INTRODUCTION
Les droits incorporels peuvent-ils
être l'objet d'usufruit ? A priori, la question semble
incongrue. Les textes législatifs et surtout la pratique permettent de
répondre par l'affirmative à l'interrogation. En effet, la
pratique offre quotidiennement des exemples de constitution d'usufruits sur les
droits incorporels. Le cas le plus fréquemment rencontré et sans
doute celui qui alimente les controverses jurisprudentielles en droit
français ces dernières années est certainement l'usufruit
des droits sociaux. Indépendamment de l'usufruit successoral1(*), les techniques de gestion du
patrimoine usent et parfois abusent du mécanisme de l'usufruit pour
organiser, par anticipation, la transmission des biens aux descendants2(*). Elles poursuivent un double
objectif : d'une part, ne pas déposséder les ascendants
encore en activité de leurs pouvoirs de gestion et de contrôle,
d'autre part, économiser le maximum de droits de mutation3(*). L'usufruitier donne à
l'un ou à plusieurs de ses enfants la nue-propriété de ses
droits sociaux, tout en se réservant l'usufruit afin de maintenir son
train de vie au soir de son existence. Les intérêts de l'usufruit
des droits incorporels ne laissent donc pas dans l'incertitude.
Que faut-il entendre par l'usufruit des droits
incorporels ?
Aux termes de l'article 578 du Code civil
français : « L'usufruit est le droit de jouir
des choses dont un autre a la propriété, comme le
propriétaire lui-même, à la charge d'en conserver la
substance ». Cette définition reprenait à quelques
mots près celle que donnaient déjà les Institutes de
Justinien4(*) : « Ususfructus est jus
alienis rebus utendi fruendi, salva rerum substantia ».
En ce qui concerne le droit positif togolais, c'est
le Code civil dans sa version de 1958 qui s'applique. Au plan régional,
l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d'intérêt économique (AUSC-GIE)5(*) prévoit l'usufruit des
droits sociaux en son article 128.
L'usufruit6(*) est un droit réel, par essence temporaire, dans
la majorité des cas viager, qui confère à son titulaire
l'usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à autrui,
mais à charge d'en conserver la substance. Il est présenté
comme un démembrement de la propriété, en tant qu'il
regroupe deux attributs démembrés du droit de
propriété. De la sorte, l'usufruit est constitué de l'usus
ou droit d'usage et du fructus ou droit de jouissance. L'usufruit permet
à son titulaire d'user de la chose d'autrui en lui donnant la
possibilité d'en percevoir les fruits. De cette définition,
transparaît clairement l'idée de l'usufruit causal. L'usufruit
serait une image réduite de la propriété7(*). A partir de là, les
règles applicables à la propriété de même que
son domaine intéressent l'usufruit. Il serait dès lors difficile
de traiter de l'usufruit en faisant abstraction de la propriété
puisque la nature du droit de propriété a un impact certain sur
la détermination de la nature de l'usufruit.
A présent, il convient de savoir ce qu'est un
droit. Le vocable « droit » recouvre deux
acceptions différentes8(*). La première est objective, la seconde
subjective. Le premier sens désigne l'ensemble des règles de
conduite qui gouvernent les rapports des hommes dans la société
et dont le respect est assuré par l'autorité publique. Le second
est le pouvoir accordé à une personne d'user9(*) d'une chose ou d'exiger d'un
autre individu l'exécution d'une prestation. C'est ce second sens qui
est le plus adapté dans le cadre de ce mémoire. Toutefois, une
confusion pourrait surgir des
termes « droit » et
« bien ». Le mot
« droit » dans ce travail ne désignerait-il
pas simplement l'objet de l'usufruit ? Et dans l'affirmative, ne serait-il
pas encore commode d'utiliser plutôt le terme
« bien » ? L'interrogation est
légitime d'autant plus qu'une partie de la doctrine10(*) utilise plutôt le
vocable « bien ». Mais, il est aussi utile de
rappeler que le bien n'est bien que par les droits qui lui sont
conférés. Autrement dit, le bien est un droit11(*). S'agissant du terme
« incorporel », il signifie d'après le
vocabulaire juridique12(*), immatériel, impalpable13(*). Un droit est incorporel
lorsqu'il échappe à toute appréhension matérielle.
De ces définitions terminologiques, le sujet soulève
d'emblée la question de son domaine.
Historiquement, le droit de propriété est
conçu et présenté comme un droit corporel. Autrement dit,
le droit de propriété porte sur une chose corporelle. Lorsque le
Code civil parle de propriété, il entend essentiellement la
propriété des choses corporelles et il s'intéresse
particulièrement aux immeubles. Droit réel par excellence, la
propriété avait un domaine qui se limitait aux biens
matériels. En effet, le Code civil est apparu à une époque
où la société est primitive et les règles qu'il
consacre sont beaucoup plus adaptées à une société
agraire et pastorale. La société féodale est construite
sur le système juridique de la tenure. Le tenancier avait un droit de
jouissance sur la chose appartenant au propriétaire, le seigneur. Il y
avait donc deux droits de propriété superposés, de nature
différente, portant sur la même chose, l'un, pour ainsi dire, en
sommeil et l'autre en activité ; le domaine éminent14(*) d'une terre appartenant au
seigneur et le domaine utile au tenancier. Dans ce contexte, le droit
usufructuaire était un droit réel et ne posait pas de
problèmes sérieux. L'usufruitier et le nu-propriétaire
exercent des droits concurrents et vivent l'un dans l'ignorance de l'autre.
Dès lors, il était facile, voire normal d'appliquer le
« rigoureux cantonnement de l'usufruit et de la
nue-propriété »15(*). Or, au cours du XlXe siècle, on assiste
à un intense développement de la fortune incorporelle. Ces
nouveaux biens, à raison de leur valeur économique, demandaient
à être protégés. L'adage « res mobilis
res vilis » n'est plus adapté à la
réalité. Les techniques d'une bonne gestion exigent une
collaboration entre l'usufruitier et le nu-propriétaire. Des rapports
s'établissent entre les deux partenaires. On assiste de plus en plus
à la constitution d'usufruits sur les droits incorporels.
L'usufruit, qui est un démembrement de la
propriété, peut-il avoir un domaine plus large que la
propriété ? Comment concevoir que l'usufruit puisse avoir
pour assiette un droit incorporel ? Et pourtant, le contenu du droit
usufructuaire est resté presque inchangé depuis 1804. A ce jour,
seulement 47 articles sont consacrés à l'usufruit. Si les
dispositions consacrées à l'usufruit dans les législations
récentes étrangères ne sont pas plus importantes, elles
sont de loin beaucoup mieux adaptées aux besoins de notre temps16(*).
Un autre pan du problème est la diversité
de ces droits. La kyrielle des droits incorporels les rend multiforme en ce qui
concerne leur jouissance. Comment peut-on organiser un régime juridique
homogène face à la diversité de jouissance des droits
incorporels ? Finalement, cette situation doublée de la
quasi-inexistence de la législation en la matière, pousse les
juges à rendre des décisions ex aequo et bono17(*). Par contre, certains auteurs
tirent le fondement de l'usufruit de certains droits incorporels du Code
civil18(*). Ceci conduit
à l'altération du mécanisme de l'usufruit. Aussi, parmi
les droits incorporels, les uns sont-ils personnels alors que les autres sont
difficilement classifiables. L'exemple des droits sociaux est patent. Au
demeurant, une certaine doctrine parle de « catégorie
indifférenciée »19(*) des droits de créance. Mais, un autre
problème se pose avec acuité en ce qui concerne les droits
personnels. Celui-ci est plus doctrinal. La tradition juridique classique
consacre une summa divisio des droits patrimoniaux en droits
réels et droits personnels. Si la définition de l'usufruit ne
soulève guère de difficultés en matière de biens
corporels, l'on conçoit moins aisément la constitution d'un
usufruit sur les droits incorporels. Quelle est la nature réelle de ce
type d'usufruit ? Existe-il réellement ? Comment un droit
réel peut-il avoir pour assiette un droit personnel ? En d'autres
termes, comment un droit peut-il porter sur un autre droit ? Comme
l'écrit le professeur R. Libchaber20(*), il « y a quelque monstruosité
à construire un droit réel sur la base d'un rapport
personnel ». Cette controverse doctrinale s'est
compliquée depuis les travaux de Ginossar établissant la
légitimité de la propriété des
créances21(*). Le
juriste épris de logique devient amorphe devant une telle
difficulté.
Depuis la loi française du 03 décembre 1981
portant dématérialisation des titres, l'usufruit des droits
sociaux a pris une autre tournure. Les titres sociaux, autrefois, corporels,
sont devenus des droits incorporels. Dans cette nouvelle situation, la nature
réelle de l'usufruit est démentie. Par ailleurs, les relations
nées de l'usufruit ne concernent en général que deux
personnes à savoir l'usufruitier et le nu-propriétaire. En
revanche, l'usufruit constitué sur les droits sociaux implique
l'intervention d'une troisième personne : la société dont
les droits sont démembrés.
La durée de l'usufruit est susceptible de poser
tout autant des problèmes. L'usufruit est conçu pour les biens
qui ont une longue durée. Or, une semblable durée est rare
lorsque l'usufruit a pour objet les droits incorporels. La plupart de ces
droits qui sont l'objet d'usufruit ne sont que temporaires, de sorte que
lorsqu'ils s'éteignent, l'usufruit dont ils étaient
grevés, cesse avec eux. C'est le cas par exemple lorsque l'usufruit
porte sur un droit de propriété intellectuelle tel que le brevet
ou un droit de propriété littéraire ou même sur une
créance ou un bail. Le problème s'est posé en
jurisprudence en matière d'usufruit d'une sous-location22(*). Le calcul des droits de
succession sur ce type d'usufruit se pose avec une particulière
acuité.
D'une manière générale, c'est
l'existence même de l'usufruit des droits incorporels qui est en jeu. La
difficulté réside dans la dichotomie qui existe entre les
règles qui gouvernent l'usufruit, et, qui sont épisodiquement
contestées pour leur inadéquation aux impératifs d'une
bonne gestion des biens et l'obligation justement de respect des mêmes
règles.
Le problème de l'usufruit des droits incorporels
est relativement neuf aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence, ceci à
cause de l'apparition récente de ces droits. En effet, si les travaux
qui se sont penchés sur le sujet, sont rares, il en est
différemment en ce qui concerne la jurisprudence, surtout en
matière de droits sociaux.
Le sujet présente un intérêt aussi
bien théorique que pratique. Sur le plan théorique, c'est surtout
l'usufruit des droits personnels qui a le plus soulevé des controverses
en doctrine23(*) bien que
le législateur envisageait déjà en 1804 le cas de
l'usufruit des rentes viagères. Sur le plan pratique, le sujet
révèle que les règles du droit de l'usufruit sont de plus
en plus obsolètes pour régir le mouvant domaine de l'incorporel.
Ceci ressort des récentes décisions de la Cour de cassation
française24(*) qui,
sur l'interprétation des textes spécifiques, résout d'une
manière originale les conflits relatifs à l'usufruit.
Les diverses difficultés soulevées ont
conduit à envisager une refonte du droit des biens en droit
français. Une proposition de réforme est issue du groupe de
l'association H. Capitant. Elle élargit le domaine de l'usufruit tout en
maintenant la distinction droits réels-droits personnels.
Les interrogations relatives à l'usufruit des
droits incorporels sont nombreuses eu égard aux enjeux. Celles-ci
trouvent leur cause dans la vieillesse des règles qui gouvernent
l'institution. Il va falloir la rénover, la proposition ne donnant pas
une solution pertinente à l'usufruit des droits incorporels.
Dans la mesure où l'usufruit des droits
incorporels n'a pas préoccupé le législateur, ou
plutôt supposé comme tel, nous orienterons notre réflexion
autour de deux grandes parties : dans une première partie, nous
démontrerons que l'usufruit des droits incorporels est ignoré par
le législateur de 1804 (Première partie) ;
dans une seconde partie, nous finirons par comprendre que le renouveau de
l'institution s'impose afin qu'elle puisse suivre la cadence imposée par
l'extension des droits incorporels (Deuxième
partie).
PREMIERE
PARTIE : LA PRETENDUE IGNORANCE DE L'USUFRUIT DES DROITS INCORPORELS PAR
LE LEGISLATEUR DE 1804
L'usufruit est cette institution définie et
connotée par le Code civil français en son article 57825(*).
Plus qu'une simple définition de l'usufruit,
l'article 578 C.civ. accorde à l'usufruitier un droit,
`'jouir''26(*) et
lui impose un devoir, `'conserver la substance'' et fonde ainsi, en
quelques mots, l'entier droit de l'usufruit27(*).
L'usufruit est une institution vivante. Cependant, il
présente de nombreux vices dont le plus remarquable se trouve dans sa
vieillesse.
Une lecture approfondie de la doctrine et de la
jurisprudence modernes incite au trouble. L'usufruit se présente alors
comme un dragon aux multiples visages ou encore comme un caméléon
toujours changeant ceci en fonction du contexte. Il ressort qu'il s'adapte de
moins en moins au mécanisme classique, surtout avec l'expansion de
l'incorporel et ce, malgré les termes généraux de
l'article 581 C.civ28(*).
Il conviendra donc d'étudier dans un premier
mouvement l'institution telle que prévue par le Code civil
(Chapitre l) afin de nous rendre compte dans un second
mouvement que son mécanisme ne s'adapte guère au mouvant domaine
de l'incorporel (Chapitre II).
Chapitre
l : L'USUFRUIT DU CODE CIVIL
Outre le droit de
propriété, tous les droits réels ont pour objet une chose
appartenant à autrui et confèrent à leur titulaire des
pouvoirs plus ou moins étendus sur cette chose. Il en est ainsi de
l'usufruit qui est un pouvoir de jouir des choses dont un autre a la
propriété. Au demeurant, Domat enseignait déjà que
l'usufruit est « le droit de jouir d'une chose dont on n'est pas
propriétaire »29(*).
Sociologiquement, l'usufruit se
constitue dans trois séries d'hypothèses, dont l'aspect est
généralement familial et alimentaire :
1-La vente d'immeuble avec réserve d'usufruit,
moyennant un prix qui est souvent une rente viagère ;
2-La donation avec réserve d'usufruit, qui est
généralement une opération familiale, faite par un
ascendant, au soir de sa vie, à ses descendants ;
3-Et enfin l'usufruit du conjoint survivant qu'accorde la loi
successorale30(*).
Conçu pour une société agraire et
pastorale, l'usufruit emporte un démembrement du droit existant sur la
chose entre l'usufruitier et celui qui était auparavant le titulaire, le
nu-propriétaire (Section l).
Droit réel, il porte directement sur une chose
corporelle. En effet, l'article 578 C.civ. n'avait été
édicté que pour les biens matériels. A l'instar de tous
les biens meubles, les droits incorporels n'étaient
qu'exceptionnellement l'objet de convoitises. Il se déduit donc que
l'usufruit au sens du Code civil est la projection réduite de la
propriété (Section ll).
Section
l : UN DEMEMBREMENT DU DROIT DE PROPRIETE
Si la définition de l'article 578 du Code civil
n'est pas suffisamment précise, elle a néanmoins le mérite
de ressortir le caractère divisible du droit réel de
propriété. En effet, le droit de propriété peut
être divisé en deux ou plusieurs parcelles. Ainsi, l'usufruit
est-il constitué de deux attributs : le droit d'user et le droit de
jouir (Paragraphe l).
En faisant allusion à une jouissance de la chose
identique à celle du propriétaire, le texte de l'article 578
C.civ. entend sans doute considérer par là qu'il s'agit d'un
droit réel (Paragraphe ll).
Paragraphe l- Les
attributs de l'usufruit
Le texte de l'article 578 C.civ.
reconnaît à l'usufruitier le droit de jouir. La jouissance
visée doit être comprise lato sensu comme englobant le droit
d'usage (A) et le droit de jouissance stricto sensu ou le
droit de tirer les fruits du bien (B).
A- Le droit
d'usage.
Le droit d'usage ou l'usus ou encore jus utendi n'est
pas spécifié ni dans la définition du droit de
propriété ni dans celle de l'usufruit. Les deux articles
utilisent le terme « jouir » pour désigner
la jouissance accordée au propriétaire ou à
l'usufruitier.
Le droit d'usage peut se définir comme le droit
d'utiliser et de se servir d'une chose selon sa destination. Le droit d'usage
pour le professeur E. Dockès31(*) s'entend du droit de tirer les premières
utilités de la chose.
Comme nous l'avons souligné, l'usufruit est
composé de deux attributs distincts que sont le droit d'usage et le
droit de jouissance stricto sensu entendu comme le droit de percevoir les
fruits de la chose. De ce fait et par la force des choses, il existe des cas
où l'usufruit se réduit à l'usage. L'usufruit porte dans
ce cas sur une chose qui ne produit pas de fruits ou du moins qui n'est pas
susceptible d'en produire si l'on tient compte de sa destination. L'usufruitier
d'une bibliothèque ne pourra que se servir des documents qui la
composent. Il est donc évident que l'usufruit dans ce cas se
réduit à un simple usage. Il ressort de l'article 589 C.civ. que
si l'usufruit porte sur des choses qui, sans se consommer de suite, se
détériorent peu à peu par l'usage, l'usufruitier a le
droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées. C'est le
droit d'usage qui est mis en exergue ici.
Toutefois, le jus utendi ne se manifeste pas le plus
souvent isolément. Dans la pratique en effet, l'usage s'accompagne du
droit aux fruits avec lequel il se confond même si de façon
générale, l'usus se distingue du fructus. Le droit d'usage sur un
terrain par exemple ne comporterait « que la faculté
de circulation et de passage, c'est-à-dire plutôt un
agrément qu'un droit proprement dit »32(*).
Il faut toutefois distinguer l'usus, attribut de la
propriété du droit d'usage et d'habitation qui, lui est
connoté par le Code civil. Planiol et Ripert33(*) qualifient le droit d'usage et
d'habitation comme « un dégradé de
l'usufruit »34(*). Cependant, il faut retenir que l'usus comme le
droit d'usage et d'habitation s'arrête à l'utilisation
matérielle de la chose, ce qui exclut l'idée de toute utilisation
juridique. C'est ce qui ressort des termes de l'article 631 C.civ. en ce qui
concerne le droit d'usage et d'habitation : « L'usager ne peut
céder ni louer son droit à un autre »35(*).
Par ailleurs, le Code civil français étend
le régime juridique de l'usufruit au droit d'usage et d'habitation.
D'ailleurs, les professeurs Ph. Malaurie et L. Aynès trouvent que le
droit d'usage est « un petit usufruit ».
Le droit d'usage pose problème sur un autre angle.
L'usager a-t-il le droit de se faire mettre en possession de la chose dont il
jouit ou a-t-il seulement la faculté de réclamer au
propriétaire le versement périodique de la part des fruits qui
lui revient ? L'équivoque est entretenue par l'article 630 C.civ.
selon laquelle l'usager a le droit d'exiger une certaine portion de fruits. Le
problème est résolu par la doctrine qui s'accorde à
reconnaître à l'usager le droit à la possession et à
l'exploitation directe. Une analyse contraire contrasterait avec l'article 626
C.civ. qui soumet l'usager aux obligations de l'inventaire et de caution.
En définitive, même si le droit d'usage
reconnu à l'usager s'étend au jus fruendi, c'est
seulement « autant qu'il lui en faut pour ses besoins et
ceux de sa famille »36(*).
Si l'usus se confond le plus souvent à la
jouissance, il est donc nécessaire d'analyser cette dernière.
B- Le droit
de jouissance
D'emblée, la jouissance ici doit être
entendue dans son sens strict comme le fructus, le droit pour l'usufruitier de
tirer les fruits de la chose, objet d'usufruit.
La notion de fruits a fait l'objet de vives controverses
en droit. Le droit civil a fait la distinction entre fruits et produits. Il en
est résulté qui si les fruits sont les produits
périodiques qu'une chose fournit sans altération ni diminution
sensible de sa substance, les produits eux, n'ont pas de
périodicité et leur apparition altère la substance
même de la chose. Comme on l'a fait remarquer, « quand
on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis
que quand on perçoit les produits d'une chose, on perçoit une
fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »37(*). Les fruits comportent
deux caractères : la périodicité (plus ou moins
régulière) et la conservation de la substance de la chose qui les
produit. Le sens juridique du produit est à l'antipode du sens
littéral dans la mesure où le propre du produit est de ne pas se
reproduire. La différence semble tenir à un critère
physique assez facile à mettre en oeuvre. Mais, le critère
physique n'a pas toujours une valeur absolue. Les professeurs Ph. Malaurie et
L. Aynès parlent « d'un correctif
volontaire »38(*). Ainsi, on considérera une
carrière régulièrement exploitée comme donnant des
fruits non des produits39(*), la périodicité de la production
masquant l'épuisement progressif de la substance. Aussi, si le
propriétaire d'une forêt l'a aménagée en coupes
réglées, les arbres abattus ne seront plus des produits, mais des
fruits40(*).
La distinction entre fruits et produits est d'autant plus
importante que c'est le nu-propriétaire, non l'usufruitier, qui a droit
aux produits. C'est ce qui résulte des termes même des articles
592 et 598 alinéa 2 C.civ. L'usufruitier, lui a droit à tous
les fruits et revenus. M. Croisat41(*) le met en exergue en ce qui concerne les
bénéfices commerciaux qui sont considérés comme des
fruits lorsqu'il s'agit de les attribuer à l'usufruitier.
Pour le doyen Carbonnier, « est fruit
tout bien accessoire qui sort périodiquement d'un bien principal, sans
que la substance de celui-ci s'en trouve diminuée » et il
ajoute que « c'est parce qu'il (fruit) revient
périodiquement et qu'il ne diminue pas la substance du capital que le
fruit se distingue du produit »42(*). En tout état de cause, la
nécessité de conservation du bien constitue le critère
déterminant de la qualification de fruit. La chambre commerciale de la
Cour de cassation française43(*) l'a récemment confirmé en ce qui
concerne les bénéfices du fonds de commerce.
Il faut ajouter qu'un bien ut singuli ne peut être
qualifié de fruit. Il est fruit par rapport à un autre bien.
Selon l'exemple donné par E. Dockès44(*), l'usufruitier d'une pomme de
terre devra à la fin de l'usufruit restituer une autre pomme ; la
pomme de terre n'est pas alors un « fruit ». En
revanche, l'usufruitier d'un champ ne sera pas tenu de restituer les pommes de
terre qui en sont issues, il les fait siens. Les pommes de terre sont ici des
« fruits ».
Enfin, il faut ajouter pour finir que le droit civil
distingue d'une part les fruits naturels et industriels et d'autre part les
fruits civils. Les premiers ont pour caractère de sortir directement du
capital sans l'intermédiaire d'autrui soit spontanément (fruits
naturels), soit par la culture (fruits industriels) alors que les seconds
résultent de la rémunération que les tiers donnent de la
jouissance de la chose.
En utilisant les termes « comme le
propriétaire lui-même », l'article 578 C.civ. veut
implicitement souligner sans doute que l'usufruit est un droit réel.
Paragraphe ll -
Un droit réel
L'usufruit est un droit réel de jouissance sur la
chose d'autrui. Le Code civil s'en est tenu à une simple
évocation à son article 543. C'est à la doctrine qu'il est
revenu le soin de définir ce qu'est le droit réel. Il en est
résulté que le droit réel est le pouvoir juridique qu'a
une personne de retirer directement tout ou partie des utilités d'une
chose45(*)
(A).
Dans sa conception originaire et la plus claire,
l'usufruit apparaît essentiellement comme un démembrement de la
propriété des choses corporelles (B).
A- Un pouvoir
direct sur la chose
Comme nous l'avons précédemment
souligné, l'article 578 C.civ. ne relève pas explicitement le
caractère réel de l'usufruit. En tout état de cause, il
est unanimement admis que l'usufruit est un droit réel qui porte
directement et immédiatement sur la chose d'autrui. Dans l'esprit du
Code civil de 1804, la chose est regardée comme assujettie à la
personne, obligée de lui obéir. Et la forme la plus
appropriée d'accaparement de richesses, c'est de s'emparer des choses
qui ont une existence corporelle, la « res »46(*) afin de les soumettre
à son pouvoir. En effet, c'est cette soumission de la chose
« corpus » au pouvoir de l'usufruitier, sujet du
droit, qui caractérise le droit réel. L'usufruitier est donc
investi, sur la chose grevée, d'un pouvoir immédiat et direct qui
répond à la définition du droit réel.
