La fratrie en droit( Télécharger le fichier original )par Thibaut GOSSET Université Paris Sud - Master II Droit 2013 |
B/ Les moyens propres de la fraternité87. L'existence d'une solidarité propre à la fratrie souffre de deux critiques. D'une part, sont invoquées l'absence de juridicité des rapports fraternels et « la spontanéité qui les caractérise »144(*) ; les sociologues observent que la fratrie est un lien « peu normé »145(*). D'autre part, est allégué le manque de spécificité de cette fonction également attachée à l'alliance ou à la parenté, voire à un cercle toujours étendu de proches146(*). Aucune de ces critiques ne parvient cependant à faire douter des spécificités de la fraternité. 88. Rejet de la thèse du non droit - L'absence de règle contraignante ne saurait être assimilée au « non-droit »147(*). En effet, le droit présente diverses « textures »148(*), et le critère de la contrainte n'est aucunement exclusif de toute juridicité de la règle en cause. Or, « beaucoup de gens [...] placent tous leurs espoirs dans le Droit pour la rénovation de la famille »149(*) : cette approche de la famille repose sur un postulat doublement erroné, selon lequel seul le droit pourrait organiser les rapports familiaux et que ce droit ne pourrait être que contraignant. En réalité, il ne fait aucun doute qu'il existe, entre collatéraux, une obligation naturelle d'assistance et de secours que le droit reconnaît150(*). Les dérogations par ailleurs apportées à des règles d'ordre public - pénales, fiscales, successorales - ne sont concevables que par application d'une règle de droit. La question n'est donc « pas de savoir s'il existe une obligation à la fraternité, mais [...] si la fraternité est une faculté »151(*). Aussi, l'absence de contrainte pesant sur les collatéraux ne saurait-elle exclure tout rapport juridique entre frères et soeurs. 89. Cependant, certains ont pu souhaiter la création d'une obligation civile d'aliments entre frères et soeurs152(*) afin de permettre la défiscalisation de ces versements qui, selon une jurisprudence constante, sont imposées au titre de l'impôt sur le revenu du bénéficiaire sans être déductible de celui du solvens153(*). Une telle évolution ne semble toutefois pas souhaitable. La création d'une telle obligation aurait également pour corollaire la faculté pour l'Etat d'exercer une action récursoire contre les débiteurs d'aliments après avoir acquitté une dette de nature alimentaire (CASF, art. L132-7 ; CSP, art. L. 6145-11)154(*). Le frère pourrait alors être poursuivi par son collatéral ou l'Etat créancier, ce qui romprait l'égalité de chance devant exister au sein de la fratrie. Pour que la fonction de solidarité fraternelle soit compatible avec la mise en concurrence des frères et soeurs, elle doit rester une simple faculté155(*). 90. Subsidiarité de la fraternité - En dépit de l'extension de ces règles à un cercle élargi de proches, la solidarité fraternelle conserve une spécificité certaine résultant de son caractère subsidiaire, distinct des autres solidarités familiales. En premier lieu, la fraternité est strictement limitée aux situations de besoin dans lesquelles pourrait se trouver un frère ; elle est donc subsidiaire aux obligations de contribution aux charges entre époux ou d'éducation des enfants qui dépassent largement les seuls besoins de leur bénéficiaire156(*). En second lieu, la fraternité n'intervient qu'en cas de défaillance des débiteurs d'aliments. L'assistance du frère reste toujours secondaire et en proportion moindre que celle des parents ou enfants : elle est donc subsidiaire aux obligations alimentaires de nature civiles (Annexe 5). 