Le Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador: 1980- 2009( Télécharger le fichier original )par Kacou Elom Jean-Michel ADOBOE Université de Lomé Togo - Maà®trise en histoire contemporaine 2010 |
TROISIEME PARTIEACCORDS DE PAIX, MUTATION ET ENRACINEMENT DU FMLN DE 1992 À 2009Après la période de guerre civile, qui a ravagé le pays pendant douze ans, la recherche d'une négociation du conflit interne s'imposait. Le processus de négociation relancé aboutit aux Accords de paix de janvier 1992. Ceux-ci eurent des retombées en ce qui concerne le devenir de la guérilla du FMLN : transformation en parti politique, insertion dans le paysage politique et possibilité d'accession au pouvoir. De ce fait, en quoi alors la mutation en parti politique a orienté les actions du FMLN dans une perspective politique et démocratique, qui lui ont permis d'atteindre ses objectifs qu'il s'est donné à sa création de 1992 à 2009 ? C'est à cette question que nous nous livrerons à apporter des éléments de réponses à travers deux chapitres : « La négociation de la paix » et « La mutation et l'enracinement du FMLN ». Chapitre 5 : LA NEGOCIATION DE LA PAIXA partir de janvier 1992, les Accords de paix de Chapultepec au Mexique mirent fin à douze ans de guerre civile. Ces Accords de paix ont été le fruit d'une longue négociation parfois entrecoupée par des moments de crises entre gouvernement salvadorien et dirigeants du FMLN, assistée par des observateurs tels que l'Eglise catholique ou les Nations unies. Quel a été alors le processus qui a conduit à l'instauration d'un climat de paix ? C'est à cette question que nous tenterons d'apporter des éléments de réponses. 1. Les Accords de paix de 1992La recherche de la paix à travers des négociations pour mettre fin à un conflit, a connu de nombreuses péripéties. Cela n'a pas été facile de parvenir aux Accords de paix qui mettront fin à la longue guerre civile. Les nombreuses rencontres organisées entre le gouvernement salvadorien et le FMLN-FDR ont toujours butté sur les mêmes problèmes, sur les mêmes méfiances (Gandolfi 1989 : 82). Le fait que chacun reste sur ses positions difficilement conciliables entre elles, l'assassinat de personnalités chargées de la médiation (le cas du père Ignacio Ellacuria en 1989), sont certains des éléments qui ont entravé la quête d'une véritable paix. Néanmoins le changement d'attitude des Etats-Unis envers le gouvernement en place, l'échec des offensives militaires de la guérilla entre autres ont concouru à parvenir à la reprise des négociations qui aboutiront à la signature des Accords de paix en 1992. 1.1. Le prélude aux Accords de paixLes Accords de paix de 1992 qui scellèrent la fin de la guerre civile qui a duré douze ans au Salvador sont le fruit d'un long processus de négociations à la recherche de la paix. Nous avons vu dans les chapitres précédents comment cette recherche fut menée quelques années après le déclenchement de cette guerre et comment les espoirs pour la fin de cette guerre étaient minimes. Il a fallu attendre les années 1989 et 1990 pour que de véritables espoirs pour trouver une solution au conflit interne surgissent. En effet plusieurs facteurs ont joué pour qu'on arrive à instaurer la paix au Salvador. Sur le plan interne, la victoire de l'Alliance républicaine nationaliste (ARENA) aux élections présidentielles de 1989 est un élément majeur dans l'évolution des négociations qui menèrent à la recherche de la paix. L'ARENA79(*), parti fondé le 30 septembre 1981, est un rassemblement des droites salvadoriennes destiné - pour la première fois dans l'histoire du pays - à se mesurer à d'autres partis dans une compétition électorale. L'idéologie de ce parti, qui reçut une aide importante de l'ANEP (Association nationale de l'entreprise privée) et de la Chambre de commerce pour lutter contre les reformes de structure mises en oeuvre par la Junte révolutionnaire démocrate chrétienne, est simple sinon simpliste et, comme l'art de la guerre, toute d'exécution (Rouquié 1991 : 82). L'idéologie du parti donc se fondait sur des slogans du type : « Premièrement le Salvador, deuxièmement le Salvador, troisièmement le Salvador », « Oui à la patrie, non au communisme », « Aujourd'hui la lutte, demain la paix, le progrès et la liberté » (Rouquié 1991 : 82). Cette victoire de l'ARENA à ces présidentielles renforça un secteur modéré au sein de l'élite salvadorienne contre les partisans de la solution militaire. C'est-à-dire qu'au sein de ce parti, l'élite modérée au pouvoir ne va pas trouver la solution à la crise à travers la riposte