La nationalité et les droits de l'homme dans l'espace francophone: le cas du Sénégal( Télécharger le fichier original )par Kantome SECK Université Cheikh Anta Diop/ Institut des Droits de l'Homme et de la Paix - Master II Recherche Droits de l'Homme et de la Paix 2010 |
Paragraphe I : Un statut pour les sujets français.On appelle « indigène », une personne qui est anciennement originaire d'un pays et en possède la langue, la coutume et les usages avec une connotation qui n'est pas raciale mais culturelle. Pendant cette période, ils étaient aussi appelés « sujets français ». Leur nationalité se définissait par leur statut personnel. Par statut personnel, il faut entendre, l'ensemble des règles qui régissent les lois et les règlements propres à un pays. Ce qui veut dire que les indigènes ne conservaient au plan civil que leur statut personnel d'origine religieuse ou coutumière. Ces sujets français étaient privés de la majeure partie de leurs droits et libertés notamment la liberté d'aller et de venir qui est un droit protégé par tous les textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme. La liberté d'aller et de venir peut s'analyser comme la situation dans laquelle toute personne peut circuler librement sur un territoire. Les « indigènes » étaient également privés de leurs droits politiques, du droit de vote et d'éligibilité. Bien qu'ils bénéficient de la nationalité française. Celle-ci n'était que de nom pour ces derniers, car ils étaient exclus du droit au vote. Le fait de pouvoir voter, de pouvoir choisir son leader ne leur était pas accordé. Ce qui nous amène à considérer la nationalité française des indigènes comme une nationalité sans citoyenneté. La citoyenneté implique pour le citoyen, qui est avant tout un sujet de droits et de devoirs par excellence, quelqu'un qui est conscient de sa liberté inaliénable et imprescriptible et qui peut participer à la gestion des affaires de la cité et surtout qui peut choisir son leader en connaissance de cause. Ces droits étaient privés aux « indigènes », ils n'avaient pas le droit au vote et par conséquent, ne pouvaient être considérés comme des citoyens français. Ce qui était différent pour les habitants des quatre communes qui bénéficiaient d'un statut moderne de la nationalité. Paragraphe II : Un statut particulier pour les natifs des quatre communes. Les habitants des villes de Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque plus connues à l'époque sous l'appellation citoyens des quatre communes, bénéficiaient du statut moderne de la nationalité et étaient par conséquent des citoyens français3 pas d'origine métropolitaine mais d'origine africaine. Il nous importe d'éclaircir la confusion : qualité d'électeur et citoyen français(A), avant de voir ensuite l'intervention pertinente du premier député noir Blaise DIAGNE, dans l'acquisition de la citoyenneté pleine et entière aux ressortissants des quatre communes (B). A/ La confusion: qualité d'électeur et citoyens français.Pour être citoyen, le code civil français prévoit qu'il faut renoncer à son statut d'origine, faire la demande de naturalisation et se soumettre entièrement aux règles du droit civil. Or « les indigènes » avaient conservé pour la plupart, leur statut personnel. En effet, le décret du 20 Mai 1857 créait à Saint Louis un tribunal qui connaissait exclusivement des affaires entre indigènes musulmans et relatives aux questions qui intéressent l'état civil, le mariage, les successions, les donations et testaments. Les causes étaient instruites et jugeaient d'après le droit et suivant les formes de procéder en usage chez les musulmans. C'était donc la reconnaissance formelle du statut d' « indigènes » ; et à partir de cette date, l'organisation judiciaire du Sénégal a respecté ce statut. Le décret du 15 Mai 1889 qui réorganisa la justice au Sénégal, ne toucha pas à l'organisation relative au décret de 18574, et quand le gouverneur général Ghaudié organisa la justice indigène en protectorat par circulaires des 12 Avril et 31 Décembre 1890, le 3 La qualité de citoyen français à cette époque était limitée à l'exercice des droits civils et politiques sous réserves de certaines conditions. 4 Selon ce décret, tout indigène qui a fait cinq ans de séjour au Sénégal peut s'inscrire sur les listes électorales. Cette disposition s'appliquait tant aux noirs qui provenaient des colonies françaises que de ceux provenant de pays anglais et portugais alors que leur qualité d'étrangers était évidente. Conseil d'appel de Saint Louis fut chargé de connaitre en dernier ressort, et dans l'intérêt de la loi de toutes les décisions des tribunaux de protectorat. Cette disposition particulière indique bien que la même loi était applicable, quant au statut, à tous les indigènes du Sénégal, qu'ils soient nés dans une des quatre communes ou qu'ils soient habitants de protectorats, et par suite qu'il y avait bien au Sénégal qu'une seule catégorie d'indigènes tous