Les fondements pour une éthique universelle
A priori fondamentaux, idéologies,
représentations sociales
Etude de leurs rapports structurels
Robert Michit, Thierry Comon
Laboratoire européen de psychologie sociale
appliquée
Grenoble
Labo-decision@9business.fr
Abstract
En croisant trois formes d'études dans le champ de la
pensée sociale, les études sur les
représentations du groupe idéal, les analyses des
idéologies fondatrices de l'Occident industriel, enfin les travaux
sur les processus décisionnels des groupes et des individus en
entreprise, nous avons été amenées à identifier les
interdépendances entre trois objets constitutifs de la cognition sociale
: les représentations sociales d'objets sociaux, les idéologies
et les a priori fondamentaux. Ces études nous ont permis de construire
un modèle descriptif des prises de positions déclaratives des
individus et des groupes.
Mots clé : a priori, idéologie,
représentations sociales.
Introduction
Les premières études sont dans la
continuité des études sur les déterminants de la prise de
décision, dont les premiers résultats (Michit, 1995) avaient
manifesté que seul un élément du noyau central dirigeait
les prises de décisions des professionnels travaillant aussi bien dans
une entreprise que dans le secteur de l'insertion sociale. Il y avait donc une
hiérarchie entre les éléments du noyau central en ce qui
concerne leur influence sur l'action des sujets.
La question que nous nous posions alors était de
découvrir quelle était la nature des éléments plus
déterminant et la nature de leur interaction. Le programme de recherche
que nous vous présentons dans cette communication, nous a conduit
à mettre en évidence un emboîtement
hiérarchisé entre des a priori fondamentaux existentiels, les
idéologies et les représentations sociales.
Ainsi, restant dans le champ de la cognition sociale, nous
avons pu mettre en forme un modèle articulant cinq a priori existentiels
permettant, d'une part de comprendre les formes d'énoncés
idéologiques comme les représentations particulières d'un
objet social spécifique qu'un individu ou un groupe peut construire
lorsqu'il active une articulation particulière de ces cinq a priori,
d'autre part, de la même façon, ce modèle nous permet
d'anticiper les formes de décisions que prendra un individu ou un groupe
dans une situation économico-politique donnée, et enfin, il nous
permet de comprendre et d'anticiper les évolutions de la pensée
sociale des groupes, leur idéologie et leurs attitudes dans les
interactions sociales.
Nous vous présentons dans une première partie
l'histoire de la création du modèle avec ces fondements
expérimentaux, dans une deuxième partie, l'application de sa
dynamique dans l'analyse et la compréhension des logiques internes de
quatre systèmes économico-politiques.
Premier pas : Etude de la notion de groupe idéal
et dégagement des éléments idéologiques
organisateurs
Nous avons repris les expériences de Moliner (1992) et
Rateau (1995) étudiant la représentation sociale du groupe
Idéal chez les étudiants, en les appliquant à des cadres
d'entreprise, des travailleurs sociaux et des sujets appartenant à des
communautés religieuses.
Alors que pour les étudiants, les individus d'un groupe
idéal n'entretiennent pas de relations hiérarchiques
(élément du noyau central de la RS) et peuvent avoir des
intérêts divers (élément
périphérique), pour les sujets des trois autres populations, nous
avons observé que la présence d'un chef dans le groupe et la
présence d'un but commun étaient deux conditions de son
idéalité.
EXPERIENCE
On présente aux sujets le texte qui a servi à P.
Rateau comme texte inducteur de la représentation du groupe idéal
(qui pour lui était le groupe d'amis idéal) :
Pierre, olivier, Jean-Jacques, François et Marc
forment un groupe. Lorsqu'on les rencontre, ils donnent l'impression
d'être bien ensemble. Chacun d'eux déclare d'ailleurs être
plutôt content d'appartenir à ce groupe.
pour une part d'entre eux, on ajoute la phrase :
Dans ce groupe il existe une hiérarchie clairement
établie
pour une autre part on ajoute la phrase :
Ils n'ont pas du tout les mêmes
intérêts
et on demande à chacun
Quelle est votre opinion sur cette situation ? (Entourez le
numéro de votre réponse)
1. c'est un groupe très typique
2. c'est un groupe assez typique
3. ce n'est pas un groupe mais ça y ressemble
4. ce n'est pas un groupe et ça n'y ressemble pas.
Résultats: identification d'un groupe idéal
|
Etudiants
|
Cadres d'Entreprise
|
Association sociale
|
Communauté
|
Hiérarchie
|
22%
|
75%
|
75%
|
100%
|
Intérêts différents
|
85%
|
10%
|
51%
|
2%
|
La représentation sociale du groupe idéal comme
groupe d'amis est significativement affectée par le groupe
d'appartenance. Elle ne correspond à la forme de
l'idéalité que pour un groupe : celle mobilisée par les
étudiants.
L'analyse des différences affectant le noyau central
nous amène à penser que l'idéalité du groupe
dépend d'une part des différences de représentations des
relations idéales entre les sujets (la hiérarchie met en cause
l'égalité). Cette hypothèse suppose alors qu'il existe un
lien de subordination entre l'idéalité des relations et la
conception même du sujet humain.
D'autre part, les différences observées au sujet
de la poursuite d'un intérêt commun (versus l'intérêt
personnel) mettent en cause le rapport des sujets à son groupe. Nous
aurions là un autre lien de subordination, c'est-à-dire la
subordination de la notion d'intérêt (personnel versus commun)
à l'idéalité dans les rapports du sujet à son
groupe d'appartenance (l'individu premier par rapport au groupe ou
inversement).
De ces deux inférences, nous permettant de disposer
d'éléments de cognition sociale conditionnant, autrement dit
organisant de manière structurelle les expressions idéologiques
de surface, nous proposons l'hypothèse suivante :
La représentation du groupe idéal est d'une
part commandée par la représentation sociale du sujet humain et
d'autre part par la représentation sociale du rapport du sujet à
son groupe d'appartenance.
Pour tenter d'élucider les éléments
organisateurs des représentations sociales, nous avons poursuivi et
approfondi le travail sur les déterminants de la prise de
décision (Michit, 1995) en suivant trois phases.
La première analyse la position de sujets par rapport
à la représentation de leur groupe professionnel au regard des
typologies groupe d'amis idéal versus groupe productif.
La deuxième phase analyse les déterminants de
l'insatisfaction des sujets qui présentent une différence entre
ceux qui désireraient un groupe professionnel différent de celui
dans lequel ils travaillent.
La troisième phase, interroge les guides des
décisions professionnelles des sujets satisfaits de la forme de leur
groupe.
Deuxième pas : Confirmation des liens de
cohérence entre les différents éléments de la
cognition sociale.
Ayant réalisé l'expérience suivante
auprès des cadres d'une banque réalisant une fusion entre deux
sites installés dans deux départements différents, il nous
est nécessaire de rappeler les résultats des études
concernant la représentation sociale de l'entreprise bancaire, dans le
cadre des travaux sur les influences des représentations sociales dans
les prises de décisions professionnelles (Michit, 1998a).
On y établissait que pour les cadres supérieurs
de ce groupe bancaire, la banque de type mutualiste présentait une
double organisation hiérarchique du système central en fonction
des divers groupes d'appartenance des sujets déterminés par des
caractéristiques géographiques et des caractéristiques
d'activité productive.
Pour une part des sujets (27) la banque mutualiste se
présente comme une entreprise de service principalement
dirigée par le service du client et les relations de personne.
Pour une autre part des sujets (21) la banque mutualiste se
présente comme une entreprise commerciale dirigée par la
rentabilité des produits proposés aux clients dans un univers de
concurrence.
Nous obtenions un système central à deux
éléments centraux "la rentabilité", le
"service-client" associés à des pratiques en terme de
"relations de confiance" pour le premier et de "relations de
concurrence" pour le second.
1° phase.
Afin de préciser la structure du système
central, nous avons procédé à un ensemble d'observations
mettant en relation la représentation de banque mutualiste avec la
représentation du groupe idéal.
Hypothèse
Si le groupe d'amis idéal est un groupe dans lequel les
relations entre les personnes sont pensées comme amicales, alors le
groupe des professionnels qui se représentent la banque comme
basée sur les relations de confiance aura tendance à associer la
banque mutualiste à un groupe d'amis idéal.
Par contre le groupe qui se représente la banque comme
une entreprise à vocation commerciale et donc à vocation de
rentabilité, doit concevoir la banque comme un groupe professionnel dans
lequel les relations présentent une organisation hiérarchique
non amicale.
Expérience.
