SECTION II : Un régime juridique
différent en conséquence.
Le statut juridique des sénégalais
n'étant pas identique, nous avons aussi constaté que les
indigènes ou sujets français étaient régis par le
code de l'indigénat (A) tandis que les natifs des quatre communes,
étaient régis par les lois applicables aux français
(B).
Paragraphe I : Des indigQnes soumis au code de
l'indigénat.
Le code de l'indigénat fut adopté le 28 Juin
18819. Puis c'est en 1887 que le gouvernement français
l'imposa à l'ensemble de ses colonies notamment le
Sénégal. Le code de l'indigénat renvoie à un
ensemble législatif et réglementaire répressif,
élaboré dans les colonies françaises à l'encontre
des seuls indigènes. Pour ceux qui n'ont pas connu la période
coloniale, l'indigénat est un mot lourd de sens qui souvent incarne
l'esprit et les pratiques d'une époque marquée par l'injustice,
les violences, l'arbitraire. Ce code assujettissait les autochtones et les
travailleurs immigrés aux travaux forcés, à l'interdiction
de circuler la nuit, aux réquisitions, aux impôts de capitation
(taxes) sur les réserves et à un ensemble d'autres mesures tout
aussi dégradantes . Il s'agissait d'un recueil de mesures
discrétionnaires destiné à faire régner le
«bon ordre colonial», celui-ci étant basé sur
l'institutionnalisation de l'inégalité et de la justice. Ce code
fut sans cesse «amélioré» de façon à
adapter les intérêts des colons aux «réalités
du pays».
Le code de l'indigénat était assorti de toutes
sortes d'interdictions dont les délits étaient passibles
d'emprisonnement ou de déportations. Avec l'ordonnance du 7- 9-1840, ils
sont soumis à un régime spécial de sanctions
administratives sans intervention judiciaire. Les chefs de circonscription et
de subdivision peuvent infliger des peines de simple police (15 F d'amende et 5
jours de prison). Le gouverneur général peut prononcer des
internements et assignations à résidence avec les décrets
du 31-05-1910 et du 15-11-1924. Les indigènes sont jugés au civil
et au pénal (jusqu'au décret du 30-4-1946) par des tribunaux
indigènes appliquant les coutumes locales (sauf celles " contraires
9 Le code de l'indigénat fut d'abord
appliqué en Algérie.
aux principes de la civilisation française ").
L'administrateur du lieu préside le tribunal, assisté de 2
assesseurs indigènes. Toutefois, on peut noter que certains sujets
français jugés évolués par rapport aux autres, ont
échappé aux peines de l'indigénat avec le décret de
Charles DEGAULLE du 29-07-1942 qui fixait le statut des notables
évolués. Ce système d'inégalité sociale et
juridique perdura jusqu'en 1946 avec la loi du 07 Avril 1946 abolissant le code
de l'indigénat, soit plusieurs années après que les
accords de Genève (le 23 avril 1938) eurent interdit toute forme de
travaux forcés.
Pendant ce temps, les natifs des quatre communes étaient
régis par les lois applicables aux français.
Paragraphe II : Des citoyens français
ou des originaires des quatre communes régis par les lois
françaises.
Les originaires des communes de plein exercice de Dakar,
Gorée, Rufisque et Saint-Louis étaient régis par un «
statut local ». Mais, à l'égard de ceux-ci, le domaine
d'application du « statut local » était limité à
certaines matières : l'état des personnes, le mariage, les
successions, donations et testaments. Ces matières faisaient l'objet de
leur « statut civil réservé », d'abord défini,
sous le Premier Empire, par un décret du 20 mai 1857, puis, sous la
IIIème République, par un décret du 20 novembre
1932. Dans les autres matières, notamment dans celle des obligations,
les originaires des communes de plein exercice étaient soumis au «
statut civil français ». Ainsi, les règles posées par
le code civil, par la loi du 26 juin 1889 et par celle du 10 Août 1927
leurs furent appliquées respectivement en vertu des divers
décrets de promulgation du code civil, du décret du 07
Février 1897 et du décret du 05 Novembre 1928. Il s'agissait
d'une situation exceptionnelle qui ne s'expliquait que par l'ancienneté
des Établissements français du Sénégal, auxquels le
territoire des quatre communes de plein exercice était
réputé correspondre.
Il en résultait que les originaires des communes de
plein exercice relevaient, en principe, des juridictions dites « de droit
français ». Ils avaient la possibilité d'avoir un avocat
pour être défendus en cas de conflits. Ce n'est que pour juger les
affaires intéressant leur « statut civil réservé
» que des juridictions dites « de droit local » avaient
été créées.
