0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. Point de départ
Nous vivons dans un monde qui a connu et qui connaît
encore d'énormes mutations. Point n'est besoin de rappeler les
différents progrès réalisés dans plusieurs
domaines. Le travail intellectuel et technique a conduit à de grandes
réalisations scientifiques et technologiques. L'homme, animal
raisonnable, use de sa raison pour rendre sa vie plus agréable. En
même temps qu'il fait preuve de raison, l'homme pose aussi des actes
irrationnels qui le déshumanisent. C'est pourquoi, aujourd'hui encore
dans notre monde, bien des défis restent à relever, bien des
questions demeurent sans réponses.
Des hommes, en plusieurs endroits du globe, se demandent
encore et réfléchissent sur des systèmes politiques
à mettre en place pour faciliter une répartition équitable
des biens communs. Au niveau socio-politique, les problèmes de justice,
de droits de l'homme, d'égalité, de liberté et de paix se
posent avec acuité. Ces réalités nous sont
familières. Bien sûr, pas mal de choses ont évolué
dans le bon sens ; beaucoup de solutions ont été
déjà apportées aux problèmes socio-politiques.
D'importantes réflexions ont été menées et sont
encore en train d'être menées pour juguler les crises de pouvoir.
Bien entendu, pour parler comme Eric Weil, « pour nous et aujourd'hui des
problèmes existent et le temps de la pensée n'est pas
révolu1». Voilà pourquoi nous voulons penser
notre situation, réfléchir sur nos problèmes ; car le
visage du monde actuel n'est pas aussi glorieux que d'aucuns le croient. La
solution apportée à un problème donné, engendre
d'autres problèmes, ainsi de suite. Même des questions qui
semblaient avoir été dépassées continuent à
se poser ; du moins, elles ressurgissent de façon remarquable et
attendent des réponses.
Les crises de pouvoir, nous les connaissons autant que les ont
connus nos prédécesseurs ; nous y réfléchissons,
autant qu'ils y ont réfléchi. Seulement, nos réflexions
sont enrichies par les leurs. Nous profitons de leur expérience pour
construire et faire la nôtre. De nos jours comme jadis, des hommes
ploient encore sous la domination des pouvoirs absolus arbitraires. Pour de
longues années, vivant sous des régimes totalitaires et
dictatoriaux, ils assistent, parfois impuissants, aux abus de pouvoir et
à des violations flagrantes de leurs droits les plus
élémentaires. Les valeurs telles que la justice,
l'égalité, la liberté sont foulées aux pieds dans
plusieurs coins du monde. Ceci entrave tout accès au bien
1 Eric WEIL, Philosophie Politique, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1971, p. 94.
être et refuse aux hommes tout droit à une vie
digne et descente. Voilà donc ce qui se vit aujourd'hui dans notre monde
marqué par la post-modernité.
C'est ainsi que les questions brûlantes d'hier, encore
valables aujourd'hui et de plus en plus complexes, ne peuvent nous laisser
tranquilles ; nous ne pouvons nous faire bonne conscience sans les avoir prises
en compte dans nos réflexions, sans en avoir fait nos problèmes
et nos préoccupations.
Sans aucune prétention de vouloir résoudre tous
les problèmes du monde dont les enjeux nous échappent pour la
plupart, et vu leur complexité, nous voulons jeter un regard critique
sur les abus de pouvoir qui sont, à notre humble avis, parmi les causes
majeures des misères dans le monde. C'est à juste titre que la
présente réflexion s'oriente sur ce que John Locke2
pense du droit de résistance aux abus de pouvoir. Et la
thèse fondamentale sur laquelle s'appuie cette investigation
s'énonce de la manière suivante : « Le peuple reste le juge
suprême de la façon dont les gouvernants remplissent leur mission.
Ceux-ci ne sont que des députés du peuple qui peuvent être
renvoyés s'ils faillissent à leur mission3 ».
Dès lors, il reste à savoir pourquoi les peuples ne se
lèvent pas toujours pour réclamer leurs droits à la vie,
au bien être, au bon traitement, à la liberté et à
la sécurité en cas d'abus de pouvoir. Pourquoi ne disent-ils pas
toujours non à l'oppression et à la violence ?
2 John Locke, Philosophe, humaniste et médecin anglais,
est né près de Bristol en août 1632 et est mort à
Oates en 1704. Sa famille représente bien le milieu puritain, le monde
de petits propriétaires, attachés à la loi divine et aux
droits nouveaux des entrepreneurs, qui aura raison de la monarchie absolue. Il
succède à Hobbes comme figure dominante de la philosophie
anglaise du XVIIième Siècle. Comme son
prédécesseur, Il se trouvera confronté à la crise
de pouvoir politique. Rappelons que la réflexion philosophique de Hobbes
fut alimentée, en ce siècle si troublé, par la
première révolution anglaise, dont les causes étaient le
conflit du Roi et du Parlement et la guerre civile, à partir de 1640. En
1649, le roi Charles Ier était condamné à mort et
exécuté, la République proclamée, et quelques
années plus tard, Cromwell devenait Lord Protector. Etaient alors en jeu
les questions de la survie et de la nature même de l'Etat, face au
conflit de compétence des différents pouvoirs, au bouleversement
des institutions et à la prolifération des sectes religieuses qui
opposaient la parole et la loi divine à la politique. Depuis la
Restauration, en 1660, le contexte a changé, il s'agit
maintenant, moins de fonder la légitimité de l'institution de
l'Etat et de démontrer les avantages du régime monarchique, que
de définir les droits attachés au pouvoir politique, de
réorganiser la monarchie en insistant sur le devoir du magistrat et les
normes qui doivent régir le bon fonctionnement de l'institution
publique. Au pouvoir absolu de Jacques II, successeur de Charles I, fera place
après la seconde révolution en 1688, une monarchie
constitutionnelle dont Locke sera le théoricien. Publiés en 1690
et présentés par John Locke comme une apologie de la «
glorieuse Révolution » de 1688, les Deux traités de
gouvernement Civil sont d'abord connus comme une des plus rigoureuses critiques
de la monarchie absolue dont le refus est fondé sur l'idée de la
nécessaire subordination de l'activité des gouvernants au
consentement populaire.
3 John LOCKE, Second Traité Du Gouvernement Civil,
§ 240, p. 324-325.
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