On propose aux 48 sujets deux ensembles de trois propositions
définissant leur entreprise. Présentée à 24 sujets
[(11activent la représentation de la banque comme devant être un
Groupe productif (G.P.)et 13 activent la représentation de la banque
comme devant être un groupe d'amis idéal G.A.I.)] le premier
ensemble présente la banque selon la structure du groupe d'amis
idéal, dans laquelle les sujets sont des personnes dont il est
nécessaire de prendre en compte les intérêts avant
même les intérêts du groupe qui est à leur service.
Le second ensemble de propositions [présentées aux 24 autres
10G.P et 14G.A.I.] la représente selon une structure de groupe productif
idéal dans lequel les intérêts du groupe entreprise sont
premiers.
Pour chaque proposition, on demande aux sujets de quantifier
leur degré d'acceptation.
Ensemble de propositions A.
L'entreprise bancaire doit être un groupe dans
lequel les relations entre les personnes sont conviviales et fraternelles
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Les individus doivent être considérés
comme des personnes : leurs compétences et leurs capacités
productive sont importantes mais ne doivent jamais être
déterminantes dans les décisions de productivité.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
La considération de l'intérêt des
personnes doit prévaloir sur les intérêts de
l'entreprise.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Ensemble de propositions B.
L'entreprise doit être un groupe dans lequel les
relations sont hiérarchiques et dirigées par la
production
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
Les personnes doivent être considérées
selon leurs compétences et leur productivité.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
La considération des intérêts de
l'entreprise doit prévaloir sur les intérêts des
personnes.
Pas du tout / possible / tout à fait d'accord
On tente dans cette association de propositions de mesurer le
degré de cohérence entre la RS du groupe et les deux autres
représentations, celle su sujet en tant que personne humaine et celle
des rapports hiérarchisés entre le groupe et les individus.
En attribuant à "Pas du tout" la note 1,
à possible la note 3 et à "tout à fait d'accord"
la note 5, nous avons les possibilités suivantes :
- si les sujets sont dirigés par la
représentation sociale du groupe d'amis idéal, l'ensemble A
obtient un score total de 15 et l'ensemble "B" un total de 3.
Et inversement si les sujets se représentent
l'entreprise comme un groupe productif.
En unissant les sujets qui obtiennent des scores pour A
strictement inférieur à 7 et pour B strictement supérieur
à 11 afin de définir des groupes qui associent les trois
représentations (groupe productif versus groupe d'amis
idéal, avec les deux représentations : hiérarchie
entre le groupe et les individus et le sujet humain) selon une
cohérence interne, nous établissons le tableau suivant :
Propositions
R.S.
|
A<7
B>11
|
7<A/B<11
|
B<7
A>11
|
Groupe Productif
|
18
|
6
|
0
|
Groupe fraternel productif
|
0
|
7
|
17
|
Comme le présumait l'hypothèse les sujets se
représentant l'entreprise bancaire comme un groupe productif
réalisent en majorité des scores A<7 ; B>11 ; et les
sujets se représentant l'entreprise comme un groupe d'amis idéal
réalisent en majorité des scores tels que A> 11 ; B < 7 .
De ces résultats précédents, nous tirons
comme conclusion que la représentation de l'entreprise est une
représentation d'un groupe qui entretient des liens de cohérence
avec la représentation des relations de subordination entre les
individus et le groupe et la représentation du sujet humain plus ou
moins objectivé relativement à l'activité de production.
Quelques mois après, quand la fusion est
réalisée, on demande aux même sujets d'exprimer leur
opinion sur le type d'entreprise qu'est devenue leur banque après la
fusion. On leur présente, cette fois-ci, les six propositions ensembles
en leur demandant de choisir parmi les six, les trois qui définissent
leur entreprise après fusion.
Résultat Après fusion :
Ensemble
R.S.
|
A<7
B>11
|
7<A/B<11
|
B<7
A>11
|
Groupe Productif
|
21
|
3
|
0
|
Groupe fraternel productif
|
20
|
4
|
0
|
On observe tout d'abord que les représentations de
l'entreprise ne changent pas à la suite de la fusion si les sujets
activent une représentation de l'entreprise comme un groupe productif.
Ce n'est pas le cas pour les autres qui expriment dans leur grande
majorité que la nouvelle entreprise est devenue un groupe productif.
Pour eux, la fusion contribue à détruire la banque mutualiste.
Le basculement dans l'évaluation de leur groupe
professionnel vers un groupe productif alors qu'ils l'attendaient comme un
groupe mutualiste au service des clients dans l'environnement
représentationnel du groupe d'amis idéal, est à l'origine
d'un sentiment d'insatisfaction proche de celui que peut produire une trahison
des fondements existentiels. Il s'agit de trouver quelles formes de
représentation prennent ces fondements pour trouver les a priori
existentiel fondamentaux qui dirigent leurs attitudes, leurs
représentations et leur pratiques décisionnelles.
2° Phase
La deuxième phase du processus de recherche conduit
à s'intéresser aux sujets insatisfaits qui subissent une
manipulation, telle que l'on peut la réaliser dans une procédure
expérimentale, de part la fusion. Cette fusion met les sujets activant
la représentation de la banque comme une entreprise de service dans un
univers représentationnel différent du leur et provoque une
insatisfaction comme nous venons de le voir.
Technique
Afin de déterminer les causes de cette insatisfaction
et tout à la fois d'éprouver notre hypothèse de
dépendance et de trouver les formes représentationnelles qui sont
remises en cause par l'opération administrative de regroupement des
outils de production, on pratique des entretiens individuels dont la technique
utilise la seule question c'est-à-dire afin de pousser
les réponses jusqu'au moment où le sujet ne réponde que
par : "parce que c'est ainsi" ou une formule similaire. Cette méthode
permet d'identifier des a priori fondamentaux qui sont des
représentations construites par l'expérience d'évidence de
vie et justifiables pas autrement que par cette évidence. Elles ne sont
pas des catégories kantiennes préexistantes à la
cognition.
Procédure
On demande aux sujets qu'est-ce qui a radicalement
changé dans les conditions de travail produites par la fusion. Les
réponses se composent de deux certitudes.
§ La première affirme que les personnes sont
considérées comme des pions au service de
l'entreprise (cela correspond à une objectivation des personnes et
à une définition de la place primordiale du groupe).
§ La deuxième renvoie au sentiment d'être
agi par les lois de la concurrence qui obligent l'entreprise à se plier
à des procédures rigides qui ne laissent plus aucune marge de
manoeuvre qui rendaient avant la fusion les employés acteurs dans le
système (les sujets sont agis par des lois économiques).
L'exemple qui est généralement cité pour appuyer cette
justification, est le mode de relation que les employés avaient, avant
la fusion, avec les applications informatiques. Il était affirmé
que : " avant la fusion chacun pouvait "bidouyer" les applications
informatiques selon sa créativité pour les rendre plus
performante et on partageait avec les collègues les astuces efficaces.
Maintenant avec la fusion, il est impossible de les transformer même si
ces nouvelles applications présentent des inconvénients majeurs.
Mais vous verrez, nous serons obligés de les bidouyer de
nouveau!"
Les sujets ne font jamais référence en dernier
ressort à l'idéalité du groupe dans leurs justifications
(par exemple : c'est parce que notre entreprise est devenue un groupe
productif), ce qui prouve que ce n'est pas la représentation du groupe
qui est touché directement par le changement réalisé.
Leurs réponses indiquent que sont touchées les
représentations concernant la place des sujets par rapport au groupe et
celles concernant leurs possibilités d'actions. Ces deux
représentations sont constitutives de la représentation du groupe
auquel ils appartiennent ou du groupe qu'ils valorisent. Autrement dit, il
existe un lien de subordination de la représentation idéale du
groupe à ces représentations.
Les deux formes déclaratives présentes ici,
seraient donc deux positions particulières possibles au regard de deux a
priori fondamentaux qui seraient 1) l'a priori de la hiérarchie entre
groupe et individu (groupe 1° versus sujet 1°) et 2) l'a
priori du sujet humain acteur versus agi.
En résumé, les insatisfaits, ceux qui se
représentent la banque comme devant être un groupe de service et
de confiance selon les modalités du groupe idéal justifient leur
insatisfaction par le fait que les personnes sont considérées
comme des pions au service de la rentabilité et de l'entreprise. Ils
activeraient comme évidence existentielle que le sujet est prioritaire
par rapport au groupe alors que dans leur entreprise l'intérêt du
groupe est premier.
