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Du droit de résistance aux abus de pouvoir: une lecture du "second traité du gouvernement civil" de John Locke

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par Victor SETIBO BATUZOLELE
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachalauréat en philosophie 2002
  

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3.4. Les conditions de la résistance légitime

John Locke accorde au peuple le droit de résister quand ses droits sont bafoués et que cela comporte des conséquences graves pour l'avenir de la société politique. Mais il faut toujours remarquer qu'il n'admet ce droit d'opposition pour le peuple que s'il s'agit de défendre une loi ou un droit ; jamais le seul mécontentement ne saurait le justifier. En outre, ce droit d'opposition ne saurait devenir, une clause continuelle, car l'opposition ne peut se fonder que dans la loi de nature. John Locke tâche de définir le cadre dans lequel le droit d'opposition peut s'exercer légitimement. Ainsi se penchant sur la question, il la pose en ces termes :

<< Quoi, dira-t-on, on peut donc s'opposer aux commandements et aux ordres d'un Prince ? On peut lui résister toutes les fois qu'on se croira maltraité, et qu'on s'imaginera qu'il n'a pas droit de faire ce qu'il fait ? S'il était permis d'en user de la sorte, toutes les sociétés seraient bientôt renversées et détruites ; et, au lieu de voir

quelque gouvernement et quelque ordre, on ne verrait qu'anarchie et confusion.

Je réponds qu'on ne doit opposer la force qu'à la force injuste et illégitime, et à la violence ; que quiconque résiste dans quelque autre cas, s'attire une juste condamnation, tant de la part de Dieu que de la part des hommes ; et qu'il ne s'ensuit point que toutes les fois qu'on s'opposera aux entreprises d'un Souverain, il en doive résister des malheurs et de confusion. 77»

Quand l'état de guerre commence à la suite des abus de pouvoir, en pratique, cela ne peut entraîner la dissolution du gouvernement qu'à condition que le gouvernement persiste quelque temps dans cette voie. Pour John Locke, ce n'est pas tout de suite qu'on doit résister et renverser le Prince. De ce point de vue, il faut comprendre aussi l'importance de ne pas troubler le gouvernement pour des sujets de peu d'importance. Et surtout si ce dont il est

74 James TULLY, Locke. Droit naturel et propriété, Paris, PUF, 1992, p.242.

75 Second Traité, § 174, p. 273.

76 James TULLY, Locke. Droit naturel et propriété, Paris, PUF, 1992, p.242.

77 Second Traité, §§ 203-204, pp. 292-293.

question ne regarde que quelques particuliers. Le droit de résister ne troublera pas le gouvernement de manière intempestive, ni sans raison grave. On ne peut donc pas aussi facilement inciter le peuple à se soustraire à l'autorité d'un gouvernement pour des raisons pas du tout graves. Car il n'y a pas de quoi se révolter quand << des actions vicieuses commises par le gouvernement ne détruisent pas la nature morale de la communauté politique dans son entier. Elles ne suppriment pas non plus la totalité des obligations auxquelles un individu est soumis par son appartenance à une communauté78 ».

Si le procédé injuste du Prince ou du Magistrat s'est étendu sur un plus grand nombre de membres de la société et a attaqué le corps du peuple ; ou si l'injustice et l'oppression ne sont tombées que sur peu de personnes, mais à l'égard de certaines choses qui sont de la dernière conséquence, on ne peut dire que ces victimes ne peuvent résister à une force si illicite dont on use contre elles79.

Quand bien même il peut être nécessaire d'user de son droit d'opposition, John Locke précise que cela ne doit pas se transformer en un règlement de comptes. Il s'agit de repousser une violence présente et non de tirer vengeance d'une violence passée. A ce niveau, il y a comme une invitation à la prudence et au discernement. On se demandera alors si dans tel ou tel autre cas une résistance s'impose. Serait-ce pour le plus grand bien du peuple ? Loin d'être annulé, l'usage du droit de résistance est restreint pour des raisons de responsabilité morale.