militaire contre la guérilla dans un climat où la violence est à un haut degré ; mais plutôt va faire évoluer tout le parti vers la recherche du dialogue en vue de véritables négociations pour aboutir à la paix dans le pays. Cela se concrétisa par les initiatives du nouveau patron de l'ARENA, Alfredo Cristiani, élu président du Salvador en 1989. Il va essayer de trouver un compromis avec la guérilla du FMLN afin de trouver une solution au conflit qui perdurait au Salvador. Le lendemain de son élection à la présidence, Alfredo Cristiani fait une proposition de paix au FMLN (Garibay 2003 : 434). D'ailleurs dans son discours d'investiture le 1er juin 1989, il confirme ses propositions dans un plan de paix qu'il annonce avec des conversations régulières. Ces propositions de paix ne furent pas que purement formelles car des rencontres entre gouvernement et responsables de la guérilla furent organisées. C'est dans ce sens que se situent les rencontres au sommet qui démarrent à Mexico du 13 au 16 septembre, puis se prolongent à San José (Costa Rica) du 15 au 17 octobre80(*). Ces négociations achoppent sur les questions de l'armée et du cessez-le-feu, mais n'en représentent pas moins une avancée significative par rapport aux dialogues antérieurs (Garibay 2003 : 435). La troisième rencontre était prévue sur Caracas le 20 novembre de la même année. En plus de ce facteur, il y a eu aussi les effets de l'offensive de la guérilla de novembre 1989 qui a fait évoluer vers de véritables négociations. Les guérilleros du FMLN, conscients qu'ils ne pouvaient pas remporter l'assaut final à travers cette offensive de 1989, agissaient dans l'idée de montrer non seulement qu'ils ne sont pas affaiblis comme certains peuvent le croire et le penser ; mais aussi c'était une manière pour eux de renforcer leurs positions dans les négociations. Sur le plan externe, nous pouvons noter d'autres facteurs qui ont fait évoluer le Salvador de la donne de la guerre civile à la donne de véritables assises ouvrant la voie à l'instauration de la paix. En effet, comme nous l'avons montré dans les chapitres précédents, l'ingérence des Etats-Unis dans les affaires des pays latino-américains en l'occurrence au Salvador pendant la période de guerre civile, a été vivement forte. Cependant pour qu'on arrive à mettre fin à un long conflit ou pour arriver à un apaisement dans le pays, il faut que les forces extérieures qui participent d'une manière ou d'une autre au conflit en soutenant les différents protagonistes de ce conflit, acceptent de rentrer dans la dynamique de la recherche de la paix. En ce sens que vers la fin de l'année 1989 et le début des années 90, Washington va peser de tout son poids chaque fois davantage pour parvenir à une résolution rapide et négociée du conflit salvadorien. Pour la nouvelle administration américaine dirigée par le président Bush, le Salvador devient l'un des problèmes de taille dans l'agenda de la politique étrangère américaine dans le monde latino-américain auquel il faut trouver une solution. Pour des raisons différentes, l'attitude du Congrès nord-américain va dans le même sens : si lors de l'offensive de novembre, il a voté le rétablissement de l'aide militaire, conditionnée depuis la victoire électorale d'Alfredo Cristiani, il réintroduit de nouvelles restrictions, lors de la publication du rapport Moakley, puis du vote en octobre 1990 de l'amendement Dolle81(*). L'ensemble de ces circonstances constitue autant de pressions pour le gouvernement Cristiani qui sait que le caractère indéfectible du soutien de Washington dépend de l'avancée significative des négociations (Garibay 2003 : 442). En outre, même le régime sandiniste qui a souvent soutenu la guérilla du FMLN, a accéléré le calendrier électoral dans son pays pour permettre la tenue d'élections libres, avec participation pleine de l'opposition, en février 1990. De plus le contexte international a changé. Les effets de la Guerre froide s'adoucissaient et les deux blocs incarnés par les deux super-grands (Les Etats-Unis et l'URSS) rentraient dans une phase de détente puis coexistèrent pacifiquement. La chute du mur de Berlin en 1989 sonna le glas à un contexte international changeant et eut une certaine influence dans le monde latino-américain. La guérilla du FMLN va commencer par perdre le soutien dont il bénéficiait de Moscou. C'est pourquoi, pour affirmer d'une certaine manière son existence autonome et montrer que sa force n'est pas liée exclusivement à ses soutiens internationaux qui d'ailleurs commençaient à perdre leurs influences, que le