La seconde justification présuppose que, dans les
nouvelles conditions de fusion, où les agents n'ont plus de pouvoir de
création, ces agents sont prisonniers des procédures et agis par
des formalités. Ils sont donc des sujets déterminés par
les conditions du marché et de l'entreprise ce qui va à
l'encontre des fondements même du sujet humain qu'ils croient, par
essence, décideur et donc acteur. La position vis à vis de la
représentation de l'essence du sujet, qu'ils activeraient ici,
renverrait à la norme d'internalité.
3° Phase
Afin d'éprouver ces résultats indiquant
l'existence d'une relation d'ordre entre les représentations sociales du
groupe et les représentations du sujet acteur/agi et des relations
hiérarchiques entre les sujets et le groupe, nous sommes
intéressés aux individus qui ne subissaient pas de changement de
leur champ représentationnel.
Ceux qui se représentent l'entreprise comme un
groupe dans la concurrence sont satisfaits de l'évolution de leur
groupe. Ils justifient leur satisfaction par le fait que les conditions de
l'existence sont celles de la concurrence et qu'il n'est pas possible de faire
autrement. Par ce biais, il est impossible de remonter à la
causalité de leur satisfaction.
Justifications
Jugement
|
accepter la réalité
|
Le sujet est second
par rapport au groupe
|
Le sujet n'est pas acteur
|
satisfaits
|
21
|
|
|
insatisfaits
|
|
27
|
27
|
Afin de trouver la causalité de la satisfaction des
cadres dans la culture de productivité, on analyse les
éléments déterminants les prises de décisions
professionnelles managériales (délégation,
évaluation, formation) et commerciales en situation de conflits avec un
client. Il est demandé aux cadres d'identifier 3 situations
réelles de prise de décisions parmi ces situations possibles.
Technique
Au moyen de l'entretien d'explicitation des processus
décisionnels (Michit R. 1998b), les éléments de la
décision sont identifiés dégagés des opinions
surdéterminées par la norme sociale.
Résultats
Sujets satisfaits
|
Sujets non satisfaits
|
Décisions
|
management
|
client
|
management
|
client
|
59/63 justifications
groupe 1°/sujet
|
60/63 justifications
groupe1°/sujet
|
81 justifications
Sujet 1°/Groupe
|
81 justifications
Sujet 1°/Groupe
|
63 justifications
Sujet acteur
|
63 justifications
Sujet acteur
|
81 justifications
Sujet acteur
|
81 justifications
Sujet acteur
|
57/63 justifications
rentabilité/aide
|
35/63 justifications
rentabilité/aide
|
54/81 justifications
aide en situation difficile/rentabilité
|
75/81 justifications
aide en situation difficile/rentabilité
|
Exemples de justification.
Cas de délégation : Pour
être efficace, il me fallait un gars compétent et autonome. J'ai
pris celui qui permettrait à l'équipe d'être la plus
performante.
Pour connaître la hiérarchisation des a priori,
il est demandé d'indiquer les éléments premiers. Se
dégagent, alors, à partir d'un premier discours de justification
semblable, deux hiérarchies :
L'une identifie l'individu comme premier car il est
compétent et sera un acteur efficace ; l'autre identifie la
réussite du groupe comme première et donc l'individu n'est choisi
comme acteur que parce qu'il permettra la réussite du groupe.
Dans le cas de l'évaluation
Première typologie de justifications obtenues :
Puisqu'un agent est un acteur/responsable et qu'il est dans une entreprise, il
est nécessaire d'évaluer ses compétences afin de le mettre
dans le poste qui permettra à l'entreprise d'être plus
compétitive.( sujet : acteur et groupe 1°)
Deuxième typologie de justifications obtenues :
Puisqu'un agent est acteur dans l'entreprise, le groupe doit l'aider à
développer ses compétences (sujet : acteur et
1°).
Cette analyse a été menée auprès
de 400 sujets appartenant à des entreprises différentes. On
retrouve les mêmes déterminants à l'origine des
décisions. Ces résultats mettent en évidence l'accord avec
la norme d'internalité du sujet acteur qui serait une des prises de
position possible concernant l'a priori fondamental existentiel concernant
l'essence du sujet humain. Les réponses manifestent cependant la
présence d'un autre a priori, celui du sujet premier au groupe ou
second. Les positions d'évidence causale de cet a priori sont moins
stéréotypées puisqu'on assiste là à une
équipartition entre deux populations activant deux positions
différentes.
Troisième pas : Le modèle des a priori fondamentaux
On vient de montrer que les représentations sociales
d'objets sociaux comme le groupe idéal, relève d'une articulation
spécifique d'a priori fondamentaux qui structurent leur noyau central.
Nos travaux antérieurs démontrent que les décisions
dépendent d'un seul élément du noyau central. De ces deux
constats nous faisons l'hypothèse que les a priori sont en nombre
limité.
Objectif de recherche
Il devient alors nécessaire de découvrir le
nombre et la forme de ces a priori dans le but de comprendre les
décisions et les comportements des individus autrement dit leurs
pratiques et l'évolution de leurs positions idéologiques.
Méthode
Il s'est agi de dégager de l'analyse
théorique de la condition des sujets psychosociaux les a priori qui
constitueraient leurs discours philosophiques, religieux et d'économie
politique.
Analyse théorique
Pour le moment, cette présente étude a
mis en évidence, d'une part un a priori qui serait l'a priori de
l'internalité qui prend position sur la conception du sujet comme un
sujet acteur en opposition au sujet qui serait agi. D'autre part, nous avons
identifié un autre système de prises de position a priori qui
renvoient à la hiérarchisation d'un sujet versus son groupe
d'appartenance autrement dit sur la nature des relations sujet/groupe.
Théoriquement ces deux a priori peuvent prendre
chacun trois positions rationnellement possibles. Pour l'a priori des relations
hiérarchiques sujet/Groupe, les trois seules positions possibles sont :
le groupe est premier par rapport à l'individu,
l'individu est premier par rapport au groupe,
il existe une relation d'égalité entre
les deux1(*).
Pour l'a priori concernant l'essence du sujet, sont
rationnellement possibles les positions l'appréhendant comme sujet
acteur, sujet agi ou sujet acteur-agi (Michit, 1995).
A partir de la modélisation de toute situation
psychosociale en trois pôles {Ego (individu/groupe) ; Autre
(individu/groupe) ; Réel (environnement/objet/machine), il nous manque
d'identifier la nature de l'altérité. Nous trouvons pour la
concevoir, là encore, uniquement trois positions rationnellement
possibles soit l'autre est une réité (c'est un objet que je
manipule ou utilise en fonction de mes objectifs, c'est un
élément au service des objectifs du groupe, l'autre est le
produit des forces productives par exemple), soit c'est une
ipséité (un autre soi-même comme le propose Ricoeur(1990),
soit enfin c'est une vacuité, c'est à dire que l'autre
n'intéresse pas en tant qu'autre même s'il est traité selon
les règles de la politesse (dans le judaïsme, les Goïm sont
considérés dans l'indifférence, dans le catholicisme on
parlait du péché d'omission).
En fin, il nous reste à identifier le
réel de la triade psychosociale. Ce "réel" peut être vu
soit comme un objet, soit comme un outil soit comme un environnement. Les
positions déclaratives le représentant socialement touchant son
essence sont là encore, rationnellement au nombre de trois, ce
"réel" est un objet ou un environnement conçu comme
potentiellement transformable2(*),
c'est un objet ou un environnement représenté comme une ressource
(environnement/objet : ressource) doté d'une subjectivité
animée tel qu'on le trouve dans les civilisations nomades ou dans les
religions animistes ; enfin c'est un écosystème, tout à la
fois, transformable et ressource.
Il nous reste à considérer dans la triade
psychosociale, les positions a priori sur le rapport à la mort des
éléments de la triade. Cet a priori, relatif à la forme
d'existence après la mort, ne peut prendre que trois positions
rationnellement possibles, là encore. Soit il y a de la vie et nous
sommes dans l'univers de l'idéalisme et du religieux. Soit il n'y a rien
et ce sont les positions matérialistes et les fondements de l'immanence
du monde. Soit enfin les individus ne répondent pas à la question
et s'ils ne répondent pas c'est qu'ils ne peuvent pas prendre position
ni pour l'une ni pour l'autre, ils sont dans un vide de représentation.
Nous sommes désormais en capacité de construire un
tableau des différentes évidences théoriques possibles
définissant un ensemble d'a priori fondamentaux structurels qui seraient
à l'origine des organisations représentationnelles que sont les
idéologies et les représentations sociales d'objets sociaux.
