Chapitre 1 : INTRODUCTION GENERALE
Ce mémoire a lÕhumble prétention de
proposer une réflexion sur la construction de lÕidentité
organisationnelle sous lÕangle des interactions du quotidien des acteurs
de lÕorganisation. La recherche se situe à la croisée
dÕune réflexion sur les questions de lÕidentité
organisationnelle et de lÕhumanitaire. On peut dÕores et
déjà dire que cette question allie et couvre des domaines
scientifiques aussi différents que complémentaires que sont la
communication, la linguistique, la psychologie et les sciences de la gestion.
Mais avant dÕentrer dans le vif du sujet, permettez nous de faire un
petit detour par lÕHistoire pour introduire cette recherche.
Le XIXeme siècle fut le des révolutions
idées, le XX ème
siècle et des siècle celui,
paradoxalement, des démocraties, des regimes
autoritaires et totalitaires, un siècle dÕexces, de ruptures et
dÕaffrontements, ainsi que le siècle des pires folies comme des
plus belles inventions, lÕhomme dans son pire comme dans son meilleur
état. Aider lÕautre, lÕétranger, celui que
lÕon ne conna»t pas, nÕest pas une conception moderne, le
fruit du XXème siècle, en opposition ou reaction aux
pires horreurs que ce siècle a effectivement connues. Cette idée
a toujours été présente, que lÕon parle en termes
de générosité, de don, de charité, de
solidarité par opposition à lÕégo ·sme ou
lÕégocentrisme. Cependant, ce qui est ne au siècle
dernier, cÕest une institutionnalisation de cette aide à
lÕautre, celui qui souffre, par des organisations dont la raison
d'être est de fournir une telle aide. Dans le contexte trouble de
lÕimmédiat aprés guerre, lÕhumanitaire
appara»t alors comme une possibilité de redemption et cÕest
ainsi que sont apparus dans le thé%otre mondial les organisations non
gouvernementales ou ONG.
Apparaissant pour la première fois en 1945 dans le
vocabulaire international à l'article 71 de la Charte des Nations
Unies, le terme d'ONG ou organisation non gouvernementale, ne
possède pas vraiment de définition légale et reconnue au
niveau juridique, cependant le Conseil économique et social de l'O.N.U
(Organisation des Nations Unies) définit une organisation non
gouvernementale comme suit:
Sera considérée comme organisation non
gouvernementale toute organisation dont la constitution ne résulte pas
d'un accord intergouvernemental y compris les organisations qui acceptent des
membres désignés par les autorités gouvernementales,
pourvu que de tels membres ne nuisent pas à la libre expression.
Le respect des critères énoncés permet
ainsi à une ONG d'être officiellement reconnue comme telle par
l'O.N.U. Cependant d'autres organisations internationales intergouvernementales
comme l'Union Européenne proposent leur propre liste d'ONG. La notion
qui apparait le plus souvent lorsqu'il est question de définir une ONG
c'est le but non lucratif de son action, c'est-à-dire qu'elle ne doit
pas servir des intérêts financiers. Il existe différents
types d'ONG, certaines d'entre elles ayant un caractère plus
spécifiquement humanitaire, en ce qu'elles s'attellent en
général à organiser des programmes d'aide envers des
populations en danger.
Médecins Sans Frontières fait partie de cette
classification à titre d'ONG humanitaire spécialisée dans
l'aide médicale d'urgence. En s'intéressant à
l'humanitaire et à son application dans le cadre de l'organisation
Médecins Sans Frontières, on peut donc se poser des questions sur
sa réalité institutionnelle, l'identité qu'elle
s'attribue
ainsi que celle qu'on lui attribue et le rTMle que ses acteurs
ont dans ce cheminement. Pour répondre à cette interrogation, il
nous appara»t nécessaire, dans un premier temps, de comprendre les
enjeux de l'identité organisationnelle et nous allons donc nous pencher
sur la littérature qui traite de cette notion, une littérature
qui peut para»tre relativement abstraite aux premiers abords. Mais
laissons nous, dès maintenant et de facon générale, nous
plonger dans cette question de l'identité.
D'un point de vue philosophique, la première
idée qui apparait lorsque l'on décide de s'intéresser
à la notion d'identité, c'est-à-dire d'un
<<être È que l'on peut précisément identifier,
circonscrire, voire repérer. On parle donc ici de quelque chose ou de
quelqu'un (soi-même, un autre, quelque chose) qu'on peut identifier
durant un laps de temps défini et malgré certains changements. Du
latin idem, qui veut dire <<le même È,
l'identité est ce par quoi des êtres ou des choses apparaissent
semblables, ce qui nous permet ainsi de les comparer entre elles, affirmant
qu'elles sont de l'ordre de l'identique et donc du même.