Demolombe47(*)
décrit le droit réel en ces termes : « Place
au droit réel ! Et que tous les rangs s'ouvrent pour lui faire
passage, lorsqu'il s'avance tout-puissant et absolu, par sa propre et seule
force, sans l'intermédiaire d'aucun débiteur, vers la chose
même sur laquelle il porte directement... ».
L'usufruit, droit réel, entraîne une
conséquence : son opposabilité erga omnes. Dans l'exercice
de son droit, l'usufruitier est titulaire d'un droit de suite et d'un droit de
préférence. Ceci se manifeste par la faculté qu'il a, de
revendiquer la chose lorsqu'elle est entre les mains d'un tiers. Autrement dit,
il exerce son droit en quelques mains qu'elle se trouve48(*). La troisième chambre
civile de la Cour de cassation française l'a solennellement
affirmé dans son arrêt du 23 mars 1990 en ces
termes : « La vente de la chose d'autrui est
nulle ; la vente de la chose sujette à usufruit ne fait aucun
changement dans le droit de l'usufruitier »49(*). En l'espèce, le
nu-propriétaire avait vendu sa chose nonobstant l'existence de
l'usufruit. La question de droit qui se posait était celui de savoir
quel est le sort de la vente en pleine propriété d'un immeuble
par celui qui n'en est que le nu-propriétaire. La Cour de cassation
française répond qu'elle est inopposable à l'usufruitier
et casse l'arrêt d'Appel qui avait plutôt parlé de
nullité.
Ce pouvoir qu'exerce l'usufruitier sur la chose le
distingue du bailleur, qui, également a la jouissance de la chose.
Toutefois, l'usufruitier jouit au titre de droit réel alors que le
locataire lui, jouit au titre d'un droit personnel. Le droit de ce dernier est
relatif et est défini par le contrat qui le lie au bailleur. La nature
juridique du droit du preneur à bail a tout de même
été l'objet de controverses en droit français. Tirant
principalement argument de l'article 1743 C.civ. qui déjà dans sa
rédaction originelle déclarait le bail opposable à tous
les acquéreurs successifs de l'immeuble, une partie de la doctrine
notamment Troplong50(*)
analysait les droits des locataires et fermiers comme un véritable droit
réel. Il n'avait été suivi ni par la doctrine ni par la
jurisprudence. Cependant, la controverse a regagné en intensité
avec la loi n° 75-596 du 09 juillet 1975 notamment l'article 2282
alinéa 2 qui est venue « incruster plus
fortement les preneurs dans les lieux loués »51(*) en leur accordant
l'exercice de l'action possessoire. On pouvait dès lors se demander si
cette loi n'avait pas apporté un nouvel argument à la
thèse de la réalité. Pour les professeurs L. Aynès
et Ph. Malaurie52(*),
la différence est toujours d'actualité car si l'usufruitier peut
exercer les actions possessoires contre le nu-propriétaire, il ressort
des termes de l'article 2282 alinéa 2 du C.civ que le locataire ne peut
agir contre le bailleur qu'à titre contractuel et se voit refuser les
actions possessoires.
En somme, le locataire n'a pas un droit portant
directement sur la chose, mais seulement celui d'en demander la jouissance
paisible au bailleur conformément aux termes de l'article 1719 C.civ. En
d'autres termes, son droit de jouissance ne porte pas sur la chose, mais
s'exerce contre le bailleur.
La force du droit réel dépend de la chose,
objet du droit. Cette force est d'autant plus affirmée lorsque le droit
porte sur une chose corporelle. Au demeurant, la chose corporelle est celle qui
pouvait être l'objet de droit réel du moins selon la conception du
Code civil originel.
B- La chose
corporelle, objet de l'usufruit
L'idée de base, c'est que le droit réel
porte sur une chose53(*).
La chose corporelle à laquelle il faut assimiler
la chose matérielle est toute chose qui se manifeste par son existence
physique. C'est une chose qui est perceptible par les sens. Pour le doyen G.
Cornu, relève du corporel les biens « que l'on peut
matériellement toucher »54(*).
A la rédaction du Code civil, le domaine de
l'usufruit couvrait exclusivement les biens corporels. Seules les rentes
viagères étaient les droits incorporels qui pouvaient être
l'objet d'usufruit. C'est pourquoi le Code civil évoquait
l'hypothèse d'un tel usufruit comme dérogeant au droit commun de
l'usufruit en son article 588.
Sociologiquement, l'usufruit portait sur des choses
corporelles55(*).
Conçu comme « un démembrement de la
propriété des choses corporelles »56(*), l'usufruit en tant que
droit réel ne souffrait alors d'aucune difficulté. La notion
traditionnelle de droit réel qui, compris comme « un jus
in re », un pouvoir direct et immédiat sur une
chose, « ne peut s'exercer que sur une réalité
palpable »57(*) . C'est cette conception qui a amené
les professeurs B. Starck, H. Roland et L. Boyer à affirmer que
l'usufruit a pour objet une chose matérielle, immobilière ou
mobilière, appartenant à un tiers qui en est le
propriétaire58(*).
On ne saurait comprendre cette vision si l'on ne
rapproche l'usufruit de la propriété. En effet, l'absolutisme du
droit de propriété emportait ses effets sur les autres droits
réels. Le droit s'intégrait dans son objet au point de ne faire
qu'un avec lui. Comme tous les autres droits réels, il était un
droit sur la chose. Une terminologie millénaire traduit encore cette
conception absolutiste de l'épuisement du droit dans son objet : on
dit souvent « ma maison » au lieu de dire
« la maison sur laquelle j'ai un droit de
propriété ». Cette vue matérialiste a
conduit à faire de la propriété un droit absolu, un droit
totalitaire : « plena in re potestat ». Cette
souveraineté portait une lourde rançon, représentée
surtout par la limitation des biens sur lesquels pouvait s'établir un
tel pouvoir59(*). Seuls
s'y prêtaient les biens corporels, les choses ; mais les biens
incorporels y demeuraient réfractaires. « Pour qu'il
eût droit sur une chose encore fallait-il qu'il y eût une chose, un
objet corporel », dira le doyen Josserand60(*).
Il ressort de l'analyse précédente que
l'usufruit tel que conçu par le Code civil de 1804 n'était
concevable que s'il portait sur des choses matérielles. Le corollaire,
c'est que les droits incorporels n'avaient aucune place de choix
lorsqu'étaient évoqués les droits réels en
général. L'usufruit dans sa conception était simplement
l'image réduite du droit de propriété.
Section ll : UN USUFRUIT MATERIEL A L'IMAGE DE LA
PROPRIETE
Il ressort des développements antérieurs
que l'usufruit est un droit réel qui porte sur une chose corporelle,
autrement dit une chose tangible et qui a une existence matérielle. Or,
la notion de bien a évolué depuis le Code napoléonien
originaire de sorte qu'il prend aujourd'hui un sens beaucoup plus large.
D'ailleurs, Demolombe définissait-il déjà dans la doctrine
classique le bien comme ce qui peut servir à l'homme, ce qui peut
être employé à ses besoins61(*), reconnaissant implicitement les biens
immatériels comme bien à condition qu'ils remplissent le
critère de patrimonialité. Aujourd'hui, sont
considérés comme biens tous les droits ayant une valeur
patrimoniale. L'étude de l'usufruit des droits incorporels incite
à poser le problème de l'incorporel en droit des biens. Il incite
également à transposer le problème par rapport à
l'usufruit. De la rédaction du Code napoléonien, affirmer que
l'incorporel est exclu du domaine de l'usufruit n'est pas totalement
dépouillé de tout fondement (Paragraphe l). La
division majeure des biens qu'il en a faite le confirme (Paragraphe
ll).
Paragraphe l -
L'exclusion de l'incorporel du domaine de l'usufruit
L'idée de base qui explique l'exclusion de
l'incorporel du domaine de l'usufruit, c'est sans aucun doute le fait qu'il est
un droit réel, un démembrement de la propriété. Or,
il est de notoriété publique qu'au sens du Code
napoléonien, le droit incorporel n'est pas considéré comme
source de richesse (A). Corrélativement, le bon vieux
droit de la « terre » reconnaissait comme bien
quasi-exclusif de richesse, la chose matérielle (B).
A-
L'incorporel ignoré comme « bien de
propriété »62(*)
Il faut entendre par bien incorporel selon le vocabulaire
de l'Association Henri Capitant63(*), un bien ou une valeur qui échappe à
toute appréhension matérielle. Pour le professeur D. Martin,
relève de l'incorporel, tout ce qui n'est pas tangible64(*). Le doyen Carbonnier fait la
distinction entre les droits portant sur les biens corporels qui sont des biens
incorporels et des biens incorporels absolus c'est-à-dire les droits
absolument détachés de tout support matériel. C'est cette
catégorie qui nous intéressera.
L'usufruit du Code napoléonien est celui de la
conception du droit de propriété. Le Code civil de 1804 ignore
les biens incorporels comme source de richesse et ceci pour plusieurs
raisons :
D'abord, l'usufruit du Code civil est un droit réel
qui porte directement sur une chose. Or, pour qu'il y ait droit sur une chose,
jus in re, encore fallait-il qu'il y ait un corps, une chose corporelle
puisque, en dehors des choses matérielles, « le statut de
la propriété ne pouvait plus fonctionner »65(*). Selon la tradition
classique, un droit réel ne peut avoir pour objet une chose totalement
détachée de tout support matériel. Le critère
d'existence physique prévalait dans la détermination des biens
juridiques.
Ensuite, le droit napoléonien ne s'était
guère préoccupé des droits incorporels. Bien que conscient
de l'importance qu'avaient déjà pris ces biens, la doctrine alors
fondait son argumentation sur le fait que ces biens ne confèrent pas
à leur titulaire la plénitude des pouvoirs attachés aux
biens corporels. On s'imaginait mal comment le titulaire d'un tel droit peut
l'exercer et surtout affirmer son emprise sur une chose immatérielle.
Aussi, la propriété d'un bien corporel existe-t-elle en
elle-même, que le bien soit ou non exploité ou utilisé
alors que les biens immatériels n'ont de consistance que par la
participation des tiers. Ils étaient regardés comme appartenant
à un domaine distinct ou autonome de celui du droit de
propriété. Ils ne pouvaient relever du droit des biens
généralement et de l'usufruit particulièrement puisque
celui-ci ne porte directement que sur une chose tangible, un corps.
Egalement, ces droits ne remplissent pas les
caractères de la propriété. En effet, la
propriété au sens classique est perpétuelle et absolue.
Or, les droits incorporels excellent-ils dans leur limitation dans le temps
pour certains, tandis que d'autres sont relatifs. Conséquemment, le
droit napoléonien ne pouvait-il reconnaître comme
« biens de propriété », les biens
qui ne se définissaient pas dans le schéma classique. La richesse
se résumait aux biens corporels mieux aux immeubles. C'est dans ce sens
que le professeur D. Fiorina parle de « la primauté
de l'immeuble et de la plénitude du droit de propriété
comme postulats de l'avènement du code civil »66(*).
Enfin, il faut voir en la diversité et
corrélativement en la complexité des droits incorporels un motif
de leur marginalisation comme pouvant faire partie du droit des biens. Alors
que le droit de propriété et ses démembrements
obéissent à des règles bien établies, les droits
incorporels eux, n'ont pas d'unité et ne se retrouvent pas dans leur
généralité dans la classification traditionnelle entre les
droits réels et les droits personnels. En tout état de cause, ils
altèrent gravement la définition du droit de
propriété ainsi que la notion de droits réels. Certains
constituent un droit contre un tiers c'est-à-dire un droit personnel,
d'autres un droit d'actionnaire, d'autres encore un monopole d'exploitation et
relèvent tantôt de la théorie générale des
obligations, tantôt du droit des sociétés et du droit
commercial, tantôt encore du droit de la propriété
intellectuelle.
Cette vision des biens a sous-tendu la rédaction
du Code civil ignorant les droits incorporels comme faisant partie des droits
réels et élevant les biens corporels comme source quasi-exclusive
de richesse.
B- Les biens
corporels, source exclusive de richesse
Rappelons que par bien matériel, il faut assimiler
le bien corporel, qui désigne tout bien palpable, tangible,
une « chose » comme le disent les anciens. Le
doyen Carbonnier67(*) le
définit comme un bien qui peut être touché notamment par la
main.
Le droit des biens se caractérise par le pouvoir
qu'exerce une personne sur une chose ; c'est le droit réel. Sur
cette base, le Code napoléonien avait défini le domaine des
droits réels qui se limitait aux biens corporels. La
propriété étant un droit corporel, l'usufruit ne pouvait
être d'une nature différente puisqu'il n'en était que le
démembrement. D'ailleurs, les immeubles étaient la source par
excellence de richesse. Cette affirmation trouve sa justification dans le fait
que le Code civil a concentré la majeure partie de ses règles
à les réglementer. Cette place prépondérante des
immeubles est encore patente en matière d'usufruit. Depuis l'article 578
jusqu'à l'article 624, le Code civil y a le plus souvent en vue
l'usufruit portant sur les immeubles. D. Fiorina68(*) affirme dans cet ordre
d'idées que « c'est pour ces biens (immeubles) très
stables qu'a été tracée une ligne de droits et
d'obligations qui concilie la jouissance des choses et leur
conservation ».
La tradition d'après laquelle le bien
matériel est la source exclusive de richesse vient du droit romain et
porte lourdement le poids de l'histoire. A l'origine, le droit romain faisait
la distinction entre les « res corporales » et les
« res incorporales », autrement dit entre les
choses matérielles et les droits sur ces choses, à savoir le
droit de propriété. Par la suite, le domaine des biens corporels
s'est étendu parce qu'on y a assimilé la chose matérielle
et le droit de propriété portant sur cette chose. Le bien, c'est
le droit dit-on puisque le bien n'est bien que par les droits qui lui sont
conférés. Le bien corporel sur lequel repose le droit de
propriété et ses principaux démembrements au sens du Code
civil est ainsi un héritage du droit romain. C'est également
cette idée de la propriété que se faisaient les quirites :
le droit s'intègre dans son objet ; il est un jus in re, un droit
dans la chose, une chose matérielle69(*). Le livre ll du Code civil relatif aux biens est
conçu pour une société agraire et pastorale, et les seules
sources de richesse, ce sont le « fonds »
c'est-à-dire la terre, immeuble par excellence et tout ce qui
l'accompagne pour son exploitation, les animaux notamment et plus
généralement les biens corporels. En effet, pour affirmer sa
souveraineté, le titulaire du droit réel devait établir
son emprise sur une chose matérielle. Dans ce sens et comme le remarque
le doyen Josserand, la propriété s'affirmait non comme un rapport
juridique, mais plutôt comme un pouvoir, comme un dominium, et un tel
pouvoir ne pouvait s'exercer que sur une chose corporelle.
De ce qui précède, il ressort que le bien
corporel est la source exclusive de toute richesse. Cette assertion est
confortée par la division principale des biens qu'en a faite l'article
516 du Code civil.
Paragraphe ll -
Le domaine du droit des biens
C'est l'article 516 du Code civil qui définit le
domaine du Livre ll intitulé : « Des biens et
des différentes modifications de la propriété »
(A). Aussi, l'adage « res mobilis res
vilis » a t-il enfoncé les droits incorporels parmi les
grands inconnus tant la majorité de ces droits est mobilière et
donc vile (B).
A- La
division principale en droit civil des biens
Aux termes de l'article 516
C.civ. : « Tous les biens sont meubles ou
immeubles ». Ce grand texte annonce la division majeure des
biens ; division principale parce qu'elle embrasse la totalité des
biens et qu'aucun bien ne lui échappe. Summa divisio en droit des biens,
cette division première s'applique nécessairement à tous
les biens. Le critère que retiennent le Code civil et la tradition pour
distinguer les meubles des immeubles est physique, la fixité ou la
mobilité. Division critiquée et en recul, elle demeure
néanmoins la division majeure du droit des biens70(*). De la sorte, est meuble, tout
bien susceptible d'être déplacé et immeuble celui qui se
caractérise par sa fixité. Le droit romain connaissait la
distinction entre les meubles et les immeubles ; mais celle-ci
n'était que secondaire, la classification essentielle étant celle
entre les « res mancipi » et les
« res nec mancipi »71(*). L'Ancien droit coutumier reconnut à son
tour comme bien conférant la richesse et la source de toute puissance
économique et politique, la terre encore
appelée « héritage ». Le droit
napoléonien reçut cette distinction et n'en modifia pas la
philosophie qui la sous-tendait. Il ajouta que tout ce qui n'est pas immeuble
est meuble. Selon une vieille jurisprudence rendue par la Cour de cassation
française, « c'est l'état actuel de la chose
qui détermine sa qualité de meuble ou d'immeuble»72(*). Plus récemment,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation française a
jugé que « la nature, immobilière et
mobilière, d'un bien est définie par la loi et la convention des
parties ne peut avoir d'incidence a cet égard »73(*) rejetant de ce fait sa
jurisprudence du XIXe siècle par laquelle elle estimait
que « le caractère mobilier ou immobilier des biens
se détermine, avant tout, par le point de vue auquel les ont
considérés les parties contractantes et par la destination
qu'elles leur ont attribuée »74(*).
L'arrêt du 14 février 1899 était
rendu dans les circonstances qui suivent. Monsieur Dauban consent le 22 juin
1892 la vente de tout le bois carbonisable à couper dans une forêt
aux sieurs Bertozzi et Cagnazzoli. Ceux-ci subissent de graves violences de la
part des habitants de Vintiseri dans l'exploitation commencée du fonds.
Ils somment le vendeur à faire cesser les troubles. Celui-ci assigne en
réintégrande certains des agresseurs, qui persistent à
affirmer leurs droits de propriété sur la forêt. S'excipant
d'une possession annale à titre de propriétaires, les
acquéreurs se portent reconventionnellement demandeurs en complainte. La
Cour d'Appel de Bastia les déboutent au motif qu'étant seulement
acquéreurs du bois vendu séparément du fonds, ils
n'acquièrent aucun droit réel immobilier qui leur soit
susceptible d'une possession annale pouvant servir de base à une
complainte. Le pourvoi devant la Chambre des Requêtes est rejeté.
Pour la Cour de cassation française, les récoltes encore
pendantes et les arbres non abattus deviennent meubles par cela même que,
dans le contrat dont ils font objet, ils sont envisagés comme
déjà détachés du sol. L'arrêt du 26 juin 1991
semble rejeter celui du 14 février 1899 du moins dans son attendu
principal. Les juges estiment que la volonté des parties est impuissante
à classer un bien dans l'une des catégories définies par
le Code civil.
Rigoureusement, la nature incorporelle d'un bien s'oppose
à ce qu'il soit classé parmi les meubles ou les immeubles.
Seulement, le droit a créé une fiction juridique en classant la
plupart des droits incorporels parmi les meubles. Or, à l'analyse des
termes de l'article 516 C.civ., il ressort qu'outre les meubles et les
immeubles, il n'y a pas de catégorie intermédiaire. C'est ce que
relève le professeur C. Atias75(*) en ces termes : « En dehors
des meubles et des immeubles, il n'existe ni qualification intermédiaire
ou mixte, ni qualification d'un autre ordre ». C'est dans cette
philosophie qu'a été rédigé l'article 516 C.civ.
Découlant essentiellement du critère
physique, cette distinction trouvait aussi à sa source un trait
fondamental, celui de la différence de valeur qui caractérise les
immeubles et les meubles. Pour I. Freij-Dalloz76(*), le critère physique paraissait d'autant plus
attrayant qu'il coïncidait avec le critère tiré de la valeur
économique des immeubles et justifiait une protection
particulière. Cette différence de valeur trouve son expression
dans l'adage « res mobilis res vilis ».
B - Les
conséquences de l'adage « res mobilis res vilis »
sur les droits incorporels
Etymologiquement, signifiant « chose
mobilière, chose vile », l'adage « res
mobilis res vilis » est le postulat d'après lequel les
biens mobiliers ont moins de valeur que les immeubles. D'après cette
idée constante, l'immeuble est le bien précieux, productif de
revenus alors que le meuble a une valeur moindre et est périssable. Deux
conséquences découlent de cette distinction : d'une part, la
place particulière réservée aux immeubles traduisait
l'idée de conservation des biens dans les familles aussi bien dans le
régime matrimonial que dans la dévolution successorale et,
d'autre part, le principe selon lequel les meubles répondent aux
dettes ; « Meubles sont le siège de
dettes »77(*), disait-on à cet effet. Or, la plupart
des droits incorporels sont d'après la loi de nature
mobilière78(*),
donc viles et le législateur n'était redevable d'aucune
obligation de les protéger par un arsenal juridique poussé.
Le Code civil a, dans cet ordre d'idées,
organisé avec minutie le régime des immeubles et consacré
peu de place aux meubles. L'essentiel des dispositions sur l'usufruit faut-il
le rappeler a en vue l'usufruit des immeubles.
Par ailleurs, et relativement à l'usufruit des
droits incorporels, seul celui des rentes viagères avait
été saisi par le codificateur du Code civil, qui plus est,
ignorait le délicat problème qu'il soulevait alors qu'à
l'époque, la distinction entre droits réels et droits personnels
connaissait son âge de gloire.
Considéré comme droit réel,
l'usufruit au sens napoléonien du terme ne s'adapte plus aux nouveaux
biens, qui se sont diversifiés depuis la révolution industrielle.
Aussi, il ne faut pas occulter le fait que la fortune mobilière y a pris
de l'importance et s'y est diversifiée de telle sorte qu'on assiste de
nos jours à un phénomène inverse : si l'immeuble
reste et demeure précieux, les droits incorporels l'ont supplanté
et sont devenus aujourd'hui les plus précieux. C'est le cas des valeurs
mobilières et des propriétés intellectuelles notamment.
Dès lors, le constat qui se dégage est clair : l'usufruit du
Code napoléonien, le bon vieux droit de le
« terre » devient incapable d'embrasser le nouveau
et dynamique domaine de l'incorporel, d'où l'inadaptation de
l'incorporel au mécanisme classique de l'usufruit.
Chapitre
ll : L'INADAPTATION DE L'INCORPOREL AU MECANISME CLASSIQUE DE L'USUFRUIT
L'usufruit classique est un droit réel qui porte
directement sur la chose corporelle d'autrui. La notion de bien, objet
d'usufruit classique, s'est diversifié de sorte qu'aujourd'hui, les
biens recouvrent outre les choses corporelles, les choses
immatérielles ; ces dernières sont devenues une importante
source de richesse. Cette situation entraîne la mise en échec de
l'adage « res mobilis res vilis ».
Cette diversification des droits incorporels a eu des
conséquences sur l'usufruit, notamment l'usufruit qui porte sur de tels
biens. Des problèmes ont été soulevés à
propos de l'existence même d'un tel usufruit que le Code civil de 1804
n'avait pas envisagé. Ces biens ne se retrouvent pas dans le
schéma classique de l'usufruit. Droit réel, l'usufruit ne peut
porter que sur des biens tangibles79(*), tandis que les droits incorporels eux sont
intangibles et ne sont pas susceptibles d'appréhension
matérielle.
Droit de jouissance, l'usufruit impose à son
titulaire l'obligation80(*) de conservation de la chose. Or, la
jouissance des droits incorporels est particulière et il ressort de
la jurisprudence récente qu'elle confère les prérogatives
de propriétaire à leurs titulaires. De la sorte, le professeur P.
Le Cannu a pu parler de « la nudité du
nu-propriétaire »81(*). L'inadaptation de l'incorporel au mécanisme
classique de l'usufruit se justifie à deux niveaux
essentiellement : d'abord au niveau de l'immatérialité des
droits incorporels (Section l) et ensuite au niveau du
particularisme du droit de jouissance de ces droits (Section
ll).
Section
l : L'IMMATERIALITE DES DROITS INCORPORLS
Poser que l'usufruit est un droit réel revient
à dire qu'il n'est pas concevable qu'il ait pour assiette un droit
incorporel82(*). Or, il
ressort des termes généraux de l'article 581 du Code civil que
l'usufruit peut porter sur toute espèce de biens, autrement dit aussi
bien sur les biens matériels que sur les biens immatériels.
L'usufruit étant un droit réel qui porte sur une chose
corporelle83(*), l'article
581 C.civ. va poser problème (Paragraphe ll).
Les droits incorporels sont divers et leur expansion est
effrénée parce qu'ils constituent le mouvant domaine de nouveaux
biens. En conséquence, leur classification s'avère difficile, ce
qui justifie qu'ils ne se retrouvent pas dans les classifications du droit
civil des biens (Paragraphe l).
