Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )( Télécharger le fichier original )par Lucie HUMEAU Lyon - Master 1 2013 |
LES MANUELS DE CONFESSION : UN GENRE EN PLEINE EXPANSION.Les origines de la confession semblent bien remonter à la Bible, et plus précisément au Nouveau Testament, même si la présence de cette pratique dans le texte fait débat. En effet, selon Philippe Rouillard, dans la Bible, « d'une part, il existe un pouvoir de remettre les péchés, exercé fréquemment par Jésus, donné aux hommes (Mt 9,8) et confié solennellement aux Apôtres (Jn 20,22) ; d'autre part, un pouvoir de lier et de délier est confié à Pierre (Mt 16,19), mais pas seulement à lui (Mt 18,18) ; et Paul, tout en proposant une haute théologie de la réconciliation, met plutôt en pratique une discipline de l'excommunication et de la réintégration »115. Les théologiens ont donc dû, au cours des siècles, tenter de structurer et de normer la pratique de la confession, laissée assez floue dans les textes de référence. Il semble que le pouvoir de remettre les péchés, d'absoudre le pénitent, fut tout d'abord concédé à Pierre puis à tous les Apôtres par le Christ le soir de Pâques voire à tous les hommes selon Matthieu. En effet, il est dit à la fin du passage racontant la guérison d'un paralytique : « À cette vue, les foules furent saisies de crainte et rendirent gloire à Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes »116. Ce paralytique vient de se faire absoudre par Jésus suite à sa confession silencieuse, contenue dans son humilité face au fils de Dieu qui lui dit : « Confiance, 113Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.110. 114Ibid., p.111. 115Philippe ROUILLARD, Histoire de la pénitence des origines à nos jours, Paris, Éditions du Cerf, 1996 (coll. Histoire), p.23. 116Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Matthieu, 9, 8. Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 30 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. mon enfant, tes péchés sont remis »117. Il existe un second point d'achoppement dans la nécessité d'avoir recours à un représentant de l'Église catholique pour se faire absoudre de ses péchés. Bernard Sesboüé souligne dans son ouvrage que « dans la discipline secrète, la pénitence devient avant tout intérieure ; elle échappe à l'autorité de l'Église et apparaît comme un acte privé de la vertu de pénitence. [...] Pourquoi se confesser au prêtre de l'Église ? »118. Il semble que la réponse ait été apportée par l'exemple de Lazare ou encore par celui du lépreux qui « guéri par le Christ, était envoyé au prêtre pour que sa guérison soit déclarée selon la loi de Moïse (Mc 1, 41-44) »119. L'Église reçoit donc le pouvoir d'entériner la guérison du malade, de valider sa confession. Lors du concile de Latran IV, la confession est en débat et elle y trouve la plupart des traits caractéristiques qui vont la définir au cours des siècles suivants. En 1215 est décidé, par le canon 21, que « tout fidèle doit confesser tous ses péchés au moins une fois par an »120. De plus, « il est dit avec insistance que le chrétien se confesse à son propre prêtre, c'est-à-dire à son curé ou au chapelain de sa communauté »121. Une autorisation est nécessaire pour contrer cette obligation. Philippe Rouillard rappelle qu'à cette époque, « [l]a préoccupation majeure de Latran IV n'est donc pas de proposer à la chrétienté une nouvelle législation pénitentielle, mais d'utiliser la confession comme un moyen de pression pastorale sur les chrétiens hésitants, comme un moyen d'assurer la cohésion et la fidélité de la communauté chrétienne face aux sollicitations des "sectes" plus ou moins hérétiques. [...] Instituée à l'origine pour distinguer le catholique de l'hérétique, la confession annuelle servira [ensuite] de critère pour distinguer le catholique pratiquant du catholique non pratiquant ou indifférent »122. Jean Delumeau souligne que « la généralisation de cette contrainte, déjà en vigueur auparavant dans plusieurs diocèses, modifia la vie religieuse et psychologique des hommes et des femmes d'Occident, et pesa énormément sur les mentalités jusqu'à la Réforme »123. Au XVIe siècle, Luther, dans ses 95 thèses, remet en cause certains des fondements de la confession catholique. En effet, il soutient que « [l]a confession n'est pas de droit divin ; elle n'est pas nécessaire à la rémission et doit rester libre. Une confession de tous les péchés est impossible et n'est qu'une tradition humaine (4, 5, 6). [...] Tous les chrétiens peuvent être ministres de l'absolution. La réservation des cas est 117Ibid., Évangile selon Matthieu, 9, 2. 118Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), Histoire des dogmes, tome 3 : Les signes du salut, Les sacrements. L'Église. La vierge Marie, Paris, Desclée, 1995, p.171. 119Ibid., p.172. 120Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.67. 121Ibid., p.67. 122Ibid., p. 68-70. 123Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon : les difficultés de la confession. XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1992 (rééd.) (coll. Livre de poche), p.11. Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 31 - Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 32 - illégitime (7, 8, 9) »124. Philippe Rouillard dit que « [f]ace à ces positions contestataires, le concile de Trente va insister sur trois points : nécessité pour tout chrétien de confesser au moins une fois par an tous ses péchés graves ; nécessité pour le pénitent de présenter ses fautes au ''jugement'' du confesseur, qui peut donner ou refuser l'absolution ; effort théologique pour prouver que ces exigences ne sont pas de simples règles fixées par l'Église, mais qu'elles sont de ''droit divin'', c'est-à-dire viennent de Dieu lui-même »125. Une distinction est à nouveau clairement établie entre le baptême, marque d'une première justification du chrétien et la pénitence pour celui qui est retombé dans le péché, pénitence qui « a été et demeure pour tous les hommes une vertu nécessaire pour parvenir à la grâce et à la justice »126. Ainsi, comme le montre Bernard Sesboüé : « Si le baptême est une naissance, la pénitence est une guérison »127. Philippe Rouillard souligne enfin que « le concile de Trente, par ses prises de position et par son retentissement, a donné plus de vigueur, ou de rigueur, à la pratique du sacrement dans l'Église catholique, qu'il s'agisse de la confession annuelle, dont se satisfont beaucoup d'hommes, ou de la confession plus ou moins fréquente en honneur dans les milieux dévots et surtout féminins »128. Nous allons maintenant étudier le déroulement du sacrement de pénitence dans l'ordre chronologique repéré dans les actes du concile de Trente : « poussé par la contrition de son péché, le pénitent vient s'en confesser, il reçoit l'absolution qui le réconcilie avec Dieu et se soumet à la satisfaction qui lui est imposée »129. Il existe tout d'abord à l'époque moderne de grands débats autour de la contrition. Lucien Bély remarque que « [c]e dernier point est un de ceux qui ont été le plus discutés, longtemps encore après le concile [...] : faut-il, pour être pardonné, que le pécheur regrette ses fautes par amour de Dieu (contrition parfaite) ou suffit-il qu'il soit mû par la peur de l'enfer (contrition imparfaite ou attrition) ? »130. Le concile de Trente adopte une nouvelle position face au sacrement de pénitence en considérant, à rebours de saint Thomas par exemple, que « dans le cas le plus fréquent, le pénitent se présente avec une contrition imparfaite »131. Or « [l]es motifs de l'attrition sont imparfaits parce que le pénitent reste enfermé dans une considération de lui-même et des conséquences fâcheuses de ses actes »132. Néanmoins, le concile de Trente lit dans l'attrition une 124Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174. 125Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.78. 126Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.174. 127Ibid., p.176. 128Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.80. 129Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.176. 130Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ». 131Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.177. 132Ibid., p.177. Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. disposition du pécheur favorable à Dieu. Les canons du concile établissent donc que « celle-ci "suffit à la constitution de ce sacrement" et dispose à obtenir "plus facilement" la grâce [...] »133. Le concile de Trente s'attache ensuite à définir le moment même de la confession, le moment de l'aveu. Marc Vénard et Anne Bonzon insistent sur le fait que, sur le plan psychologique, le premier temps, l'aveu, est le plus marquant. C'est pourquoi selon eux, « le langage courant a retenu le terme de confession pour désigner l'ensemble du sacrement »134. Philippe Rouillard remarque lui aussi que « [l]e nom même de "sacrement de pénitence" ne correspond plus guère à la réalité, car les deux éléments essentiels de la démarche sont désormais la confession et l'absolution, tandis que la "pénitence", souvent réduite à quelques prières, n'est accomplie qu'ensuite et n'a plus qu'une valeur symbolique ; les fidèles ne s'y trompent pas, qui disent couramment : "Je vais me confesser" ou "Je vais à confesse" »135. Le Catéchisme romain, publié en français en 1567, consacre un long chapitre « au sacrement de la pénitence, qui insiste aussi bien sur l'importance de la contrition que sur la nécessité d'une confession détaillée et de la réparation des dommages causés »136. Lucien Bély signale que « les exigences ne cessent de croître en ce qui concerne l'exhaustivité et la précision de la confession »137. Cela entraîne des débats concernant l'étendue de ce qui doit être dévoilé au confesseur. Les péchés mortels et les péchés véniels doivent-ils être mis sur un pied d'égalité ? À ce propos, le concile de Trente précise que les « péchés véniels qui n'excluent pas de la grâce de Dieu et en lesquels nous tombons souvent (encore que la confession en soit utile), ils peuvent être tus sans faute et expiés par de nombreux autres remèdes [...]. Rien d'autre dans l'Église ne peut être exigé du pénitent [...], sinon que chacun confesse les péchés par lesquels il se souviendra d'avoir offensé mortellement son Dieu et Seigneur »138. Néanmoins, le canon 8 de ce même concile semble imposer la confession de l'intégralité des péchés. Sur cette brèche doctrinale vont se construire deux courants, l'un rigoriste, l'autre plus ouvert, parfois qualifié de « laxiste ». Après l'aveu vient l'absolution. Il faut souligner que les insuffisances du clergé romain au XVIe et la pénibilité du sacrement de pénitence avaient mené à des dérives de la part des deux parties. En effet, « [l]e pénitent [...] obtient rapidement l'absolution et 133Ibid., p.178. 134Marc VENARD, Anne BONZON, La religion dans la France moderne XVIe-XVIIIe, Paris, Hachette supérieur, 1998 (coll. Carré histoire), p.50. 135Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.73. 136Ibid., p. 80-81. 137Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ». 138Session XVI, chapitre V, cité dans Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.13. Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 33 - le confesseur, qui fait payer ses services, a intérêt à donner beaucoup de pardons »139. Ainsi, les statuts de certaines paroisses mentionnent les tarifs pour les différentes célébrations. « Rien pour les confessions mais les curés peuvent recevoir une somme modique, à la discrétion des fidèles »140 est la conclusion que tire Vladimir Angelo de l'étude des statuts des paroisses parisiennes au XVIe. Le concile de Trente interdit ce commerce des sacrements et a aussi « fixé la formule d'absolution que doit dire le prêtre : "Je t'absous au nom du Père", etc., et non pas "Que Dieu t'absolve". Car le rite objectif l'emporte désormais sur les sentiments du pénitent »141. Enfin, la satisfaction doit être un signe extérieur de la repentance du pécheur, une "conversion". Cette satisfaction prend de plus en plus souvent la forme de la récitation de prières. Néanmoins, le concile de Trente « souligne la dimension christologique de la satisfaction : par elle "nous devenons conformes au Christ Jésus qui a satisfait pour nos péchés" [...] »142. La satisfaction n'est donc pas minorée mais les peines spectaculaires, visibles, disparaissent puisqu'elles sont en contradiction avec le secret de la confession, exigence qui prend une grande importance dès le concile de Latran IV mais qui est réaffirmée avec force par le concile de Trente, s'appuyant sur l'exemple de saint Jean Népomucène, confesseur de la reine Sophie de Bohême qui refusa de révéler le contenu des confessions de la reine à son mari jaloux. Il fut pour cela