Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "( Télécharger le fichier original )par Kouessi Jacques Richard CODJO Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004 |
B- Les victimes du malaise politique.Le malaise politique est en principe général et touche toutes les couches de la population. Mais certains en souffrent plus que d'autres. C'est le cas par exemple des intellectuels, de la couche la plus vulnérable de la population et des pays pauvres dans leur ensemble. 1- Les intellectuels.Ce sont eux essentiellement que vise le nouveau décret. Ils constituent la race à abattre pour le Timonier. Ils gênent non seulement par la pertinence de leurs réflexions mais ils sont également taxés d'être susceptibles de corrompre le reste du peuple. Ce sont eux qui cherchent à voir clair dans la gestion des affaires publiques. Ce sont eux qui émettent les idées de contestation et de rébellion. En un mot, l'existence des intellectuels est incompatible avec la prospérité du régime. C'est pourquoi le Timonier a décidé de les éliminer purement et simplement par le nouveau décret. Les intellectuels sont les « fous qui raisonnent ». Ils ont commencé à perturber la quiétude du Timonier, et ce dernier n'a plus le choix. Ou c'étaient les fous qui raisonnaient ou c'était lui le Timonier. Il a décidé de les éliminer eux, les fous qui raisonnaient. Mais on lui rapporte que les fous qui raisonnaient s'étaient enfuis. C'est alors qu'il décide de tuer tous les fous : « Alors tuez tous les fous, ceux qui raisonnaient et ceux qui ne raisonnaient pas. Ils seraient sûrement parmi eux »59(*). Ainsi, c'est pour être sûr de tuer tous les intellectuels que le Timonier a décidé de tuer tous les fous. Dans le seul dessein de régner sans partage sur le pays, un seul individu a réussi à faire fuir des milliers d'autres dont la seule faute est d'être intellectuels. Car en réalité, aucun intellectuel digne de ce nom ne pouvait accepter les misères que le Timonier faisait subir au peuple. Ils étaient considérés comme des opposants politiques. Il fut annoncé un jour à la radio : « Par ailleurs un opposant a osé dire que le Continent a toutes les matières premières, mais est le continent le plus pauvre du monde. Alors que le Japon qui n'a rien sur son sol ni dans son sous-sol est parmi les pays les plus développés du monde.(...) Si cet opposant persiste et signe, il va être considéré comme un fou et tout le monde connaît le sort réservé aux fous dans ce pays. Qu'ils raisonnent ou pas ».60(*) 2- Le petit-peuple.C'est la couche la plus vulnérable de la population. C'est elle qui subit toutes les humeurs du Timonier. Lorsque le Timonier a besoin d'un crâne humain pour faire un sacrifice ou lorsqu'il a besoin d'une vierge pour faire plaisir à un ami de passage, c'est dans cette couche de la population qu'il puise de façon intarissable : « C'était horrible. Des têtes d'enfants pour le Timonier, pour qu'il devienne riche et en échange il leur accordait l'indépendance. Avec des têtes d'enfants ? Non ce n'était pas possible »61(*) Lorsqu'on soupçonne une bande d'orchestrer un coup d'Etat, ce sont les pauvres populations qui sont incarcérées. C'est au nom du peuple que des énormes prêts sont contractés avec d'énormes taux d'intérêts. Mais il est le dernier à en bénéficier : « Les bénéficiaires du projet étaient où ? Eh bien ils étaient dans le pays. C'étaient les populations déshéritées ciblées par le projet.(...) Les vrais nécessiteux étaient dans le pays, mais comment avoir accès à leurs zones ? Il n'y avait pas de routes, pour y aller, pas de ponts ».62(*) Ce petit-peuple qui vit la misère et le dénuement total, se trouve encore confronté aux affres et aux exactions du Timonier et de ses sbires. Un peuple qui n'a pas voix au chapitre et à qui est dénié tout droit élémentaire. Ce peuple est le symbole même de la vie dans un malaise politique total. * 59 Idem, p.25 * 60 Idem, p.94 * 61 Idem, p.143 * 62 Idem, p.87. |
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