Paragraphe l -
La difficile classification des droits incorporels
« La diversité a toujours
suscité chez les juristes la réaction de
classification »84(*). Et comme le remarque si bien D. R. Martin85(*), les qualifications juridiques
sont affectées par une marge de relativité lorsqu'elles sont
confrontées aux confins des figures qu'elles nomment. Ceci étant,
il revient à dire que la diversité des droits incorporels
mérite qu'on les classe afin de déterminer le régime
applicable. Toutefois, en matière de droits incorporels, la
classification n'est pas aisée, car ils ne se retrouvent pas dans le
schéma classique de la distinction entre les droits réels et les
droits personnels. Si certains peuvent s'analyser en droits personnels
(A), d'autres en réalité sont mixtes. Il
convient de les considérer comme des droits sui generis86(*) (B).
A- Les
droits incorporels personnels
Les droits incorporels sont ceux dont l'objet est
immatériel87(*).
La première distinction des droits incorporels
révèle que certains sont personnels. C'est le cas des
créances de sommes d'argent en général. La jurisprudence a
également relevé les cas de l'usufruit d'un droit au bail, d'un
bail à ferme et surtout d'une sous-location88(*). Le Code civil a
connoté l'usufruit de rentes viagères en son article 588. La
rente est un revenu périodique versé au crédirentier par
le débirentier en échange d'un capital reçu. Elle est
viagère lorsque l'obligation de verser les arrérages cesse
à la mort du crédirentier ou d'une tierce personne. Comme
déjà soulevé, un tel usufruit
renferme « une énigme »89(*). C'est ce qui justifie qu'un
tel usufruit ait soulevé de vives controverses en doctrine90(*) et les critiques sont
restées acerbes à propos de son existence même. L'usufruit
du droit au bail, celui des rentes, l'usufruit des obligations sont là
autant de circonstances dans lesquelles la pratique laisse apparaître un
usufruit des créances.
Le droit civil classe les droits patrimoniaux en droits
réels et droits personnels. Cette distinction forme l'arête du
droit patrimonial et même est à l'origine de la distinction droit
des biens-droit des obligations.
Le droit personnel est le rapport de droit qu'une personne
a, à l'encontre d'une autre, d'exiger de celle-ci, l'exécution
d'une prestation. C'est le contrat qui l'exprime bien et est défini
à l'article 1101 C.civ. Il est relatif, autrement dit, il n'a d'effet
qu'entre les parties au contrat. Dans le cas d'une rente viagère, ce
rapport met aux prises le crédirentier et le débirentier. C'est
à ce dernier que le crédirentier s'adresse pour toucher les
intérêts et il ne peut les réclamer qu'à lui. Selon
les professeurs R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière91(*), le droit est relatif sous cet
aspect, parce qu'il s'agit de l'exercice d'une créance, laquelle est
l'objet de l'usufruit. Or, l'usufruit est un droit réel.
En pratique, l'usufruit de cette partie des droits
incorporels pose beaucoup plus de problèmes aussi bien en ce qui
concerne la nature juridique à la constitution que dans
l'exécution. Elle est de loin la moins difficile à classer. La
difficulté est encore patente lorsqu'il s'agit de la classification des
droits incorporels sui generis.
B- Les
droits incorporels sui generis
Les droits incorporels sui generis sont l'objet de vives
controverses en doctrine ; ils ont un vocabulaire incertain. En effet,
c'est la distinction droits personnels-droits réels qui est reconnue par
le droit civil classique puisqu'elle est la summa divisio en la
matière.
Une vue entière sur ces droits montre qu'ils se
constituent des monopoles d'exploitation (les signes distinctifs et les
créations intellectuelles), des droits de clientèle (fonds de
commerce, clientèle civile) qui constituent ce que certains auteurs
appellent les droits de propriété incorporelles92(*), les valeurs
mobilières, notamment les droits sociaux.
Les droits incorporels sui generis sont pour une certaine
partie de la doctrine, des droits intellectuels ou des droits de
clientèle. Dans tous les cas le constat d'incertitudes en la
matière est sans équivoque. Pour J. Carbonnier93(*), l'avènement de ces
formes nouvelles de propriété était accompli dès la
fin du XIXe siècle. Ces biens sont, dit-on « l'avenir de
l'Occident » et sont en extension constante. Ils ne
s'identifient pas dans la classification traditionnelle.
Le professeur D.R. Martin qualifie certains de ces
droits, notamment le droit qu'exerce l'associé sur les droits sociaux,
de droit réel. Il soutient que « l'associé n'est
pas créancier social, mais cotitulaire du patrimoine social et, comme
tel, subpropriétaire indivis de l'actif social »94(*). Il réfute même
l'idée majoritaire selon laquelle les valeurs mobilières sont
devenues des droits incorporels depuis leur dématérialisation par
la loi du 03 décembre 1981. Il soutient son argumentation par le fait
que, le phénomène de la dématérialisation, les
valeurs mobilières sont justement passées d'une incorporation
dans le titre à une représentation par des écritures en
comptes. C'est ce qu'il qualifie de « corporalité
novatoire »95(*) . Tout au moins, sa position est corroborée
par le fait que les titres
« dématérialisés » peuvent
faire l'objet d'un don manuel96(*). D'autres auteurs97(*) estiment que la société est dans une
certaine mesure un bien sur lequel l'associé exerce des
prérogatives.
Les « propriétés
incorporelles »98(*) proprement dites, c'est-à-dire les droits
de la clientèle et les monopoles d'exploitation n'ont pas une nature
définitive. Pour autant certains les ont classées parmi les
droits réels. Ces auteurs ont été critiqués parce
qu'elles sont temporaires. Leur consistance dépend de la participation
des tiers et elles sont généralement liées à la
personnalité de leur titulaire. D'autres encore les analysent en
monopoles d'exploitation puisqu'ils confèrent à leur titulaire le
droit exclusif d'exploitation sur leur création et que l'exercice des
actions de protection leur est reconnu. Faut-il ajouter que leur possession
demeure problématique. Aujourd'hui cependant, l'analyse
dominante99(*) se
référant au contenu des droits plutôt qu'à leur
fonction les considèrent comme des droits réels qui portent sur
des objets incorporels.
Ce qu'il faut retenir, c'est que ces droits sont sans
unité et sont soumis à différentes règles qui tant
bien que mal se chargent de leur protection.
Les droits incorporels étant très
diversifiés, l'article 581 du Code civil va poser le problème de
la nature juridique de l'usufruit dont ils sont l'objet.
Paragraphe ll -
Le problème posé par l'article 581 du Code civil
En posant depuis 1804 à l'article 581 C.civ. que
l'usufruit peut porter sur toute espèce de biens, les codificateurs
proclamaient même s'ils ignoraient les conséquences
postérieures que toute chose reconnue comme bien est susceptible
d'être l'objet d'usufruit. Les droits incorporels sont de ce fait l'objet
potentiel d'usufruit (A). Dans ce dernier cas, la nature
réelle de l'usufruit des droits incorporels est largement inconcevable
(B).
A- Le droit
incorporel, objet potentiel de l'usufruit
L'article 581 C.civ.
dispose : « ll (l'usufruit) peut être
établi sur toute espèce de biens meubles et
immeubles. »
Cette formule très générale affirme
que tout bien peut être l'objet d'usufruit. Toutefois, il est à
signaler que cet article compris dans le contexte de sa rédaction ne
concernait que les biens matériels qui, seuls pouvaient être objet
d'appropriation. Aussi, faut-il souligner que la notion de bien a
évolué et qu'aujourd'hui elle désigne le droit100(*). De la sorte, les choses
incorporelles sont des biens dès lors qu'elles sont utiles à
l'homme. Etant des biens, les droits incorporels peuvent être
désormais objet de l'usufruit puisque l'article susvisé est
resté inchangé jusqu'à nos jours et sa substance est d'une
affirmation péremptoire.
Même en 1804, il faut relever que le
législateur n'écartait pas l'exclusivité des droits
incorporels comme objet de l'usufruit dans la mesure où l'usufruit des
créances101(*)
était connoté même s'il constituait l'exception au droit
commun de l'usufruit. Avec l'expansion du domaine de l'incorporel, il est
beaucoup de cas de constitution d'usufruit. Les cas les plus courants se
retrouvent dans le droit des sociétés. Il est de plus en plus
fréquent que les droits sociaux soient démembrés,
spécialement quand il s'agit de préparer avec douceur
« la transmission de leur entreprise (par les chefs d'entreprise)
sans grande inquiétude puisqu'ils conserveront l'usufruit des droits
sociaux et laisseront la nue-propriété à leurs
successeurs »102(*). Les professeurs M. Cozian et A. Viandier confirment
cette situation et estiment que si les apports en usufruit et en
nue-propriété étaient autrefois exceptionnels, ils se sont
multipliés ces dernières années car s'inscrivant
désormais dans une stratégie patrimoniale et fiscale de
transmission d'un patrimoine103(*).
Aussi, même si l'usufruit du brevet n'a pas fait
l'objet d'une réglementation spécifique, l'usufruit des droits de
propriété littéraire et artistique est d'une pratique
courante.
Les droits incorporels étant intangibles, la
constitution d'un usufruit sur eux est « une situation
curieuse »104(*) car il est difficile qu'elle ait toujours une nature
réelle comme il est de l'essence de l'institution. La nature
réelle de l'usufruit des droits incorporels est donc
problématique.
B-
L'inconcevable nature réelle
La nature réelle de l'usufruit des droits
incorporels est remise en cause surtout en ce qui concerne les droits
personnels. Certains auteurs s'étonnent et hésitent105(*). D'autres doutent qu'en
pareil cas, l'usufruit soit un droit réel106(*). Les professeurs R. Beudant
et P. Lerebours-Pigeonnière107(*) dans une série d'interrogations font
ressortir la délicatesse de la situation: « Peut-on
expliquer qu'un droit, qui, lorsqu'il est complet s'analyse en un droit de
créance, donne naissance, par une simple fragmentation, à un
droit réel ?»; « La partie peut-elle être
d'une autre nature que le tout ?». C'est le cas de l'usufruit d'une
rente viagère prévu par le codificateur. B. Starck108(*) simplifie la question de la
nature de l'usufruit. Pour lui, la nature de l'usufruit dépend de
l'objet qui en est l'assiette. L'usufruit est tantôt un droit
réel, tantôt un droit personnel. Si le qualificatif de droit
réel convient dans une large mesure à ce droit d'usufruit, il est
impossible, dans certains cas particuliers de lui conserver cette
qualification, sous peine d'en déformer le sens, écrit-il.
Dans la logique juridique du droit civil, un droit porte
sur un objet que ce soit un droit réel ou personnel. Autrement dit, il
existe un sujet passif et/ou actif et l'objet de l'obligation. En
conséquence, un droit ne peut avoir pour objet un autre droit et c'est
le paradoxe de l'usufruit des droits incorporels personnels. Si nous admettons
que l'usufruit reste un droit réel, il est contraire à toute
logique qu'un droit de créance démembré, donne naissance
à un droit réel109(*).
En ce qui concerne les droits incorporels sui generis, la
nature de leur usufruit est encore plus équivoque. Le droit réel
étant un pouvoir direct sur une chose, on ne peut s'expliquer comment
son titulaire exercera son dominium lorsqu'il s'agit des droits incorporels. Au
demeurant, la classification de ces droits est improbable car si certains
s'analysent en un monopole d'exploitation, d'autres sont acceptés comme
des droits réels et même encore comme des droits de
créance. Dans son mémoire, M. Alaba110(*) penche pour
« l'analyse économique unissant l'associé à
la société » en regardant l'associé comme
un créancier de la société, autrement dit un rapport de
droit personnel lie ce dernier à la société. Dans tous les
cas, la jouissance du propriétaire ne s'exerce qu'à travers des
prérogatives.
Il est curieux qu'en pratique la nature de l'usufruit des
droits incorporels n'inquiète pas. Le problème se pose le plus
souvent sous un autre angle : Le particularisme de leur droit de jouissance et
l'on se demande si finalement chaque branche du droit n'aurait pas sa
conception de l'usufruit.
Section
ll : LE PARTICULARISME DU DROIT DE JOUISSANCE
La jouissance des droits incorporels est très
particulière. En ce domaine, la jurisprudence et la doctrine s'opposent.
La jouissance des droits incorporels confère à son titulaire
beaucoup plus de prérogatives de sorte que l'usufruitier de tels droits
se transforme quasiment en véritable propriétaire. La jouissance
de l'usufruitier est donc problématique (Paragraphe1).
En conséquence, l'appréhension unifiée de tels usufruits
est corrélativement impossible (Paragraphe 2).
Paragraphe l -
La problématique jouissance des droits incorporels
Il ressort de la jurisprudence récente et une
partie de la doctrine que la jouissance des droits incorporels transforme
l'usufruitier en véritable propriétaire (A), il
s'en suit dès lors une altération du mécanisme classique
de l'usufruit (B).
A- La
transformation de l'usufruitier en véritable propriétaire
Rappelons que l'usufruit confère à son
titulaire le droit de jouir de la chose, objet de l'usufruit, mais à
charge d'en conserver la substance. Il conviendra d'analyser la jouissance des
droits incorporels pour en tirer les conséquences. Nous
étudierons, d'une part, les droits personnels et, d'autre part, les
droits sui generis.
Partons de l'usufruit d'une rente viagère qui est
prévu par l'article 588 Code civil. En effet, l'usufruitier a droit aux
arrérages sans être tenu à aucune restitution. Le
rapprochement de cette disposition de celle de l'article 578 C.civ.
révèle une opposition entre ces deux dispositions. L'usufruit
d'une rente viagère a suscité d'énormes controverses dans
la doctrine ancienne. D. Fauquet111(*) souligne que « les
arrérages d'une rente représentent effectivement le capital et
les intérêts de celui-ci ». Et selon
Pothier112(*) leur
perception épuise la substance de la chose. Or, c'est au
propriétaire d'épuiser la substance de la chose autrement dit de
l'abuser. Ce qui revient à dire que la situation de l'usufruitier d'un
tel droit n'est pas différente de celle du véritable
propriétaire, car en définitive, il est propriétaire de la
plénitude de la créance113(*). C'est pour éviter ce résultat que les
anciens auteurs capitalisaient les arrérages à chaque
échéance ; l'usufruitier conservait les
intérêts de ce capital, mais devait restituer au
propriétaire à la fin de son usufruit le capital
lui-même114(*).
Cependant, c'est pour éviter les problèmes d'évaluation
à la restitution que les rédacteurs du Code civil ont fait des
arrérages, les fruits civils dont le titulaire est l'usufruitier. Le
constat, c'est qu'en voulant éviter les problèmes
d'évaluation, les codificateurs remirent en cause tout le
mécanisme de l'usufruit.
Il faut évoquer le cas de l'usufruit des droits
incorporels sui generis et surtout l'usufruit des droits sociaux. En effet, si
l'on considère les dividendes, selon les termes de l'article 584 C.civ.,
comme les fruits, l'usufruitier a alors le droit de voter. Or, en lui accordant
le droit exclusif de vote, ce dernier peut faire disparaître la substance
de la chose. Depuis l'affirmation par la chambre commerciale de la Cour de
cassation française qu' « aucune
dérogation n'est prévue (par la loi) concernant le droit des
associés, et donc du nu-propriétaire, de participer aux
décisions collectives, tel qu'il est prévu à
l'alinéa 1 de l'article 1884 C.civ. », la situation de
l'usufruitier et du nu-propriétaire n'a jamais été
réellement discutée. Qui de l'usufruitier ou du
nu-propriétaire a la qualité d'associé ? A plusieurs
reprises depuis l'arrêt du 4 janvier 1994115(*), la chambre commerciale de
la Cour de cassation française ne cesse de répéter qu'en
matière d'usufruit et de nue-propriété de parts sociales,
la participation aux décisions collectives n'inclut pas
nécessairement le droit de vote. Si la chambre commerciale fait du
nu-propriétaire un associé116(*), elle garde un mutisme éloquent sur la
situation de l'usufruitier.
Les faits de l'espèce du 04 janvier 1994
méritent d'être relevés. Deux époux avaient
créé une société civile spéciale, un
groupement forestier et avaient donné à leurs enfants la
nue-propriété des parts en se réservant l'usufruit.
L'article 7 des statuts prévoyait que le nu-propriétaire serait
représenté par l'usufruitier qui serait seul convoqué aux
assemblées générales et aurait seul le droit d'y assister
et de prendre part aux votes quelle que soit la nature de la décision
à prendre. Les nus-propriétaires demandaient la nullité de
cet article, qui au mépris de leur qualité d'associé, les
excluait entièrement de la vie de la société.
Plus tard, vint l'arrêt Société
VH Holding117(*) du 31
mars 2004 par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation
française invalida la neutralisation statutaire du droit de
l'usufruitier de voter l'attribution des bénéfices en estimant
que « la clause litigieuse, en ne permettant pas à
l'usufruitier de voter les décisions concernant les
bénéfices, subordonnait à la seule volonté des
nus-propriétaires le droit d'user de la chose grevée d'usufruit
et d'en percevoir les fruits, alors que l'article 578 C.civ. attache à
l'usufruit ces prérogatives essentielles ». Pour le
professeur T. Revet118(*), cet arrêt attestait que
« le signe du vent tournait » puisque par son
arrêt du 9 février 1999119(*), la Cour de cassation française après
avoir posé que « tout associé a le droit de
participer aux décisions collectives et de voter, et que les statuts ne
peuvent déroger à ces dispositions », avait
censuré la décision qui n'avait pas annulé la disposition
statutaire privant certains associés du droit de vote dans des
hypothèses non légalement prévues.
Dans son arrêt du 29 novembre 2006120(*), la troisième chambre
civile de la Cour de cassation française avait cru le temps de la
clarification venue. Les faits de l'espèce sont les suivants. Deux
copreneuses solidaires d'un bail rural avaient mis les terres louées
à la disposition d'une société civile d'exploitation
agricole dont elles étaient coassociées et cogérantes,
puis l'une d'elle fit cession de la nue-propriété de ses parts
à son neveu et à l'épouse de celui-ci.
Ultérieurement, la cédante fut présentée, dans une
notification adressée aux bailleurs, comme demeurant associée.
Puis, à l'occasion d'une demande postérieure d'autorisation
judicaire de cession de parts, formée par l'autre colocataire, les
bailleurs demandèrent reconventionnellement la résiliation des
baux en se fondant sur le fait qu'à partir de la première
cession, la copreneuse cédante de la nue-propriété de ses
parts avait cessé d'être associée, sans que les bailleurs
n'en fussent averties. La Cour d'Appel d'Amiens (3 mai 2005) fit droit à
la demande, les locataires formèrent alors pourvoi. La troisième
chambre civile le rejette en ces mots : « Mais attendu
qu'ayant constaté que madame A... avait procédé le 30 juin
1999 à la cession au profit des époux Z... de la nue
propriété de la totalité de ses parts sociales de le
société civile d'exploitation agricole et énoncé,
à bon droit, que le caractère solidaire des engagements des
preneuses stipulé dans les baux litigieux ne permettait pas
d'étendre l'effet de la solidarité aux obligations leur incombant
à titre personnel, la Cour d'Appel, qui en a exactement déduit
qu'il importait peu que madame Z... ait conservé la qualité
d'associé de la SCEA et relevé que madame A... avait perdu la
sienne, quelle que soit l'étendue du droit de vote accordé
à l'usufruitier par les statuts, a souverainement retenu que
l'information délivrée le 20 août 1999, qui faisait figurer
madame A... au nombre des associés, était de nature à
induire en erreur les consorts de B... et à justifier la
résiliation des baux ». Pour la troisième chambre
civile, l'usufruitier ne peut avoir la qualité d'associé.
Le professeur M. Cozian121(*), dans son commentaire de l'arrêt du 4 janvier
1994 pense que les juges ne refusent pas la qualité d'associé
à l'usufruitier et même espère que la Cour de cassation
française, « aura l'occasion de proclamer que même
privé de vote, l'usufruitier n'en est pas moins associé a
fortiori quand il concentre tout ou partie des droits de vote ».
Il semble que la chambre commerciale lui ait donné
raison en son arrêt du 02 décembre 2008122(*). En effet, les faits de
l'espèce méritent d'être exposés. En 1989, un
père de famille consent à ses sept enfants une donation-partage
avec réserve d'usufruit portant sur les parts de la
société civile Plastholding. Les statuts de la
société conférant à l'usufruitier le droit de voter
les décisions ordinaires et extraordinaires, les
nus-propriétaires doivent être convoqués aux
assemblées générales dans tous les cas. Une
assemblées générale extraordinaire tenue en septembre 2003
vote l'absorption de Plastholding par la société civile Holding
des Boëles, qui prend immédiatement la dénomination de
l'absorbée. L'un des nus-propriétaires demande l'annulation des
délibérations prises lors de l'assemblée
générale.
Elle décide dans son deuxième motif
« qu'en statuant ainsi,( la Cour d'Appel de Caen avait estimé
que les statuts réservant le droit de vote à l'usufruitier est
illicite et a annulé les délibérations adoptées
grâce au vote de celui-ci) alors que les statuts peuvent déroger
à la règle selon laquelle si une part est grevée
d'usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès
lors qu'il ne déroge pas au droit du nu-propriétaire de
participer aux décisions collectives, la Cour d'Appel a violé le
texte susvisé( article 1844 C.civ.) ».
Ensuite, dans son quatrième motif, la chambre
commerciale de la Cour de cassation française estime
« qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi
l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un
usage contraire à l'intérêt de la société,
dans le destin de favoriser ses intérêts au détriment de
ceux des autres associés, la Cour d'Appel n'a pas donné de base
légale à sa décision ».
Il ressort de ces deux motifs que la chambre commerciale
de la Cour de cassation française sur le fondement de l'article 1844
C.civ. élève l'usufruitier au rang d'associé. Cette
solution nous rend perplexe. Si la chambre commerciale estime que le droit du
nu-propriétaire n'est pas violé, alors quelle atteinte plus grave
pourrait subir ce dernier? Si l'usufruitier peut commettre un abus du droit de
vote, c'est parce qu'il a la qualité d'associé sinon entre le
nu-propriétaire et l'usufruitier, lequel pourrait commettre un abus s'il
n'est pas associé ? En effet, l'abus en droit des sociétés
est bien défini. Il concerne les associés que ce soit l'abus de
majorité ou l'abus de minorité.
Cette situation défavorable du
nu-propriétaire est bien exprimée par certains auteurs, qui le
considèrent comme un associé insolite123(*),
qui « peut être durablement dépouillé
des prérogatives les plus dynamiques de cet état, alors que celui
qui tire profit des utilités concrètes et immédiates des
droits sociaux, l'usufruitier, ne voit pas encore sa qualité
d'associé consacrée ! » et qu' « au
résultat, l'on peut dire que le droit positif `' n'avantage le
nu-propriétaire que de façon symbolique, grâce au titre
d'associé dont il le pare alors qu'il permet d'en geler presque tous les
attributs''124(*) ».
Pour le reste, les réponses données par la
chambre commerciale de la Cour de cassation française tranchent en
faveur de la qualité d'associé à l'usufruitier des droits
sociaux. Or, c'est l'associé qui exerce les prérogatives de
propriétaire dans la société125(*), autrement dit, il est
« propriétaire de la
société »126(*).
En ce qui concerne l'usufruit des droits de
propriété littéraire et artistique, le titulaire
perçoit tous les droits d'auteur et même autorise les
éditions et reproductions dans la mise en valeur de son droit. Seul le
droit moral qui, est un droit extrapatrimonial, a pour titulaire le
nu-propriétaire. L'usufruit du brevet ne fait pas l'objet de
réglementation spécifique. La transposition du droit commun
conduit à admettre que l'usufruitier est pleinement titulaire du droit
d'exploiter le brevet, par lui-même ou par la concession des licences. Si
la durée du brevet est inférieure à celle de l'usufruit,
le titulaire est investi de la plénitude des droits
conférés par le brevet, ce qui suscite les regrets d'une partie
de la doctrine.
L'usufruit, autrefois limité à
l'appropriation des fruits du bien, s'étend aux produits. A cette
manipulation, il devient plus une propriété temporaire qu'un
droit démembré. Pour J.- D. Bredin127(*), le nu-propriétaire
est laissé à l'écart et devient « ce
personnage deux fois sympathique rassurant parce qu'il est propriétaire,
pitoyable parce qu'il est dépouillé ».
La transformation de l'usufruitier en véritable
propriétaire entraîne de toute évidence l'altération
du mécanisme classique de l'usufruit.
B-
L'altération du mécanisme classique de l'usufruit
L'usufruit est une institution du droit civil des biens.
Il est connoté des articles 578 à 624 C.civ.