sujets français. Ce qui nous a permis de dire, que la différence entre les habitants des communes de plein exercice au reste de la population sénégalaise, à l'époque, était marqué par le fait que, les habitants des quatre communes bénéficiaient de certains privilèges politiques tel que le droit de vote. Cette confusion de langage entre la qualité d'électeur et la qualité de citoyen français a laissé longtemps supposer que les natifs des quatre communes étaient des citoyens français, c'est-à dire qu'ils jouissaient des mêmes droits civils et politiques que les français nés et demeurant en France. Cette confusion a été justifiée par le fait que certains documents officiels, et notamment les rapports qui précédent le décret de 1889, sont bien mentionnés qu'il y avait des indigènes citoyens français et comprenaient dans cette catégorie, les natifs des quatre communes. Cette appellation usitée au temps de la politique d'assimilation, ne correspondait pas à une question d'état mais seulement qu'ils avaient certains privilèges par rapport aux autres sujets français. Et la jurisprudence des tribunaux français en a rajouté en élargissant en faveur des natifs des quatre communes le bénéfice de cette interprétation en leur prêtant la qualité d'assimilés et en faisant d'eux par la même, des justiciables des tribunaux français exclusivement. Toutefois, le fond des litiges était examiné et tranché par le droit musulman, un assesseur musulman s'adjoignait au tribunal français. Nous retenons alors que les citoyens des quatre communes ont bénéficié de la qualité de citoyens français par leur droit au vote. Mais cette citoyenneté n'était pas effective, elle le sera avec l'intervention du député Blaise DIAGNE. B/ / inteIveItion Ede Blaise DIAGNE pour une citoyenneté pleine et entière. Les habitants des communes de plein exercice font partie des
premiers citoyens de la première République Française le 04 Avril 17925 soit à la période où le concept de citoyenneté voit le jour. Mais il faut noter que cette citoyenneté n'était pas effective à cette époque. Elle était limitée au droit de vote. C'est avec le premier député noir Blaise DIAGNE que les quatre communes ont acquis une citoyenneté pleine et entière. C'est Souleymane Sega NDIAYE, ancien combattant qui nous le raconte: « en 1914, quand Blaise Diagne est venu au pouvoir, évidemment, il a profité de son ascension pour dire aux citoyens des quatre communes qu'il faudrait faire le service militaire, - parce qu'ils ne faisaient pas le service militaire, ils étaient citoyens mais ils ne faisaient pas le service militaire -. Et, Blaise Diagne qui était un fin politicien a dit : « Non, il faut que les citoyens français fassent le service militaire comme les Français. C'est une des conditions. Si vous ne le faites pas, demain vous aurez toutes les difficultés du monde pour avoir des droits parce qu'ils pourront toujours vous contester en disant que vous n'avez pas fait votre service militaire. C'est à partir de ce moment-là que Blaise Diagne a fait adopter une loi disant que les originaires des quatre communes devraient faire des services militaires dans les mêmes conditions que les Français d'origine : c'est la loi de 1915 de Blaise Diagne6. Mais à l'application, Blaise Diagne s'est aperçu que la loi était incomplète car, à cette époque, Lamine Gueye, un grand politicien sénégalais assez connu, qui est de parents Saint-Louisiens mais né au Mali devait faire son service militaire, non pas comme originaire des quatre communes mais comme sujet français du fait qu'il n'est pas né au Sénégal. Ainsi, Diagne a fait voter une loi complémentaire qui disait d'une façon nette « Que sont citoyens français les originaires des quatre communes et leurs descendants, quel que soit le lieu de naissance de ces descendants »7. C'est ainsi que pour les citoyens français sénégalais qui ont des enfants nés en Côte d'Ivoire, leurs enfants sont citoyens français. Alors, pour réparer la situation de Lamine Gueye, beaucoup de Sénégalais qui sont nés à l'extérieur du Sénégal, sont devenus citoyens aussi ». Entretien réalisé par Manfred PRINZ.8 5 Sources tirées du site : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Quatrecommunes&oldid=71769918 6 Voir adoption de la proposition de cette loi à la partie annexe 1. 7Voir l'exposé des motifs de la proposition de loi étendant aux descendants des originaires des communes de plein exercice du Sénégal, les dispositions de la loi militaire du 19 Octobre 1915 à la partie annexe 2. 8 Ecrivain africain francophone, cet entretien a été réalisé le 04 Juin 1987 à Dakar. Sources : revue négroafricaine de littérature et de philosophie (entretien disponible sur Google) Ainsi, les citoyens des quatre communes bénéficiant du statut moderne, et les habitants du reste du territoire sénégalais du statut traditionnel, le régime juridique était différent pour ces deux statuts. |
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