Le mouvement d'acquisition des anciennes demeures par les
étrangers dans la médina de Fès a connu un
développement rapide sur moins de deux décennies. Cette
installation étrangère est passée par différentes
étapes allant du cas isolé à la «
sur-représentation » de ces nouveaux occupants. Ainsi, l'on
pourrait distinguer entre quatre grandes phases de la programmation de la
médina en tant qu'espace de séjour et que l'on pourrait
énumérer comme suit :
· La fin des années 1990 : des cas
isolés
C'est à la fin des années 1990 que le
phénomène d'acquisition des maisons traditionnelles dans les
médinas marocaines a pris une grande ampleur. C'est ainsi que
l'exploitation de la médina de Fès en tant qu'espace de
séjour et d'habitation par les étrangers pris forme dans la
même période. La première maison traditionnelle à
avoir été vendue à un étranger dans la
médina de Fès date de l'année 1997.
La maison a été acquise par un américain
au fin fond de la médina. Ce passionné de maisons traditionnelles
est considéré par les fassis comme par les autres
étrangers venus s'installer plus tard, comme un « pionnier ».
Il a été dans plusieurs pays arabes, comme il a vécu cinq
années au Caire, en Egypte, avant qu'il se décide à
s'installer définitivement dans la médina de Fès. Sa forte
passion pour l'achat et la restauration des anciennes demeures l'a
poussé une année après à en acheter une autre au
coeur de la médina. Il en fait une maison de vacances à louer,
par opposition à la logique de fonctionnement d'une maison
d'hôtes. Dans l'espace de neuf ans, cet américain avait
déjà acheté cinq maisons dans la médina en prenant
plaisir à les restaurer pour participer à la sauvegarde de cet
héritage unique. « Our hope is that, at least in the case of
the more important houses, Moroccans and foreigners with the means to restore
these houses correctly would do so, either to live in them, or as a holiday
home or investment property. About one-hundred houses have been restored in the
past eight years, half by foreigners and half by Moroccans. This is a much
healthier situation than in some other Moroccan cities, where most of the
restoration has been done by foreigners»40. Dit-il pour
40 « Nous espérons qu'au moins, dans le cas
des maisons les plus importantes, les Marocains et les étrangers, ayant
les moyens pour restaurer correctement ces demeures, le feront, que ce soit
pour y habiter, ou pour en faire une maison secondaire de vacances, ou bien
pour y investir. Presque cent maisons ont été restaurées
dans
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exprimer la raison pour laquelle il achète les maisons
traditionnelles tout en mettant l'accent sur le fait qu'à Fès, le
phénomène est un peu différent, dans la mesure où
ce ne sont pas que les étrangers qui achètent et restaurent ces
vieilles demeures, mais que les Marocains, essentiellement des fassis
ayant quitté la médina auparavant, expriment aussi un
désir d'y retourner.
Deux années se sont écoulées depuis
l'acquisition de la première demeure par un étranger dans la
médina, c'est alors que les premiers français y posent bagages en
1999, attirés par la richesse de son potentiel touristique et par sa
forte image culturelle, pour y investir en maison d'hôtes. Ils
acquièrent ainsi un beau riad de 620 m2 à un
million de dirhams (hors travaux) dans le quartier de Tala'a Kbira et le
rénovent dans le strict respect des traditions locales. Ces
français sont également qualifiés de pionniers à
venir s'implanter dans la médina de Fès et à y pratiquer
le commerce de maison d'hôtes. Ils ont été, de ce fait,
référencés dans la plupart des guides touristiques.
· Début des années 2000 et jusqu'à
fin 2003 : phase de stagnation du mouvement d'achat
Durant la période allant de l'année 2000
à l'année 2003, les effets de la guerre en Irak en mars 2003,
s'ajoutant à ceux, encore plus sensibles des attentats du 11 septembre
2001 aux Etats-Unis, avaient provoqué une nette régression des
flux globaux des touristes étrangers surtout à destination des
pays arabes, notamment le Maroc qui avait enregistré en cette
période une baisse importante des arrivées touristiques notamment
en provenance des Etats-Unis d'Amérique. Ce contexte lié à
la conjoncture internationale marquée par une crise
générale du tourisme a impliqué bien évidemment par
conséquent une stagnation des ventes dans la médina.
les huit dernières années, la moitié
par des étrangers et l'autre moitié par des Marocains. Ceci est
une situation meilleure que dans d'autres villes marocaines, où la
plupart des restaurations ont été faites par des étrangers
».
· 65
Depuis l'année 2004 et jusqu'à fin 2006 : phase
d'extension des propriétés étrangères dans la
médina
Marrakech étant jugée saturée et
chère au début des années 2000, Fès prit sa place
et devient la destination qui monte auprès des touristes, l'objectif
étant de devenir propriétaire d'une maison traditionnelle en
médina. Ainsi, après les quelques rares installations
étrangères, une troisième période marque la phase
d'expansion des maisons étrangères dans la médina de
Fès.