Parallèlement, les différentes branches qui l'abordent, n'en
donnent point une autre définition. L'usufruitier jouit à charge
de conserver la substance.
Toutefois, des problèmes surgissent lorsqu'il
s'agit de l'usufruit des droits incorporels. A l'analyse, il ressort que ce
type d'usufruit a un régime dérogatoire de droit commun. Or, si
c'est l'exception qui le plus souvent confirme la règle, la situation
dans notre cas est originale puisque la tendance actuelle d'expansion de
l'incorporel tend à marginaliser l'usufruit classique comme constituant
une institution vieille et statique. J- L. Bergel128(*) l'éprouve lorsqu'il
estime que « dans l'état actuel du droit, l'usufruit est
plutôt un outil de stérilisation. En effet, le propriétaire
ne fait pas d'investissement sur un bien dont il n'a pas la jouissance et
l'usufruitier non plus puisqu'il n'en a pas la
propriété ».
L'altération du mécanisme classique de
l'usufruit se retrouve aussi bien au niveau des droits incorporels personnels
que sui generis. Dans les deux cas, la situation de l'usufruitier est la
même dans la mesure où il exerce des prérogatives
supérieures à son rang, ce qui nous incite à affirmer
qu'il prend la place du propriétaire tant l'article 578 du Code civil
lui impose l'obligation de conservation de la substance.
En s'appropriant aussi bien les revenus que le capital,
l'usufruitier d'une rente viagère devient titulaire de la créance
car logiquement, c'est au nu-propriétaire non à l'usufruitier que
revient le capital129(*).
L'altération de l'usufruit des droits sui generis
est la plus courante dans la pratique. Manifestement, les décisions de
la chambre commerciale de la Cour de cassation française sur l'usufruit
des droits sociaux font de cette institution un usufruit spécial
dérogeant au droit commun. En se fondant sur l'article 1844
alinéa 4 du Code civil, cette chambre dépouille l'alinéa 1
de toute substance, sinon, que restera t-il des prérogatives
attachées au rang d'associé-propriétaire ?
Normalement et comme le pense Y. Guyon130(*), lorsqu'une action est
grevée d'usufruit, c'est l'usufruitier qui vote dans les
assemblées générales ordinaires, car celles-ci ont pour
objet essentiel de fixer les dividendes qui sont les fruits civils. Au
contraire le nu-propriétaire participe aux assemblées
générales extraordinaires car celles-ci sont susceptibles
d'atteindre la substance de l'action. C'est d'ailleurs le principe posé
par l'article 225-110 du Code de commerce français. Avec sa
décision du 8 décembre 2008, la chambre commerciale de la Cour de
cassation française a avalisé le vote de l'usufruitier qui en
l'espèce avait entraîné la fusion-absorption de la
société, ce qui est une atteinte à la substance du bien.
Il convient de revenir sur la portée du vote de l'usufruitier dans le
cas d'espèce.
L'absorption est cette opération qui a pour effet
de faire disparaître les parts de la société
absorbée. Il n'ya plus d'assiette à la
nue-propriété. Le nu-propriétaire perd son bien. Ce qui
est sûr, c'est qu'il va recevoir un autre bien notamment d'autres droits
sociaux dans la société absorbante. Toutefois, il se peut que ses
pouvoirs puissent être totalement altérés, le faisant
passer du rang d'associé majoritaire à celui d'associé
minoritaire. Certains auteurs pensent que cette altération est sans
préjudice sur l'usufruit classique et la justifie en tout cas
moralement, parce que c'est l'usufruitier, qui, le plus souvent est le
créateur de la société. Mais sur le plan juridique, il
semble que la plume de la chambre commerciale de la Cour de cassation
française n'a pas été en harmonie avec sa religion. Si,
dans sa décision du 8 décembre 2008, elle n'a pas raisonné
en termes de qualité, elle l'a fait en termes de droit de vote,
prérogatives de pouvoir que se disputent l'usufruitier et le
nu-propriétaire.
On pourrait également se demander avec le
professeur M. Boudot131(*) en ce qui concerne l'usufruitier d'un brevet ou
d'une oeuvre de l'esprit, s'il peut accomplir des actes de disposition. Dans
l'affirmative, que reste-t-il au nu-propriétaire ? Et dans la
négative, quelles sont ses prérogatives ? C'est donc dire que
dans ces types d'usufruits, l'usufruitier est véritablement un
propriétaire.
En définitive, s'il n'est pas facile de faire en
aval une appréhension unifiée de l'usufruit des droits
incorporels, c'est justement parce que la cause va être recherchée
dans leur diversité en amont.
Paragraphe ll -
La difficile appréhension unifiée
La difficile appréhension unifiée de
l'usufruit des droits incorporels se justifie d'abord au niveau de leur
jouissance diversifiée (A), ce qui a ensuite pour
conséquence la perte de l'identité de cet usufruit
(B).
A- Le droit
de jouissance diversifiée
A l'analyse de ce qui a été dit, la
jouissance des droits incorporels est très diversifiée. Si au
sens de l'usufruit, la jouissance se compose de l'usus et du fructus, il est
assez difficile de faire cette distinction quant à la jouissance de ces
droits. Nous analyserons successivement le droit de jouissance en
matière des droits incorporels en suivant la classification
antérieure.
Si nous reprenons le cas de l'usufruit des droits
incorporels personnels, leur jouissance est incomparable avec celle de
l'usufruitier classique. Au demeurant, l'usufruitier n'a pas un droit
réel sur l'objet de son usufruit puisqu'en définitive, il
s'adresse au débiteur pour en retirer son émolument132(*) . L'image majestueuse de
l'usufruitier classique laisse place à celui qui doit passer par
l'intermédiaire d'un débiteur pour que ses droits soient
remplis133(*). A
l'intérieur des droits incorporels personnels, la jouissance n'est pas
toujours unanime. La jouissance de l'usufruitier des créances est
différente de celle d'une rente viagère. Tandis que
l'usufruitier d'une créance n'a droit qu'aux intérêts de
cette créance, le nu-propriétaire restant seul titulaire de cette
créance134(*),
l'usufruitier d'une rente viagère a droit de percevoir les
arrérages de la rente tant que dure l'usufruit, sans être tenu
à ce titre, à aucune restitution. Le constat qui se dégage
est clair : La situation de l'usufruitier est flexible selon qu'il s'agit
d'une créance ou d'une rente viagère. Or, l'usufruit d'une rente
viagère n'est qu'une modalité d'usufruit de créance,
autrement dit, d'usufruit d'un droit personnel. En ce qui concerne l'usufruit
d'une créance proprement dite, la jouissance de son titulaire est
susceptible de le transformer en quasi-usufruitier dès lors que la
créance vient à être exigible alors même que
l'usufruit court. Il ressort d'une vieille jurisprudence135(*), que l'usufruitier dans ce
cas a le devoir sinon l'obligation de procéder au recouvrement de cette
créance. Plus récemment, cette jurisprudence a été
confirmée par la première chambre civile de la Cour de cassation
française136(*).
Quant à l'usufruit des droits incorporels sui
generis, nous prendrons l'exemple de la jouissance des droits sociaux. La
distinction entre l'usus et le fructus est également
problématique. En effet, si l'on comprend que, dans le cas de l'usufruit
des valeurs mobilières (cas des actions), le fructus s'entend du droit
pour l'usufruitier d'en appréhender les fruits, c'est-à-dire les
dividendes générés par ces actions, l'on éprouve
davantage de difficultés à visualiser ce en quoi consiste le
droit d'usage en cette matière. S'il faut admettre que ce dernier
consiste dans le droit d'exercer les prérogatives attachées aux
actions et l'on pense notamment au droit de vote, le fait que l'usufruitier
soit titulaire de ce droit ne conduit-il pas à dénier au
nu-propriétaire tout droit de vote aux assemblées ? Le
problème des prérogatives du nu-propriétaire resurgit ici
encore. La jouissance des droits sociaux est tributaire des clauses
statutaires. On peut voir là, la diversité du droit de
jouissance. Quoi qu'il en soit, la jouissance des droits sociaux reste
originale. Si les statuts confèrent tout le droit de vote à
l'usufruitier, comment le nu-propriétaire pourra t-il exercer son
droit ? Et si les statuts répartissent le droit de vote en fonction
de l'importance des assemblées générales, on peut y voir
une restriction du droit de jouissance exclusive de l'usufruitier. La
jouissance de l'usufruitier dans le Code civil français exclut celle du
nu-propriétaire, lequel vit dans l'espérance qu'il redeviendra
plein propriétaire à l'issue de l'usufruit et, à ce titre,
n'a qu'une nue-propriété.
Ayant un droit de jouissance diversifié, il est
sûr que l'usufruit des droits incorporels ne peut être
appréhendé de façon unitaire ; d'où la perte
de l'identité de cette institution.
B - La perte
de l'identité de l'usufruit
A l'issue de l'analyse de l'usufruit à
l'épreuve des droits incorporels, le principal enseignement qui se
dégage est celui de la perte de l'identité de
l'institution-usufruit. Corollaire de la diversité dans la jouissance
des droits incorporels, cette perte d'identité met en échec la
conception de l'usufruit en tant qu'institution autonome du Code civil. Il
devient un droit à contenu variable et est malléable, ceci en
fonction du contexte et des différentes branches du droit qui
l'abordent. Il est différemment appréhendé selon qu'il
s'agit du droit des sociétés, du droit commercial ou encore du
droit de la propriété intellectuelle. Le droit usufructuaire
reconnaît à l'usufruitier le droit de jouir et lui impose
l'obligation de conserver la chose. Or, lorsqu'il s'agit des droits
incorporels, le mécanisme de l'usufruit se trouve gravement
altéré. L'usufruit perd son identité à deux
niveaux : D'abord au niveau de sa nature même et ensuite et surtout
au niveau de son exercice. En effet, si le Code civil évoquait
dès 1804 le cas de l'usufruit d'un droit personnel en l'occurrence
l'usufruit d'une rente viagère, c'est qu'à cet instant, le
problème de sa nature juridique se posait.
C'est surtout à l'égard des nouveaux
biens que l'usufruit se trouve marginalisé. Ces derniers ont
réussi à faire échapper l'institution de l'emprise de leur
géniteur qu'est le Code civil. Le plus souvent, la jouissance de tels
droits emporte le droit de disposer. Le moyen de défense du
nu-propriétaire qui découle de l'obligation essentielle de
l'usufruitier137(*), va
se fragiliser au contact des principes du droit des sociétés.
L'usufruitier se voit reconnaître les prérogatives d'un
véritable propriétaire. Les schèmes classiques de
l'usufruit se trouvent dégradés, détériorés,
dévisagés et défigurés. En ce qui concerne le droit
des sociétés, la chambre commerciale de la Cour de cassation
française à travers ses derniers arrêts ne voile pas son
intention d'ignorer l'article 578 C.civ., pour s'en tenir exclusivement aux
seules dispositions de l'article 1844 du Code civil alors même que
l'interprétation qu'elle en donne altère le mécanisme de
l'usufruit tel que nous l'avons déjà évoqué. La
question qui se pose est de savoir si à l'analyse de ces
décisions, elle ne conduit pas l'usufruit des droits sociaux à un
régime spécial par rapport à l'institution telle que
déjà construite. En tout cas la réponse est claire s'il
suffisait de la déduire des récentes décisions de la
chambre commerciale de la Cour de cassation française. Au total,
« l'asymétrie est flagrante par rapport à la
situation de l'usufruitier titulaire, lui, d'un droit de vote
irréductible destiné à préserver directement son
fructus »138(*) alors qu'à l'inverse, le droit positif
permet de dépouiller totalement le nu-propriétaire de tout droit
de vote et même de méconnaître ses droits fondamentaux.
Comment ne pas considérer dans ces conditions
que « l'heure est à la défense des droits de
l'usufruitier de parts sociales, y compris sur le fondement de l'article 578
C.civ. lorsque cela lui est favorable, et non à la défense des
droits du nu-propriétaire, à l'aide du même article
578 ? »139(*). Aussi, faut-il se demander si cette situation
ne découle pas du libéralisme des textes organisant la
répartition du droit de vote entre le nu-propriétaire et
l'usufruitier.
L'usufruit des droits incorporels suscite des
inquiétudes. D'énormes incohérences l'accompagnent. Il va
falloir rénover l'institution.
DEUXIEME
PARTIE : LE RENOUVEAU DE L'USUFRUIT
Un rappel des fondamentaux du droit usufructuaire
s'avère indispensable. L'usufruit est un droit réel qui porte sur
la chose corporelle d'autrui140(*). A l'épreuve des droits incorporels, qui
aujourd'hui sont des biens, deux difficultés majeures se posent : d'une
part, l'immatérialité de ces droits qui rend problématique
la nature réelle de l'usufruit dont ils sont l'assiette et d'autre part,
le particularisme de leur droit de jouissance qui altère le
mécanisme classique de l'institution. Ces difficultés font
aujourd'hui plus que jamais de l'usufruit une institution mal définie,
mal organisée avec un régime juridique
hétérogène. L'usufruit devient une institution
désuète et archaïque qui ne peut plus embrasser les
nouvelles formes de richesses. En outre, il se détache du Code civil
avec un contenu variable au gré des différentes disciplines
juridiques qui l'abordent. Devant une telle situation, des voix se sont
élevées et une profonde réforme a été
entamée. Une proposition de réforme du livre ll du Code civil
relatif aux biens en est résultée depuis le printemps
2008141(*) et est en
attente d'adoption. Aussi, le droit positif s'adapte-t-il de plus en plus aux
droits incorporels.
Il ressort que le développement des droits
incorporels entraîne de profondes mutations dans le droit positif
(Chapitre l). Toutefois, une nécessaire
redéfinition de l'usufruit s'impose aujourd'hui afin que l'institution
puisse embrasser aussi bien les biens corporels que les droits incorporels
(Chapitre ll).
Chapitre l :
LE DROIT POSITIF A L'EPREUVE DES DROITS INCORPORELS
Le développement rapide des droits incorporels
s'impose aujourd'hui comme une réalité évidente et une
importante source de richesse. Le droit des biens ne peut dès lors
rester en marge devant ce nouvel environnement. Aussi bien la doctrine que la
jurisprudence consolident-ils l'idée selon laquelle les droits
incorporels sont du domaine du droit des biens. Aussi, l'immense
tempête142(*) qui
souffle depuis quelque temps sur le droit civil français n'a pas
épargné le droit des biens. D'ailleurs, une proposition de
réforme du livre ll du Code civil relatif aux biens a été
présentée le 12 novembre 2008. Un constat se dégage
à la lecture de cette proposition : la reconnaissance des droits
incorporels notamment les droits personnels et les propriétés
incorporelles comme des biens143(*). A ce propos J.- L. Bergel144(*) estime qu'ils
intègrent « comme bien de propriété les
biens incorporels et même les créances, tout en maintenant la
distinction des droits réels et personnels ».
Ceci dit, le droit positif se modèle à
l'épreuve des droits incorporels par l'extension du domaine du droit des
biens (Section l). Cette extension du domaine du droit des
biens contraste avec l'incarnation de la volonté de maintenir la
distinction droits réels-droits personnels (Section
ll). Cette situation n'est pas anodine sur l'usufruit des droits
incorporels puisqu'il est à l'image du droit de
propriété.
Section
l : L'EXTENSION DU DOMAINE DES BIENS
La nouvelle tendance observée de nos jours est la
prise en compte des droits incorporels comme « bien de
propriété »145(*) (Paragraphe 1). En outre, la
summa divisio des droits patrimoniaux est de plus en plus mise en
doute (Paragraphe 2).
Paragraphe l -
L'incorporel pris en compte comme « bien de
propriété »
L'extension du domaine des biens se manifeste par la
reconnaissance de l'incorporel comme bien. Cette reconnaissance est l'oeuvre
aussi bien de la doctrine (A) que de la jurisprudence
(B).
A- La
consécration doctrinale
C'est d'abord la doctrine qui est la première
à reconnaître aux droits incorporels la qualité de bien.
Justement, Demolombe146(*) admettait déjà dans la doctrine
classique les droits incorporels comme des biens à travers la
définition qu'il donnait de ces derniers. Ses idées ont
été reprises et systématisées par S.
Ginossar147(*). La
thèse récente de Ginossar repose sur les idées suivantes :
En matière de droits patrimoniaux, il n'est que des
propriétés d'une part, des créances d'autre part ; ces
dernières constituent d'ailleurs elles-mêmes des cas de
propriété. Le droit de propriété porte
indifféremment sur des éléments corporels ou incorporels.
Les créances sont donc l'objet de propriété, et de ce fait
appartiennent au droit réel. Le droit réel de la
propriété doit se comprendre simplement comme la
propriété des choses corporelles, laquelle, absorbant la
res, se confond avec elle148(*). Cependant, le droit réel disparaît
à son tour pour se fondre en une obligation passive universelle. Il
reclasse les droits réels sur la chose d'autrui (usufruit, servitude,
droit d'usage) dans la catégorie des obligations propter
rem, le titulaire d'un droit sur la chose d'autrui étant
considéré comme le bénéficiaire d'une telle
obligation à la charge du propriétaire ; c'est ce que G.
Cornu149(*) qualifie de
« rebrassage en chaîne des concepts ».
Cette construction doctrinale est de plus en plus
insistante que le législateur a consacré à son tour
l'idée de la propriété des droits incorporels.
Aujourd'hui, on soutient la propriété des
créances150(*).
En effet, la notion de propriété de créance est redevenue
d'actualité sous l'effet de l'utilisation répétée
du concept par le législateur. L'article 1983 C.civ. parle du
« propriétaire d'une rente
viagère », les articles L. 511-34, L.511-35 et L.511-36
du Code de commerce français parlent de
« propriétaire de la lettre de change ».
Les mêmes expressions sont utilisées par le règlement
N° 15/2002/CM/UEMOA151(*) relatif aux systèmes de paiement dans les
Etats membres de l'UEMOA et spécialement sur la lettre de change. Le
problème qui se pose est de savoir s'il s'agit d'une approximation du
langage, sans conséquence juridique, ou bien si le modèle
traditionnel de la propriété n'a pas éclaté.
L'idée de propriété des droits personnels purs se
généralise. Pour rester sur ce terrain, on peut noter que les
forces des prérogatives du commerçant en vue d'obtenir le
renouvellement de son bail a conduit le législateur à qualifier
le droit du commerçant de propriété
commerciale152(*) alors
qu'il est titulaire d'un simple droit personnel contre le propriétaire.
Aujourd'hui, l'expression « propriété
culturale » se répand du fait que la
quasi-perpétuité des droits du preneur à bail rural invite
à un rapprochement avec les prérogatives du propriétaire.
Egalement, la proposition de réforme du droit des biens
intègre-il de son côté «les choses
incorporelles» dans le domaine des biens à son article 520.
Consacrée par la doctrine et
entérinée par le législateur, la propriété
des droits incorporels est également reconnue par la jurisprudence.
B- La
consécration jurisprudentielle
La consécration de la propriété
des droits incorporels par la jurisprudence n'est pas le fruit d'une situation
spontanée. La propriété des droits incorporels a d'abord
été reconnue dans le cadre de la jurisprudence sur les
nationalisations153(*).
L'idée selon laquelle les droits personnels particulièrement
constituent de véritables objets de propriété s'impose
progressivement dans le droit positif, sous l'influence décisive de la
Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Par sa jurisprudence du 09
décembre 1994154(*), la CEDH consacre la propriété des
créances.
L'arrêt a été rendu dans les
circonstances qui suivent. L'Etat grec confie à une entreprise la
construction d'une raffinerie. Alors que celle-ci avait effectué des
investissements pour honorer son marché, l'Etat renonce à
l'opération qu'il estime finalement non conforme à
l'intérêt national. L'entreprise sollicite et obtient
réparation du préjudice que lui cause cette résiliation.
L'Etat grec attaque cette sentence et en obtient l'annulation par la Cour de
cassation grecque sur le fondement d'une loi entre temps votée par le
Parlement grec invalidant les sentences relatives à ce type de contrat.
Saisie par l'entreprise, la CEDH condamne l'Etat grec à verser
l'indemnité accordée à celle-ci sur le fondement de
l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme
garantissant le droit à un procès équitable. Mais la
censure est aussi prononcée sur le fondement de l'article 1er
du premier protocole additionnel à ladite convention155(*) garantissant le droit de
propriété en ce que le législateur a rompu, au
détriment des requérants, l'équilibre devant régner
entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de
l'intérêt général. L'atteinte au droit de
propriété résulte de ce que les intéressés
se trouvent dans l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'une
sentence arbitrale définitive enjoignant à l'Etat de leur verser
certains montants pour les frais qu'ils avaient engagés afin d'honorer
leur contrat. La Cour utilise ce principe pour sanctionner les atteintes
anormales apportées à la propriété. Quelque
respectable que fût l'intérêt de l'économie
nationale, il ne justifiait pas qu'un cocontractant fût privé de
son droit à indemnité.
C'est ce dernier point qui mérite une attention
particulière. La théorie classique présente la
propriété comme une prérogative portant exclusivement sur
les biens corporels. Or, le droit de créance n'est pas un bien corporel.
C'est dire qu'elle correspond de moins en moins aux nécessités de
l'époque contemporaine.
Plus récemment, le Conseil constitutionnel
français156(*) a
consacré à son tour la propriété des
créances dans sa décision en date du 16 juin 2010 relative
à l'entrepreneur individuel à responsabilité
limitée (EIRL). Le Conseil constitutionnel français décide
que l'EIRL ne peut créer un sous-patrimoine affecté à la
garantie des seules créances nées à l'occasion de
l'exercice de son activité professionnelle « qu'à
la condition que les créanciers (dont les droits sont nés
antérieurement au dépôt de la déclaration
d'affectation du patrimoine) soient personnellement informés de la
déclaration d'affectation et de leur droit de former
opposition ». Cette condition se fonde selon le Conseil
constitutionnel français sur la subordination de l'absence
d' « atteinte aux conditions d'exercice du droit de
propriété des créanciers, garanti par les articles 2 et
4157(*) de la
Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de
1789 ». La décision réaffirme nettement la
qualité de choses appropriées des créances. Sous ce
dernier rapport, la CEDH avait déjà consacré la notion de
propriété incorporelle en faisant application de l'article
1er du premier protocole aux clientèles158(*).
La jurisprudence a également
considéré que les porteurs de droits sociaux sont des
propriétaires justiciables des garanties fondamentales protégeant
les personnes contre l'expropriation159(*). A travers la jurisprudence contemporaine, le
constat révèle que le droit des biens englobe le droit des
obligations dans la mesure où les droits personnels sont devenus
aujourd'hui des biens. La proposition de réforme du droit des biens
affirme de façon sans équivoque l'intégration de
l'incorporel dans le champ du droit des biens. Au demeurant, il ressort des
analyses antécédentes que le domaine de l'immatériel est
de nos jours la principale source de richesse et sa méconnaissance comme
telle serait surprenante. La richesse a dépassé le statique droit
de la terre pour devenir un droit de plus en plus immatériel, dynamique
et mouvant. Le cas des droits sociaux est plus qu'expressif.
La reconnaissance des droits incorporels comme bien a une
incidence évidente sur la division principale des droits patrimoniaux.
Cette dernière est de plus en plus mise en doute dans la doctrine
contemporaine.
Paragraphe ll -
La mise en doute de la summa divisio des droits patrimoniaux
La division traditionnelle droits
réels-droits personnels est de plus en plus critiquée dans le
droit positif et particulièrement dans la doctrine (A).
De plus, des approches d'unification dans un sens ou dans un autre sont de plus
en plus insistantes (B).
A- La
distinction de plus en plus critiquée
La distinction classique droits réels-droits
personnels a fait l'objet de vives critiques dans la doctrine française
malgré « ses qualités
techniques »160(*) indubitables. Certaines des réflexions
ont convergé vers le renouvellement de la distinction.
Le premier constat de la distinction classique est
qu'elle n'embrasse pas tous les droits patrimoniaux. Conséquemment, les
premières critiques sont relatives à son manque
d'exhaustivité en ce sens qu'elle ne constitue pas une summa
divisio en la matière. Elle n'est plus adaptée aux
données du droit positif, car certaines catégories ne peuvent ni
être rangées dans la catégorie des droits réels ni
dans celle des droits personnels en raison de leur spécificité.