John Locke veut éviter à tout prix un désordre social que semble favoriser l'acceptation de la théorie normative qu'il embrasse. C'est ce qu'exprime John Dunn quand il dit :

<< La fréquence de la résistance légitime dépend seulement de celle avec laquelle les gouvernements informent effectivement leurs sujets de leurs intentions malfaisantes. Quand elle se produit, la forme de la résistance dépend de la forme d'organisation sociale caractéristique de la société et du degré de désorganisation causé par le mauvais comportement des gouvernants. 80»

Si la résistance n'est pas bien menée, l'anarchie est à redouter. Car, selon Simone Goyard-Fabre, << les actes de l'anarchiste sont des crimes, totalement étrangers au droit d'opposition. Motivés par un désir de vengeance ou par une vindicte passionnelle, les actes

78 John DUNN, La pensée politique de John Locke, Paris, PUF, 1991, p. 187.

79 Second Traité, §§. 209, p. 277.

80 John DUNN, La pensée politique de John Locke, Paris, PUF, 1991, p. 190.

déments de l'anarchiste sont, malgré leurs prétentions, des actes infra-politiques en quoi la bestialité domine l'humanité au point de l'abolir81 ».

Le droit de résistance n'est donc pas singulier ; il est exclusivement celui de la communauté civile, c'est-à-dire, d'un peuple souverain qui est un corps politique doté d'une volonté unique82.

Mais alors, une critique peut être faite à Locke. Pourquoi fait-il dépendre la forme de gouvernement et l'autorité suprême de l'opinion inconstante et de l'humeur incertaine du peuple ? Ayant prévu une telle objection, premièrement, il reconnaît qu'il est vrai, cette hypothèse peut produire des fréquentes rebellions. Cependant, il soutient qu'un peuple généralement maltraité contre tout droit ne laissera pas passer une occasion dans laquelle il peut se délivrer de ses misères83. Deuxièmement, les révolutions n'arrivent pas dans des Etats pour de légères fautes commises. Il ne faut donc pas s'étonner que le peuple se soulève quand il a enduré tant de maux84. Troisièmement, le pouvoir que le peuple a de pourvoir de nouveau à sa sûreté, en établissant une nouvelle puissance législative, quand ses législateurs ont administré le gouvernement d'une manière contraire à leurs engagements, est le plus fort rempart qu'on puisse opposer à la rébellion et le meilleur moyen dont on soit capable de se servir pour la prévenir et y remédier85.

La rébellion chez John Locke est une action par laquelle on s'oppose, non aux personnes, mais à l'autorité qui est fondée uniquement sur les constitutions et les lois du gouvernement, tous ceux, quels qu'ils soient, qui, par force, enfreignent ces lois et justifient, par force, la violation de ces lois inviolables, sont véritablement des rebelles. Avec ces violations s'installe l'état de guerre86.

S'il arrive un malheur dans la résistance aux injustices, John Locke souligne qu'il est à imputer non à ceux qui ne font que défendre leurs droits, mais à ceux qui envahissent ce qui appartient à leurs prochains. Le bien public, la conservation de ce qui appartient en propre au peuple et l'avantage de la société doit être la véritable fin du gouvernement87.

Il est à savoir que quiconque, soit Prince, ou sujet, envahit les droits de son peuple ou de son Prince, et donne lieu au renversement de la forme d'un gouvernement juste, se rend

81 Simone GOYARD-FABRE, « Pouvoir juridictionnel et gouvernement civil dans la philosophie politique de John LOCKE », in Revue Internationale de Philosophie ( 2/1988 - n°165 ) , p.211.

82 Simone GOYARD-FABRE, art. cité, p. 211.

83 Second Traité, § 224, pp. 308-309.

84 Ibid., § 225, pp. 309-310.

85 Ibid., § 226, pp. 310-311.

86 Ibid., § 227, pp. 311-312.

87 Ibid., § 230, pp. 313-315.

coupable d'un des plus grands crimes qu'on puisse commettre et est responsable de tous les malheurs, de tout le sang répandu, de toutes les rapines, de tous les désordres qui détruisent un gouvernement et désolent un pays. Tous ceux qui sont coupables d'une si terrible conséquence, doivent être regardés comme les ennemis du genre humain, comme une peste fatale aux Etats, et être traités de la manière qu'ils méritent.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus