Le domaine réservé de l'Etat( Télécharger le fichier original )par Christian MUKENA MUKENA Université de Kinshasa - Graduat 2010 |
§.2. Les engagements internationaux à la lumière de la souveraineté.Les Etats ont fréquemment protesté contre ce qu'ils considéraient comme une intervention dans leurs affaires intérieures, dans les situations les plus diverses. Ce fut le cas à la suite d'actions extérieures qui visaient à renverser un gouvernement, à influer sur la composition de celui-ci, à infléchir la politique économique d'un Etat, à soutenir l'un ou l'autre protagoniste d'une guerre civile, ou, moins dramatiquement, d'une campagne électorale, à fournir une aide humanitaire à certaines populations.32. C'est aussi sur cette base que les anciennes métropoles s'opposaient à la mise en cause sur le plan international de la poursuite d'une domination coloniale. La France, par exemple, s'est opposée de 1955à 1958 à ce que la question algérienne figure à l'ordre du jour de l'Assemblée générale car l'Algérie faisait partie de son territoire et la lutte qui s'y déroulait relevait donc essentiellement, selon elle, de sa compétence nationale. 30(*) C'est en invoquant pareillement l'intervention dans les affaires intérieures que de nombreux Etats rejettent les accusations qui sont portées contre leur politique en matière de droits de la personne. Ainsi, récemment encore, la chine a exprimé sa ferme indignation et son profond regret à la suite du vote par le parlement européen en avril 1989 d'une résolution portant sur la violation des droits de la personne par la chine au Tibet, considérée par cet Etat comme une immixtion dans ses affaires intérieures. De même, les accusations lancées par la presse belge concernant la situation des droits de la personne au Zaïre ont été en 1989-1990 à la base d'une crise importante entre la Belgique et son ancienne colonie, dont les autorités considéraient que pareilles accusations constituent « une ingérence et une immixtion dans ses affaires intérieures » Le contenu donné par les Etats aux notions d'affaires intérieures ou de compétence réservée apparaît sur base de ces déclarations particulièrement variable. IL convient donc pour le préciser de confronter ces déclarations aux critères servant à déterminer le contenu du domaine réservé avant d'appliquer ces critères à la matière des droits de la personne. En effet, les instruments internationaux qui prohibent l'intervention dans ces domaines n'en donnent aucune définition précise. Nous venons de constater que l'intervention qu'interdit le DI de la part des Etats est celle qui se fait dans les « affaires intérieures » (rés.1514 (XV) ou dans les affaires intérieures ou extérieures (rés 2131 (XX) ,2625 (XXV) et 36/103) d'un autre Etat, l'article 2 § 7 évoquant des affaires qui relève essentiellement de la compétence nationale d'un Etat. Bien que leurs destinataires ne soient pas identiques et que la terminologie varie d'un type d'instrument à l'autre, il apparaît que l'étude de la pratique à laquelle a donné lieu l'application ou l'invocation de l'article 2§7 de la Charnu permettra de préciser le contenu de ce que nous appellerons génériquement le domaine réservé de l'Etat. Les buts poursuivis par les rédacteurs de l'article 2§7 de la Charnu et par les promoteurs des résolutions susmentionnées de l'AGNU sont en effet identiques : il s'agit dans les deux cas de laisser des objets de réglementation législative ou d'activité administrative à la disposition des Etats souverains pour les traiter librement selon leurs conceptions nationales. Par ailleurs, il n'ya aucune raison de penser que les Etats aient une conception distincte des critères déterminant le contenu de la notion de domaine réservé dans et hors du cadre de l'O.N.U. : les différences ne pouvant éventuellement porter que sur le contenu-même de ce domaine. Raison pour laquelle nous déterminerons ces critères sur base de diverses sources, notamment dans le cadre de l'O.N.U. Nous énoncerons d'abord le critère fondamental permettant de définir le domaine réservé avant d'examiner les conséquences de son application. A. Le critère de l'engagement internationalL'engagement international est le critère fondamental de l'existence d'un domaine réservé. Ainsi, les résolutions 1514, 2131,2625 et 36/103 de l'AGNU, si elles ne contiennent aucune définition précise, laissent entendre que cette notion recouvre en tout cas les droits souverains de l'Etat, droits qui, par définition, ne sont pas limités par un engagement international. Dans son arrêt de 1986, la CIJ est plus explicite puisqu' après avoir affirmé que « l'intervention interdite doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d'eux de se décider librement ». La cour examine ensuite longuement si le Nicaragua a conclu des engagements internationaux dans les matières qui ont fait l'objet d'une intervention des Etats-Unis. C'est sur base d'une réponse négative qu'elle conclut à l'existence d'une intervention illicite. C'est donc ici aussi l'existence d'une obligation internationale pour un Etat dans une matière particulière qui fera sortir cette matière de ses affaires intérieures. Enfin, la doctrine adopte la même solution. Selon Bindscheller, le « domaine réservé est celui des activités étatiques où la compétence d'Etat n'est pas liée par le droit international ». Aucun auteur ne semble soutenir une thèse contraire, ainsi le professeur Pierre Marie Dupuy pense que ce qui caractérise les compétences réservées, c'est qu'en principe, elles ne sont pas liées par les prescriptions du droit international, et le champ d'application des compétences caractérisant le domaine réservé est bien entendu variable. Il dépend pour chaque Etat des engagements qu'il aura souscrits dans l'ordre international.33 De même, l'article premier de la résolution adoptée par l'institut du droit international en 1954 définit le domaine réservé comme celui des activités étatiques où la compétence de l'Etat n'est pas liée par le DI et précise que l'étendue de ce domaine dépend du droit international et varie suivant son développement. La résolution est donc claire et la conséquence en est, aux termes de l'article 3 de la même résolution, qui dispose : « la conclusion d'un engagement international dans une matière relevant du domaine réservé exclut la possibilité pour une partie à cet engagement d'opposer l'exception du domaine réservé pour toute question se rapportant à l'interprétation ou à l'application dudit engagement ». IL ressort de ces considérations que toute action visant à contraindre un Etat à respecter ses obligations internationales ne constitue pas une intervention illicite. Dès lors, il est complètement erroné d'évoquer dans cette hypothèse l'existence d'un « droit d'ingérence ». * 30 A. BIAD, Droit international Humanitaire, 2è éd, Paris, Ellipses, 2006, p. 33 |
|