L'exemple le plus récurrent est celui des droits intellectuels. Ils ne
présentent ni les caractères des droits réels, ni ceux des
droits personnels. Ils ne sont pas des droits réels parce que leur
titulaire n'est investi que d'un privilège exclusif d'une exploitation
temporaire. La Cour de cassation française en ce qui concerne les
droits d'auteurs déclarait que le monopole « qu'ils
confèrent sont désignés, à tort, soit dans le
langage usuel, soit dans le langage juridique, sous le nom de
propriété ; que, loin de constituer une
propriété comme celle que le Code civil a définie et
organisée pour les biens meubles et immeubles, ils donnent seulement
à ceux qui en sont investis le privilège exclusif d'une
exploitation temporaire »161(*). De son côté, le doyen
Roubier162(*)
écrivait que « le droit d'auteur n'atteint pas un
objet stable et défini, mais une production à venir et
indéfinie. C'est un droit en mouvement, de la fortune en formation et
non de la fortune acquise. Tandis que la propriété et la
créance se classent dans la statique juridique, les droits de
clientèle se classent dans la dynamique juridique. »
Aussi, portent-ils sur des choses incorporelles, avec un caractère
temporaire et ont un lien avec la personnalité. Le droit moral de
l'auteur d'une oeuvre en est l'illustration parfaite. Ils ne sont non plus des
droits personnels parce qu'ils sont opposables à tous. Ces droits sont
réglementés par des lois spéciales.
Ensuite et selon F. Hage-Chanine163(*), outre le fait que ces
catégories ne sont ni des droits réels ni des droits personnels,
certaines au contraire présentent à la fois les caractères
du droit réel et du droit personnel comme le droit du preneur à
bail de faire valoir son droit contre l'acquéreur de l'immeuble
loué ou le droit du créancier hypothécaire de poursuivre
le tiers acquéreur de l'immeuble hypothéqué ou encore le
droit de rétention.
Les bases de la distinction classique ne sont donc pas aussi solides qu'elles
le laissent penser. La doctrine a même été amenée
à dire qu'elle reposait sur des bases fausses. Les principaux traits du
droit réel à savoir le droit de suite et le droit de
préférence ne sont pas toujours des critères satisfaisants
qui le distinguent du droit personnel. En ce qui concerne le droit de suite, il
n'est pas propre aux droits réels. Lorsqu'une chose louée est
aliénée, le locataire peut faire valoir son droit à
l'encontre de l'acquéreur selon l'exemple cité plus haut. Dans la
mesure où le locataire suit la chose en quelque patrimoine qu'elle se
trouve pour y exercer son droit, on pourrait y voir l'équivalent du
droit de suite. Il en est de même du dépositaire ou de
l'emprunteur. Aussi, le droit de suite n'existe-t-il que pour les droits
réels sur la chose d'autrui. On ne peut parler de droit de suite en ce
qui concerne le propriétaire. Pour ce qui est du droit de
préférence, il est attaché à la qualité de
créance, donc d'un droit personnel puisqu'il permet à son
titulaire d'être payé par préférence aux autres
créanciers du débiteur. Pour C. Larroumet164(*), c'est une évidence
et le droit réel n'a rien à voir avec le droit de
préférence. Celui qui a un droit doit être
préféré à celui qui n'est pas titulaire d'un tel
droit, quelle que soit la nature de ce droit, personnel ou réel.
En somme, il est une réalité que la
distinction droits réels-droits personnels domine tout le droit du
patrimoine. Toutefois, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est fortement
critiquée. Si un pan des critiques a tourné vers le
renouvellement de la distinction, l'autre a tenté une approche beaucoup
plus unificatrice mais ceci dans deux directions diamétralement
opposées. Un premier courant doctrinal ramène le droit
réel au droit personnel tandis que le second soutient le
phénomène inverse.
B- Les
approches d'une unification
Un autre pan de la critique relatif à la
distinction des droits réels et des droits personnels a convergé
vers une approche unifiée de ces derniers. Deux doctrines se sont
farouchement opposées : il s'agit d'une part, de la thèse
personnaliste qui, soutient que le droit réel est partie du droit
personnel et d'autre part de la thèse objectiviste qui, de son
côté, soutient que le droit réel englobe le droit
personnel.
Le courant personnaliste165(*) a démontré que
le droit réel se ramène au droit personnel. D'abord, ce courant
soutient que le rapport entre une personne et une chose n'est pas un droit mais
un pur fait, comme la possession. Le droit réel est un rapport de droit
entre deux personnes comme le droit personnel ; et non pas un droit direct et
immédiat sur une chose, sans l'intermédiaire d'autrui. Comme le
droit personnel, le droit réel est donc un rapport interpersonnel qui
s'exerce contre un sujet passif. La différence résiderait dans la
détermination de ce sujet qui, est déterminé s'agissant du
droit de créance alors qu'il est indéterminé en ce qui
concerne le droit réel et représente toute l'humanité sauf
le titulaire du droit. Les droits personnel et réel sont des
obligations, le premier est une obligation individuelle, le second correspond
à une obligation passive universelle. De la sorte et de façon
schématique, le créancier est le propriétaire dans un
droit réel comme le droit de propriété ; le ou les
sujets passifs, l'ensemble du groupe tenu de respecter le droit du
propriétaire ; la chose, l'objet de l'obligation. Il y a donc une
obligation qui est la contrepartie du droit.
La thèse personnaliste a fait à son tour
l'objet de critiques bien qu'elle ait connu un certain succès. La
personnalisation du droit réel a péché dans la confusion
entre obligation et opposabilité. Le sujet passif du droit réel
n'est tenu à aucune obligation sinon celle de respecter le droit du
propriétaire ce qui relève plutôt de l'opposabilité
que de l'obligation. Aussi, cette obligation passive universelle est-elle
également présente dans le droit personnel, car le contrat dit-on
est opposable aux tiers. Enfin, la différence entre le droit personnel
et le droit réel n'est pas une simple différence de degré
mais de nature. C'est pour ces raisons que J. Chevallier166(*) écrit
que : « Planiol n'entendait pas bannir la distinction
des droits réels et des droits de créances. Il proposait
seulement une définition nouvelle du droit
réel ».
En réaction à cette thèse, les
objectivistes167(*)
soutiennent que la personne du débiteur est indifférente.
L'obligation n'est pas un rapport entre deux personnes mais plutôt un
rapport entre deux patrimoines, élément objectif de l'actif du
patrimoine. L'engagement du débiteur se traduit dans le patrimoine du
créancier par une valeur économique, un bien, et est susceptible
de transfert. Le droit de créance est de ce fait un droit sur les
choses. La seule différence se trouve dans le fait que le droit de
créance au lieu de porter sur un bien déterminé porte
plutôt sur tout un patrimoine. De la sorte, le droit personnel serait un
droit réel indéterminé quant à l'objet.
Le reproche à cette thèse se trouve dans le
fait qu'il est impossible de
« dépersonnaliser » le droit personnel. Le
bien qu'est la créance ne l'est que par rapport à la personne du
débiteur alors que le propriétaire jouit de son droit,
abstraction faite de la solvabilité ou de l'insolvabilité des
tiers tenus au respect de son droit. La situation du créancier est de ce
fait tributaire de la solvabilité et de la moralité du
débiteur168(*).
Ce constat amène à dire que le droit réel se distingue du
droit personnel169(*).
Finalement, les thèses visant à nier la
distinction des droits réels et des droits personnels ont
échoué non pas parce que la distinction est intangible et sans
failles, mais parce qu'elles ne sont pas parvenues à proposer une
classification nouvelle satisfaisante des droits patrimoniaux. Il reste que la
distinction classique droits réels-droits personnels a
survécu.
Section
ll : LA SURVIVANCE DE LA DISTINCTION DROITS REELS-DROITS PERSONNELS
Bien que la summa divisio des droits
patrimoniaux ait fait l'objet de vives controverses en doctrine, elle demeure
la seule valable aujourd'hui. Son maintien entraîne la résurgence
du problème de la nature juridique de l'usufruit des droits incorporels
tant elle renouvelle le débat à l'aune de l'admission progressive
des droits incorporels comme bien (Paragraphe l). En outre,
on assiste de nos jours au déplacement des problèmes de
l'usufruit des droits incorporels sur le terrain jurisprudentiel où les
décisions sont plus qu'instables (Paragraphe ll).
Paragraphe l -
La résurgence du problème de la nature juridique de l'usufruit
des droits incorporels
La résurgence du problème de la
qualification juridique de l'usufruit des droits incorporels est
justifiée par l'affirmation de sa nature réelle. Ce
problème trouve sa cause dans l'ancrage du critère physique de la
division des biens (A). Le renouvellement du débat de
l'usufruit à l'épreuve des droits incorporels n'en est que le
corollaire (B).
A- L'ancrage
du critère physique de la summa divisio des biens
La division des choses corporelles-des choses
incorporelles n'a jusqu'à nos jours aucune base légale. Cette
situation peut trouver une explication par le fait que dans la rédaction
du Code civil de 1804, les choses incorporelles, étaient
ignorées, car, elles n'avaient pas encore l'importance qu'elles ont
acquise depuis. La distinction est restée depuis lors une construction
doctrinale, le législateur étant resté muet sur la
question. Toutefois, la première commission de réforme du Code
civil proposait en sa séance du 22 mai 1947170(*) d'en faire une summa
divisio en biens corporels et biens incorporels ; la division
meubles-immeubles restant conservée pour ne s'appliquer qu'aux biens
corporels171(*). La
proposition de réforme de l'association H. Capitant relative aux biens
n'a pas érigé la distinction en summa divisio de
façon explicite comme le proposait la commission en 1947. Cependant,
elle a, tout de même, dans sa définition des biens, mis en exergue
les choses corporelles et les choses incorporelles. C'est dire que même
si elle n'en fait pas une summa divisio, la proposition ne nie pas
l'existence des biens immatériels comme une catégorie distincte
des biens corporels. Une chose est sûre, c'est que les droits incorporels
sont admis comme éléments potentiel du patrimoine. En effet,
l'article 520 de la proposition se retrouve sous le titre l
intitulé « Du patrimoine et des biens qui le
composent ». La proposition reprend la classification doctrinale
des droits incorporels qui les classe dans la catégorie des meubles. Ce
qui est une fiction, car un droit immatériel ne peut se trouver dans une
classification dont le critère est physique. Nous pensons que cette
réserve constitue véritablement une faiblesse. Elle constitue une
faiblesse d'abord parce que l'article 526 de la proposition de réforme
dispose que tous les biens sont meubles ou immeubles selon les distinctions
suivantes. Or, la tradition juridique classique en faisant cette distinction,
tenait spécifiquement compte des choses corporelles. Le critère
physique étant l'essence des biens corporels, les droits incorporels y
étaient exclus. En reconnaissant les droits incorporels comme biens, le
critère physique ne saurait logiquement être retenu pour servir de
base à la summa divisio. Si ce critère demeure,
l'explication peut se trouver dans le fait que la proposition n'aurait pas
définitivement coupé les ponts avec la conception classique du
droit français sur la classification des biens. La preuve patente,
c'est la réaffirmation de la nature réelle de l'usufruit. Cette
réaffirmation renouvelle le débat de la nature de l'usufruit des
droits incorporels.
B- Le
renouvellement du débat
La consécration de la nature réelle de
l'usufruit découle explicitement de l'article 575 alinéa 1 de la
proposition de réforme du livre ll relatif aux biens et aux termes
duquel : « l'usufruit est le droit
réel d'user et de jouir d'un bien appartenant à un autre,
à charge d'en conserver la substance. »
Cette consécration vient renouveler le
débat devenu classique sur la nature de l'usufruit des droits
incorporels. En effet, si la proposition maintient la distinction droits
réels-droits personnels, il semble illogique d'affirmer le
caractère réel de l'usufruit et ceci d'une manière
péremptoire. Le débat devient plus vif et trouve désormais
son fondement sur des textes dans la mesure où la nature réelle
de l'usufruit est jusqu'à ce jour une déduction de la doctrine.
Pour les biens corporels, cette nature se justifie aisément. Mais pour
les droits incorporels, on conçoit difficilement comment le titulaire
d'un tel usufruit, pourrait exercer son emprise sur l'objet du droit qui, par
hypothèse, ne tombe pas sous le sens. C'est tout le problème de
l'inadaptation de l'usufruit aux droits incorporels qui resurgit avec toutefois
la différence que ces droits sont aujourd'hui reconnus comme des biens.
Mais alors, c'est justement en les reconnaissant que le problème devient
poignant avec le maintien de la distinction. Comment le titulaire de l'usufruit
des droits incorporels peut-il exercer son emprise sur l'objet de son usufruit
? Le mutisme de la proposition de réforme du Livre ll du Code civil
à cet imbroglio est-il le signe patent d'une impuissance. J- L.
Bergel172(*) se rend
bien compte de l'incohérence. Il semble, à notre avis, qu'il y a
un problème que la proposition élude et qui résulte de la
difficile conciliation entre l'intégration des droits incorporels dans
la catégorie des biens et le maintien de la distinction droit des
biens-droits des obligations. Le droit réel est l'objet du droit des
biens alors que le droit personnel est celui du droit des obligations.
Une certaine doctrine173(*) tente d'expliquer, s'agissant de l'usufruit des
créances que le droit de l'usufruitier n'est pas une quote-part de la
créance, mais un droit réel sur la créance de sorte qu'en
vertu du droit réel, ce dernier retire certaines utilités de la
créance. Toutefois, elle convient que c'est uniquement au
débiteur que l'usufruitier s'adresse pour toucher son droit. Autrement
dit, l'usufruit des créances est relatif ; ce qui contraste avec la
définition du droit réel.
En tout état de cause, le constat est à
l'impuissance des auteurs face à cette énigme. Les plus
réalistes174(*)
estiment que l'usufruit est tantôt un droit réel tantôt un
droit personnel. Cette position est soutenable. L'usufruit aurait donc un
régime dual en fonction de l'objet sur lequel il porte. Il faudra donc
essayer de théoriser cette position.
Certains auteurs175(*) estiment, en l'occurrence en matière de
droits sociaux, qu'il faut reconnaître à l'usufruitier un double
statut : un statut réel tout d'abord, qui, en parfaite orthodoxie
avec les lois civiles, accorde à l'usufruitier les prérogatives
de jouissance des droits sociaux ; un statut personnel ensuite, qui
l'investissant de la qualité d'associé, permet de donner à
l'institution une assise solide traduisant juridiquement la place qui est
aujourd'hui accordée à l'usufruitier au sein des
sociétés. En tout état de cause, cette solution n'embrasse
guère toutes les situations d'usufruits des droits incorporels. Le
régime de l'usufruit des droits sociaux va être différent
de celui des autres types d'usufruit puisque le droit de jouissance de droits
incorporels est lui aussi diversifié. Aussi et surtout, c'est sur le
terrain jurisprudentiel que les conflits entre propriétaires et
usufruitiers sont encore patents.
Paragraphe ll -
Les problèmes jurisprudentiels de l'usufruit des droits incorporels
L'usufruit des droits incorporels a fait l'objet de
multiples décisions surtout en ce qui concerne les diverses
variétés des droits de créance et les décisions
récentes en ce qui concernent les droits sociaux. Les droits de
propriété intellectuelle ne font pas l'objet de décisions
soutenues aussi bien en droit français que dans nos systèmes
juridiques. La plupart des décisions sont rendues ex aequo et
bono (A). En présence des textes, il arrive
même que les décisions rendues soient inconstantes
(B).
A- Les
décisions rendues ex aequo et bono
Le Code civil n'indique pas comment se réalise la
constitution d'usufruit sur une créance. Or, le problème qui se
pose est de savoir si, le droit de créance, objet particulier de
constitution d'usufruit, doit obéir aux règles
édictées pour l'usufruit des choses corporelles. La carence de la
législation en ce qui concerne les droits incorporels, notamment les
droits personnels a poussé les juges à rendre des
décisions en équité. Un arrêt relativement
récent nous en donne l'illustration. Il s'agit en l'espèce de
l'usufruit d'une sous-location. L'arrêt a été rendu par la
chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 avril 1974176(*). Les faits de
l'espèce sont les suivants. En 1931, les Hospices civils de la ville de
Nice consentent au sieur Bensa un bail sur un ensemble immobilier, à
charge pour le locataire d'y édifier des constructions devant revenir
sans indemnité au bailleur à l'expiration du contrat. Le bail est
conclu pour une durée de 50ans. En 1943, Bensa loue ces constructions au
sieur Couverchel, lequel consent à son tour diverses sous-locations.
Couverchel décède en 1964 laissant sa veuve donataire en usufruit
de la totalité de ses biens, la nue-propriété revenant
à Gilbert, héritier par sang. C'est donc le calcul des droits de
succession qui donne lieu à un litige. Pour l'usufruitière,
dès lors que l'usufruit porte aussi bien sur les droits réels que
sur les droits personnels, son évaluation ne saurait être
différente, autrement dit, c'est l'article 762 alinéa 2177(*) du Code
général des impôts qui prévoit une méthode
d'évaluation des usufruits temporaires qui doit être
appliqué. Aussi bien le tribunal de grande instance de Nice que la
chambre commerciale de la Cour de cassation française donnent acte
à l'argument de l'usufruitière selon lequel il n'y a pas de
différence de nature entre l'usufruit d'un droit réel et
l'usufruit d'un droit personnel. Mais les différentes juridictions
déboutent cette dernière en tenant compte de la
particularité de la jouissance de l'usufruit d'une sous-location.
L'usufruit d'une sous-location étant toute autre chose qu'un simple
usufruit, les règles concernant l'évaluation des droits de
succession étaient tout autant particulier. Ici, l'usufruit porte sur un
droit temporaire et de surcroît épuise la substance du bien au fur
et à mesure qu'il avance. Ayant donc tous les droits et tous les
avantages, l'usufruitière devra supporter la totalité des droits
de succession, comme si elle avait reçu la succession en pleine
propriété. Cette décision rendue ex aequo et bono
fait sans doute de l'usufruit d'une sous-location, une application
particulière, sinon autonome des règles qui régissent
l'institution puisque les juges ne se fondent ni sur les règles de
l'usufruit du Code civil ni sur les règles prévues par le Code
général des impôts.
C'est également à la faveur d'une
jurisprudence rendue sans véritable fondement textuel, sinon rendue
seulement en considération de l'équité que le
régime de l'usufruit d'obligation à primes et lots a
été dégagé. C'est un vieil arrêt qui remonte
au 14 mars 1877178(*).
Dans le silence des textes, la question se posait en l'espèce de savoir
quels étaient les droits respectifs de l'usufruitier et du
nu-propriétaire sur le lot ou la prime attribués à une
obligation grevée d'usufruit. La prime et le lot représentent une
portion d'intérêts, qui, au lieu d'être distribués
périodiquement, sont mis en réserve, capitalisés, pour
être payés en une fois, soit à chaque porteur d'obligation
lors de l'amortissement du titre (il s'agit alors de la prime), soit à
quelques-uns désignés par tirage au sort (il s'agit du lot).
Dès lors, la prime et le lot, ne sont-ils pas un complément
d'intérêts, par suite, un fruit ? Non, décide la
chambre des Requêtes en ces termes : « La prime
forme un surcroît de capital qui appartient au nu-propriétaire de
l'obligation, et dont la jouissance seule peut être
réclamée par l'usufruitier ». Pour la Cour de
cassation française, les fruits capitalisés cessent d'être
des fruits et deviennent un capital. La capitalisation résulte donc d'un
aménagement donné aux titres par la société,
accepté par le souscripteur et qui, par conséquent, s'impose
à l'usufruitier. La prime ou le lot participe à la nature du
capital et fait corps avec lui car, étant une modalité de
remboursement du capital. En vertu de son droit, l'usufruitier exercera son
emprise sur la somme ; un droit de quasi-usufruit.
Le problème des décisions ex aequo et
bono va se reporter dans le cas de constitution d'usufruits sur les droits
de brevet en droit français puisqu'aucune disposition ne prévoit
jusqu'alors ce type d'usufruit. En ce qui concerne le droit africain, l'Accord
de Bangui révisé étant muet sur l'usufruit des droits de
propriété intellectuelle, il est clair que ce sera en
considération de l'équité que le juge rendra sa
décision si l'occasion lui était donnée d'être
saisi. Quoi qu'opportunes, ces décisions peuvent entraîner une
certaine inconstance de la jurisprudence. Les juges peuvent rendre deux
décisions différentes à un cas similaire, ce qui n'est
guère un gage de sécurité juridique. Dans une large mesure
toutefois, l'inconstance de la jurisprudence est plutôt le fait de la
nature même des droits incorporels.
B -
L'inconstance de la jurisprudence sur l'usufruit des droits incorporels
La jurisprudence en matière d'usufruit des droits
incorporels est très incertaine surtout en ce qui concerne les droits
sociaux. L'inconstance de la jurisprudence est due tantôt à
l'application des règles du droit commun de l'usufruit, tantôt
à l'application des textes spéciaux du droit des
sociétés. L'application alternative du droit commun ou du droit
spécial dépend de celui de l'usufruitier ou du
nu-propriétaire que le juge veut protéger. Toutefois, la
protection de l'un des protagonistes dépend surtout de
l'interprétation que les juges font des textes. Le plus souvent, le plus
décisif, c'est ce que les juges entendent des articles 578 et 1844 du
Code civil. Depuis l'arrêt remarqué de la chambre commerciale de
la Cour de cassation du 12 novembre 1998, la jurisprudence n'a cessé de
surprendre par son instabilité. Les circonstances de cet arrêt
méritent d'être analysées. Au décès d'un
père de famille, la veuve est légataire de l'usufruit de
l'universalité des biens de la succession. Trois enfants mineurs sont
coïndivisaires chacun pour la nue-propriété. La succession
comportait un important portefeuille de valeurs mobilières. Près
de trente ans plus tard, l'un des enfants demande le partage. En ce qui
concerne le portefeuille, des aliénations étaient survenues dans
l'intervalle. Le demandeur cherche à connaître les mouvements
enregistrés afin d'en connaître la valeur exacte. Il sollicite
à cet effet une expertise. La Cour d'Appel reconnaît que la veuve
était titulaire d'un usufruit non d'un quasi-usufruit. Elle
décide toutefois que la demande doit être rejetée parce que
les portefeuilles de valeurs « constituent une
universalité qui est fongible et appartient à celui qui les
détient » et c'est à la fin de son usufruit que le
titulaire de celui-ci devra justifier que la substance a été
conservée. C'est cet arrêt qui a fait l'objet d'un pourvoi. La
première chambre civile de la Cour de cassation française casse
l'arrêt en ce que si l'usufruitier d'un portefeuille a le pouvoir de
« gérer cette universalité en cédant des
titres dans la mesure où ils sont remplacés », il
est tenu « d'en conserver la substance et de le
rendre ». Cette solution avait, en général,
été approuvée dans la mesure où elle faisait une
juste application de l'usufruit de l'article 578 C.civ. En outre, elle visait
la protection du nu-propriétaire.
Plus tard, dans un arrêt Hénaux en
date du 31 mars 2004179(*), la Cour de cassation française en sa chambre
commerciale annulait une clause statutaire qui avait pour effet de priver
l'usufruitier de son droit de vote car, cette situation subordonnait à
la seule volonté des nus-propriétaires le droit d'user de la
chose grevée d'usufruit. Par cette décision, la Cour était
intervenue dans une affaire relative à une société en
commandite par actions dont les statuts, usant de la liberté offerte par
l'article L. 225-110 du Code de commerce français, avait choisi
d'attribuer au nu-propriétaire d'actions
démembrées « le droit de vote aux
assemblées tant ordinaires qu'extraordinaires ou
spéciales ». Cette clause est annulée par la Cour
d'appel de Douai. La Cour de cassation française rejette le pourvoi
formé contre l'arrêt d'Appel pour les motifs tirés du
régime général de l'usufruit et pour la protection du
droit aux fruits de l'usufruitier. La stabilité relative de la
jurisprudence de la Cour de cassation française a été
rompue par son récent arrêt du 02 décembre 2008180(*). Les juges auraient pu
suivre le raisonnement de l'arrêt 2004, mais ceci a contrario. En
transposant la solution de l'arrêt Hénaux, la Cour de
cassation française aurait annulé la clause litigieuse privant le
nu-propriétaire de son droit de vote car, « en ne
permettant pas au nu-propriétaire de voter les décisions
concernant la substance, (elle) subordonnait à la seule volonté
de l'usufruitier le droit de conserver la substance de la chose grevée
d'usufruit »181(*).
En tout état de cause, il se dégage une
tendance à la protection de l'usufruitier dans son conflit avec le
nu-propriétaire. Et d'ailleurs, certains imminents commercialistes ont
soutenu une répartition des biens entre les différentes branches
du droit. Les immeubles et la majorité des meubles corporels sont
laissés au droit civil alors que les droits incorporels sont un domaine
exclusif, sinon la chasse gardée du droit commercial182(*).
