2.2 Les éléments qui participent à
la construction de l'identité organisationnelle
2.2.1 Une construction discursive: Un discours, une
narration, des acteurs, une performance
L'identité est, à bien des égards,
construite par le langage, postulat que nous avons choisi de suivre et qui nous
a été tout particulièrement inspiré par l'article
de Nicole Giroux (2002), <<La gestion discursive des paradoxes de
l'identité>> dont nous avons emprunté les
références. Selon Strauss (1992), << nommer permet
d'identifier, de situer, de caractériser, de classer un objet >>
(p. 144), donc l'identité peut être narrée de
manière différente selon la personne ou le groupe qui en parle ou
qui la nomme. La langue est ainsi le support et le véhicule de
l'identité (Decourt, 1999). Marc (1997) met, quant à lui,
l'emphase sur le fait que l'identité est co - construite dans
l'interaction entre les différents partenaires, ce qui l'amène
à dire que :
A travers leurs échanges, ils remettront en question
cette identité pour la nier, la réaffirmer ou encore la modifier
; chacun tentant de faire prévaloir une version valorisante de soi qui
lui procure du bien-être. (p. 146)
Cette notion n'est pas simplement individuelle, elle a une
portée collective, car c'est aussi le << devenir ensemble>>
qui est en jeu dans la conversation, au-delà de l'affirmation de soi.
Ainsi, selon Brown (1994), le discours sert de lien entre l'identité
individuelle et collective, cela à travers la narration et la
conversation.
La communication est donc une valeur centrale dans la
construction de l'identité organisationnelle. Giroux (2002) nous
présente une grille d'analyse des stratégies discursives de
l'identité, constituée à partir de la littérature
sur la gestion du changement stratégique. Le postulat est que:
L'identité organisationnelle est construite
discursivement dans des messages publics inscrits dans différents textes
(discours des dirigeants, rapports annuels, rapport d'analyse, journal interne
ou externe, dépliant d'information, documents publicitaires, etc.) qui
sont diffusés à divers auditoires. (p. 150).
Ainsi, les éléments qui constituent
l'organisation sont déterminés en fonction de ce qu'est
censée être l'organisation, c'est-à-dire ses valeurs, ses
caractéristiques et ses attributs, mais aussi, ce qu'elle est
censée faire, en prenant en compte les métiers et
activités et, pour finir, ce qu'elle possède, c'est-à-dire
ses ressources et ses capacités (Giroux, 2002). L'identité est
donc présentée comme un phénomène interdiscursif
(Giroux, 2002), c'est-à-dire des échanges de discours dans le but
de produire du sens avec l'aide de la narration et l'argumentation, auquel
plusieurs auteurs (ou plusieurs voix) participent à différents
degrés, même si ce sont généralement aux dirigeants
que revient a priori la tâche d'y veiller.
Selon Weick, qui s'exprime dans le cadre de l'identité
individuelle (1995 ; cité dans Gioia et all, 2000), <<Identities
are constituted out of the process of interaction. To shift among interactions
is to shift among definitions of the self>>
(p. 65). Il semble que cette idée puisse aussi bien
être considérée à un niveau collectif qu'individuel.
De plus, l'identité serait construite et reconstruite dans un processus
continu de narration (Czarniawska-Joerges, 1994; cité dans Chreim,
2005). La construction d'une histoire avec des autobiographies de
l'organisation, des autoportraits et des mémoires joue un rTMle
important dans la gestion de l'identité (Cheney et Christensen, 2001).
De façon externe, cela se joue au niveau des relations publiques et de
façon interne, cela permet aux membres de l'organisation de s'y voir
comme dans un miroir.
Dans la littérature sur la question de
l'identité individuelle, RicÏur (1990) développe aussi la
notion d'identité narrative: Pour se comprendre, l'acteur doit mettre en
récit sa vie. La notion de discours identitaire n'a donc de sens, selon
cette perspective, que parce qu'elle fait le lien entre le passé et le
futur (Brown, 1994), un lien qu'assure justement la narration. Ajoutons
à cela que la narration peut faire le lien entre les individus, car ils
peuvent alors s'identifier les uns les autres à travers des histoires
qu'ils échangent au cours d'interactions quotidiennes, abordant ainsi un
vécu qui donne sens à leur condition.
Selon la littérature, plusieurs éléments
discursifs peuvent être mobilisés par les acteurs dans cette
construction de l'identité organisationnelle. Ainsi, nous trouvons: les
mots-clefs, les étiquettes, les assertions et les négations, les
arguments et les narrations, les métaphores, analogies et paraboles, les
lieux communs et les mots passe-partout ou à la mode (Giroux, 2002).
Nous retiendrons ici que l'identité organisationnelle
est un phénomène discursif qui se construit dans l'interaction et
qui se raconte à l'écrit comme à l'oral, dans un processus
souvent narratif. Mais au delà de la dimension discursive et
narrative de la construction de lÕidentite
organisationnelle, nous allons maintenant voir le rTMle que joue le temps dans
cette construction.
En effet, le temps est un enjeu important quand on parle
dÕidentité, car il réun»t lÕhier,
lÕaujourdÕhui et le demain. De plus, comme nous lÕavons
vu, lÕidentité est à la fois ce qui dure et ce qui change.
Giroux (2002), qui reprend les travaux dÕErikson (1959/1980) concernant
la notion de temps et la construction de lÕidentité individuelle,
dresse un paralléle avec lÕidentité organisationnelle. Il
y est dit que lÕidentité se construit tout au long de la vie,
avec plusieurs étapes qui sont entrecoupées de crises. On
pourrait comparer cela à des rites de passage. Ainsi,
lÕidentité est, selon Erikson : Ç le produit
(unifié, coherent, stable) dÕun processus dynamique de
constitution de soi qui doit etre validé par le sujet et reconnu par les
autres È (p. 143). LÕidentité appara»t donc au sein
dÕune evolution qui correspond à la durée dÕune
vie.
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