3.1 L'École de Montréal
LÕÉcole de Montréal est un courant de
pensée qui rassemble des chercheurs autour dÕune idée
centrale selon laquelle les organisations sont constituées par et dans
la communication, une communication vue comme organisante (Brummans, 2006).
Cependant, lÕÉcole de Montréal ne
sÕintéresse pas seulement à la communication, elle cherche
aussi son inspiration au sein de toutes les disciplines des sciences humaines,
en sÕintéressant notamment à la linguistique, la
sémiotique, aux etudes sur les organisations et au m anagement
(Brummans, 2006). Comme son nom lÕindique, cette école de
pensée prend son origine à Montréal, au Québec,
cÕest- à-dire un espace francophone au cÏur de
lÕAmérique du nord. Ce lieu se trouve culturellement et
historiquement à la frontiére de lÕEurope et du continent
américain. Son originalité lui permet notamment de relier et de
réunir en son sein des concepts venus des deux cotes de
lÕOcéan Atlantique.
Ainsi, par exemple, lÕEcole de Montréal
réussit à connecter des idées provenant du pragmatisme
européen et américain (Brummans, 2006), cÕest à
dire une philosophie qui sÕattache à la réalité, au
concret, autrement dit à lÕaction. Cette école
trouve ses fondements dans la théorie des actes de
langage dÕAustin, les écrits de Searle, certaines
réflexions de Durkheim, le formalisme de Peirce, les travaux de Dewey et
de Deetz, pour nÕen citer que quelques-uns. De plus, elle mobilise les
concepts issus de la théorie de lÕacteur-réseau (ANT),
appelée aussi sociologie de la traduction (Akrich, Callon & Latour,
2006), laquelle considére le monde comme un ensemble de réseaux
oil interagissent des acteurs humains et non-humains, acteurs qui peuvent eux
-mêmes etre considérés comme des réseaux. Nous
allons maintenant faire un petit detour pour presenter les conceptions de cette
approche, cela dans le but de mieux comprendre les réflexions de
lÕÉcole de Montréal.
Le postulat de base est que tout élément qui
fait quelque chose peut etre considéré comme un acteur et
quÕil y a une interdépendance entre les différents
êtres qui constituent des collectifs. Par ailleurs, lorsquÕun
individu prend la parole, ce nÕest pas seulement lui qui parle mais tout
ce quÕil peut alors se mettre à représenter ou traduire
(cÕest-à-dire, ce quÕil rend present à travers son
acte de parole). Ainsi, lÕidentité dÕun acteur peut se
définir comme la configuration de ces effets de representation. De fait,
les êtres sont hybrides car ils incarnent ou sÕincarnent dans
plusieurs choses, cÕest -à-dire que tout etre peut etre
représenté, incarné, matérialisé, traduit ou
incorporé par plusieurs autres êtres. Cooren et Taylor nous disent
ainsi (1997 ; cite dans Cooren et al., 2008) :
An organization is a hybrid, protean and polymorphous entity
composed of human and nonhuman agents (documents, computers, spokespersons,
employees) that do things in the organization's name or on its behalf. (p.
1342)
<< Faire, c'est faire faire>> (p. 601)
et, qu'il n'y a pas d'origine à l'action. On est donc toujours dans un
processus, un processus dont on ne peut qu'arbitrairement designer l'origine
car tout être est mu par quelque chose qui l'anime en amont, l'amenant,
en aval, à faire quelque chose. On est ainsi <<toujours aussi
déjà>> (selon l'expression de Derrida, 1990) dans un
continuum d'actions successives.
Ainsi, par le discours, on peut faire agir plusieurs choses ou
personnes. Le collectif, selon une vision performative, est donc toujours en
train de se définir, à travers ces effets de
présentification/délégation. Cette re-définition
constante peut traduire et/ou trahir la parole du collectif, car il y a
forcement transformation, car déplacement/translation. La
société est réalisée par les performances de ses
acteurs, une société est à la fois complexe (car
résultant des interactions) et compliquée (car résultant
d'effets de représentation).
Au-delà de l'influence de la théorie de l'acteur
-réseau, l'École de Montréal a développé une
approche originale du phénomène organisationnel à partir
d'une réflexion sur les propriétés organisantes de la
communication (Brummans, 2006, Cooren, 2000). Le fonctionnement du langage
Ð sous ses deux modalités: la conversation et le texte Ð y est
tout particulièrement analysé. Selon cette approche, les textes
servent de médiateurs dans une conversation entre agents, alors que les
conversations produisent et mobilisent elles-mêmes des textes (Brummans,
2006). De plus, l'emphase est mise sur l'interaction dans la construction des
organisations:
Organizational structuring occurs because human interactions
are mediated by nonhuman agents (including `objects' like texts or langage more
generally) that constrain and enable these interactions, give them a relatively
lasting character in time and space, and allow the translation of individual
into collective action (p. 201, Brummans, 2006; voir aussi Cooren
& Taylor, 1997 et Taylor & Giroux, 2005)
Au sein des conceptions de cette école, on retrouve
aussi l'idée d'agency ou d'agentivité, qui est
définie comme suit: << the term agent means what or who appears to
make a difference, whereas agency simply means making a differenceÈ
(Cooren, 2006, p. 82). Cooren (2006) ajoute que le monde est composé de
nombreuses agentivités, << a plenum of
agenciesÈ (p. 85), et qu'au quotidien, ces acteurs y font appel
dans leurs discours et leurs actions.
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