre
qu'aujourd'hui, l'Etat africain post colonial est dépassé. Il
faut en outre accepter le dépassement du modèle unitaire
centralisé. Cette forme a étouffé dans l'oeuf les
entités communautaires au nom de la création d'une Nation
unificatrice.
Aujourd'hui, il est important de rechercher un nouveau
paradigme qui explique la réalité africaine. Un nouveau
modèle qui prendrait en compte tous les problèmes africains dans
leurs dimensions spécifiques.
Il n'y a pas de criante à affirmer que les
débats entre les pères fondateurs ont été
motivés par des peurs du recours à l'ethnie et de souci de
créer une Nation unie. Cette peur les a poussé à
négliger une variable importante qui fait aujourd'hui l'essence de
l'Afrique : les Etats Africains post coloniaux sont des Etats
multinationaux. Ceci veut dire qu'ils sont composés des majorités
et des minorités.
Dans cette configuration de l'Etat unitaire centralisé
et de la nation unificatrice, les revendications des minorités n'ont pas
été prises en compte. On a longtemps cru que construire une
nation unificatrice par la centralisation des fonctions des pouvoirs
résoudrait les questions des minorités. L'histoire a
prouvé que c'était une erreur.
Cette réalité a fait de l'actuel Etat-Nation
africain une structure inadaptée de sa propre réalité
sociale. Cette inadaptation fait naitre des structures sociales ayant des
légitimités de substitution. Celles-ci organisent, analysent le
vide laissé par l'Etat-Nation.
En Afrique Centrale, nous avons le Mouvement
politico-religieux Bundu Dia Kongo. Ce mouvement analyse sur le plan de fond
l'Etat-Nation en Afrique Centrale en partant de la RDC.
Le BDK est un mouvement assez complexe. C'est ce qui le
différencie des autres mouvements messianiques Kongo, comme VUVAMU,
Kimbanguisme ou l'Eglise spirituelle des Noirs en Afrique. Le BDK est
créé en 1969 par Ne Muanda Nsemi (longi'akongo, affectueusement
appelé Nkaka). Il n'accepte pas de croyances religieuses d'importation,
notamment occidentales. Pour justifier cela, il part de la sagesse kongo qui
dit : Nsi ye makanda ma bantu ye kinzambi kiawu (chaque pays et peuple a
son dieu).
Son objectif principal est le rétablissement de la
culture kongo africaine, le processus de kongolisation de l'Afrique centrale
que la conférence internationale de Berlin et la colonisation ont
détruit. Ceci il l'appelle la révolution culturelle africaine qui
partirait du Kongo pour gagner toute l'Afrique.
Il pose dans sa conception la question de l'Etat africain post
colonial en termes de sa nature. Il propose un nouveau modèle de l'Etat
pour la RDC, et toute l'Afrique Centrale et toute l'Afrique en partant de
l'expérience malheureuse de l'échec de l'Etat unitaire
centralisé et dictatorial en Afrique Centrale.
Sa conception de l'Etat est une proposition valable contre la
tendance à la balkanisation. Il propose le dépassement de l'Etat
unitaire centralisé et la nation unificatrice de triste mémoire
et l'adoption du fédéralisme non territorial mais plutôt
multinational.
Pour y arriver, il se propose de fédérer les
bena kongo que la colonisation a éparpillés au travers de
l'Afrique centrale. Pour cela, il voudrait bien reconstruire l'ancien royaume
kongo.
Le souci de ce modèle d'Etat est de faire en sorte que
le pouvoir au sein des sociétés soit l'expression le plus souvent
possible des citoyens. Le dépassement de l'Etat dont il est question ne
signifie pas qu'il faut supprimer le modèle étatique. Il faut
au contraire l'étudier pour extirper en son sein le caractère
déstructurant dans lequel l'occidentalisation des
phénomènes sociaux africains l'ont emballé. Cet exercice
consiste à l'adapter à son caractère proprement africain
si non il continuera à rester antinomique aux réalités des
sociétés africaines.
Trois questions ont organisé cette étude :
· les facteurs déterminant et expliquant la crise
de l'ordre de Berlin ;
· quelles sont les solutions préconisées
par le BDK ;
· comment les rendre faisables face à une
réalité faite d'un système statocentré pour qu'elle
ne reste pas des simples hypothèses d'école.
Les réponses à ces questions
Q1.
Principalement la pauvreté absolue
· l'incapacité de l'Etat à se rapprocher du
peuple
· sa dépendance absolue à l'Europe
· son incapacité à s'autonomiser
· son incapacité à créer une
unité nationale gage de l'adhésion de toutes les ethnies et des
tribus
· son incapacité de résorber les conflits
inter étatiques et les crises infra étatiques
· incapacité africaine de parler d'une seule
voix
· la résurgence du recours à l'ethnie et
à la tribu : conséquence : les crises identitaires,
organisation des mouvements syncrétiques et fondamentalistes
Q2.
Sur le plan interne
· changer la forme de l'Etat (passer de l'unitarisme
centralisé et de la nation unificatrice au fédéralisme
multinational, créer sur base des aires culturelles ;
· dépasser la démocratie universelle qui
est inadaptée aux sociétés africaines multinationales.
L'adapter aux valeurs propres : la démocratie rotative basée
sur les éléments divisant : l'ethnie, la race, la religion
ou la province
Sur le plan international
· revenir à la période ante Berlin et
reconstituer les anciens Royaumes et empires. En Afrique Centrale, il s'agit du
Royaume Kongo.
POURQUOI
Parce que Berlin a balkanisé l'Afrique en sectionnant
les peuples appartenant à une même zone culturelle. Cette
conférence a créé des frontières sans tenir compte
des réalités sociologiques africaines.