91. Cette subsidiarité que certains assimileraient à une inconsistance révèle en réalité une spécificité de la fraternité, instituée comme un dernier recours. Elle est la condition-même de sa compatibilité avec la fonction d'éclatement et de concurrence de la fratrie, concourant à la cohérence d'une institution complète. * * * 92. Conclusion du chapitre premier - Loin de constituer un sous-ensemble « dans les bas-côtés de la parenté »157(*), la fratrie apparaît comme une institution autonome, présentant un corps de règles propres et des finalités spécifiques. Le frère n'est pas « un tiers, en droit civil » 158(*). Caractérisée par une égalité et une unité particulières, l'institution fraternelle concourt à la séparation des frères et soeurs tout en organisant une mise en concurrence loyale et favorisant une solidarité non contraignante. A travers « une fonction sociale et le statut impératif qui la régit » 159(*), la fratrie présente les attributs d'une institution autonome, d'un « lien devant être distingué des autres »160(*). Or, ces caractéristiques peuvent être détachées du lien de filiation qui unit chaque frère et soeur à un parent commun. « Le respect de la fratrie découle des rapports fraternels et non d'un quelconque rattachement aux parents »161(*). Il est donc possible de détacher le rapport de fraternité de la parenté, et d'apprécier la fratrie de manière autonome au sein de la famille. 93. Pourtant, le droit ne semble définir le frère qu'au regard d'une filiation commune. La fratrie est, en droit, l'ensemble des « fils [et filles] d'un même père et/ou d'une même mère »162(*). Or, dès lors que l'institution fraternelle est détachée de la parenté, il convient d'en rechercher la composition, indépendamment du critère tenant au lien de filiation commun. * 144 Valérie BOUCHARD, « De la solidarité en ligne collatérale », art. cit. * 145 Jean-Hugues DECHAUX, « La place des frères et soeurs dans la parenté au cours de la vie adulte », art. cit.. * 146 Loi du 5 mars 2007, relative à la protection des majeurs (C.civ., art. 430) ; loi du 6 août 2004, relative à la bioéthique, concernant les donc d'organes (CSP, art. 1231-1 s.), etc. * 147 Jean CARBONNIER, Flexible droit, op. cit., p. 25 * 148 Catherine THIBIERGE, « Le droit souple », RTD Civ. 2003, p. 599 ; Antoine JEAMMAUD, « La règle de droit comme modèle », D. 1990, p. 199 * 149 Julien BONNECASE, La philosophie du Code Napoléon appliquée au droit de la famille, op. cit., p.3 * 150 Vivien ZALEWSKI, Familles, devoirs et gratuité, op. cit., n° 190, p. 203 ; Pascal BERTHET, Les obligations alimentaires et les transformations de la famille, op. cit., p. 83, n° 136 * 151 Yves GUILLON, « La fraternité dans le droit des sociétés », Rev. Soc., 1989, p.439 * 152 Jean DE GAULLE, AN, XIe Lég., 17 janv. 2002, Proposition n° 3548 ; Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, op. cit., p. 533, n° 672 s. * 153 Frédéric DOUET, « Pension alimentaire entre frères et soeurs », obs. sur CE, 28 mars 2012, L'essentiel-Droit de la famille et des personnes, 15 juin 2012, n° 6, p. 7 ; rappr. Marc FRANCINA, AN, XII Lég., Qu. n° 59868, JO, 05 juil. 2005, p. 6627 * 154 Jean HAUSER, « Une famille récupérée », dans Mélanges Pierre Catala, Litec, 2001, p. 327 * 155 Adeline GOUTTENOIRE-CORNUT, « L'obligation alimentaire, aspects civils », dans Luc-Henry CHOQUET, Isabelle SAYN Obligations alimentaires et solidarités familiales. Entre droit civil, protection sociale et réalités familiales), LGDJ, 200, p. 27 ; Elie ALFANDARI, « Droit alimentaires et droits successoraux », Mélanges René Savatier, Dalloz, 1965, p.1 * 156 Emmanuelle CRENNER et alii, « Le lien de germanité à l'âge adulte », Revue française de sociologie, 2000, 41-42, p.211 * 157 Gérard CORNU, « La fraternité. Des frères et soeurs par le sang dans la loi civile », art. cit. * 158 Véronique TARDY, « Les fraternités intrafamiliales et le droit », art. cit. * 159 Anne-Marie LEROYER, Droit de la famille, op. cit.,, p. 23 * 160 Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, op. cit., p. 524 * 161 Véronique TARDY, « Les fraternités intrafamiliales et le droit », art. cit., p. 7. * 162 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., v° « frères » |
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