En somme, la jurisprudence récente est
résolument très protectrice de l'usufruitier. Elle fait une
application spéciale de l'usufruit des droits incorporels. Cette
protection peut se justifier par le fait que, c'est le plus souvent
l'usufruitier qui a la gestion du bien. Malheureusement, le problème
doctrinal de l'usufruit des droits incorporels demeure. La solution au
problème de l'usufruit des droits incorporels passe
nécessairement par la redéfinition de l'institution.
Chapitre ll
- LA NECESSAIRE REDEFINITION DE L'USUFRUIT
Le maintien par le droit positif
français et par la proposition de réforme du livre II du Code
civil relatif aux biens, de la nature réelle de l'usufruit183(*), constitue un sérieux
handicap lorsque l'institution a pour assiette les droits incorporels. Il va
sans dire que le problème de l'usufruit des droits incorporels n'est pas
définitivement tranché.
Certains auteurs ont soutenu que tous les
problèmes liés aux droits incorporels trouvaient leur source dans
la mauvaise lecture du Code civil soit dans son article 578184(*) , soit dans l'errance
du contexte dans lequel la codification a eu lieu185(*). C'est ainsi qu'ils
proposent soit de relire son article 578 s'agissant spécialement de
l'usufruit, soit de revisiter le Code civil. Cette vision est louable mais ne
règle pas toutes les difficultés. C'est pour cette raison qu'une
autre doctrine186(*)
propose que la solution à cette embarrassante question puisse se trouver
dans la remise en cause de la base de distinction droits réels-droits
personnels. En effet, si une solution peut venir de la relecture du Code civil,
elle redevient fragile si la distinction est maintenue (Section
l). Ceci conduit à réorienter la recherche d'une
solution pertinente vers une nouvelle piste. La solution définitive
à ce problème se concevrait par une considération nouvelle
de l'usufruit soit d'une façon radicale, soit plus sagement d'une
manière intermédiaire (Section ll).
Section
l : LA NECESSITE DE RELIRE LE CODE CIVIL
Le problème de l'usufruit des droits incorporels
trouve sa solution dans la relecture minutieuse du Code civil. E. Dockès
et F. Zénati-Castaing soutiennent respectivement que les
difficultés que revêt l'usufruit appliqué aux droits
incorporels sont dues soit à une mauvaise lecture de l'article 578 du
Code civil, soit à la mauvaise compréhension du contexte qui
prévalait à la codification. La relecture de l'article 578 C.civ.
d'une part (Paragraphe l) et la rénovation de la
théorie de la propriété, d'autre part (Paragraphe
ll), sont deux approches qui ont tenté de résoudre les
problèmes inhérents à l'usufruit des droits
incorporels.
Paragraphe l -
La relecture de l'article 578 du Code civil.
La relecture de l'article 578 C.civ. vise
expressément le terme « substance ». Le
terme substance a deux sens187(*) possibles. Le premier, finaliste, vise la
destination du bien, objet d'usufruit. Le second, matériel,
désigne la matière ou la forme concrète du bien. Un
courant doctrinal s'est demandé si le second sens n'était
« qu'une illusion d'optique »188(*). Ainsi, verrons-nous
que l'éviction du critère matériel de la substance
(A) tout en retenant le critère finaliste
(B) peut constituer une ébauche de solution au
problème de l'usufruit des droits incorporels.
A-
L'éviction du critère matériel de la substance
Selon le vocabulaire juridique de l'association H.
Capitant, le sens matériel du terme
« substance » désigne la composition
physico-chimique d'une chose, sa matière. La substance vise simplement
le bien, dans son immédiateté concrète. Elle ne vise ni
ses qualités, ni sa forme, ni a fortiori sa destination, mais
simplement son existence. Si telle est la définition de la substance au
sens de l'article 578 du Code civil, la conservation de la substance est donc
à relativiser. En effet, si tant est que l'usufruitier a le droit de
jouir de la chose à charge pour lui de conserver la matière est
le sens de l'article 578 C.civ., l'on sera amené à s'interroger
sur l'essence même du droit usufructuaire. Le droit d'usufruit ne
serait-il pas atteint d'un vice congénital à sa définition
même ? Cette compréhension ne risque- t-elle pas de
déboucher sur une aporie dont la source se retrouve dans la
définition même de l'usufruit ? En réalité,
quelle que soit la substance d'une chose, elle s'épuise par son usage.
Si la substance du bien ne s'épuise pas de façon brutale, elle
subit un épuisement avec le temps de toute façon. Il suffit de
prendre l'exemple de la culture intensive des sols. Ce seul fait les
épuise. Les arbres fruitiers vieillissent, les appartements se
dégradent normalement. On peut accepter que de telles altérations
de la substance matérielle soient considérées comme
insignifiantes et par conséquent négligées. Pour autant,
le Code civil nous offre par ailleurs les cas d'altérations
considérables : les arrérages des rentes viagères.
Ils épuisent totalement le capital, objet de rente. Egalement, les
pierres et mines extraites d'une carrière sont autant de
prélèvements faits aux dépens de la matière du bien
grevé. Malgré cela, elles méritent parfois la
qualification de fruits. C'est dire qu'il est de nombreux biens qui
méritent la qualification de fruits malgré l'altération
qu'ils provoquent sur la consistance concrète du bien producteur. Se
référant au sens matériel, J-F. Pillebout189(*) va même jusqu'à
dire que « tirer les revenus d'un bien, c'est, presque
toujours, peu ou prou, en modifier la substance ».
Toutes ces analyses amènent à dénier
à la substance le critère matériel. Et pour E.
Dockès, le critère finaliste paraît le mieux adapté
à la définition donnée par l'article 578 C.civ. Il
convient de l'analyser.
B-
L'admission du critère finaliste de la substance
Le terme « substance »
mérite d'être analysé dans son histoire. La substance,
c'est ce qui individualise une chose, qui la définit. C'est l'essence de
la chose. Dans la philosophie d'Aristote,
« substantia » est ce qui fait qu'une chose est ce
qu'elle est. La chose est toujours soumise au changement, mais elle demeure ce
qu'elle est. Conséquemment, même si la matière qui la
compose subit des altérations ou des dégradations, cette
dernière est sauvegardée à partir du moment où sa
finalité est respectée. Baudry-Lacantinerie190(*) avait parfaitement
perçu, en matière d'usufruit, le sens originel du mot
« substance » lorsqu'il soutenait
que « le législateur entend ici par substance
l'ensemble des qualités constitutives de la chose c'est-à-dire
des qualités qui la distinguent des autres, et en l'absence desquelles
elle ne mériterait plus de porter le nom substantif qui la
désigne. »
Au demeurant, tout usage altère d'une manière ou
d'une autre la substance de la chose. Il paraît évident que le
Code civil ne puisse commettre l'erreur de la consécration du
critère matérialiste. Sinon, on s'aperçoit qu'à
chaque fois que la consistance concrète du bien est
altérée, conformément à sa destination, à
son affectation, la qualification de fruit est retenue pourvu que les autres
éléments de définition existent. Le cas de l'usufruit des
arbres de haute futaie en est une illustration parfaite. Ces arbres sont
qualifiés de fruits par l'article 588 C.civ. alors qu'ils ne peuvent
être coupés sans que la consistance concrète du bien
grevé soit affectée parce que l'usufruitier respecte justement la
destination de la forêt grevée. L'usufruitier est donc contraint
à gérer la chose conformément à sa finalité
naturelle ou conventionnelle. Il ne peut changer la destination
c'est-à-dire la manière d'être, mais doit se
référer dans la gestion aux habitudes du propriétaire, qui
sont censées révéler la finalité de la chose. La
Cour de cassation191(*)
française admet traditionnellement que le changement de destination
constitue une atteinte justifiant une action fondée sur l'abus de
jouissance.
La destination comme critère de la substance
trouve également son fondement dans le Code civil. En effet, l'article
589 du Code civil192(*)
admet même expressément que l'usage peut détériorer
progressivement le bien grevé et que seul importe, le respect de sa
destination. En réalité, ce critère mérite
davantage d'être généralisé car tout usage a
toujours un impact sur le bien.
La jurisprudence fait également très
souvent application de ce critère finaliste. C'est dans cette
perspective, s'agissant des valeurs mobilières, que la Cour de cassation
française193(*) a
estimé qu'elles « ne sont pas consomptibles par le premier
usage ». En matière de titre, la consomptibilité
est civile et s'entend de l'aliénation. Il ressort donc que les
considérer ainsi, reviendrait à dire qu'elles n'ont d'autres
finalités que d'être vendues. Ce serait aller vite en besogne que
de réduire à la négociation, les valeurs
mobilières. Bien avant, elle affirmait qu'un usufruitier ne peut
permettre au locataire de transformer des locaux d'habitation en locaux
commerciaux, car un tel changement de
« destination » serait « une
altération de la substance » du bien
grevé194(*).
La substance entendue comme destination, telle est la
position défendue par E. Dockès. De la sorte, l'article 578
C.civ. doit être compris comme le droit de jouir de l'ensemble des
utilités du bien, à charge pour l'usufruitier d'en conserver la
destination. L'usufruit retrouve ainsi son unité perdue et l'usufruitier
apparaît comme le bénéficiaire des utilités du bien,
le nu-propriétaire restant le gardien dudit bien.
L'on s'aperçoit finalement qu'autour d'une
définition de la substance comme pure destination, comme simple
affectation du bien, se dessine une notion d'usufruit unitaire
réintégrant en son sein l'usufruit des créances, des
droits sociaux, des brevets, et même jusqu'au quasi-usufruit des biens
consomptibles. Ainsi défini, l'usufruit pourra avoir pour assiette
n'importe quel bien. Mais le problème est loin d'être
résolu. Cette définition ne fait pas perdre à l'usufruit
tous ses mystères. Sinon, quelle est en définitive sa nature
juridique ? Conserve-t-elle la même nature quel que soit le bien sur
lequel il porte, corporel ou incorporel, réel ou personnel ? C'est
là toute la complexité de la question qui
réapparaît. Cette construction s'écroule si la summa
divisio droit réel-droit personnel est maintenue. Aussi, la
transposition du critère finaliste de la
« substance » aux droits incorporels comme les
droits sociaux n'est pas évidente195(*). Faudra-t-il trouver le salut dans la
rénovation de la théorie de la propriété ?
Paragraphe ll -
La rénovation de la théorie du droit de
propriété
La doctrine classique de la
propriété est défendue par les romanistes
médiévaux, dont Bartole196(*) est le porte flambeau. Les fondements historiques de
ce postulat sont douteux. C'est pourquoi le professeur F.
Zénati197(*) a
fondé sa thèse sur une rénovation du droit de
propriété. Nous démontrerons d'abord en quoi la conception
bartolienne de la propriété est fondée sur une base
problématique, ce qui au final doit être rejetée
(A). Nous conclurons que l'idée d'un droit de
propriété rénové est une piste sérieuse vers
la résolution du problème de l'inadaptation de l'incorporel au
droit usufructuaire (B).
A- Le rejet
de la conception bartolienne de la propriété
La nature corporelle de son objet est le trait qui
caractérise le droit de propriété. Il n'est de
véritable propriété que celle qui porte sur les objets
corporels. Il en va de même des droits sur la chose d'autrui puisqu'ils
découlent de la propriété. Bartole justifie sa position
par la considération qu'étant un droit, la
propriété ne peut porter sur un autre droit. Il confond pour
ainsi dire le droit et la chose incorporelle. Cette conception de la
propriété doit être rapprochée de la théorie
de l'usufruit causal, d'après laquelle l'usufruit gît à
l'état latent dans la propriété. Ainsi, l'usufruit qui
n'est qu'une partie divisée du droit de propriété ne peut
avoir un domaine plus « large que celui du tout sous lequel il
est subsumé »198(*). Telle est la conception bartolienne du droit
de propriété. F. Zénati rejette cette conception comme non
fondée sur aucune règle de droit positif.
Historiquement d'abord, le
« dominium » portait aussi bien sur les
« res corporales » que sur les « res
incorporales ». La conception bartolienne pêche pour avoir
confondu dominium et jus de sorte que la propriété se
réduit à une chose. Le « dominium »
est le pouvoir sur une chose et appartenait au tenancier du fonds alors que le
jus est le droit dans la chose et dont le propriétaire, le
seigneur était le titulaire. Or, ni le droit romain ni le Code civil ne
confondent le droit de propriété avec les choses corporelles. Les
droits incorporels deviennent des biens lorsqu'ils présentent cette
qualité qui les rend susceptibles d'appropriation. Le cas des droits de
créance est révélateur. La propriété est
décrite dans le Code civil comme un droit portant sur une chose ou un
droit. Nulle part, le Code civil ne réduit les choses aux seuls corps et
n'exclut que la propriété puisse avoir une nature incorporelle.
Au demeurant, la distinction choses corporelles-choses incorporelles est sans
équivoque.
Il faut relever l'argument tiré de la
reconnaissance du droit de propriété comme droit de l'homme au
même titre que la liberté, la sûreté et la
résistance à l'oppression. Le principe avait été
posé depuis l'arrêt du Conseil constitutionnel français en
date du 16 janvier 1982 relatif aux nationalisations199(*). La propriété
est donc un droit constitutionnellement protégé. La Cour de
cassation française200(*) le réaffirme toutes les fois que l'occasion
lui est donnée. Si telle est la situation, comment peut-on
réduire ce droit au « statut banal de
bien » ? Les biens sont par nature dans le commerce
juridique. Ils sont saisissables, cessibles et transmissibles. La
propriété étant un droit de l'homme donc hors commerce, il
est illogique de la réduire aux choses corporelles, qui, elles, sont
dans le commerce juridique. Toutefois, le droit de propriété est
d'une nature particulière simplement parce qu'il revêt une
utilité économique fondamentale. Seulement, le droit de
propriété ne peut être confondu au droit
réel201(*), mais
à un droit subjectif.
Ensuite, F. Zénati trouve que la prétendue
incompatibilité du régime des choses corporelles et des biens
immatériels procède de l'a priori suivant lequel la
propriété repose sur la possession. Or, la
propriété se dissocie de la possession. S'il est vrai que
l'appréhension matérielle d'un objet en facilite l'appropriation,
seule la mentalité archaïque impose d'écarter l'idée
que l'appropriation puisse être assurée d'une autre
manière.
La conception bartolienne de la propriété,
qui, a reçu un écho chez les glossateurs du Code civil, est donc
fondée sur des bases douteuses. Cette conception a malheureusement
été à l'origine du rétrécissement du domaine
de la propriété aux seuls biens matériels. Il
résulte que cette théorie doit être rénovée.
Rénovée, la propriété pourra porter aussi bien sur
les choses corporelles que sur les choses incorporelles.
B-
L'admission d'un droit de propriété rénové
La rénovation de la
propriété est fondée sur l'idée
d'idéalisation du droit de propriété. Le droit de
propriété a été confondu à la chose sur des
fondements faux. L'objet de la propriété n'était nullement
pas un pouvoir du titulaire sur la chose, mais « un rapport
juridique objectif »202(*), au reste incorporé dans la terre afin
d'être opposable à tous ses acquéreurs successifs. Le Code
civil s'est démarqué de cette propriété
anachronique qui confond le droit et son objet. Les dispositions ponctuelles du
Code civil et même du Code de commerce démentent l'idée
selon laquelle le droit de propriété se réduit à
une chose corporelle. Cette conception constitue un « dogme
purement doctrinal qui résulte de la dénaturation de la
loi »203(*). Aussi bien les droits que les choses
corporelles ont vocation à être objet de droit réel.
L'article 588 C.civ. évoque l'hypothèse de l'usufruit d'une rente
viagère ; l'article 2075 C.civ. traite du nantissement de droits de
créances et autres meubles incorporels ; l'article 2118 C.civ. admet la
possibilité d'hypothéquer un usufruit. L'ensemble de la loi
civile est consacré à l'exercice de la propriété.
Portalis soutient que la propriété est
« l'âme universelle de la
législation »204(*) ce qui revient à dire qu'aucun bien ne
lui échappe. Les dispositions du Code civil, soutient
Locré205(*), « sont toutes consacrées
à établir les règles de la propriété :
ou bien elles décident à qui les choses appartiennent, comment on
les acquiert, comment on en jouit, comment on peut en disposer, ou bien elles
règlent les droits que les engagements donnent relativement aux choses,
en expliquant comment ces engagements se forment et
s'éteignent ». La propriété ne se
réduit pas aux prérogatives que l'on a sur les choses, elle est
à la base du statut personnel et de l'activité juridique. La
propriété est en définitive la clé des rapports de
droit privé. Ainsi vue, la propriété a une assiette plus
étendue et son domaine s'étend aux droits incorporels. Si cette
doctrine reste à ce jour minoritaire, elle n'en est pas moins
pertinente. Elle a le mérite d'élargir le domaine du droit de
propriété de sorte qu'outre les choses corporelles, les droits
incorporels sont objets appropriables.
La thèse de la rénovation du droit de
propriété est séduisante. Cependant, elle reste muette sur
la question de la distinction droits réels-droits personnels. Et, c'est
justement l'évocation de cette distinction qui met à néant
l'idée de l'élargissement du champ du droit de
propriété et partant de l'usufruit. La nature juridique de
l'usufruit n'est pas évoquée. Cette inquiétude est bien
partagée par F. Zénati lorsqu'il reconnaît que l'usufruit
des créances est « une figure hétérodoxe
à la lumière de la théorie classique des
biens »206(*). Peut-être l'explication va se trouver
dans le fait que cette théorie est consacrée à la
propriété non aux droits réels. Il en résulte un
constat de non achèvement. La relecture du Code civil se
révèle être elle aussi impuissante à régler
le problème de la nature juridique de l'usufruit lorsqu'il porte sur les
droits incorporels. La solution à cette difficile question ne
résiderait-elle pas dans la remise en cause pure et simple de la
distinction traditionnelle droits réels-droits personnels ?
Section
ll : LA CONSIDERATION NOUVELLE DE L'USUFRUIT
La solution aux problèmes de l'usufruit des droits
incorporels peut être envisagée en suivant deux directions :
d'abord, la solution radicale, qui consiste à unifier les droits
réels et les droits personnels. Unifiés, ces droits formeront la
catégorie du droit patrimonial, cette dernière constituant
l'assiette de l'usufruit. La solution révolutionnaire
(Paragraphe l) est soutenue par certains auteurs. Cependant,
elle reste perfectible. Finalement, la solution médiane
(Paragraphe ll) consisterait à créer la
catégorie de l'usufruit des droits incorporels tout en maintenant la
division principale des droits patrimoniaux.
Paragraphe l -
La solution révolutionnaire
Cette solution consiste en la fusion des droits
réels et des droits personnels (A) en droit
patrimonial. Ce dernier serait l'objet de l'usufruit (B).
A- La
fusion droits réels-droits personnels
Les thèses
personnaliste et objectiviste n'ont pas suffi à résoudre les
difficultés relatives à la summa divisio des droits
patrimoniaux. L'unification dans un sens comme dans un autre a
échoué. Toutefois, ces controverses ont eu pour mérite
d'avoir montré que la summa divisio des droits patrimoniaux
n'était pas opportune surtout avec le développement actuel de la
fortune incorporelle. Comme nous l'avons relevé, les frontières
entre les droits réels et les droits personnels deviennent de plus en
plus poreuses et perdent progressivement de leur rigidité
proclamée par la doctrine classique. Ces droits se rapprochent à
plusieurs égards surtout avec la transformation des moyens de production
et de financement207(*).
Les moyens de production n'appartiennent plus à un individu, mais
à un groupement doté de la personnalité morale, la
société. Il va sans dire que les droits des associés sont
difficilement conciliables avec les droits du propriétaire sur son bien.
Les associés ne sont ni des propriétaires au sens du droit de
propriété ni des créanciers dans la mesure où ils
ont droit à une part de bénéfices, et, à la
liquidation, les biens seront partagés entre eux. Aussi, la structure du
droit de créance s'est-elle profondément transformée avec
la cession de créance. Le lien strict entre le débiteur et le
créancier a fait place à des formes variées de
transmission rapide et sûre des créances. C'est l'exemple des
titres négociables, des titres à ordre, au porteur, nominatifs.
Il faut également comme nous l'avons souligné dire que certains
droits empruntent aussi bien les traits des droits réels que ceux des
droits personnels, ce qui conduit inexorablement à dire que le
rapprochement est plus qu'une réalité, elle s'est imposée.
De l'analyse des développements
précédents, il transparaît que nous nous éloignons
du schéma traditionnel des droits patrimoniaux. Le rapprochement des
deux catégories de droits s'illustre par l'existence des cas où
il est difficile de tracer les limites entre elles. L'on pourrait entrevoir
dans la fusion des droits réels et personnels en droit patrimonial, une
solution au problème de l'usufruit des droits incorporels.
B- Le droit
patrimonial, objet de l'usufruit
D'emblée, la thèse personnaliste est une
solution au problème de l'usufruit des droits incorporels.
D'après cette doctrine, l'usufruit et le droit de
propriété constituent des droits personnels. A cette condition,
la nature juridique d'un tel usufruit ne pose plus de problème logique.
Cependant, cette vue comporte des failles et ne saurait être
envisagée comme une solution. Admettre cette thèse serait vider
le droit réel essentiel de sa substance208(*).
Bien que la classification209(*) soit le propre du juriste,
il existe des situations où la catégorisation à outrance
soulève beaucoup plus de problèmes. C'est justement le cas de la
distinction droit réel-droit personnel. Cette distinction n'est plus de
nos jours aussi rigide. La solution de l'usufruit des droits incorporels se
trouve dès lors dans la remise en cause de la distinction droits
réels-droits personnels. Cette solution d'après P. Jourdain, est
simple. Elle consiste donc à étendre et généraliser
la notion d'usufruit en considérant qu'il s'agit d'un
démembrement, d'une modalité possible de toute sorte de droit.
Corollairement, l'usufruit doit alors nécessairement être
redéfini comme un démembrement, non de la
propriété, mais plus généralement du droit
patrimonial210(*). La
propriété dans ce sens et les autres démembrements,
doivent être définis en application du droit patrimonial comme les
droits subjectifs. L'usufruit des choses corporelles ne sera plus qu'une
espèce d'un genre général et l'usufruit des droits
incorporels une autre espèce211(*).
Appliquée aux droits incorporels, cette solution
va au-delà de la fusion droits réels-droits personnels puisque,
aujourd'hui, la doctrine milite en faveur de la division des droits
patrimoniaux en trois catégories : les droits réels, les
droits personnels et les droits intellectuels212(*). Il s'agit donc de fusionner tous ces droits, car en
définitive, le caractère de patrimonialité est le trait
qu'ils partagent en commun.
Aussi, puisque les droits immatériels sont des
éléments du patrimoine, ils peuvent de ce fait être objet
d'usufruit. Si telle n'était pas la réalité dans la
conception du Code civil, c'est justement parce que ces droits ne rentraient
pas dans le domaine des droits réels, donc du droit des biens. Du moment
où les droits incorporels sont des biens, il n'y a plus d'obstacle
à ce qu'ils puissent être objet d'usufruit. Cette solution
révolutionnaire résout le problème, mais il s'agit
là d'une solution de circonstance. Quoi qu'il en soit, et, comme
l'affirme F. Hage-Chanine213(*), il y a « une importante
différence de structure » entre droits réels et
droits personnels. Peut être qu'il faudra envisager la résolution
du problème de l'usufruit des droits incorporels autrement et
simplement, c'est-à-dire, en le consacrant.
Paragraphe ll -
La solution médiane
Cette dernière solution maintient la distinction
droits réels-droits personnels. En effet, bien que le droit réel
doive être respecté par tout le monde, il ne s'exerce contre
personne alors que le droit personnel s'exerce contre une personne. A partir de
là, la consécration législative de l'usufruit des droits
incorporels est une nécessité (A). Le juge a de
même un rôle de premier ordre à jouer : garantir le
fonctionnement de l'institution (B).
A - La
consécration de l'usufruit des droits incorporels
Le droit usufructuaire est à la croisée des
chemins entre droits personnels et droits réels. La complexité du
phénomène des droits incorporels ajoutée à la
carence législative en ce qui les concerne, nous conduit à les
envisager sous un jour nouveau. La consécration de l'usufruit des droits
incorporels se révèle aujourd'hui plus qu'une
nécessité. Doivent être classés dans cette grande
catégorie, tous les droits incorporels sans considération de leur
appartenance dans l'une des catégories des droits patrimoniaux. Le
problème serait ici de réussir à faire une «
juxtaposition harmonieuse du droit positif des biens »214(*) et des autres
disciplines qui font appel à l'usufruit des droits incorporels,
notamment le droit des sociétés commerciales et le droit de la
propriété intellectuelle. Toutefois, la consécration de
l'usufruit des droits incorporels doit se faire de sorte à ne pas tomber
dans le piège des inflations législatives car, comme on le dit
souvent, trop de lois peuvent tuer la loi. Le législateur pourrait
consacrer dans un article, un usufruit des droits incorporels ouvert,
abstraction faite de la détermination de leur régime juridique.