Le modèle des a priori fondamentaux d'existence
Positions
A priori
|
1
|
2
|
3
|
Mort
|
Vie après: idéalisme
|
Rien après
Matérialisme
|
Pas de réponse
Agnostique
|
Sujet
|
acteur
|
Agi
|
Acteur/agi
|
Sujet/groupe
|
Sujet 1°
Groupe 2°
|
Groupe 1°
Sujet 2°
|
Egalité entre les deux
|
Altérité
|
réité
|
Vacuité
|
ipséité
|
La nature
ou Environnement
|
Fabriqué/objet
|
Ressource
|
écosystème
|
Quatrième pas : Le modèle des a priori
fondamentaux appliqué à l'analyse des différents discours
d'économie.
POSTULATS IDEOLOGIQUES ET THEORIES ECONOMIQUES
L'objectif de notre contribution consiste à
vérifier la pertinence heuristique du modèle d'analyse des A
Priori Fondamentaux Existentiels en l'appliquant à l'étude des
productions théoriques relatives au champ de l'économie.
Discours de vérité mêlant faits et
croyances, nous nous sommes efforcés d'identifier les indices de
préférence structurant les représentations
théoriques des auteurs à l'origine des différentes
écoles de pensée économiques à partir de leurs
essais théoriques les plus connus. Le traitement de tels corpus reprend
une des démarches de l'entretien d'explicitation, mais ici de
manière évidemment spécifique : il s'agit de se centrer de
manière systématique sur les termes de coordination, lieux de
glissements de sens, de s'arrêter aux métaphores, slogans,
illustrations générales pouvant avoir même fonction et de
poser alors au texte la question du "c'est à dire?", tout en
allant soi-même à la rencontre soit d'une réponse explicite
sous forme d'énoncé d'évidence, soit d'une non
réponse nous obligeant à tirer de l'énoncé
précédent l'indice d'une préférence dans
l'attribution de tel ou tel a priori.
On peut distinguer quatre grandes écoles qui dominent
aujourd'hui le champ des analyses théoriques en économie et qui
ont donc toutes pour prétention d'une part d'expliquer de manière
exhaustive (en fonction de leur modèle de description spécifique)
les causes structurelles des crises économiques et, d'autre part,
d'exposer les démarches ajustées pour remédier aux
déséquilibres ainsi élucidées.
|
Ecole Classique
|
Ecole Marxiste
|
Ecole Keynésienne
|
Ecole Régulationniste
|
Acteur / Agi
|
Acteur
|
Agi
|
Acteur/Agi
|
Acteur/Agi
|
Individu / Groupe
|
Individu
|
Groupe
|
Groupe/Individu
|
Individu
|
Rapport à la mort
|
Vie
|
Rien
|
Association Transcendance / Immanence
|
Association Transcendance / Immanence
|
Rapport à la nature
|
Objet à domestiquer
|
Objet à domestiquer
|
Objet à domestiquer
|
Ecosystème
|
L'autre
|
Réité
|
Réité
|
Vacuité
|
Ipséité
|
Libéralisme (Analyse classique,
néo-classique) :
Le point de vue des économistes classiques ou
néo-classique est assez nettement marqué sur l'ensemble de ces
postulats. Et la parenté célèbre avec les origines du
protestantisme nous aide d'ailleurs à distinguer ces positions de base
:
Selon leur modèle, les agents sont rationnels et
prennent des décisions optimales concernant leur intérêt
matériel. Et l'entrepreneur individuel qui est le sujet moteur du
développement de la société, à l'instar de la
figure du self made man, doit penser son intérêt propre car seule
une telle conduite permet La Richesse des Nations3(*).
Dans ces deux credos, on trouve à la fois l'idée
du sujet acteur complet de son destin et la primauté de
l'individu par rapport au groupe : la recherche par chacun de son
intérêt individuel permet d'atteindre l'optimum
général.
Concernant le rapport à la mort, l'origine
protestante partagé par les théoriciens libéraux conduit
à la reconnaissance de la croyance en un passage vers un autre forme de
vie.
Enfin, le fondement du développement de la
société capitaliste repose sur une modification intensive de
la nature, objet dont la domination et l'instrumentation efficace
constitue l'enjeu moteur du développement social.
Il apparaît aussi clairement que l'individu Autre est
considéré au mieux comme facteur de production, voire chez
Jean-Baptiste SAY, comme élément surnuméraire provisoire
car «lorsque la demande de travaux grossiers diminue, les salaires tombent
au dessous du taux nécessaire pour que la classe manoeuvrière se
perpétue» [une fois éliminés les plus faibles, le
problème est résolu : le plein-emploi est assuré pour les
survivants].
L'autre est donc réité. Il n'y a pas ici
contradiction avec la foi : plus précisément il faut comprendre,
en lien avec les postulats protestants, que les premiers théoriciens du
capitalisme agisse une distorsion entre foi (amour de l'autre) et oeuvre,
rendue possible par l'idée selon laquelle tout homme sera sauvé :
les autres peuvent donc être utilisés dans les oeuvres4(*).
Marxisme :
Dans une lettre qui exprime son opposition à
l'idéalisme de Proudhon5(*), Marx éclaire de la manière suivante son
idée centrale du matérialisme historique :
«Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle
forme sociale? Pas du tout. Posez un certain état de
développement des facultés productives des hommes et vous aurez
telle forme de commerce et de consommation. Posez certains degrés du
développement du commerce et de la consommation et vous aurez telle
forme de constitution sociale, telle organisation de la famille, en un mot
telle société civile. Posez telle société civile et
vous aurez tel état politique.»
Ainsi, les forces productives et les rapports de production
conditionnent donc l'existence sociale
On dispose donc là d'un indice fort d'une position de
principe relative au rapport entre individu et liberté qui pose
le caractère agi du sujet humain du fait des lois de
développement des sociétés humaines selon le modèle
de description matérialiste historique.
Concernant le second point, on distingue assez clairement ce
qu'il en est pour les pratiques politiques prétendant s'inspirer du
marxisme (discipline militante de fer, centralisme dit démocratique,
dictature du prolétariat...), mais les écrits de Marx et Engels
ne posent pas de postulats clairs relatifs à cette idée de
primauté de l'individu par rapport au groupe ou inversement.
Deux textes nous permettent néanmoins de poser
l'hypothèse d'une réponse ferme.
Lorsque Marx critique la Déclaration des Droits de
l'Homme, c'est notamment parce que cette dernière ramènerait trop
strictement au caractère inaliénable du droit à la
propriété excluant ainsi le devoir de solidarité sociale.
Premier indice d'une supériorité du groupe par rapport au sujet
individu.
Par ailleurs, plusieurs écrits6(*) dénoncent la violence
recouverte par les rapports sociaux capitalistes dans le fait de
décomposer le collectif des producteurs en une juxtaposition
forcée d'individualités séparées
dont les capitalistes (eux-mêmes simples instrument du
«mouvement du capital») pompent le surtravail. Le groupe
prolétaire (seul Sujet de la littérature marxiste) est donc
premier. C'est la décomposition du collectif qui est d'abord
soulignée et dénoncée et non l'étouffement des
talents individuels.
Certains sociologues ou philosophes, se réclamant d'une
filiation marxiste (Jacques BIDET, Michel HENRY ou Louis DUMONT) reconnaissent
en Marx, à la lecture des modes idéologiques contemporaines qui
valorisent le désir individuel et la subjectivité, un philosophe
qui «en dépit des apparences est essentiellement individualiste
[par opp. à holiste]»(L. Dumont, 1977). Mais aucun de leurs propos
ne réfèrent des écrits de Marx ou Engels qui
témoigneraient explicitement du primat de l'individu sur le groupe. Et
les arguments pour sortir la pensée marxiste d'une vision holiste
(considérant les individus comme membres fonctionnels du
développement d'une dialectique sociale propre au matérialisme
historique) relèvent plus d'une rationalisation post mortem ralliant les
fondements de l'analyse marxiste à l'ordre idéologique ambiant
des troupes proches des mouvements dits de la pensée critique que d'un
travail d'interprétation objectif des travaux publiés par Marx et
Engels.
Concernant le troisième postulat, on peut
déduire la position préférentielle relative à la
signification de la mort à partir, non pas tant de l'expression
de la "religion Opium du peuple" que de l'énoncé des fondements
de la primauté matérialiste de l'existence humaine : c'est la
force de la pratique, de l'action, de la production matérielle qui est
première. Le fondement de la vie se trouve dans l'enchaînement des
forces d'action sur la matière. Il n'y a par ailleurs chez Marx aucune
expression d'incertitude quant à la capacité à objectiver
le fonctionnement social.