Pour les musulmans, il s'agissait de juridictions dites de
droit musulman, tenues par des « cadis ». Pour les non-musulmans, la
juridiction spéciale était constituée par la juridiction
de droit français, complétée par l'adjonction d'un
assesseur appartenant à leur coutume. L'appel était porté
devant la cour d'appel
de Dakar, assistée, pour les musulmans, d'un «
cadi » ou, pour les nonmusulmans, d'un « notable » en
matière de « statut civil réservé ». Les
citoyens des quatre communes étaient soumis au régime
répressif français. Il en résultait qu'ils
n'étaient pas soumis au régime dit de l'indigénat, lequel
permettait à l'autorité administrative certaines peines de
police.
Il semble que le législateur français ait craint
d'étendre aux habitants de statut traditionnel des textes fondés
sur des institutions trop européennes pour pouvoir être
transposées en Afrique. Seule l'ordonnance du 19 Octobre 1945 portant
code de la nationalité française fut étendue, par un
décret du 24 Février 1953, à tous les habitants des
territoires français d'outre-mer, qu'ils fussent de statut traditionnel
ou de statut moderne.
Sept ans plus tard, le Sénégal accède
à l'indépendance précisément le 20 Juin 1960. La
conséquence nécessaire de l'indépendance était dans
l'esprit des sénégalais, une nationalité nouvelle. Mais
dans les rapports entre la France et le Sénégal, les
sénégalais ne devaient perdre leur nationalité
française que le jour où une autre nationalité leur serait
conférée par disposition générale,
conformément à l'article 152 du code de la nationalité
française dans la rédaction de la loi N°60-752 du 28 Juillet
1960. Cette loi du 28 Juillet 1960 avait également disposée que
ceux qui ont acquis une autre nationalité conférée par
disposition générale alors qu'ils bénéficiaient
déjà de la nationalité française, devront pour
maintenir cette dernière, faire une déclaration de reconnaissance
de la nationalité française. Ces dispositions sont actuellement
régies par le chapitre VII du titre Ier bis du livre Ier du code civil.
Ont été saisies par ces dispositions toutes les personnes
domiciliées sur ces territoires lors de l'accession à
l'indépendance. La loi du 28 juillet 1960 a établi une
distinction entre les personnes originaires du territoire de la
République française tel qu'il restait constitué le 28
juillet 1960, auxquelles la nationalité française devait
être maintenue de plein droit, et les autres dont la nationalité
française ne pouvait être conservée que selon la
procédure de déclaration dite de reconnaissance de la
nationalité française, soumise à certaines conditions dont
la plus importante était le transfert du domicile en France.
Ainsi, reprenant la règle déjà
posée par l'ancien article 152 puis l'article 155-1 du code de la
nationalité française, l'article 32-3 du code civil dispose
expressément que " tout Français domicilié à la
date de son indépendance sur le territoire d'un Etat qui avait
antérieurement le statut de département ou de territoire
d'outre-mer de la République conserve de plein droit sa
nationalité dès lors qu'aucune autre nationalité ne lui a
été conférée par la loi de cet Etat. Certaines
personnes, faute de moyens ou de connaissance, n'ont pu faire reconnaître
la nationalité française par déclaration dite " de
reconnaissance ".
Par conséquent, les enfants des ressortissants des
communes de plein exercice ne peuvent pas aujourd'hui réclamer la
nationalité française.
La France a compris dés le départ qu'il fallait
créer une disposition relative à la déclaration de
nationalité française ou d'option pour la nationalité
française, puisque sa puissance sur « ses peuples colonisés
» venait d'être réduite par l'accession à
l'indépendance de ces derniers dont les populations pouvaient tous sans
l'avènement de la loi du 28 Juillet 1960, réclamer la
nationalité française. La procédure de reconnaissance de
la nationalité française était limitée dans le
temps puisqu'il s'agissait de permettre aux personnes qui voulaient conserver
la nationalité française de se faire confirmer cette
nationalité. L'absence d'option pour la reconnaissance de la
nationalité française dans le délai imparti par la loi
était interprétée comme un refus de la nationalité
française. La loi du 9 janvier 1973 pour l'Afrique noire et Madagascar
ont mis fin à la procédure de reconnaissance en prévoyant
pour les ressortissants des anciens TOM, une procédure de
réintégration spéciale dans la nationalité
française. Cette dernière est finalement abrogée par la
loi du 22 juillet 1993 dite loi Méhaignerie.
Les sénégalais n'ayant pas répondu
à cette déclaration d'option pour la nationalité
française pourront se rabattre de la N° 61-10 du 07 Mars 1961
déterminant la nationalité sénégalaise.
Chapitre II: Conception postcoloniale de la
nationalité : Une atteinte à l'égalité des droits
des enfants.
Lorsque la fédération du mali proclama son
indépendance le 20 juin 1960, les sénégalais voulaient
exprimer leur autonomie entière par une conception nouvelle de la
nationalité. Mais ce n'est qu'avec la loi n°61-10 du 07 Mars 196,
après l'éclatement de la fédération, que le
Sénégal a pu déterminer sa propre nationalité.
Ainsi, cette nouvelle loi attribuait la nationalité
sénégalaise en vertu du jus soli (section I) ou /et en vertu du
jus sanguinis (section II).
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