torturé et jeté à l'eau. Le secret de la confession est un des aspects plus « matériels » abordés par le concile de Trente. La question de la fréquence de la confession est elle aussi abordée. François Lebrun montre que « pour le plus grand nombre, la confession pascale est la seule de l'année et se ramène à un simple aveu de leurs péchés suivi, immédiatement ou non, de l'absolution »143. Néanmoins, il semble que « la pratique de la confession [soit] devenue plus fréquente à mesure des progrès de la dévotion : mensuelle, ou même hebdomadaire chez les plus fervents ou les plus scrupuleux »144. Une évolution qui a suivi de près le concile de Trente est celle de l'introduction du confessionnal dans les églises. Cette invention serait due à Charles Borromée, évêque italien et grand promoteur du concile de Trente. Le confessionnal est « destiné à séparer le confesseur du pénitent, et surtout de la pénitente : entre les deux, une grille laisse passer la voix mais à peine le regard »145. Ce meuble permet de s'isoler du reste des croyants mais il 139Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.15. 140Vladimir ANGELO, Les curés de Paris au XVIe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2005 (coll. Histoire religieuse de la France), p.108. 141Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ». 142Bernard SESBOÜE (dir.), Henri BOURGEOIS (dir.), Paul TIHON (dir.), op. cit. [note n°118], p.179. 143François LEBRUN, Être chrétien en France sous l'Ancien Régime 1516-1790, Paris, Seuil, 1996 (coll. Être chrétien en France), p. 149. 144Lucien BELY (dir.), op. cit. [note n°46], article « Sacrements ». 145Marc VENARD, Anne BONZON, op. cit. [note n°134], p.50. Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 34 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. semble avoir été institué du fait de la « difficulté » supposée de la confession des femmes. Selon Natalie Zemon Davis et Arlette Farge, « la confession et la direction spirituelle exigeaient des précautions extraordinaires quand il s'agissait de femmes. [...] En raison des dangers spécifiques attribués à la confession féminine, on introduisit la grille qui empêchait tout échange de regards entre la pénitente et son confesseur »146. Il existe donc une spécificité de la confession féminine, bien repérée et dont on a tenté de limiter les effets. En effet, le confesseur est un personnage très important dans la vie d'une femme pieuse et un attachement réciproque peut avoir lieu. Pour contrer cet inconvénient, Charles Borromée préconise la séparation physique du confesseur et de la pénitente. Si cette séparation est impossible, l'évêque italien donne des instructions précises aux confesseurs de sa ville en 1576 : « On ne doit point entendre les confessions des femmes dans les maisons des laïcs, si ce n'est en cas de maladie. Et, en ce cas, celui qui confesse des femmes doit tenir la porte du lieu où il est ouverte de telle sorte qu'il puisse être vu. Et hors ce cas de maladie, on ne doit entendre les confessions des femmes que dans les églises et les confessionnaux. Et on doit même éviter de le faire avant le soleil levé, ni après qu'il sera couché »147. Une autre particularité repérée chez les femmes est la honte qu'elles éprouveraient lors de la confession. Elle est citée dans plusieurs ouvrages de confession et c'est pourquoi Jean Delumeau peut dire que « [l]es observateurs d'autrefois remarquèrent que la honte se manifestait surtout à l'occasion de péchés sexuels et paralysait tout particulièrement les femmes »148. Cette honte doit être adoucie par la charité et la compassion dont doivent faire preuve les prêtres lors de la confession. L'évolution des sommes de casuistique médiévales est, au XVIe siècle, le manuel de confession. Selon Pierre Michaud-Quantin, « [l]e seul élément qui se transforme d'une façon suivie est l'examen de conscience proposé au pénitent, qui se développe et se complique en même temps qu'il vient toujours davantage au premier plan des préoccupations de l'auteur »149. De cette tendance observée découlerait « la création d'un nouveau type de manuel - réduit à sa plus simple expression - qui se compose uniquement d'un examen de conscience constitué par une liste de tous les péchés possibles ; les manuscrits le désignent sous le nom de confessio generalis quand ils 146Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op. cit. [note n°79], p.195. 