Concernant le rapport à la nature, les points de
vue anthropologiques marxistes rejoignent sur ce point les fondements de
l'école néo-classique7(*). «Du fait de leur organisation corporelle, les
hommes doivent produire leurs moyens d'existence en transformant la nature : il
n'y a jamais de liberté effective qui ne passe par la transformation
matérielle (Poïesis) et qui ne produise une transformation de soi
(Praxis)". De surcroît, les marxistes sont d'abord des
spécialistes du développement de l'économie industrielle
attachés à ce propos au développement de ce que H.
Ahrent(1994), énoncera comme un ouvriérisme théorique.
Concernant la dernière dimension, s'il est vrai que
Marx et Engels dénoncent avec vigueur le fait que, dans le monde des
valeurs marchandes, les sujets sont évalués en tant que choses et
par conséquent transformés en chose (processus de
réification) soulignant ainsi selon eux l'extrême
aliénation de l'humanité dans le capitalisme, on ne trouve pas
pour autant, au delà de cette identification de protestation sociale,
trace d'une ouverture fondamentale à la différence de l'autre,
celui qui pense différemment et déploie d'autres
intérêts. Les appels à la Révolution, à la
Dictature du Prolétariat laissent plutôt à penser que
l'Autre doit être détruit. L'autre est donc
réité.
Keynésianisme :
Le Keynésianisme correspond (dans le contexte de la
grande crise de 1929) à un effort pour sortir des ornières de
l'analyse néo-classique: c'est une approche qui se veut plus
réaliste démontrant en particulier que dans une économie
concrète les mécanismes spontanés du marché ne
suffisent pas pour atteindre les objectifs essentiels que sont le plein emploi,
l'évitement des crises de surproduction ou l'utilisation par trop
excessive des ressources existantes.
Keynes énonce clairement dans sa critique des
énoncés libéraux, qu'il n'existe pas de parfaite
rationalité chez les agents économiques, et que ces derniers ne
disposant jamais d'informations parfaites sur la situation présente et
future, les prévisions restent marquées par «une
extrême précarité des fondements de nos évaluations
en la matière» (rentabilité anticipée par
l'entrepreneur de son investissement).
Cet énoncé, issu d'observations empiriques,
conduit Keynes à valoriser le rôle des anticipations des
entrepreneurs dans une bonne tenue de l'économie tout en soulignant le
caractère «subjectif, non rationnel» du pari posé : les
erreurs d'appréciation existent (Exemple célèbre : le
prêt à des créanciers insolvables). L'Etat peut dès
lors réguler au niveau global les incohérences locales possibles
: on peut considérer que la démarche Keynésienne valorise
un a priori d'un Sujet à la fois Acteur et Agi.
A propos du rapport Individu/Groupe, la position
basique Keynésienne -si elle s'appuie globalement sur les effets
délétères en terme de cohésion sociale des
pratiques capitalistes non régulées par l'Etat - ne bascule pas
du côté de la position du primat de la communauté : comme
l'indique Keynes (1990)8(*), «l'appel intense aux
instincts de lucre de l'individu comme principale force faisant fonctionner la
machine économique est indispensable».
Il n'y a pas contradiction, mais plutôt semble-t-il une
souplesse d'arbitrage s'appuyant sur l'alternative Sujet / Groupe.
Concernant le troisième postulat, on pourrait
déduire la position préférentielle relative à la
signification de la mort à partir de l'énoncé
célèbre de Keynes concernant les anticipations LT «A long
terme, nous serons tous morts!». Il est plus sérieux de signifier
que l'on peut identifier au travers de l'instance keynésienne concernant
les incertitudes irréductibles des comportements économiques,
l'expression possible d'une articulation Transcendance/ Immanence.
Concernant le rapport à la nature, le point de
vue keynésien reste fondamentalement dans la lignée des
idées d'assujettissement de la nature à l'homme.
A propos du phénomène de
l'altérité, il est vrai que Keynes dénonce avec
vigueur le caractère "belliciste des propos politiques
révolutionnaires de Marx". Pour autant, il n'y a guère de
position explicite concernant l'autre : la position de Vacuité
semble la plus ajustée.
L'école de la régulation
L'école de la régulation est constituée
d'un groupe d'économistes français d'inspirations initiales
marxiste et keynésienne qui s'est attaché à l'étude
de la crise contemporaine à partir d'une analyse historique comparative
permettant de distinguer les changements significatifs des modalités de
production, d'échange, de consommation et d'accumulation du capital dans
les sociétés capitalistes.
L'originalité de leur analyse repose à la fois
sur une revue critique des fondements dogmatiques obsolètes des trois
écoles précédentes et sur une tentative de relecture
systématique des changements survenus au cours des trois "grandes
crises" du développement capitaliste contemporain (1866, 1929, 1975).
Aussi, de plus en plus articulés à
l'identification des limites des théories précédentes
confrontées aux différentes réalités
socio-économiques, les écrits régulationnistes laissent
peu de place à l'expression franche de postulats idéologiques
énoncés sous forme d'évidence.
Les indices ténus que nous avons perçu
relèvent plus de la lecture des prises de positions de certains auteurs
de cette Ecole (Lipietz, Boyer, Aglietta) concernant des
événements sociaux proches (notamment "le magnifique mouvement de
décembre 1995" A. LIPIETZ, 1996), que d'une
reprise directe des écrits théoriques.
Concernant le premier postulat, les régulationnistes
rejoignent la position des keynésiens tout en empruntant une
démarche d'allure marxiste : il existe des règles du
développement économique qui s'appliquent à tous et
forment un tout cohérent (organisation de la production, partage de la
valeur ajoutée, composition de la demande de consommation) pour chaque
régime successif d'accumulation. Mais en même temps, les
économistes de la régulation reconnaissent que les changements de
régime d'accumulation sont les produits à la fois d'innovations
techniques décidées par des groupes d'acteurs entrepreneurs, et
par des contestations des modes d'organisation du travail et de
l'autorité en entreprise par les salariés. Ne reprenant pas
à leur compte la phraséologie marxiste signifiant ces
décisions comme le produit d'une nécessité historique dont
ils seraient les simples exécutants, on peut légitimement
considérer que l'école de la régulation mobilise un a
priori du sujet à la fois agi et acteur, acteur en agissant en
fonction de la connaissance et de l'articulation des lois ainsi
énoncées.
Fondamentalement, les régulationnistes mettent
particulièrement en avant la remise en cause des formes
institutionnelles du régime d'accumulation de type fordiste dans ses
trois dimensions structurantes : organisation du travail, normes de
consommation et coûts collectifs de la croissance.
La crise sociale du travail est reliée dans leur propos
à la négation des subjectivités créatrices
(Gorz) du capitalisme industriel et marchand. Ce n'est plus
tant le sujet collectif prolétaire qui est défendu, que la
personne dans sa quête d'épanouissement et d'émancipation
des groupes ou classes. L'individu est donc premier par rapport au groupe.
C'est le premier point central de clivage avec les fondements marxistes,
même si quelques auteurs en appellent dans leurs conclusions à la
"volonté du peuple décidé". + problème
d'attachement à la solidarité sociale (indice d'une dissonance
cognitive relative aux appartenances idéologiques
premières...).
Les postulats idéologiques du rapport à la
mort ne peuvent pas être distingués dans la démarche
régulationniste : les trois positions sont compatibles.
Par contre, il y a une rupture évidente concernant le
rapport à la nature. Les auteurs de l'école de la
régulation insistent avec force sur le bilan écologiquement
insoutenable de l'accélération systématique de la
productivité apparente du travail. Aussi, renvoient-ils au respect
nécessaire de l'équilibre des écosystèmes. La
nature est une ressource tranformable.
Pour ce qui concerne le dernier a priori fondamental, il
semble que les auteurs sont ici plus attachés à la volonté
de "recoudre la déchirure sociale" qu'à la volonté de
convaincre de la puissance supérieure de leur modèle de
présentation de la situation économique. C'est la volonté
d'ouverture à l'autre et la main tendu aux plus faibles, à
l'intérieur d'une démarche réformiste de
négociation avec les acteurs des pouvoirs, qui semble structurer le
fondement du rapport à l'autre au coeur de cette démarche.
L'autre est donc ipséité.
En résumé, ce modèle d'analyse des cinq a
priori fondamentaux trouve donc une application heuristique des plus claires
pour identifier les soubassements idéologiques structurels des
pensées économiques contemporaines.