En effet, à partir de l'année 2004, un grand
mouvement d'achat des maisons traditionnelles par les étrangers a pris
forme. Il se poursuit durant les années 2005 et 2006 en enregistrant une
augmentation qui atteint son pic vers la fin de l'année 2006 (Cf. figure
2). Cet engouement sans précédent des étrangers pour les
maisons anciennes s'est développé dans un contexte de vaste
promotion du Maroc lancée en Europe vers la fin de l'année 2003
mais aussi grâce à la politique de libéralisation du
transport aérien en 2004 et l'entrée en vigueur de l'open sky en
2006, ainsi que la mise en place de vols à bas coût à
destination de Fès et l'instauration d'une nouvelle politique d'aide
à l'investissement des étrangers au Maroc, valorisée par
une vaste campagne de communication sur les opportunités
d'investissement ciblée auprès des investisseurs
étrangers. Ainsi, depuis 2004, Fès attire de plus en plus
d'étrangers qui logent en médina comme propriétaires ou
locataires. L'achat de demeures en médina de Fès s'est ainsi
étendu aux classes moyennes et aux différents pays
occidentaux.
Figure 2.
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Source : enquête personnelle
auprès des acquéreurs, des agences immobilières, de la
conservation foncière et des collectivités locales (juin-juillet
2008).
· Depuis l'année 2007 et jusqu'à nos
jours : de l'apogée au déclin
Le grand mouvement d'achat des maisons traditionnelles par
les étrangers, enregistré dans la période
précédente se poursuit en 2007 avec une tendance à se
stabiliser avant de s'estamper visiblement vers la fin de l'année 2007.
En effet, les agences immobilières spécialisées dans la
vente des riads et demeures en médina ont accusé une
chute considérable du nombre des transactions immobilières.
« Jusqu'à 2007 déjà, on vendait une à deux
maisons par semaine. Maintenant, en six mois nous n'avons réalisé
que deux ventes. Actuellement, on vit par la restauration, plus de
ventes.», nous déclare avec une grande déception le
propriétaire de la première agence immobilière et de
restauration du patrimoine à Fès prise par des étrangers.
En effet, la forte demande en matière d'habitat traditionnel par les
étrangers a provoqué une réévaluation
foncière des biens immobiliers dans la médina de Fès (Cf.
Tabl.3). Les prix ont ainsi doublé en une année depuis le
début 2007. Une inflation estimée à +100% parfois et
surtout conjuguée avec un non rapport du prix avec la valeur du bien.
« Les prix n'étaient plus significatifs parce qu'à
l'origine ils n'étaient pas réels [...] ». nous
déclare le président de l'association de sauvegarde du patrimoine
et l'authenticité de Fès. Les prix sont devenus comme à
Marrakech. De ce fait, les étrangers préfèrent acheter
à Marrakech, parce que c'est pour eux un investissement plus sûr,
surtout quand il s'agit de maisons d'hôtes. Le prix de l'immobilier
à Fès a augmenté en l'espace d'une année,
contrairement à Marrakech où ça a pris du temps. A
Fès, il parait déjà que neuf maisons d'hôtes
seraient en vente pour des raisons de non compétitivité du
projet, et que 20% d'entre elles ne marchent pas bien41. «
Fès n'est pas comme Marrakech, il n'y a pas une vraie activité
touristique, des lieux de loisirs et de détente pour accompagner la
volonté de faire de la ville une destination touristique »
souligne un touriste français récemment installé en
médina.
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41 Affirmation qui nous a été faite
par le directeur de l'association de sauvegarde du patrimoine et de
l'authenticité de Fès.
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Tableau 3. Exemples de
réévaluation foncière des demeures dans la médina
de Fès
Source : enquêtes
auprès des acquéreurs (juin-juillet 2008).
D'autres raisons semblent expliquer cette baisse des ventes
et qui relèvent cette fois de la non fiabilité des transactions
immobilières, liées à l'inexistence d'une culture
écrite du mandat de vente (système de samsars), ce qui
entraine un changement de prix au dernier moment par les vendeurs, mais aussi
à la non actualisation des prix de ventes sur les sites internet de
certaines agences immobilières à Fès, chose qui provoque
une forte déception chez les acheteurs potentiels. En outre, la
suppression des vols directs de Ryanair en provenance de Londres et à
destination de Fès a causé une chute importante de la
clientèle anglo-saxonne. « A friend of mine works as a real
estate agent in England. Before the cheap airlines ceased their flights to Fez,
he had sold in a month, 30 houses in the medina. Now, he doesn't sell anything,
and I think this is bad »42, nous declare une
touriste anglaise habitant en médina. Par ailleurs, les correspondances
à partir de Casablanca sur Marrakech sont très fréquentes,
alors qu'il faut attendre 2h voir plus pour se rendre à Fès.
L'année 2008, est qualifiée d'année de
crise concernant l'élan des étrangers pour les maisons
traditionnelles, pourtant les prix des maisons n'arrêtent pas de flamber,
et une bonne partie d'entre elles sont en revente sur le marché. Il
s'agit principalement de maisons non rénovées ayant
été acquises par des anglais, qui semblent être de grands
spéculateurs.
42 « Un ami à moi qui travaille comme agent
immobilier en Grande Bretagne, avait vendu en un mois, avant la suppression des
vols à bas coût vers Fès, trente maisons dans la
médina. Actuellement, il n'en vend plus et je pense que ce n'est pas une
bonne chose. »
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Ces étrangers-acheteurs ont toutefois joué en
l'espace de quelques années le rôle de principaux acteurs dans la
valorisation du centre historique de Fès en participant par leur
restauration à la patrimonialisation et la mise en tourisme de la
médina.