L'identité peut exprimer ainsi ce que Derrida (1990) appellerait la
restance (toujours relative) de ce qui semble caractériser quelqu'un,
quelque chose, voire même un groupe, ce qui nous amène, au niveau
de l'être humain, à l'idée de personnalité.
Selon Albert et Whetten (1985) qui ont grandement
contribué à définir le concept d'identité
organisationnelle, lorsque les membres d'une organisation s'intéressent
à la question de l'identité, ils se retrouvent face à ce
type d'interrogations : << Qui sommes - nous ? È,
<< Dans quel genre de travail sommes-nous actifs? È et
<<Que voulons-nous être ? È. Les chercheurs Gioia,
Schultz et Corley (2000) considèrent, quant à eux, que le concept
d'identité est une clef essentielle pour comprendre les organisations
modernes.
Il est à noter que lorsque lÕon dit
identité organisationnelle, on peut entendre deux choses. En effet, ce
terme peut etre utilisé soit pour parler de lÕidentité
dÕune organisation, soit pour parler dÕun individu en tant
quÕil parle au nom dÕune organisation et sÕidentifie avec
elle. Notre intérêt se portera plus précisément sur
la première definition, cÕest -à-dire sur la question de
lÕidentité de lÕorganisation. Cependant, nous serons
amenés, dans cette recherche, à souvent mobiliser et faire
référence à la littérature traitant de
lÕidentité individuelle, lorsque celle-ci semble faire sens quant
à la question de la construction de lÕidentité
organisationnelle. Il appara»t en effet que les processus de
(re-)production de lÕidentité individuelle et de
lÕidentité organisationnelle sont souvent intimement lies (Chaput
et al., sous presse) dans la mesure oil sÕidentifier à une
organisation revient à sÕidentifier aux valeurs, missions et
autres raisons d'être de lÕentreprise ou institution, ce qui
revient à identifier cette derniére, au moins implicitement .
Nous ferons donc appel aux écrits dÕauteurs ayant traité
la question de lÕidentité individuelle tout en traduisant leur
propos en les recadrant à lÕintérieur de la question de
lÕidentité organisationnelle.
Aprés avoir exposé une partie de la somme des
connaissances sur les questions de lÕidentité et de
lÕimage organisationnelle dans la revue de la littérature, nous
amorcerons une discussion critique qui déterminera les manques à
combler pour aboutir à notre problématique. Puis nous
présenterons le cadre théorique dans lequel se place cette
recherche, cÕest-à-dire dans lÕesprit de
lÕethnométhodologie, en mettant lÕemphase sur les concepts
de ventriloquie et de présentification organisationnelle au sein des
écrits de lÕEcole de Montréal. Par la suite, nous
exposerons le cas sur lequel cette analyse repose, soit lÕorganisation
Médecins Sans Frontiéres et son action sur le terrain du Nord-
Kivu en Republique Démocratique du Congo. Nous ferons
ensuite une presentation du cadre methodologique de cette recherche qualitative
réalisée, pour lÕenregistrement des données, par le
biais dÕune démarche dÕinspiration ethnographique, et pour
lÕanalyse des données sélectionnées, par le
truchement dÕune approche inspirée de lÕanalyse de
conversation. Nous reviendrons également sur la collecte des
données faite dÕobservations directes à travers la
méthode du shadowing et nous expliquerons le choix des sequences et le
traitement qui en a été fait.
Aprés nous etre ainsi clairement positionnée,
nous aborderons le chapitre dÕanalyses de données, lequel
présente, dans un premiers temps, le contexte général des
sequences sélectionnées, pour dans un deuxieme temps, nous
permettre de nous plonger dans les données à travers quatre
sequences analysées. Enfin, nous dévoilerons les résultats
de ces analyses et discuterons dÕun certain nombre de points qui en sont
ressortis et qui méritaient, selon nous, d'être
développés plus en profondeur. Pour finir, le chapitre de
conclusion fera part des implications pratiques que les réflexions qui
ont eu lieu dans ce present mémoire peuvent offrir. Nous verrons aussi
les limites de notre etude et nous proposerons des pistes de réflexion
à exploiter ou à approfondir pour la recherche future.
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