La fratrie en droit( Télécharger le fichier original )par Thibaut GOSSET Université Paris Sud - Master II Droit 2013 |
B/ La signification de l'éclatement de la fratrie72. La fonction d'éclatement de la fratrie ne démontre aucunement son inexistence ; au contraire, elle définit une institution autonome. 73. Communauté d'intérêts - D'une part, elle révèle l'existence d'intérêts communs entre les frères et soeurs que le droit se doit de prendre en compte chaque fois qu'ils nuiraient à l'efficacité de la règle en cause. Les rapports affectifs qui existent entre frères et soeurs sont, notamment, contraires à la finalité du mariage qui est de fonder une famille nouvelle et incompatibles avec l'impartialité exigée pour l'exercice de certaines fonctions. Ainsi, nombre d'empêchements reposent sur la présomption d'une communauté d'intérêts, affectifs ou pécuniaires, au sein de la fratrie122(*). Le témoignage du frère ne peut être recueilli sous serment en matière pénale (CPP, art. 335 et 448) ; les liens de fraternités entretenus avec une des parties sont une cause de récusation du personnel judiciaire ou des jurés (CPP, art. 291). Contrairement à la prohibition du témoignage des descendants, fondés sur l'existence d'un lien de subordination, l'interdiction repose en ligne collatérale sur la partialité présumée du frère, qu'il veuille nuire ou protéger la personne poursuivie123(*). 74. Dès lors que cette communauté affective ou économique se heurte à l'autonomie de chaque frère et soeur, le droit organise des empêchements et incompatibilités de tout ordre. En revanche, lorsque ces liens ne portent aucune atteinte aux finalités de la règle en cause, ils sont pris en compte dans l'intérêt des membres de la fratrie, comme l'illustre la faculté de prouver par tout moyen les obligations contractées entre frères, en raison de l'impossibilité morale de produire un écrit124(*). Les règles qui organisent la séparation des frères et soeurs, loin de nier l'attachement qui existent entre eux, traduisent la communauté affective qui les unit et la combattent chaque fois qu'elle heurte l'ordre social. 75. Une mise en concurrence inédite - D'autre part, l'organisation d'une concurrence loyale entre frères et soeurs constitue une fonction inédite parmi les différentes institutions familiales. En effet, la fratrie est caractérisée par deux sentiments opposés de complicité et de rivalité, d'association et de jalousie125(*). Elle favorise la construction individuelle de l'enfant tout en constituant son premier réseau de lien social fondé sur un mimétisme spontané, oscillant entre ressemblance et individualisation des frères et soeurs, rapprochement et éclatement126(*). Ces relations n'ont d'équivalents ni dans l'alliance, où toute volonté d'indépendance est exclue là où les époux cherchent à s'unir, ni dans la filiation, caractérisée par une inégalité naturelle entre enfants et parents. La fratrie doit ainsi faire face à deux impératifs antagonistes : elle doit, d'une part, allouer une part égale de ressources économiques et affectives à chacun de ses membres et, d'autre part, veiller à favoriser le développement de chaque identité en son sein. Elle ne peut donc se contenter de prévoir sa disparition future : elle doit l'organiser. Or, parmi les fonctions traditionnellement attachées à la famille127(*), composée sommairement du couple et des enfants, la régulation des rapports de concurrence entre frères et soeurs est le plus souvent ignorée. 76. Le corps de règles impératives attachées à la fratrie afin d'organiser la séparation et la mise en concurrence des frères et soeurs est sans équivalent au sein de la famille. En outre, cette fonction d'éclatement est complétée par l'organisation d'une solidarité particulière confirmant l'autonomie de l'institution fraternelle. * 122 René MAURICE, « Les effets de la parenté et de l'alliance en ligne collatérale », art. cit. * 123 Yves MAUSEN, « La famille suspecte. Liens familiaux et motifs de récusation des témoins à l'époque médiévale », dans Leah OTIS-COUR, Histoires de famille, Cahiers de l'institut d'anthropologie juridique, juil. 2012, n° 33, p. 161 * 124 CA Grenoble, 12 avr. 1967, D. 1967, p. 496, RTD Civ., 1967, p. 814, obs. J. CHEVALLIER * 125 Philippe CAILLE, « Fratries sans fraternité », art. cit. p. 11 * 126 Brigitte CAMDESSUS, La fratrie méconnue : liens du sang, liens du coeur (dir.), ESF Editeur, 1998, p. 11 * 127 Dominique FENOUILLET, Droit de la famille, Dalloz, 2e éd., 2008, p. 4 |
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