Le travail présenté n'est que l'ébauche
d'un programme d'étude plus ambitieux : ce programme visera non
seulement à fiabiliser ces premiers résultats à partir
d'une interrogation des auteurs de chacune de ces Ecoles mais aussi à
identifier les dynamiques possibles d'évolution, de modulation, de ces
systèmes de pensée notamment en clarifiant d'une part les
hiérarchisations portées sur ces différents a priori et
d'autre part les articulations construites avec les importants pragmatiques
lors de décisions concrètes relatives au champ économique
et social.
Par ailleurs, constatant qu'au fur et à mesure des
développements théoriques, les écoles marchent par
accumulation successive de savoirs qu'elles passent au crible du réel,
il devient de plus en plus difficile d'accéder aux évidences
premières. Il est alors nécessaire d'aller au contact des
littératures et des littérateurs pour identifier les importants
pratiques confrontés au réel.
Pronostics d'évolution des positionnements
politiques
à partir de l'identification des Postulats
Idéologiques de base
Groupes
Partisans
A Priori
Fondamentaux
|
MDC
|
PC
|
PS
|
Verts
|
Droite Tendance
Sociale Démocrate Chrétienne
Bayrou
|
Droite Tendance
Libérale
Madelin
|
Droite
Tendance
Traditionaliste
Pasqua - Villiers
|
FN
|
Agi
Acteur
Agi /Acteur
|
Agi
|
Agi
|
Agi /Acteur
|
Agi
/Acteur
|
Acteur
|
Acteur
|
Acteur
|
Acteur
|
Individu
Groupe
Individu/Groupe
|
Groupe
|
Groupe
|
Individu /
Groupe
|
Individu
|
Individu /
Groupe
|
Individu
|
Groupe
|
Groupe
|
Nature objectivée
Nature subjectivée
Ecosystème
|
Objet
|
Objet
|
Ecosystème
|
Ecosystème
|
Objet
|
Objet
|
Objet
|
Ressource
|
Alterité
Réité
Vacuité
|
Vacuité?
|
Réité?
|
Ipséité
|
Ipséité
|
Ipséité
|
Réité
|
Vacuité
|
Réité
|
Immanence
Transcendance
Immance/Transcdce
|
?
|
Imance
|
?
|
?
|
Transcdce
|
?
|
Trnscdce
|
Trscndce
|
Démarche d'étude :
Discours de vérité mêlant faits, valeurs
et croyances, les systèmes idéologiques politiques
déploient des représentations indiquant leurs
préférences du point de vue de l'ensemble des a priori
fondamentaux relatifs aux composantes essentielles de l'existence
humaine. Nous nous sommes donc efforcés de les identifier en partant des
programmes, discours et autres interviews des représentants les plus
connus appartenant aux partis significatifs du paysage politique
français.
Le traitement de tels corpus reprend en fait une des
démarches de l'entretien d'explicitation, mais ici de manière
évidemment spécifique : il s'agit de se centrer notamment sur les
termes de coordination (lieux de glissement de sens), de s'arrêter aux
métaphores, slogans, illustrations générales pouvant avoir
même fonction et de poser alors au texte la question du "c'est
à dire?", tout en allant soi-même à la rencontre soit
d'une réponse explicite sous forme d'énoncé
d'évidence, soit d'une non réponse nous obligeant à tirer
de l'énoncé précédent l'indice d'une
préférence dans l'attribution de tel ou tel a priori.
Nous avons distingué huit mouvements politiques qui
dominent aujourd'hui le champ de la prétention à participer au
gouvernement de notre pays. Et nous nous sommes ainsi efforcés de
repérer leur a priori existentiels à partir du modèle
d'analyse ci-dessus.
Commentaires du tableau :
A propos du clivage Gauche / Droite : Vitalité
et Usures.
Il est frappant de constater que, contrairement aux discours
les plus convenus en matière d'étude des mouvements politiques,
la différence idéologique entre la gauche et la droite trouve en
France un fondement des plus clairs.
Les mouvements de Droite insistent quant à la
causalité individuelle des événements : ils sont du
côté de la norme dite d'internalité. La
détermination par la situation (on pense notamment à l'origine
sociale) n'est donc jamais première.
Les mouvements de gauche déploient, quant à
eux, une préférence pour une causalité de type
situationnelle : ce sont les déterminants environnementaux qui agissent
sur les personnes. On peut considérer que du côté du Parti
Socialiste, le postulat est plus précis : il existe des
déterminations notamment sociales, mais elles ne soulagent pas
l'individu de sa responsabilité personnelle et de sa capacité
à agir de manière autonome c'est à dire en prenant en
compte ses Nomos9(*). Cette
interprétation trouve sa confirmation dans l'observation des
préoccupations premières partisanes : le souci à Droite
d'une liberté à laisser notamment dans les actes
microéconomiques (Consommation / Production / Utilisation du Revenu), le
souci à Gauche d'une équité sociale à promouvoir
(la prise en compte des plus démunis).
En même temps, il est frappant de constater à
quel point, sur tous les autres postulats, le clivage Droite/ Gauche n'est plus
en effet d'actualité. Ils ont néanmoins une grande vertu
heuristique à la fois pour confirmer cette obsolescence et pour
identifier clairement les différences internes.
A Gauche :
Nos résultats d'analyse démontrent la
proximité des fondements idéologiques du PS et
des Verts. Rien de fondamental ne les distingue : l'insistance
sur les préoccupations relatives à la nature ne constitue qu'une
différence apparente10(*). Le seul point de distance relèverait du
rapport Individu / Groupe : du côté du mouvement socialiste, il
n'existe pas de priorité structurelle a priori mais un balancier de
droit et de devoir de l'un vis à vis de l'autre. Chez les Verts, si
certaines positions de principe stipulent une recherche d'équilibre
entre les deux positions, les prises de décisions dans les situations
sociales ou politiques critiques accordent une prédominance au sujet
individuel. Le groupe n'est pas premier.
On retrouve là une forme de tradition libertaire qui
vise le soutien à la personne dans sa quête
d'épanouissement et d'émancipation des groupes ou classes
notamment en matière de moeurs. L'individu semble donc être
premier par rapport au groupe.
On peut faire l'hypothèse qu'au fur et à mesure
de la prise de responsabilités politiques de ce mouvement, des a priori
de type pragmatique conduiront les dirigeants à faire évoluer le
postulat de primauté du sujet individuel : l'architecture sociale comme
espace de construction de la citoyenneté sera alors plus prise en
compte11(*).
Cette contiguïté des positions entre Verts et PS
est d'ailleurs fort bien perçu par Daniel COHN BENDIT12(*) : "Le grand débat qui
nous divise porte sur la définition de l'urgence". Il n'y a donc pas, au
sens propre du terme, de désaccord de fond. Pourtant, notamment au
niveau local, il est frappant de constater la force d'expression des conflits
entre ces deux mouvements : la lutte de "la petite différence" se
traduit en lutte de pouvoir, de concurrence pour un même marché,
où l'autre (partenaire de fond perçu comme rival) est vécu
soit comme un traître, soir comme un "pilleur-copieur"13(*)?.
Si la proximité idéologique PS / Verts
paraît confirmée, qu'en est-il du lien entre les deux partenaires
traditionnels de la Gauche PS et PCF? Il est
frappant de constater que les a priori existentiels sont en fait assez
éloignés. Car là où le PS ne s'engage pas sur une
priorité structurelle dans ses positions idéologiques, le PCF
déploie, lui, des positions de principe structurelles. C'est d'ailleurs
la stabilité de ce positionnement dogmatique qui explique à la
fois la faiblesse relative du PCF aujourd'hui en France et l'échec
cuisant de la liste Bouge l'Europe! aux élections
européennes dernières : la composition de cette liste produisait
un grand flou quant à la permanence des fondements idéologiques
de ce mouvement en cohérence avec le PCF. Troublant ainsi les
représentations encore attachées à la direction de ce
parti, les électeurs traditionnels du Parti Communiste ne pouvaient pas
s'y reconnaître.
La reproduction de cette fragilisation identitaire (cette
apparence de métamorphose libertaire) ainsi produite pourrait conduire
à deux scénarios non exclusifs : la fin du PCF,
l'intégration des représentants réformistes du PCF au PS
sans pour autant que l'électorat communiste suive.
C'est pour cette raison qu'en effet, stratégiquement,
le PS n'a pas trop intérêt à court terme à favoriser
un changement radical des représentations idéologiques
attachées au PCF : le face à face idéologique PS-PCF
permet plus facilement de gagner les élections en cas d'union qu'en cas
de fusion; car dans ce dernier cas, un noyau idéologique -certes faible
mais électoralement significatif- ne serait plus
représenté.
Le cas MDC : Comparaison PC et Opposition aux
Verts.