La détermination du régime juridique de l'usufruit des droits
incorporels serait alors dévolue au juge. Seulement, ce dernier devra
toujours rendre sa décision en considération de la
définition de l'article 578 C.civ., ceci sans préjudice de la
protection de l'ordre public des affaires. Les conflits relatifs à
l'usufruit des droits incorporels seraient pour ce dernier une question de
casuistique.
En somme, la consécration de l'usufruit des droits
incorporels ne résout pas en soi tous les problèmes. Les conflits
peuvent naître de l'essence même de cet usufruit comme des
relations entre nu-propriétaire et usufruitier. Compte tenu de la
diversité des droits incorporels et de la difficile
prévisibilité quant aux situations auxquelles ils peuvent donner
lieu, l'honneur reviendra au juge de garantir leur bon fonctionnement.
B - Le
juge, garant du fonctionnement de l'usufruit des droits incorporels
L'usufruit des droits incorporels suscite souvent les
problèmes au niveau de son application. C'est à l'occasion des
conflits entre nu-propriétaire et usufruitier que l'usufruit des droits
incorporels pose de difficiles problèmes. Le juge doit s'imposer une
logique afin d'équilibrer les impératifs de gestion saine des
affaires et les règles qui les gouvernent. L'approche du professeur E.
Dockès215(*) sur
la question est édifiante. La destination de la chose grevée
d'usufruit doit servir de boussole au juge. Les intérêts du
nu-propriétaire et ceux de l'usufruitier doivent équitablement
être protégés. Le problème peut se poser d'une autre
manière en ce qui concerne la destination de la chose, objet d'usufruit.
Il peut arriver qu'un changement de destination soit nécessaire ne
serait-ce que pour la préservation de la valeur du bien. Dans ce cas, le
refus du nu-propriétaire pourrait être justifié par son
intention de nuire. Par exemple, il peut arriver que la fusion-absorption d'une
société en difficulté soit l'unique issue de la sauver.
L'usufruitier pourra prendre ses responsabilités s'il butte sur le refus
du nu-propriétaire de voter la fusion-absorption, et le juge peut
intervenir dans ce sens. C'est cette attitude que le professeur E.
Dockès qualifie « d'abus du droit de
vote »216(*). Le changement de destination ou d'affectation
pourrait aussi être justifié par l'article 599 C.civ. aux termes
duquel le nu-propriétaire « ne peut, par son
fait, ni quelque manière que ce soit, nuire aux droits de
l'usufruitier ». Mais, ce fondement est insatisfaisant parce que
dans la pratique, il n'est pas toujours aisé de démontrer
l'intention de nuire. La preuve de l'intention de nuire pourrait se transformer
en une « probatio diabolica »217(*). En effet,
démontrer l'intention de nuire du nu-propriétaire peut quelque
fois consister à démontrer qu'il se nuit lui-même. C'est
pourquoi, en matière d'usufruit des droits incorporels, le juge pourrait
être amené à rendre des décisions selon
l'équité, le législateur ne pouvant pas prévoir
toutes les situations auxquelles ces types d'usufruits seront
confrontés. La jurisprudence a pu clairement rejeter l'idée d'un
droit de veto discrétionnaire du nu-propriétaire. Et comme
l'affirme E. Dockès218(*), « lorsque les circonstances font
du changement de destination une modalité de gestion nécessaire
à la conservation du bien ou de son utilité, et que celle-ci
n'accroît pas les risques de voir la propriété à
terme du nu-propriétaire diminuée, le changement de destination
peut être autorisé par le juge, ou même être
validé a posteriori, même lorsqu'il a été fait sans
que le nu-propriétaire l'ait accepté ». Le juge
doit donc être perspicace et pragmatique puisqu'il est
l'interprétateur par excellence de la loi. Il peut transposer en droit
usufructuaire des droits incorporels des solutions déjà retenues
en matière de l'usufruit des choses corporelles. Il a pu par exemple
autoriser l'usufruitier à transformer une auberge qui n'était
plus rentable en teinturerie219(*). De même, un usufruitier a pu valablement,
sans accord ni du juge, ni du nu-propriétaire, arracher une vigne
atteinte de vétusté et lui substituer une terre labourable pour
une meilleure exploitation220(*). Enfin, un usufruitier a pu louer des corps de ferme
à une entreprise faisant le commerce du bois : l'immeuble rural à
l'ouverture de l'usufruit, était devenu urbain du fait du
développement de la ville voisine221(*).
CONCLUSION
La propriété, telle que
l'entendaient les rédacteurs du Code civil, portait sur les choses
corporelles. Cette vision semble aujourd'hui pour le moins
dépassée. Plusieurs manifestations témoignent de
l'extension de l'assiette du droit de propriété.
L'intellectualisation de la notion de bien222(*) , discernable en ce qui concerne les choses
corporelles classiques, se manifeste plus encore en ce qui concerne les biens
nouveaux. Ainsi, en est-il du domaine des droits incorporels où s'est en
effet progressivement imposée la notion de propriété
littéraire et artistique pour les droits d'auteurs et des artistes et
celle de la propriété industrielle pour les droits sur les
brevets, les marques, les dessins, même si pour certains, il s'agit
davantage d'un monopole d'exploitation que d'un véritable droit de
propriété. S'il est hasardeux de parler par exemple de droit de
propriété sur la clientèle, il n'en demeure pas moins vrai
que la valeur que représente cette clientèle semble pouvoir
être l'objet d'un droit de propriété223(*). On peut d'ailleurs
s'accorder avec le professeur P. Jourdain224(*) que « la notion de chose
matérielle tend à passer au second plan et même à
s'effacer derrière celle de bien pris comme synonyme de
valeur » et de conclure que « la
réalité économique prend le pas sur la structure juridique
traditionnelle ».
Des difficultés se posent au terme de cette
étude sur l'usufruit portant sur les droits incorporels. Et comme le
remarque le professeur F. Zénati225(*) : « Il est des questions
irritantes que l'on peut considérer comme des apories du droit.
L'inconfort qu'elles occasionnent suscite souvent la résignation et
l'accommodement, plus rarement la remise en cause et la
curiosité». L'usufruit des droits incorporels est une question
de cette veine.
La première difficulté tient au fait que
les droits incorporels sont très divers. En conséquence, ils ne
peuvent être classés dans une catégorie unique. Par
exemple, les droits de propriété intellectuelle ne peuvent
être classés dans la même catégorie que les droits de
créances tels les droits portant sur une rente viagère.
Et pourtant, tous sont des droits incorporels.
La seconde difficulté réside dans
l'exercice de l'usufruit des droits incorporels. Jusqu'aujourd'hui, l'usufruit
est un droit réel, démembrement de la propriété. De
la sorte, il ne peut porter que sur les choses corporelles, matérielles.
Or, les droits incorporels par essence, ne tombent pas sous le sens physique.
Le Code civil d'ailleurs, réserve la presque totalité de ses
dispositions, à l'étude de l'usufruit des biens stables, et
spécifiquement aux immeubles. Il n'est donc pas évident de
continuer à soutenir que l'usufruit est un droit réel lorsqu'il a
pour objet un droit incorporel.
La troisième difficulté, la plus
doctrinale, est relative aux droits incorporels personnels. La tradition
juridique enseigne la summa divisio entre droits réels et
droits personnels de sorte qu'un droit ne peut porter sur un autre. La nature
juridique de l'usufruit des droits personnels est en conséquence
problématique.
Face à ces difficultés, des auteurs ont
essayé de résoudre ces énigmes. Mais les solutions
apportées ne sont pas toujours exhaustives. Aucune des solutions ne
donne un remède efficace au problème de l'usufruit des droits
incorporels. Les solutions apportées se sont effritées lorsque la
summa divisio surgissait. Certains auteurs ont proposé alors
de bousculer la tradition déjà encrée de la distinction
droits réels-droits personnels. Autrement dit, ils proposent de la
remettre en cause. Les226(*) auteurs, la véritable solution vient
seulement de la remise en cause de la division des droits patrimoniaux.
Pourtant, il reste que la division principale des droits patrimoniaux
entraîne des conséquences que ces auteurs ne peuvent
dénier. En clair, cette division doit être maintenue. Ceux des
auteurs qui soutiennent une relecture du Code civil sont muets sur le sort de
la summa divisio des droits patrimoniaux. La proposition de
réforme du Livre ll du Code civil relatif aux biens prête à
son tour le flanc aux critiques.
En définitive, l'usufruit des droits incorporels
peut trouver une solution qui, sans bousculer la tradition classique, tiendra
compte de la nouvelle réalité de l'expansion des droits
incorporels : il s'agit de consacrer la catégorie de l'usufruit des
droits incorporels en confiant au juge la garde du droit usufructuaire.
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lll : MEMOIRE
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IV : TEXTES LEGISLATIFS
- Code civil français de 2011.
- Code de commerce français de 2005.
- Code français de la propriété
intellectuelle de 2007.
- Acte Uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales et du groupement d'intérêt économique
(AUSC-GIE).
- Avant- projet de réforme du Livre ll relatif aux
biens. La commission est présidée par le prof. Hugues
PERINET-MARQUET.
- Règlement de N° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux
systèmes de paiement dans les Etats membres de l'UEMOA.
V : ENCYCLOPEDIES ET PERIODIQUES
- Encyclopédie Dalloz
- Recueil Dalloz Sirey
- Revue trimestrielle de droit civil
- Revue trimestrielle de droit commercial
- La semaine juridique (Juris-classeur périodique)
VI : SITES ET AUTRES DOCUMEMENTS
A : SITES WEB
-
www.encyclo.erid.net
-
www.ohada.com
-
www.eyrolles.com
-
www.books.google.fr
-
www.lexisnexis.com
-
www.memoireonline.com
B : AUTRES DOCUMENTS
CORNU(Gérard), Vocabulaire juridique, Paris, PUF 1987,
1ère éd., 839 pages.
GUILIEN(R), VINCENT(J), GUINCHARD(S), MONTAGNIER(G),
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz 2003, 14ème
éd., 619 pages.
Le nouveau petit Robert de Paul Robert, 1993.
TABLE DES MATIERES
Titres
Pages
INTRODUCTION
1
PREMIERE PARTIE : LA
PRETENDUE IGNORANCE DE L'USUFRUIT DES DROITS INCORPORELS PAR LE LEGISLATEUR DE
1804 7
Chapitre l : L'USUFRUIT
DU CODE CIVIL 8
Section l : UN
DEMEMBREMENT DU DROIT DE PROPRIETE 9
Paragraphe l- Les attributs de
l'usufruit 10
A- Le droit d'usage. 10
B- Le droit de jouissance
11
Paragraphe ll - Un droit réel
13
A- Un pouvoir direct sur la chose
13
B- La chose corporelle, objet de
l'usufruit 15
Paragraphe l - L'exclusion de
l'incorporel du domaine de l'usufruit 17
A- L'incorporel ignoré comme
« bien de propriété » 17
B- Les biens corporels, source
exclusive de richesse 19
Paragraphe ll - Le domaine du droit
des biens 20
A- La division principale en droit
civil des biens 20
B - Les conséquences de
l'adage « res mobilis res vilis » sur les droits
incorporels 22
Chapitre ll :
L'INADAPTATION DE L'INCORPOREL AU MECANISME CLASSIQUE DE L'USUFRUIT
23
Section l :
L'IMMATERIALITE DES DROITS INCORPORLS 24
Paragraphe l - La difficile
classification des droits incorporels 25
A- Les droits incorporels personnels
25
B- Les droits incorporels sui generis
26
Paragraphe ll - Le problème
posé par l'article 581 du Code civil 28
A- Le droit incorporel, objet
potentiel de l'usufruit 28
B- L'inconcevable nature
réelle 29
Section ll : LE
PARTICULARISME DU DROIT DE JOUISSANCE 30
Paragraphe l - La
problématique jouissance des droits incorporels 31
A- La transformation de l'usufruitier
en véritable propriétaire 31
B- L'altération du
mécanisme classique de l'usufruit 36
Paragraphe ll - La difficile
appréhension unifiée 38
A- Le droit de jouissance
diversifiée 38
B - La perte de l'identité de
l'usufruit 39
DEUXIEME PARTIE : LE
RENOUVEAU DE L'USUFRUIT 41
Chapitre l : LE DROIT POSITIF
A L'EPREUVE DES DROITS INCORPORELS 42
Section l : L'EXTENSION
DU DOMAINE DES BIENS 43
Paragraphe l - L'incorporel pris en
compte comme « bien de propriété »
43
A- La consécration doctrinale
43
B- La consécration
jurisprudentielle 44
Paragraphe ll - La mise en doute de
la summa divisio des droits patrimoniaux 47
A- La distinction de plus en plus
critiquée 47
B- Les approches d'une unification
48
Section ll : LA
SURVIVANCE DE LA DISTINCTION DROITS REELS-DROITS PERSONNELS
50
Paragraphe l - La résurgence
du problème de la nature juridique de l'usufruit des droits incorporels
51
A- L'ancrage du critère
physique de la summa divisio des biens 51
B- Le renouvellement du débat
52
Paragraphe ll - Les problèmes
jurisprudentiels de l'usufruit des droits incorporels 53
A- Les décisions rendues ex
aequo et bono 54
B - L'inconstance de la jurisprudence
sur l'usufruit des droits incorporels 56
Chapitre ll - LA NECESSAIRE
REDEFINITION DE L'USUFRUIT 57
Section l : LA NECESSITE
DE RELIRE LE CODE CIVIL 58
Paragraphe l - La relecture de
l'article 578 du Code civil. 59
A- L'éviction du
critère matériel de la substance 59
B- L'admission du critère
finaliste de la substance 60
Paragraphe ll - La rénovation
de la théorie du droit de propriété 62
A- Le rejet de la conception
bartolienne de la propriété 62
B- L'admission d'un droit de
propriété rénové 64
Section ll : LA
CONSIDERATION NOUVELLE DE L'USUFRUIT 65
Paragraphe l - La solution
révolutionnaire 65
A- La fusion droits
réels-droits personnels 65
B- Le droit patrimonial, objet de
l'usufruit 66
Paragraphe ll - La solution
médiane 68
A - La consécration de
l'usufruit des droits incorporels 68
B - Le juge, garant du
fonctionnement de l'usufruit des droits incorporels 68
CONCLUSION
70
BIBLIOGRAPHIE
72
* 1 Il s'agit de la loi
n° 2001-1135 du 03 décembre 2001 qui est venu insérer dans
le Code civil certaines dispositions concernant l'usufruit du conjoint
survivant. En effet, l'article 757 C.civ. dispose « Si
l'époux précédé laisse des enfants ou des
descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de
la totalité des biens existants ou la propriété du quart
des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la
propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants
qui ne sont issus des deux époux». On pense presque toujours
à l'usufruit légal (usufruit qui se ramène aux actes
gratuits et aux testaments) en oubliant que ce démembrement de la
propriété peut être établi par « la
volonté de l'homme » (art. 579 C.civ.). L'usufruit se
constitue parfaitement entre vifs et à titre onéreux sur tout
bien quelconque.
* 2 J- P.
Chazal, « L'usufruit d'un fonds de
commerce », Defrénois 2001, article 37297, n° 1.
* 3 J- P.
Chazal, ibid.
* 4 Institutes, livre III,
principium, cité par E. Dockès, « Essai sur la
notion d'usufruit », RTD civ. 1995, p. 480. Cette
définition a été attribuée à Paul (Juluis
Paulus), célèbre jurisconsulte romain mort vers 235 après
Jésus Christ.
* 5 L'article 128 AUSC-GIE
dispose : « A défaut de stipulation contraire
des statuts, si une action ou une part sociale est grevée d'un usufruit,
le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les
décisions concernant l'affectation des bénéfices où
il est réservé à l'usufruitier». Cette
définition reprend celle du Code civil. On peut légitimement
craindre que les problèmes nés de l'usufruit des droits sociaux
se posent avec la même acuité dans notre paysage dans un futur
proche du fait de la fréquence de constitution d'usufruit sur les droits
sociaux. Peut-être qu'on aurait plutôt adopté la position de
principe de l'article L. 225-110 du Code de commerce français, mais en
l'élargissant à tous les types de sociétés. Cet
article dispose : « Le droit de vote attaché
à l'action appartient à l'usufruitier dans les assemblées
générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les
assemblées générales extraordinaires.» La Cour
commune de Justice et d'arbitrage n'a pas encore eu l'occasion de rendre une
décision relative aux conflits de pouvoirs entre nu-propriétaire
et usufruitier de droits sociaux. Nous attendons la réaction de la Cour
lorsqu'elle sera confrontée à une telle situation.
* 6 G. Cornu, Vocabulaire
juridique, 1ère éd. 1987, PUF, p. 808.
* 7 J. - P. Chazal, op.
cit., n° 2.
* 8 B. Starck, H. Roland, L.
Boyer, Introduction au droit, Paris 1991, 3ème éd.,
éditée, p. 5, n°1.
* 9 Ici, le
terme « usage » doit être compris non
comme propre uniquement à l'usager, mais comme attribut de tout
titulaire de droit réel.
* 10 Ph. Malaurie et L.
Aynès, Droit civil-Les biens, Paris, EJA 2003, p. 240, P.-Y. Gautier,
Propriété littéraire et artistique, Paris 1999,
3ème éd., p. 446, n° 293.
* 11 Si tout bien est un
droit, tout droit n'est pas un bien. Les droits extrapatrimoniaux en sont
l'illustratif.
* 12 G. Cornu, op. cit., p.
409.
* 13 Dans le cadre de ce
mémoire, les termes incorporel et immatériel seront
utilisés comme des synonymes.
* 14 Encore appelé
propriété éminente, le domaine éminent s'oppose au
domaine utile et désigne l'ensemble des droits de celui qui exploite le
fonds et qui en recueille les fruits. La distinction domaine
éminent/domaine utile a disparu en France dans la période
révolutionnaire, qui met fin à nombre d'institutions
féodales d'abord par l'abolition des privilèges. Ensuite, par la
redéfinition du droit de propriété, dans la
déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789,
définition à rapprocher de l'affirmation `'l'homme est libre
car il s'appartient à lui-même'', la propriété
étant à la base de la liberté, elle était
nécessairement `'inviolable et sacrée''. Puis dans le
Code civil qui fait de la propriété un droit absolu. La
distinction féodale domaine utile/domaine éminent demeure en
droit anglo-saxon, essentiellement en Angleterre pour définir les
relations entre le propriétaire du sol, celui des bâtiments et des
parties communes et celui de l'appartement particulier, et dans une moindre
mesure, en droit américain pour, par exemple définir la
possibilité pour l'Etat d'user de son autorité pour exproprier
une propriété privée, éventuellement au
bénéfice d'une autre personne privée. Ceci pose une
question délicate : La réconciliation de la constitution
républicaine avec une institution du droit féodal.
* 15 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., p. 247.
* 16 J.- F.
Pillebout, « Réflexions sur le droit
d'usufruit », JCP N 1977, p. 173, n° 2. La comparaison avec
les législations étrangères est choquante, même si
le nombre de dispositions n'est plus grand. Le Code civil allemand contient 54
articles sur l'usufruit, 42 dans le Code civil italien et seulement 27 dans le
Code civil suisse.
* 17 Selon le vocabulaire
juridique, l'expression latine signifie « selon ce qui est
équitable et bon »,et est employée pour
désigner le fait pour le juge de trancher le litige en
équité, soit en l'absence de règle de droit applicable en
l'espèce, soit en écartant la règle de droit normalement
applicable parce que les conséquences de son application à
l'espèce seraient trop iniques.
* 18 C'est le cas de
l'usufruit des brevets. Aucun texte du Code de la propriété
intellectuelle n'étant consacré à l'usufruit des brevets,
P. Devant, R. Plasseraud, R. Gutmann et M. Lemoine dans leur ouvrage
intitulé Brevets d'invention, fondent l'usufruit des brevets sur
l'article 589 du C.civ. Cet article dispose « Si l'usufruit
comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se
détériorent peu à peu par l'usage, comme du linge, des
meubles meublants, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel
elles sont destinées, et n'est obligé de les rendre, à la
fin de l'usufruit, que dans l'état où elles se trouvent, non
détériorées par son dol ou par sa faute ».
* 19 R. Libchaber,
« L'usufruit des créances existe-t-il?», RTD
civ. 1997, p. 615.
* 20 R. Libchaber, op.
cit., p. 616, n° 3.
* 21 S.
Ginossar, Droit réel, propriété et créance.
Elaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris 1960,
LGDJ. La propriété pour lui n'est plus considérée
comme un droit réel, mais comme une relation, un mode d'appartenance de
la créance à son titulaire. « La
propriété n'est donc autre chose que la relation par laquelle une
chose appartient à une personne, par laquelle elle est à lui,
elle est sienne », dit-il.
* 22 En ce qui concerne le
calcul des droits de succession sur l'usufruit d'une sous-location, Com., 25
avril 1974, D. 1974, p. 644-646, note M. Cozian.
* 23 Nous pensons notamment
aux travaux de A. Françon « L'usufruit des
créances », RTD civ. 1957, p. 1 et suiv., R. Libchaber,
ibid.
* 24 Cass. com., 2
décembre 2008, RTD civ. 2009, p. 83.
* 25 Article 578 C.civ.,
ibid.
* 26 La jouissance, seule
visée par l'article 578 C.civ. doit être comprise lato sensu comme
englobant l'usus et le fructus. Cette interprétation est conforme
à la tradition romaine pour laquelle le fructus suppose l'usus.
* 27 E. Dockès,
ibid.
* 28 L'article 581 C.civ
dispose depuis 1804 : « Il (l'usufruit) peut être
établi sur toute espèce de biens meubles ou
immeubles. »
* 29
Domat : « Les lois civiles dans leur ordre
naturel », t.XI, I, Par.1.
* 30 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., pp.240-241.
* 31 E.
Dockès, op.cit., p.493.
* 32 R. Beudant, P.
Lerebours-Pigeonniere, P. Voirin, Cours de droit civil Français, Paris
1938, t.lV, 2ème éd., p. 494.
* 33 M.Planiol et G.Ripert,
Traité pratique du droit civil français, Paris 1952, t.lll,
2ème éd. par Picard, n° 880.
* 34 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op.cit., p.261.
* 35 Ph. Malaurie et L.
Aynès, ibid.
* 36 Article 630 C.civ.
* 37 H., L. et J. Mazeaud,
Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.
* 38 Ph. Malaurie et
L.Aynès, op. cit., p. 47.
* 39 Art. 598 C.civ.
* 40 Art. 591 C.civ.
* 41 Croisat, la notion de
fruits en droit civil, en droit commercial et en droit fiscal, th. Lyon, 1925,
cité par R. Saint-Alary, Fruits, Encyclopédie Dalloz, 1972, p.
1.
* 42 J. Carbonnier, Droit
civil-Les biens, Paris 1991, t.3, 14ème éd.,
p.109-110.
* 43 Cass. Com., 5 Octobre
1999, D. 1999, juris., 69.
* 44 E. Dockès,
op.cit., p. 482.
* 45 J. Carbonnier, ibid.,
p 69.
* 46 Terme latin signifiant
chose et particulièrement chose corporelle, matérielle.
* 47 C. Demolombe, Cours de
Code Napoléon, t.IX, Paris 1881, p. 357, n° 473 cité par R.
Libchaber, op. cit., p. 627, n° 19.
* 48 Art. 621 C.civ.
* 49 Civ.
3ème, 28 mars 1990, D. 1991, S., p. 163.
* 50 Troplong, louage, ll,
n° 473 et suiv.
* 51 J. Carbonnier,
op.cit., p.307.
* 52 L. Aynès et
Ph. Malaurie, op. cit., p 243.
* 53 Stricto sensu, le
terme « chose » signifie objet sous le
rapport du droit. Le bien est toute chose susceptible d'être objet de
droit. Ici par chose, il faut entendre bien.
* 54 G. Cornu, Droit civil,
Introduction-les personnes-les biens, Paris, Montchrestien 2001,
6ème éd., p. 30, n° 45.
* 55 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., pp. 239- 240.
* 56 G Marty, P. Raynaud et
P. Raynaud, Droit civil-les biens, Paris, Sirey 1980, 2ème
éd., p. 97, n° 64.
* 57 Didier R. Martin,
« Du corporel» 2004, Chr. 2285.
* 58 B. Starck, H. Roland,
L. Boyer, Droit civil, les biens, Paris, Litec 1991, 3ème
éd., p.459.
* 59 Josserand,
« Configuration du droit de propriété dans l'ordre
juridique nouveau », cité par H., L. et J. Mazeaud,
Leçons de droit civil, Paris, Montchrestien 1968, t.ll, Obligations et
biens, 3ème éd., p.1067.
* 60 Josserand, ibid.
* 61 Demolombe cité
par R. Rivière, « Bien incorporel », in
Encyclopédie juridique des biens informatiques, 1er
août 2004, www.encyclo.erid.net.
* 62 J. L. Bergel, Droit et
patrimoine, Décembre 2008, p.10.
* 63 G. Cornu, op. cit.,
p.409.
* 64 D. Martin, ibid.
* 65 Josserand, ibid.
* 66 D. Fiorina, op.
cit., p. 43.
* 67 J. Carbonnier,
op.cit., p.91.
* 68 D. Fiorina, ibid.
* 69 Josserand, ibid.
* 70 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., p.25.
* 71 Ph. Malaurie et L.
Aynès, ibid., p.26 ; les « res
mancipi » étymologiquement, sont les choses dont le
transfert de propriété s'effectuait par l'airain et la balance et
dont la liste est limitative car constituant la richesse majeure : fonds
de terre, esclaves, bêtes utiles à l'agriculture.
Les « res nec mancipi » eux, sont de moindre
valeur et constituent les autres biens.
* 72 Civ., 3 juillet 1844,
D. Jur.gen. Voir Biens, n° 22, note 3, t.VI, p. 195.
* 73
Civ.3ème, 26 juin 1991, Bull.civ.lll, n°
197 ; RTD Civ., 92. 144, obs. F. Zenati.
* 74 Req. 14 février
1899, DP, 1899, l, 246.
* 75 C. Atias, droit civil,
les biens, Paris ,4e éd., p.32.
* 76 I. Freij-Dalloz, D.
1993, p.94, note sous Civ. 3ème , 26 juin 1991.
* 77 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., p.27.
* 78 Voir à cet
effet l'art.529 c.civ.
* 79 B. Starck, H. Roland,
L. Boyer, op. cit., p. 247.
* 80 Ici, le
terme «obligation » doit être compris dans
son sens littéral comme un devoir et non dans son sens juridique
où il est le rapport de droit entre deux personnes en vertu duquel l'une
doit quelque chose à l'autre.
* 81 P. Le
Cannu, « La nudité du
nu-propriétaire », Rev. Sociétés 2009,
p.83.
* 82 A. Françon,
« L'usufruit des créances », RTD civ. 1957,
n° 5. ll soutient que l'appréhension matérielle ne peut plus
porter s'agissant d'une créance, sur la chose même objet de
l'usufruit, mais tout au plus sur le titre qui la représente et qui
permet d'obtenir certaines prestations du débiteur.
* 83 Cette conception est
admise par la majorité de la doctrine notamment Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., p. 247; G. Marty, P. Raynaud, op. cit., p. 106, n°
65-1; D. R. Martin, op. cit., n° 2; B. Starck, op. cit, p. 459,
n° 1138.
* 84 F. Hage-Chahine,
« Essai d'une nouvelle classification des droits
privés », RTD Civ. 1982, p. 706.
* 85 D.R. Martin, op. cit.,
n°1.
* 86 Le terme
« sui generis » signifie
littéralement «de son propre genre ».
D'après le lexique des termes juridiques, il est la qualification d'une
situation juridique dont la nature singulière empêche de la
classer dans une catégorie déjà existante. Nous utilisons
ce terme pour rendre compte du fait que ces droits ne rentrent pas dans l'une
des classifications connues.
* 87 G. Cornu, ibid.
* 88 Cass. com., 25 avril
1974. La Cour de cassation française estime que « le
jugement (du tribunal de grande instance de Nice) n'a méconnu ni qu'un
usufruit puisse porter sur un droit personnel, ni que le régime fiscal
applicable à la transmission d'un usufruit ne diffère pas suivant
que celui-ci est établi sur un droit réel ou sur un droit
personnel ».
* 89 B. Starck, H. Roland,
L. Boyer, op. cit., p. 467.
* 90 L'usufruit des
créances a fait l'objet de vives controverses comme en témoigne
le nombre d'écrit qui lui a été consacré. Citons
entre autres A. Françon, « L'usufruit des
créances », RTD Civ. 1957, pp 1 et s ; R.
Libchaber, « L'usufruit des créances
existe-t-il ?» RTD civ.1997, pp. 615-629 ; D.
Fauquet, « L'héritier réservataire
dépouillé au profit du conjoint par une libéralité
portant sur une rente viagère », JCP éd. N, 1990,
l, 414.
* 91 R. Beudant et P.
Lerebours-Pigeonnière, op. cit. , p. 462.
* 92 B. Starck, H. Roland,
L. Boyer, op. cit., p. 471.
* 93 J. Carbonnier,
Flexible droit ; Paris, LGDJ 1995, 8e éd., p. 281.
* 94 D.R. Martin,
« Usufruit et propriété des droits
sociaux», D. 2009, p. 2445.
* 95 D. R. Martin,
« Du corporel », D. 2004, Chr. 2285.
* 96 Cass. com., 19 mai
1998, D. 1998, 552.
* 97 G.
Goubeaux, « Personnalité morale, droit des
personnes et droit des biens », in études
dédiées à R. Roblot 1984, p. 214, n° 17 ; S.
Schiller, Droit des biens, Paris 2005, 2e éd., Dalloz, p. 11
cité par M. Alaba, Le statut juridique de l'associé,
Mémoire DEA, 2004-2005, p. 7.
* 98 Le doyen Roubier dans,
Le droit de la propriété industrielle, Paris 1952, t.1,
n°22, estime que l'utilisation du
mot « propriété » est abusive.
Pour Ripert, in Aspects juridiques du capitalisme, n°80, on a eu recours
à la notion de propriété parce que le mot donnait
confiance. Selon les Travaux de la commission de réforme du Code civil,
nous ne sommes pas en présence d'une véritable
propriété.
* 99 On pense notamment
à MM. Vivant, Mousseron, J. Carbonnier, Cours de Droit de la
propriété intellectuelle de Mlle A. Tsakadi, année
2007-2008.
* 100 J. Carbonnier, Droit
civil-Les biens, monnaie, immeuble, meuble, Paris, PUF 1956, coll.
Thémis, p.71.
* 101 Voir à cet
effet l'article 588 C.civ.
* 102 B. Y. Meuke,
« Observation sur le démembrement de droits sociaux dans
l'espace OHADA », www.ohada.com.
* 103 M. Cozian et A.
Viandier, Droit des sociétés, Paris, Litec 1997, 10e
éd., p. 67, n° 172.
* 104 Ph. Malaurie et L.
Aynès, op. cit., p. 247, n° 814.
* 105 M. Planiol, G.
Ripert, Traité pratique du droit civil français, op. cit.,
n°758.
* 106 Colin et Capitant,
Cours élémentaire de droit civil français, Paris, t. l,
8e éd., n° 771.
* 107 R. Beudant et P.
Lerebours-Pigeonnière, ibid.
* 108 B. Starck, H.
Roland, L. Boyer, op. cit., pp. 459-460.
* 109 Colin et
Capitant, ibid.
* 110 M. Alaba, Le statut
juridique de l'associé, DEA-Droit privé fondamental, 2004-2005,
p. 33.
* 111 D. Fauquet, op.
cit., p. 414.
* 112 Pothier, Du
contrat de constitution de rente, n° 242, cité par D. Fauquet,
ibid.
* 113 Le C.civ. qui
qualifie expressément les arrérages de rente de fruits civils
(article 584), a abandonné sur ce point la solution admise dans l'Ancien
droit, qui ne reconnaissait pas à l'usufruitier d'une rente le droit de
percevoir et de consommer entièrement les arrérages, en raison de
leur nature hybride de revenu et de capital. Il en résultait des
difficultés de ventilation, auxquelles, la solution du Code a mis fin
d'une manière non dénuée d'arbitraire. La qualification
contestable de fruits est d'ailleurs écartée.
* 114 Planiol et Ripert et
Picard, t.lll, p 290 et s.
* 115 Cass.com., 4 janvier
1994, Bull.civ.lV, n°10 ; Rev. sociétés 1994,278, note
Lecène-Marénaud.
* 116 Très
tôt, il a été admis que le nu-propriétaire de droits
sociaux est associé. Ce principe est acquis depuis l'arrêt de la
troisième chambre civile de la Cour de cassation française en
date du 05 juin 1973 (Civ. 3ème , 05 juin 1973, Bull. civ.
lll, n° 403).
* 117 Cass.com., 31 mars
2004, D. 2004, 1167, obs. A. Lienhard.
* 118 RTD civ. 2007, p.
154.
* 119 Cass.com., 9
février 1999, Bull.civ. lV, n° 44 ; JCP E, 1999, ll, 10168,
note Blanc.
* 120 Civ 3e,
RTD civ. 2007, p. 155.
* 121 M.
Cozian, « Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui
a la qualité d'associe ?» JCP éd. E 1994, p 340.
* 122 RTD civ. 2009, p. 83
et s.
* 123 L. Godon,
« Un associé insolite : le nu-propriétaire de
droits sociaux », Rev. sociétés 2010, p. 143 et
s.
* 124 P. Le Cannu, note
sous Civ. 3e , 29 novembre 2006, Defrénois 2007, p. 606.
* 125 B. Dondero,
« Répartition des pouvoirs en cas de démembrement de
droits sociaux... et reconnaissance de la qualité d'associé
à l'usufruitier ?», Rev. sociétés 2009, p. 783,
n° 19.
* 126 D. R. Martin, «
Usufruit et propriété des droits sociaux »,
ibid.
* 127 J.-D. Bredin, RTD
Civ. 1970, 593 cité par J.-F. Pillebout,
« Réflexions sur le droit d'usufruit », JCP
N, doctr., p. 175.
* 128 J- L. Bergel, op.
cit., p. 10 et s.
* 129 D. Fauquet, ibid.
* 130 Y. Guyon, Droit des
affaires, t.1, Droit commercial général et société,
Paris 2003,12e éd., p. 305-306.
* 131 M. Boudot,
« L'image du démembrement dans la doctrine
française », www.books.google.fr
* 132 R. Beudant et P.
Lerebours-Pigeonnière, ibid.
* 133 R. Libchaber, op.
cit., p. 627.
* 134 A. Françon,
« l'usufruit des créances», RTD civ. 1957, p. 1
et s.
* 135 Cass. Req., 21 mai
1930, DP 1932, p. 111.
* 136 Civ.
1ère , 4 octobre 1989, JCP G 1990, ll, 21519, note Pillebout.
En l'espèce, la chambre civile de la Cour de cassation française
a jugé que le conjoint survivant, en sa qualité d'usufruitier de
la totalité de la succession, avait seul le droit d'agir en recouvrement
d'une créance de la communauté et pouvait se prévaloir des
sanctions stipulées en cas de non-paiement de cette créance.
* 137 L'usufruitier a la
charge de conserver la substance de la chose grevée d'usufruit.
* 138 L. Godon, op. cit.,
n° 34.
* 139 B. Mallet-Bricout, obs.
sous Cass. com. 2 décembre 2008, D. 2009, pan. 2308.
* 140 C. Larroumet, Doit
civil, Les biens-droits réels principaux, Paris, Economica1988, t.ll,
2e éd., p. 281, n°469.
* 141 Proposition de
réforme du livre ll du Code civil relatif aux biens,
capitant@club-internet.fr.
La commission a été présidée par le Professeur
Hugues Périnet-Marquet. Le groupe de travail de onze membres a
présenté ses travaux le 12 novembre 2008.
* 142 Nous pensons
notamment aux différents projets de réformes dans le domaine du
droit civil tel le droit des obligations, le droit des sûretés et
le droit de la propriété des personnes publiques entre autres.
* 143 En effet, l'article
520 de la proposition dispose : « Sont biens, au sens de
l'article précédent, les choses corporelles ou incorporelles
faisant l'objet d'une appropriation, ainsi que les droits réels et
personnels tels que définis aux articles 522 et 523 ».
* 144 J. - L. Bergel, op.
cit., p. 11.
* 145 J. - L. Bergel, op.
cit., p. 10.
* 146 Demolombe
cité par R. Rivière, ibid.
* 147 S. Ginossar, Droit
réel, propriété et créance. Elaboration d'un
système rationnel des droits patrimoniaux, Paris, LGDJ 1960, 212
pages.
* 148 J. Dabin,
« Une nouvelle définition du droit
réel », RTD civ. 1962, p. 20.
* 149 G. Cornu, Droit
civil, Introduction-Les personnes-Les biens, Paris, Montchrestien
2001,10e éd., p 413, n° 1000.
* 150 Y. Emerich,
« Faut-il condamner la propriété des biens
incorporels ? Réflexions autour de la propriété des
créances », www.lexisnexis.com.
* 151 De son
côté, le législateur de l'UEMOA dans les articles 182 et
183 du règlement utilisent l'expression « le
propriétaire de la lettre de change ».
* 152 Art. L 145-1 C.com.
français.
* 153 Nous pensons
notamment à la jurisprudence du C.C., 16 janvier 1982, D. 1983, 169,
note L. Hamon. La nationalisation se définit comme le transfert à
la collectivité nationale du contrôle et de la
propriété des moyens de production appartenant à une
entreprise privée ou de l'exercice de certaines activités. Bien
qu'assorties d'une indemnisation préalable, les nationalisations portent
atteinte directement au droit de propriété. L'article 27 de la
Constitution togolaise du 14 Octobre 1992 ainsi que le Conseil constitutionnel
français l'ont admis.
* 154 CEDH, 09
décembre 1944, Raffineries grecques Stran et Stratis andreadis c/
Grèce, RTD civ. 1995, p. 652, obs. F. Zénati-Castaing.
* 155 L'article
1er du premier protocole additionnel à la Convention dispose
que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que
nul ne peut être privé de sa propriété que pour
cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la
loi et les principes généraux du droit international. La Cour
déduit de ce texte la nécessité d'un juste
équilibre entre les exigences de l'intérêt
général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.
* 156 C.C., 16 juin 2010,
RTD civ. Juillet-septembre 2010, p. 584, obs. T. Revet.
* 157 L'article 2 de la
Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789
dispose : « Le but de toute association politique est
la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits
sont la liberté, la propriété, la sûreté et
la résistance à l'oppression.» ; et son article 4
dispose : « La liberté consiste à pouvoir
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des
droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux
autres membres de la société la jouissance de ces
mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées
que par la loi.»
* 158 CEDH, 26 juin 1986,
Van Marle c/ Pays-Bas, Série A, n° 101.
* 159 CEDH, 9 juillet
1986, JCP E 1987, ll, 14894.
* 160 F.
Hage-Chanine, op. cit., p. 710, n°8. Il explique que la
distinction se fonde non seulement sur l'objet du droit, mais aussi sur le
droit lui même et les conséquences qui en découlent
explique le critère de base.
* 161 Civ. 25 juin 1902,
D. 1903, 1, 5, note A. Colin.
* 162
Roubier, « Droits intellectuels et droits de
clientèle », RTD civ. 1935, p. 285.
* 163 F. Hage-Chanine,
ibid., p. 713, n°12.
* 164 C. Larroumet, Droit
civil- Introduction à l'étude du droit privé, Paris,
Economica 1998, 3e éd., p. 314.
* 165 Ce courant a
été représenté en France par M. Planiol
(Traité élémentaire de droit civil, 1896, t. I, n°
2158). Il a été précédé en Allemagne par A.
Thon et en Suisse par E. Roguin. Ces deux auteurs ont été
précédés par E. Kant. Beaucoup d'auteurs en France ont
suivi Planiol à l'image de H. Michas (Le droit réel
considéré comme une obligation passive universelle, thèse
Paris, 1900) ; R. Queru (Synthèse du droit réel et du droit
personnel, Essai d'une critique historique et théorique du
réalisme juridique, thèse Caen, 1905) ; C. Prodan ( Essai
d'une théorie générale des droits réels et de
créance, thèse Paris, 1909); Minei ( Essai sur la nature
juridique des droits réels et des droits de créance, thèse
Paris, 1912); R. Basque (De la distinction des droits réels et des
obligations, thèse Montpellier, 1914).
* 166 J. Chevallier, RTD
civ. 1960, p. 600. et Cours de droit civil, 1re année,
Beyrouth, 1953-1954, p. 258.
* 167 D'origine allemande,
la thèse objectiviste a été introduite en France par
Saleilles (Essai d'une théorie générale de l'obligation
d'après le premier projet du C.civ. allemand, 1889).
* 168 F. Hage-Chanine,
ibid, p. 712, n°10.
* 169 Les thèses
personnaliste et objectiviste se sont rejointes par l'erreur qu'elles ont
commise sur le sujet passif. La première s'était trompée
sur son identité (le monde entier ne peut être débiteur),
la seconde sur son importance (la personne du débiteur est loin
d'être indifférente).
* 170 Travaux de la
Commission de réforme du C.civ., 1945-1947, p. 781 cité par
B.Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 501.
* 171 B.Starck, H. Roland,
L. Boyer, ibid.
* 172 J.L.Bergel, op.
cit., p. 11.
* 173 R. Beudant et P.
Lerebours-Pigeonnière, op.cit., p. 462.
* 174 Nous pensons
notamment à B. Starck, H. Roland, L. Boyer, op. cit., p. 459, n°
1137.
* 175 A. Rabreau,
« L'usufruit des droits sociaux »,
www.eyrolles.com.
* 176 Cass. Com., 25 avril
1974, D. 1974, p. 644-646, note M. Cozian.
* 177 Cet art. qui fut
d'ailleurs modifié par la loi n° 2003-1312 du 30 décembre
2003 dispose : « l'usufruit constitué pour une
durée fixe est estimé aux deux dixièmes de la valeur de la
propriété entière pour chaque période de dix ans de
la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à
l'âge de l'usufruit ».
* 178 Req. 14 mars 1877,
DP. 1877, l, p. 353.
* 179 Cass.com., 31 mars
2004, ibid.
* 180 A.
Lienhard, « Démembrement de droits sociaux :
vote abusif de l'usufruitier », D. 2009, pp. 12-14.
* 181 Y.
Paclot, « Nullité des délibérations de
l'assemblée générale extraordinaire d'une
société civile ayant décidé une fusion en
application d'une clause statutaire attribuant l'intégralité des
droits de vote à l'usufruitier », JCP E, Janvier-Juin
2009, p. 37.
* 182 Y. Guyon, ibid.
* 183 Art. 575 al. 1, op.
cit.
* 184 Nous citons entre
autres, E. Dockès, op.cit., pp. 479-507, G. Marty et P. Raynaud, op.
cit., n° 76, H., L., J. Mazeaud et P. Chabas, op. cit., n° 1680, M.
Planiol et G. Ripert, op. cit., n° 832, J. Carbonnier, op. cit., n°
99.
* 185 F.
Zénati-Castaing, « Pour une rénovation de la
théorie de la propriété », RTD civ. 1993,
p. 305-323.
* 186 G. Marty, P.
Raynaud, P. Jourdain, op. cit., p.
* 187 G. Cornu, op. cit.,
pp. 762-763.
* 188 E.
Dockès, op. cit., p. 479.
* 189 J.- F. Pillebout,
op. cit., p. 175, n°11.
* 190 Baudry-Lacantinerie,
Précis de droit civil, 11e éd., t.1, n°1415
cité par J-P. Chazal, op. cit., n° 13.
* 191 Civ.
3ème , 4 juin 1975, Bull. civ. lll, n° 194 ; Civ.
3ème , 5 décembre 1968, D. 1969, 274 ; Soc. 10
février 1955, D. 1955, 379.
* 192 L'article 589 du
C.civ. dispose: « Si l'usufruit comprend des choses qui,
sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par
l'usage, comme le linge des meubles meublants, l'usufruitier a le droit de s'en
servir pour l'usage auquel elles sont destinées, et n'est obligé
de les rendre, à la fin de l'usufruit, que dans l'état où
elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa
faute. »
* 193 Civ.
1ère, 12 novembre 1998, ibid.
* 194 Civ.
3ème , 5 décembre 1968, D. 1969, p. 274 ; Voir
aussi, Soc., 10 février 1955, D. 1955, Juris., p. 379 ; RTD
Civ. 1955, p. 525, obs. H. Solus. D'après ce dernier arrêt,
changer l'affectation d'un local « serait modifier la
manière d'être particulière de la chose soumise
à usufruit » et ces termes sont ceux-là
mêmes par lesquels Aubry et Rau définissent la substance.
* 195 L. Godon, op. cit.,
n° 34. ll observe que « pour la doctrine, la substance que
l'usufruitier doit conserver est définie comme la
« destination » de la chose. Or, si l'on voit bien ce que
peut être la destination d'un taillis, d'une carrière ou d'un
local, la destination des droits sociaux peut varier selon la motivation propre
à chaque associé. Schématiquement, la substance de droits
sociaux peut alors être appréhendée tantôt sous
l'angle de leur utilité financière et de leur propension à
augmenter de valeur ou à dégager des bénéfices,
tantôt sous l'angle du droit d'intervention dans les affaires de la
société et du pouvoir exercé au sein du groupement. La
distinction purement terminologique entre titres de placement et titres de
participation reflète cette réalité
subjective ».
* 196 Bartole est l'un des
célèbres post-glossateurs (commentateurs du Code civil).
* 197 F.
Zénati-Castaing, op. cit., p. 305.
* 198 J- P.
Chazal, op. cit., n°2.
* 199 C.C., 16 Janvier
1982, GAJC, t.1, 11e éd. 2000, n° 1.
* 200 Civ. 1re
, 04 janvier 1995, D. 1995, S., p. 328.
* 201 K. S.
Cather, « La valeur en droit civil français : Essai
sur les biens, la propriété et la
créance », www.books.google.fr.
* 202 F.
Zénati-Castaing, op.cit., p. 308.
* 203 F.
Zénati-Castaing, op. cit., p. 309.
* 204 Portalis,
Exposé des motifs du titre de la propriété, Ecrits et
discours juridiques et politique, PUAM 1988, p. 126 cité par F.
Zénati-Castaing, « La propriété,
mécanisme fondamental du droit », RTD civ. 2006, p.
446.
* 205 Locré, Esprit
du Code Napoléon, l, p. 66-67 cité par F. Zénati-Castaing,
ibid.
* 206 F.
Zénati-Castaing, Les biens, Paris 1988, p. 255 cité par R.
Libchaber, op. cit., n° 3.
* 207 F. Terré et
Ph. Simler, op. cit., p. 55, n° 49.
* 208 G. Marty et P.
Raynaud, op. cit., p. 142.
* 209 F.
Hage-Chanine, op. ibid.
* 210 F. Terré et
P. Simler, p. 645, n° 796.
* 211 F. Terré et
P. Simler, ibid.
* 212 B. Starck, H. Roland
et L. Boyer, ibid.
* 213 F. Hage-Chanine, op.
cit., p. 707-708, n° 4.
* 214 A. Rabreau, ibid.
* 215 E. Dockès,
op. cit., p. 506, n° 23.
* 216 E. Dockès,
ibid.
* 217 Signifie une preuve
diabolique. Se dit d'une preuve presque impossible à rapporter.
* 218 E. Dockès,
ibid.
* 219 Req. 1845, D.P.
1845, l, 214.
* 220 CA d'Orléans,
6 janvier 1848, DP. 1848, 2, 107.
* 221 CA de Grenoble, 15
février 1961, D. 1961, 674.
* 222 Josserand, ibid.
* 223 J.- P. Decorps,
« Le droit de propriété ; évolutions et
adaptations », www.cedroma.usj.edu.lb
* 224 G. Marty, P.
Raynaud, P. Jourdain, op. cit., n°3.
* 225 F.
Zénati-Castaing, « La nature juridique du
quasi-usufruit (ou la métempsychose de la valeur) », in
Le droit privé à la fin du XXe siècle, Etudes offertes
à P. Catala, Litec 2001, p. 605, n° 1.
* 226 E. Dockès,
ibid, G. Marty et P. Raynaud, ibid, H., L., J. Mazeaud et P. Chabas, ibid.,
n° 1680, M. Planiol et G. Ripert, ibid, J. Carbonnier, ibid, F.
Zénati-Castaing, ibid.
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