FMLN va lancer son insurrection de novembre 1989. Dans la logique du processus de négociations qui a conduit à la paix au Salvador, il faut sans doute souligner que la route qui a conduit aux Accords de paix de 1992 a enregistré des hauts et des bas. En effet, l'offensive de 1989 déclenchée par la guérilla empêchera le cours des rencontres de dialogues entre le gouvernement et la guérilla. Cet arrêt des négociations fut momentané car les discussions vont reprendre surtout avec la médiation des Nations unies. C'est ainsi que, les deux parties sollicitent rapidement l'aide du Secrétariat général des Nations unies, et pour la première fois de la guerre, les premières rencontres aboutissent sur des textes qui vont constituer des bases pour d'éventuelles négociations. Le 4 avril 1990, les parties s'engagent par l'Accord de Genève à rechercher une solution politique au conflit, sous la médiation des Nations unies (Garibay 2003 : 442). Un mois après, du 16 au 21 mai à Caracas, les thèmes et le calendrier des négociations à venir sont établis : les accords sur le devenir des forces armées, les droits de l'homme, les reformes du système judiciaire, électoral et constitutionnel et les thèmes socio-économiques constituent les points de l'agenda des discussions à venir et conditionnent in fine le cessez-le-feu et l'accord de paix final (Garibay 2003 : 442). Les négociations se poursuivirent par des séries de rencontres dans différents pays. Certaines de ces rencontres n'aboutissent pas à des résultats encourageants tandis que d'autres feront évoluer les négociations. Toujours est-il qu'il existait une volonté manifeste des deux parties de parvenir à la résolution rapide du conflit. Cette volonté était confortée non seulement par l'engagement que prirent les deux grands Mikhaïl Gorbatchev et George Bush82(*) pour la résolution des conflits en Amérique centrale lors du sommet de Moscou (fin juillet 1991) mais aussi par l'appui onusien à la résolution du conflit à travers la Mission des Nations unies au Salvador (Onusal) dont les activités démarrèrent le 26 juillet 1991 (Garibay 2003 : 447). Après les dernières discussions (les dernières négociations ont eu lieu à Mexico du 11 au 22 octobre et 5 au 15 novembre 1991 puis à San Miguel de Allende du 25 novembre au 11 décembre 1991), les Accords de paix, scellant la fin du conflit au Salvador, sont formellement signés à Mexico le 16 janvier 1992. * 79 De 1982 à octobre 1985, le leader et secrétaire général de ce parti fut le major Roberto D'Aubuisson (Rouquié 1991 : 83). Ancien chef services de renseignement de l'armée et commanditaire des Escadrons de la mort, il fut accusé plus tard d'être responsable de l'assassinat de Mgr Romero en 1980 suite aux résultats de l'enquête menée par l'Onu. La Commission pour la Vérité, qui a enquêté sur les crimes commis durant la guerre civile au Salvador (1980-1992), a établi dans un rapport paru en mars 1993, que l'assassinat de Mgr Romero a probablement été ordonné par le leader d'extrême droite Roberto d'Aubuisson, fondateur de l'Alianza Republicana Nacionalista (Arena), parti au pouvoir pendant vingt ans et jusqu'en mars 2009. Information tirée de «Mgr Romero, « l'évêque des pauvres » assassiné par les escadrons de la mort : les évêques du Salvador demandent sa béatification » in plunkett.hautefort.com/archives/2010. * 80 Le nouveau Président n'y participe pas directement mais y délègue une équipe rapprochée qui constituera le noyau dur des négociateurs gouvernementaux (Garibay 2003 : 435). * 81 Ce rapport présenté par Moakley (démocrate) chargé d'enquêter sur le massacre des Jésuites mettaient en avant la responsabilité haut commandement militaire salvadorien dans ces assassinats et l'amendement déposé par le sénateur Dolle qui sera voté par le Congrès va préconiser le gel de la moitié de l'appui financier (la moitié des 85 millions de dollars votés en crédits d'aide au Salvador) à l'armée salvadorienne jusqu'au jugement des responsables du massacre. Mais il faut noter que ce vote eut peu d'incidences réelles car le Président Bush va rétablir une grande partie de l'aide en décembre 1990, puis en la confirmant en janvier 1991 après qu'un hélicoptère de l'armée nord-américaine avait été abattu par le FMLN (Garibay 2003 : 441-442). * 82 Homme politique américain, (né en 1924). Républicain, président des Etats-Unis de 1988 à 1993. Son fils George Walker Bush (né en 1946), républicain, a été président des Etats-Unis de 2001 à 2009 (Dictionnaire de poche Larousse 2010 : 931). |
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