147Charles BORROMEE, Instructions de S. Charles Borromée cardinal du titre de sainte Praxède, archevêque de Milan, aux confesseurs de sa ville, et de son diocèse, Besançon, Marquiset, 1839 (rééd.) [disponible sur le site < https://play.google.com/books/reader? id=sqt5RAL1ydMC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP7>] (consulté le 25 novembre 2012). 148Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.19. 149Pierre MICHAUD-QUANTIN, Sommes de casuistique et manuels de confession au Moyen-Âge, (XIIe-XVIe siècles), Louvain, Nauwelaerts, 1962 (coll. Analecta Mediaevalia Namurcensia), p.69. Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 35 - pensent à son emploi par le pénitent, quaestiones faciendae in confessione, interrogatorium, s'ils envisagent l'emploi qu'en fera le prêtre »150. Si Philippe Rouillard estime que « du XVIe au XVIIIe siècle, paraissent d'innombrables manuels pour les confesseurs »151, Marcel Bernos quant à lui chiffre « la production des manuels de confession [...] à plus de 600 dans le siècle qui a suivi le concile de Trente (15631660) »152. Cette explosion de la production de manuels de confession s'explique en partie par la grande importance donnée à la confession à l'époque moderne et au fait que « la "technique" de la confession est complexe »153 selon les confesseurs de l'époque. En effet, ces derniers « consacrent souvent une bonne partie de leurs manuels à en expliquer les devoirs, la procédure, les dangers, l'importance de ce qu'ils définissent comme l' ars artium »154. Marcel Bernos rappelle dans ce même ouvrage qu'il faut être attentif à la manière d'étudier ces textes que sont les manuels de confession. Il conseille : « Comme toutes les sources, les livres touchant à la morale ont des caractéristiques et un mode d'emploi propres. Un manuel de confession paraît à une date donnée [...]. Il est écrit par un auteur particulier. L'origine de celui-ci, son appartenance au clergé séculier ou régulier, sous clôture ou dans le monde, son adhésion à une "école" morale rigoriste ou non, ne peuvent pas ne pas influencer la formulation de ces écrits. Il arrive qu'un manuel soit commandé par un évêque en vue d'un usage exclusif en son diocèse. La personnalité de cet évêque ne doit pas être négligée car elle joue un rôle dans la destinée de la publication »155. Les manuels de confession se développent au XVIe siècle en réponse à une attente des croyants mais aussi pour éduquer les prêtres et les aider dans leur lourde tâche de confesseur. Le format des manuels de confession indique clairement qu'ils sont destinés à être diffusés assez largement. Marcel Bernos souligne en effet que, « [c]ontrairement aux Summae Confessorum des XIVe et XVe siècles qui sont souvent d'énormes in folio destinés aux seuls prêtres, les manuels de confession, de format plus pratique (généralement in-8°, jusqu'au livre de poche in-16), s'adressent et donc s'adaptent à un public plus varié, éventuellement désigné dans le titre même, et d'abord pour les ministres du sacrement »156. L'angoisse du salut qui caractérise le début du XVIe siècle et ses répercussions sur l'Église de France vont menées à un resserrement des exigences 150Ibid., p.69. 151Philippe ROUILLARD, op. cit. [note n°115], p.84. 152Marcel BERNOS, Les sacrements dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles : pastorale et vécu des fidèles, Aix-en-Provence, PUP, 2007 (coll. Le temps de l'histoire), p.21. 153Ibid., p.15. 154Ibid., p.15. 155Ibid., p.23-24. 156Ibid., p.24-25. Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 36 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. religieuses à la fin de ce même siècle. Le plus grand contrôle que l'Église souhaite exercer sur les fidèles se concrétise dans le renouvellement de l'obligation à tous de se confesser au moins une fois par an. Les grands événements du milieu du XVIe siècle ont de plus favorisé le développement de formes intenses de piété. Les chrétiens de la fin du XVIe siècle sont inquiets face aux déchaînements de violence qui ont eu lieu sur le territoire français. Certains cherchent alors à améliorer leur confession, pensant peut-être que le retour de l'Antéchrist est proche. Les confesseurs essaient de vulgariser leur message en utilisant parfois le français dans leurs écrits, face au latin, langue de l'Église. À côté des potentielles préoccupations pastorales des prêtres et des curés, le concile de Trente et certains statuts synodaux exigent la possession d'une bibliothèque minimale par le clergé. Comme le soulignent les auteurs de l'Histoire du christianisme, « [l]es statuts synodaux exigent ordinairement que les curés aient chez eux une Bible, les statuts du diocèse, un manuel, un recueil de sermons et une somme de confession »157. La réforme catholique vise aussi, selon les mêmes auteurs, à approfondir les relations entre le pénitent et le confesseur. Selon eux, « [t]oute une littérature y contribue, dont la production remonte au XVe siècle, mais ne cesse de se développer dans les deux siècles suivants. Elle comprend, pour les fidèles, des examens de conscience et des manières de se confesser ; pour les prêtres, des instructions pour confesseurs ; pour les uns et les autres, des sommes de confession qui sont des manuels de morale très fouillés, avec analyse des "cas de conscience" et des situations concrètes liées à chaque état de vie »158. Marcel Bernos rappelle que « [l]a fonction première des manuels de confession est de provoquer l'examen de conscience individuel et à faciliter l'aveu, le plus précis possible, des fautes rendues répertoriables par le pénitent »159. Afin que cette confession se déroule dans les meilleures conditions possibles, les manuels de confession relèvent les qualités nécessaires du confesseur. Il faut souligner tout d'abord que les manuels présentent le confesseur « dans ses différentes fonctions possibles : père, juge, instructeur, médecin »160. Le confesseur est un médecin de l'âme et cela lui « donne des responsabilités, mais aussi des droits, au moins égaux à ceux de son collègue soignant les corps »161. Le concile de Trente et les manuels de confession, à sa suite mais aussi anticipant les canons du concile, demandent au confesseur une certaine connaissance de la théologie si ce n'est tout premièrement une connaissance du Décalogue et des grandes 157Jean-Marie MAYEUR (dir.), Charles PIETRI (dir.), André VAUCHEZ (dir.), Marc VENARD (dir.), Histoire du christianisme, tome 8 : Le temps des confessions (1530-1620), Paris, Desclée, 1992, p.885. 158Ibid., p.968. 159Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.31. 160Ibid., p.74. 161Ibid., p.74. Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 37 - interdictions liées à la religion catholique. Le confesseur doit donc être « "savant", connaître les matières de la théologie morale et les cas de conscience, ce qui s'acquiert par une étude persévérante recommandée par les évêques »162. Mais ces connaissances doivent s'accompagner de qualités qui faciliteront la confession. Jean Delumeau souligne en effet que « [p]sychologiquement, une des difficultés de la confession auriculaire est créée non seulement par le fossé entre un juge et un coupable, mais par le fait qu'il n'y a confidence que d'un seul côté »163. Les manuels de confession insistent donc sur la nécessité pour le confesseur « de traiter avec bienveillance, patience et compassion, les pénitents, et particulièrement les personnes affligées de cette cruelle inclination à se croire toujours en faute, et sans rémission possible »164. Du fait de la difficulté de leur tâche et de l'importance de leur mission, dont la conscience croît peu à peu, les confesseurs se doivent donc d'acquérir des qualités morales et intellectuelles. Ces qualités seront de plus en plus contrôlées par l'Église lors de l'examen des prétendants. Lors de leur recrutement, prêtres comme évêques seront en effet questionnés sur leurs connaissances théologiques et pastorales. Les femmes seraient peu présentes en tant que telles dans les manuels de confession. Marcel Bernos souligne en effet que ces derniers « ne consacrent jamais un chapitre particulier aux femmes. Lorsqu'elles sont expressément mentionnées, c'est toujours associées à un personnage masculin correspondant. Ainsi, on traitera des "pères-et-mères", des "maîtres-et-maîtresses", des "serviteurs-et-servantes", des "religieux-et-religieuses", etc »165. Néanmoins, nous pouvons voir dans ces manuels des représentations de la femme, élogieuses tout comme dépréciatives. Marcel Bernos attire l'attention de ses lecteurs sur le fait que « les données fournies ne constituent en aucune manière des matériaux "bruts" et purs. Ils sont déjà interprétés, parfois profondément, par les rédacteurs, chacun étant ce qu'il est et subissant des influences extérieures non négligeables »166. Il faudra donc s'interroger prudemment sur la fiabilité des manuels de confession et sur l'image de la femme qui en ressort. L'étude du plan des manuels de confession montre leur désir d'attirer les fidèles. En effet, « [c]ertains [...] consacrent des chapitres entiers à une réflexion sur les péchés spécifiques d'une catégorie définie de fidèles, clercs ou laïcs, aristocrates ou gens du peuple [...]. Ils insistent [...] sur les particularités des métiers »167. Ainsi, un corps social 162Ibid., p.75. 163Jean DELUMEAU, L'aveu et le pardon..., op. cit. [note n°123], p.31. 164Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.76. 165Ibid., p.144. 166Marcel BERNOS, « Les manuels de confesseurs peuvent-ils servir à l'histoire des mentalités ? », dans Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités, mélanges Robert MANDROU, Paris, PUF, 1985, p.91. 167Marcel BERNOS, Les sacrements..., op. cit. [note n°152], p.16. Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 38 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. ou un corps de métier sera-t-il peut-être incité à lire un manuel de confession traitant spécifiquement de ses traits caractéristiques. Nous allons à présent étudier plus précisément le plan du manuel de confession que nous nous proposons d'analyser par la suite. Ce manuel a été rédigé par Jean Benedicti et publié pour la première fois en 1584. La version étudiée est celle de 1595, cette version est celle qui sera diffusée largement grâce à l'approbation de l'Église catholique. Cette oeuvre, intitulée La somme des pechez, et le remede d'icevx, essaie de présenter de la manière la plus exhaustive possible l'ensemble des péchés des chrétiens et le moyen d'en faire pénitence. Plan du manuel de confession de Jean Benedicti, La somme des pechez et le remede d'icevx .
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 39 -
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 40 - Plan du
Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 41 - Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 42 -
Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 43 -
Nous pouvons donc remarquer grâce à cet ouvrage qu'un type de manuel de confession consiste à répertorier les péchés possibles en étudiant tour à tour les dix commandements et les commandements de l'Église. Les thèmes qui posent question aux confesseurs se remarquent par le volume qu'ils occupent dans l'ouvrage. Il est intéressant par exemple de remarquer que soixante-et-une pages sont consacrées aux qualités requises pour être un bon confesseur. Les péchés sont abordés de manière systématique et claire grâce à la fois aux nombreuses subdivisions des chapitres168 et à la table des matières169 qui permet de s'y reporter rapidement. Les diagrammes présentés ci-dessous montrent les différentes répartitions des sujets traités par Jean Benedicti. 168Voir Annexes 5 et 6. 169Voir Annexe 7. Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 44 -
Illustration 1: Le traitement des dix commandements, en pourcentage.
Ce premier diagramme explicite l'intérêt de Benedicti pour les péchés concernant le deuxième et le sixième commandements. L'auteur est en effet particulièrement intéressé par les questions de blasphème et de voeux, points qu'il développe longuement. À propos du sixième commandement, de nombreux points sont abordés : l'adultère premièrement, puis le stupre, l'inceste, le rapt, les rapports sacrilèges, le péché contre nature ou encore l'excès des gens mariés. Tous ces rapports autour du mariage et de la sexualité sont en débat à l'époque de Benedicti, ce qui peut expliquer leur forte présence dans son ouvrage. Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 45 -
Illustration 2: Le traitement des six commandements de l'Église, en pourcentage.
Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 46 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. Ce deuxième diagramme permet de se rendre compte que Benedicti s'est particulièrement attaché aux questions de jeûnes et de mariage, auquel il dédie un traité entier. Encore une fois, la question du mariage est en débat lorsque Benedicti commence à écrire. Le concile de Trente a cherché à redéfinir ce sacrement ce qui provoque des réactions dans l'ensemble de la société française. Le problème des jeûnes pose aussi question par son caractère contraignant et souvent peu respecté par les croyants.
Illustration 3: Le traitement des sept péchés capitaux, en pourcentage. Les questions d'argent concernent manifestement Benedicti qui traite en profondeur les péchés de simonie, d'usure, de change, de « censes, rentes, venditions & achapts »170 lorsqu'il aborde le péché d'avarice. C'est ce que nous montre l'illustration 3. Nous étudierons plus avant dans ce travail en quoi Benedicti est intéressé par ces questions et comment il les traite lorsqu'il se penche sur les péchés spécifiques aux femmes. 170Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx. Comprenant tous les cas de conscience, & la resolution des doubtes touchant les Pechez, Simonies, Vsures, Changes, Commerces, Censures, Restitutions, Absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l'ame pecheresse par le Sacrement de Penitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux, Grecs & Latins, Paris, Sébastien Nivelle, 1595 (rééd.), Argvment et sommaire de tous les cinq liures, et de leurs chapitres. [disponible sur le site < https://play.google.com/books/reader? id=C0A57BaQHTIC&printsec=frontcover&output=reader&authuser=0&hl=fr&pg=GBS.PP58>] (consulté le 30 décembre 2012). Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 47 -
Illustration 4: Répartition du traitement des sacrements dans l'oeuvre de Jean Benedicti. Enfin, le quatrième diagramme montre à quel point Jean Benedicti est un homme de son temps, un homme concerné par le sacrement de pénitence, ses différentes étapes et les possibles difficultés que peuvent rencontrer confesseurs et pénitents. Il consacre en effet plus de 54% de la somme des pages concernant les péchés commis contre les sacrements à parler de la pénitence et de la confession. Le tableau présenté aux pages précédentes montrait déjà les points qui méritaient, selon Jean Benedicti, d'être approfondis et traités séparément. Sur les 119 pages analysant ce sacrement, soixante-et-une sont dédiées au "bon confesseur". Ce chapitre, intitulé « Du ministre du sacrement de penitence », est une somme de courts traités qui concernent entre autres « la science requise au ministre du sacrement de penitence », les « cas reseruez », « la bonté du confesseur » et « la prudence du confesseur ». Puis sont abordés dans l'ordre la contrition, l'attrition, la confession, la satisfaction, la pénitence, l'absolution et le sceau de confession. En conclusion, il faut souligner que les manuels de confession permettent à l'historien de s'informer sur la mentalité d'une époque, sur les préjugés et les ressentis à un moment donné. Leur étude peut aider, tout en restant prudent, à déterminer les normes comportementales et les schémas de pensée d'une société à une époque donnée. Marcel Bernos ajoute de plus que « le manuel de confession se comporte à la fois comme un "récepteur" retransmettant des schémas mentaux ambiants et comme un Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 48 - Cadres généraux : penser l'histoire des femmes au XVIe siècle. "émetteur" proposant des comportements modèles »171. Ainsi, le pouvoir potentiel de ce livre est décuplé. Informant sur les comportements et les mentalités d'une époque, il influence aussi les comportements et les mentalités à venir. La répétition des dogmes contenus dans les manuels de confession oriente les actes des croyants. Cet enseignement des dogmes se fait lors des sermons ou lors de la confession, a minima lors de la confession pascale obligatoire. Les manuels de confession deviennent alors une source importante pour l'étude des sociétés de l'époque moderne. Afin d'essayer de savoir si le franciscain Jean Benedicti est un homme qui peut nous donner une image assez nette de la situation des femmes en France à la fin du XVIe siècle, il paraît important d'étudier son parcours. |
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