Il n'est pas évident de distinguer les a priori
distinguant la tradition du mouvement MDC du
PCF : autant en effet, dans les fondements de
l'idéologie communiste, la mort constitue strictement l'arrêt de
toute existence, autant ne trouve-t-on pas de position tranchée au MDC.
Mais en fait comme nous le verrons, cet a priori est peu structurant de
l'action et de l'opinion manifestée dans le champ politique.
En fait, pour ce qui concerne ces deux partis, la distinction
entre l'a priori théorique existentiel et l'a priori
pragmatique paraît des plus heuristiques notamment ici pour ce qui
concerne le rapport à l'Altérité. Autant dans les
fondements théoriques marxistes, les appels à la
Révolution, à la Dictature du Prolétariat laissent
plutôt à penser que l'Autre doit être détruit comme
objet de l'aliénation, autant dans les fondements
pragmatiques les dirigeants communistes sont mus par une plus grande
ouverture à l'autre et exprime clairement l'abandon des fondements d'une
idéologie exclusive.
Par contre, nous faisons l'hypothèse qu'issu des
courants réformistes, le MDC se réfère certes à une
ouverture théorique à la différence de
l'autre mais déploie d'un point de vue pratique des
démarches où l'Autre est considéré comme une
réité.
Par ailleurs au MDC le culte de la mystique
républicaine, l'identification forte à des héros
politiques, à des figures transcendantes s'opposent à la
situation de sécularisation avancée du PCF.
Ces clefs de lecture démontrent par ailleurs que les
deux mouvements les plus en proximité du PS (MDC
historiquement, les Verts idéologiquement) déploient des A priori
assez opposés; notamment sur la place laissé à l'individu
acteur. Et c'est en effet la pierre d'achoppement entre ces deux mouvements :
MDC traitant la pensée Verte "d'Idéologie
Libérale Fin de Siècle", les Verts reprochant
à MDC "son incapacité à décrypter la
réalité".
A Droite :
On peut constater à la lecture du tableau que nous
n'avons pas distingué de liste RPR. Les dernières
élections européennes ont en fait démontré
l'existence de trois Droites : Démocrate Sociale
Chrétienne, Libérale et Traditionaliste, dont seule
cette dernière peut se revendiquer d'une tradition Gaulliste.
Retour sur la distinction Gauche / Droite
:
On identifie clairement qu'il n'y a qu'un seul A Priori
fondamental (l'A priori du Sujet Acteur ou Agi-, mais on a perçu qu'il
était de taille14(*)), qui distingue PS et Démocratie Sociale
Chrétienne : il n'est donc pas impossible que des accords puissent se
réaliser y compris sur des questions de société
(abstraction faite du problème de la laïcité) lorsque
l'indice pragmatique pour l'un comme pour l'autre primera sur l'attachement
à ce postulat.
Le rapport à la nature constitue aussi un point de
postulat commun entre certains partis de la Gauche et certains partis de la
Droite : la Droite (sauf sa partie Traditionaliste) partage avec le PCF et MDC
le souci premier du développement de la civilisation industrielle. On
verra donc que le souci de la nature comme écosystème, auquel se
réfèrent Socialistes et Ecologistes, constitue aussi une
préoccupation fondamentale dans l'idéologie Traditionaliste de
Droite voire, mais d'une façon il est vrai très
spécifique, d'extrême droite.
Maintenant quelles sont les distinctions
idéologiques fondamentales entre ces trois traditions politiques de
Droite?
Entre la tendance chrétienne (ne
pourrait-on pas dire ici, plus précisément, catholique) et la
tendance libérale, la divergence forte porte sur au
moins un point aussi fondamental que le précédent. Ce point est
précisément illustré par Dominique PERBEN15(*) : "Nous avons toujours
été pour une gestion libérale d'économie, mais
c'est pour nous une technique de gestion, pas un principe de
société". Et il rajoute "Le tandem Sarkozy-Madelin a tenu un
discours trop proche de celui de Démocratie Libérale".
Les clivages politiques fondamentaux à Droite sont
rendus peu lisibles du fait de la force des rivalités entre hommes de
même tendance. Mais entre ces deux tendances de la Droite, il existe
évidemment des points communs : l'individu acteur premier, la
primauté de l'action industrielle sur la nature.
Manifestement la Droite incarnée par François
BAYROU se soucie plus du lien social (la loi du marché n'est pas un
principe de souveraineté) et ne fait pas strictement
référence à la raison individuelle pour trouver la mesure
des choses : la morale chrétienne notamment catholique (Sujet
Acteur/Agi, Groupe premier et vie après la mort) a des effets notamment
du côté d'une certaine forme d'appel à la
miséricorde et à la justice sociale. Enfin
l'Altérité, comme chez les socialistes et les Verts, est
ipséité et la vie transcendance.
Chez les libéraux actuels, au
delà du franc attachement au postulat de l'individu acteur, l'arbitrage
envers le collectif ne fait pas partie de son lot idéologique : à
l'instar de Margaret Thatcher, ils pourraient confirmer que «la
société n'existe pas» (Cité par Anthony Giddens).
Le rapport à la mort n'est pas constituée par
une position de principe structurelle; aucune des trois positions possibles
n'étant par ailleurs contradictoire avec l'ensemble des autres
postulats.
Par contre, et là la distinction est forte avec la
tendance sociale chrétienne, l'individu Autre est
considéré au mieux comme facteur de production, voire (Cf.
Jean-Baptiste SAY) comme élément surnuméraire provisoire
car «lorsque la demande de travaux grossiers diminue, les salaires tombent
au dessous du taux nécessaire pour que la classe manoeuvrière se
perpétue» [une fois éliminés les plus faibles, le
problème est résolu : le plein-emploi est assuré pour les
survivants]. L'autre est donc réité.
Pour la tendance dite traditionaliste, la
distinction avec la tendance dite sociale chrétienne paraît
relever de deux postulats : le groupe est premier, on doit rester fidèle
à une certaine forme d'organisation sociale, aujourd'hui de
communauté nationale; et, allié à l'attachement à
la ruralité, à la terre-patrie ces postions constituent les
points d'appui premiers de dénonciation des méfaits du
capitalisme sauvage. On a là des ingrédients pouvant susciter des
alliances avec des mouvements de gauche attaché à ces deux
dimensions sans nécessairement partager un des fondements religieux du
mouvement.
Quant à l'extrême droite, si
elle reprend globalement les postulats communs de la Droite, elle s'en
distingue sur un point : l'altérité qui, constituant de toute
façon un être inférieur, doit être exclue. On
identifie alors assez clairement que les stratégies de démarquage
vis à vis du Fondateur du Front National relèvent d'effort pour
masquer l'expression de ce postulat (en ouvrant sa liste à des noms
juifs, arabes ou à des gens de couleur...).
Conclusion :
Si l'on conçoit les positionnements partisans en
fonction de cette grille de lecture, on perçoit aisément que de
nombreuses autres articulations d'a priori peuvent exister. Il suffit
d'ailleurs d'analyser, par exemple, les productions de mots d'ordre des
représentants du mouvement dits des «chasseurs» pour
distinguer une nouvelle forme d'articulation des pensées de droite :
-l'idéologie de l'individu acteur, alliée
à
-une préférence pour l'alternative
communautaire, l'appartenance au terroir
-une pensée fondamentale de croyance en une vie
après la mort
-un a priori de l'autre comme réité
est ici spécifiquement articulée autour d'un
ordre de pensée écosystèmique : le devoir d'un chasseur
est aussi d'entretenir et de soigner le gibier afin que naisse et se
préserve une situation saine, forte et diversifiée quant aux
espèces.
Cette position la distingue des pensées de la droite
classique (homme maître et dominateur de la nature pour ses besoins
économiques) , de la pensée d'un mouvement plus fondamentaliste
du style La Loi Naturelle (la nature est un sujet de Droit), et la rapproche
étonnamment de l'idéologie écologiste Verts. En fait, il
n'y a aucun autre point commun entre ces deux mouvements et malgré les
apparences et ce n'est donc pas fondamentalement sur ce terrain là que
la dispute a lieu.
De nombreuses articulations d'a priori fondamentaux n'ont pas
été ici distinguées et pour cause : théoriquement,
il existe 243 combinaisons possibles de ces cinq a priori fondamentaux (3). Les
treize autres listes candidates aux élections européennes
seraient susceptibles d'un traitement équivalent pour identifier leurs
fondements de représentation. Une telle démarche vaudrait surtout
pour identifier les liens possibles et les évolutions envisageables,
notamment au coeur de la construction européenne, au gré des
frottements entre environnements partisans de fondement apparemment commun mais
d'univers culturels et nationaux différents.