Sur le plan de politique
étrangère
Créer une politique étrangère de
responsabilité et d'anticipation. Laisser l'autonomie aux entités
fédérées avec la paradiplomatie.
Q3/
I.CONSEQUENCE
1. Remise en cause de l'ordre de Berlin et de son
modèle d'Etat, les bases fondatrices des Etats africains :
frontières héritées de la colonisation ; le mode de
fonctionnement du système ; le pacte stratégique
Europe-Afrique
Il faut savoir que l'ordre de Berlin est fondateur de
l'Etat-Nation africain post colonial.
2. La déconstruction de la forme de l'Etat-Nation
africain issu de l'ordre de Berlin : dépasser l'Afrique des Etats
pour aller vers une Afrique de peuples.
3. La création d'une Afrique fédérale
(Ntimansi) ou une confédération (union de Ntimansi) fonctionnant
soit sur le modèle fédéral américain soit sur
celui de la Suisse.
La devise serait : unité et
autonomie dans la diversité.
II. FAISABILITE
Une faisabilité difficile sinon impossible parce que
les Etats tiennent encore aujourd'hui à leur souveraineté et le
modèle issu de Berlin reste fondateur et porteur du sens.
Pour cela, il faut une nouvelle perspective : partir du
Congo pour un fédéralisme multinational sur base des aires
culturelles, revoir l'organisation administrative en la modelant sur
l'appartenance à une même zone culturelle. Poser ce modèle
sur le fédéralisme américain ou suisse.
L'application de la démocratie rotative sur base des
provinces.
La méthodologie de notre recherche est
spécifique. Il ne faut oublier que c'est une thèse
défendue en Relations Internationales, une discipline anormale.
Notre méthode est dialectique. Nous croyons que cette
méthode est exclusive. Dans le souci de son opérationnalisation,
le schéma dialectique suivant a été
présentée :
· Thèse : ordre de Berlin
· Antithèse : la conception de l'Etat du
mouvement politico religieux Bundu Dia Kongo
· Synthèse : la faisabilité et les
conséquences de cette conception sur le terrain.
Cette opérationnalisation est perceptible dans la
l'ossature de toute la thèse.
En ce qui concerne les techniques, nous avons recouru aux
techniques ci-après :
· L'interview
personnalisée : il a s'agit des leaders du BDK, des ses
membres et certains intellectuels kongo non membre.
· L'enquête : nous avons
réussi à avoir un échantillon de 317 membres. Cet
échantillon est reparti en ville : Boma (80), Matadi (60), Muanda
(57), Kinshasa (50), Mbanza-Ngungu (40), Luozi (30)
· Récit de vie :
principalement celle de Ne Muanda Nsemi, ceci nous a permis de
comprendre certains de ses arguments. C'est que Ne Muanda Nsemi est de Luozi.
Tous les gens de Luozi, nous a-t-on répété, ont un esprit
lacustre, c'est-à-dire enfermés sur eux.
· La technique documentaire
· La technique d'observation participante :
ceci nous a permis de comprendre le culte, les cantiques et de la
liturgie. Comment les zikwa étaient organisés
De la délimitation
Sur le plan de temporel :
Borne ad quem 1969 :
l'année de la création du mouvement politico religieux Bundu Dia
Kongo, même si le début de son fonctionnement ne date que de 1986,
le 04 janvier 1986.
Borne ad quo 2012 : organisation des
élections présidentielles. Pour le second mandat du
président Kabila, passant par les événements post
électoraux de 2006 au Bas-Congo.
Sur le plan de l'espace
Principalement l'Afrique Centrale, plus spécifiquement
la RDC. Dans une moindre mesure l'Afrique entière. Ce mouvement voudrait
qu'il y ait un dépassement de l'unitarisme centralisé et de la
Nation unificatrice dans cet espace. Il s'attend à l'avènement du
fédéralisme multinational en RDC et en Afrique Centrale puis en
Afrique tout entière. Mavimpi ka katiopa munu tuka muntimansi.
Intérêt de la thèse
D'une manière générale, faire savoir que
les Etats africains sont des Etats multinationaux.
Le souci est de démontrer que les Relations
Internationales (discipline anormale) ou en science politique moderne, tous les
paradigmes et tout essai de généralisation ne s'adapte toujours
pas aux cas infiniment complexe comme ceux des sociétés
africaines.
Expliquer les choix qui s'offrent à l'Afrique Centrale
d'opérer pour l'établissement d'une gouvernance multinationale et
de la diversité adaptée aux sociétés africaines.
Prouver que les paradigmes classiques de l'Etat nationalisant,
c'est-à-dire Etat fourre tout sont aujourd'hui dépassés.
Que la recherche de la stabilité, en Afrique, par la création de
la Nation unificatrice est une hypothèse de triste mémoire.
Cette thèse présente des solutions originales
à la crise de l'Etat africain issu de l'ordre de Berlin.
Elle propose en outre un nouveau modèle d'Etat qui
prend en compte les réalités sociales de chaque peuple de
l'Afrique Centrale. Ce modèle a été initié par Ne
Muanda Nsemi et le BDK.
Le plus intéressant est le fait qu'elle présente
un nouveau modèle de démocratie qui a l'avantage de créer
une véritable solidarité nationale gage de la création
d'une véritable Nation.
Ce modèle, la démocratie rotative refuse
l'intégration communautaire. Il veut à sa place une juxtaposition
communautaire, c'est cela le vouloir vivre ensemble, l'unité dans la
diversité. C'est un modèle de responsabilisation collective.
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