Notons enfin que, si non seulement il faut étudier dans
l'action concrète la capacité des acteurs partisans à
associer leurs actions plus à des a priori pragmatiques qu'à
leurs a priori existentiels, il convient aussi d'identifier la
hiérarchisation des éléments à l'intérieur
d'un système de position commune quant aux a priori fondamentaux : non
seulement, les partis se distinguent en effet par leur différence de
position sur chacun des a priori, mais aussi -lorsqu'il y a identité de
positionnement idéal- par l'attachement tel ou tel élément
a priori avant tel autre. C'est aussi ce phénomène qui explique
les phénomènes dits de «courants» à
l'intérieur de même parti.
Appliqué à l'étude des opinions
politiques, ce système d'analyse des arrière-fonds
idéologiques est tout aussi adapté pour identifier non seulement
aussi les fondements des systèmes de croyance religieuse ou de position
philosophique mais de surcroît toutes théories à
prétention d'explication des phénomènes psychosociaux
(notamment, comme nous l'avons vu, les théories économiques). On
notera simplement qu'il est frappant de constater que l'on peut associer
à chacun de ces trois domaines fondamentaux de pensée (religion
ou philosophie, politique, théorie socioéconomique) une
catégorie d'a priori première spécifique :
Pour les théories socio-économiques, c'est le
rapport à la nature qui sera premier (les distinctions viendront des
positionnements sur les autres a priori).
Pour les positionnements philosophiques ou religieux, il
s'agit du rapport à la transcendance ou à l'immanence.
Quant aux positionnements politiques, on identifie assez
clairement la primauté de la catégorie du sujet : acteur, agi ou
combinant les deux positions.
Il existe donc une dynamique du modèle qui rend compte
des diverses positions idéologiques. Le premier principe de cette
dynamique correspond donc aux mécanismes de prise de position
d'évidence relative aux éléments essentiels de
l'existence humaine en société.
Le deuxième principe de la dynamique du modèle
est donc constitué par un principe de hiérarchisation de
l'importance des a priori les uns par rapport aux autres.
Si des individus considèrent comme le plus important de
s'intéresser à la survie de l'espèce et donc de
s'intéresser à ce qui conditionne son existence dans son rapport
à sa subsistance dans le milieu naturel, il mettra en premier dans la
liste des a priori le rapport de l'homme et la société à
la nature. Ces individus seront donc plus des économistes et
développeront des théories et des pratiques économiques.
Si des sujets posent comme le plus important dans l'existence
le rapport du sujet avec le groupe social, on aura des personnes qui seront
plus des politologues qui développant des théories sur la
coexistence entre les individus en fonction des quatre autres prises de
positions relatives aux a priori moins importants à leurs yeux. C'est
ainsi notamment que les philosophes grecs Platon et Aristote
développeront leur position sur la République.
Enfin, si les individus s'intéressent principalement au
devenir des sujets après la mort, ils formuleront alors soit des
théologies et systèmes philosophiques dans le cadre de croyance
en une vie après la mort (idéalisme transcendantal), soit des
croyances concevant la vie limitée à notre existence,
développant ainsi des théories philosophiques
matérialistes ou immanentistes.
Selon ces deux principes de dynamique interne du
modèle, il est possible de comprendre les différences des
systèmes idéologiques et de prévoir les évolutions
possibles en fonction de la variation de la hiérarchie des importants
qui va apparaître dans les années prochaines.
L'importance d'un a priori relativement aux quatre autres
survient à la suite des interactions entre la pensée sociale et
les actions qui transforment les réalités d'existence.
Conclusion finale : de l'épuisement des morales
universelles à l'étique de la décision
Nous avons montré qu'il existe une hiérarchie
dans les représentations sociales et qu'il est possible de reconstruire
les différentes représentations des objets sociaux en fonction
des a priori fondamentaux activés par une société ou un
groupe.
Or si parmi les formes des positions d'a priori, aucune n'est
logiquement supérieure que les autres, alors toutes les éthiques
fondées sur les valeurs ne tiennent plus dans leur prétention
à l'universalité. En particulier l'universalité des droits
de l'homme est remise en question. En contre coup, peuvent être remis en
question les jugements d'ajustement des actes d'un individu, s'ils sont
uniquement analysés au seul regard des valeurs.
Dès lors sur quoi fonder les jugements du droit, les
jugements de l'utilité sociale tout comme les jugements moraux ?
Nos travaux dirigent les réponses vers la
cohérence des décisions, dans lesquelles se conjuguent l'ensemble
des a priori fondamentaux d'existence et les impératifs de logique
formelle de l'investigation rationnelle et les impératifs pratiques
déterminés par les facteurs de la situation c'est-à-dire
les éléments d'interactions sociales et de potentiels d'action
des individus( R et H Michit, 1998).
Bibliographie
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moderne», Paris, Calmann Levy.
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Calmann-Lévy.
Smith A.(1776), Recherche sur la nature et les causes de la
richesse des nations.
* 1 Exemple d'un tel
équilibre possible : dans l'affaire Dreyfus, la Raison d'Etat semble
prévaloir sur l'innocence de l'individu car il est envoyé au
bagne. Cependant, il a été possible, dans la
société du début du siècle, qu'une voix
s'élève pour accuser et a pu être entendue sans que son
auteur se retrouve au bagne. Cela n'aurait pas pu être possible dans une
société totalitaire.
* 2 Le mythe de la
création a permis de séparer la nature de la divinité,
c'est la condition pour que les hommes puissent agir sur elle sans agir sur la
divinité, ce qui est la condition pour le développement de
l'industrie, l'environnement peut être travaillé et des objets
fabriqués.
* 3 Ouvrage fondamental du
père fondateur de l'Ecole Classique, Adam SMITH, Recherche sur la
nature et les causes de la richesse des nations, 1776.
* 4 Les catholiques viendront
en effet au capitalisme mais avec une distorsion justifiée non pas par
les a priori fondamentaux existentiels, mais du fait d'analyses
pragmatiques mobilisées pour survivre (Impératifs ou a priori
pragmatiques).
* 5 Lettre à Annekov,
Bruxelles, le 18 décembre 1846.
* 6 Chapitre XIII du Capital, La
machinerie et la grande entreprise, §4 La fabrique.
* 7 Rejoignant aussi plus
fondamentalement en cela un des fondements idéologiques du
judaïsme, à savoir qu'en rapport au Mythe de la création,
Dieu crée certes la terre mais Dieu n'est pas au dedans de cette terre,
objet que doit donc transformer l'homme.
* 8 Essais sur la monnaie et
l'économie, p.122,.
* 9 C'est notamment en
partant de ce niveau là que l'on peut éclairer la divergence
profonde Troisième voie Blairiste/Schröderienne et les Socialistes
français : pour la tendance protestante, pourrait-on dire, l'individu
est acteur et le groupe ne serait être fondamentalement premier; "nous
voulons une société qui célèbrent ses
entrepreneurs" dit Blair. Mais c'est fondamentalement la mise exergue du
postulat de l'individu acteur qui crée rupture et produit de
l'intérêt pour cette Troisième Voie dans les mouvements de
Droite en France.
* 10 On verra en conclusion
que les différences peuvent à l'intérieur d'un groupe
idéologique aux fondements équivalents être reliées
à une différence de hiérarchisation d'importance des a
priori : il y a accord sur les positions structurelles relatives à
chaque a priori, mais l'un déploie une préoccupation
première à l'individu victime (a priori d'Acteur Agi) l'autre,
d'accord avec cette a priori, considérera d'abord la
préoccupation de la sécurité pour le groupe...
* 11 A cet égard, la
scission en cours chez les Verts Allemands entre une tradition fondamentaliste
et une position plus pragmatique relève de cette évolution : les
premiers rejettent l'intervention au Kosovo, car rien ne justifie selon eux que
"nous soyons complices de la mort d'un être humain y compris pour en
sauver d'autres". Pour les autres, si un groupe, une ethnie est mis en
péril, il convient d'éliminer le ou les sujets coupables, au
risque de tuer des "innocents", mais pour sauver le groupe en danger.
* 12 In Cohn-Bendit : la
troisième gauche c'est ça!, Le Nouvel Observateur, 24-30
juin 1999, Interviewé par Martine Gilson et Daniel Schneider, p.58.
* 13 Conflits liés aux
urgences pratiques.
* 14 C.f. Note 1
* 15 In "La droite
républicaine avait deux listes" Dominique Perben, Le Monde du
Dimanche-Lundi 20, 21 juin, p.9, Propos recueillis par Jean-Louis SAUX.
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