La caractéristique des pays en développement est
l'existence d'un secteur informel particulièrement dynamique dans
l'activité économique. Plusieurs paramètres peuvent
être identifiés comme étant à l'origine de la
naissance d'un secteur informel, berceau des initiatives de
développement individuelles et collectives.
Mais avant d'aller en profondeur dans l'analyse, essayons de
découvrir ce que renferme ce concept de « secteur informel »
pour mieux en circonscrire l'impact sur l'entrepreneuriat.
Il suffit d'un bref survol comparatif de la littérature
pour se persuader de l'incapacité des chercheurs à
préciser les contours d'un secteur informel.
Historiquement, ce concept prend forme dès le
début des années 70 en raison de l'intérêt croissant
des économistes pour les pays du Tiers-Monde et pour la part
écrasante d'activités économiques qui ne sont pas
répertoriées par les États au sein de ces zones que l'on
considérait alors « en voie de développement ».
On distingue essentiellement deux grandes familles de chercheurs
dans le domaine de l'économie informelle :
· la première souhaite mettre en évidence
certaines pratiques volontairement occultées par l'entrepreneur. On
désigne alors par des termes à forte connotation négative
des activités partiellement ou totalement illégales ;
· la seconde s'attache comme la précédente
au comportement des agents mais elle délaisse sa vision juridique au
profit d'une vision socio-économique : on désigne alors un mode
de production spécifique (on étudie l'organisation sociale, les
réseaux de solidarité, les originalités
culturelles...).
Les personnes qui exercent des activités informelles
ont leur propre « économie politique », leurs propres
règles, conventions, institutions et structures informelles ou de
groupes. Ces règles et conventions régies par l'entraide et la
confiance réciproques permettent aux actifs du secteur d'octroyer ou de
bénéficier des prêts, d'organiser des
formations et des transferts de technologies mais aussi de
compétences pour faciliter l'accès au marché. Par contre,
sur quoi se fondent ces règles ou normes informelles, reste
méconnaissable.
Ce secteur rime généralement avec la
précarité à cause de la faiblesse des revenus et du manque
de couverture sociale et contribue a plus de 90% à la réduction
de la pauvreté, et 54% de la valeur ajoutée globale selon les
résultats de l'Enquête de Suivi de la pauvreté au
Sénégal (ESPS) en 2005, même s'il constitue un
véritable domaine pourvoyeur d'emplois.
Sept critères caractérisent cette économie
en marge de la production classique de biens et de services :
facilité d'accès aux activités ;
utilisation de ressources locales ;
propriété familiale des entreprises ;
échelle restreinte des opérations ;
utilisation de techniques simples et nombre réduit de
travailleurs ;
qualifications acquises en dehors du système scolaire
officiel ;
marchés échappant à tout règlement
et ouverts à la concurrence.
Au-delà des questions de sémantique, il y a
surtout lieu de retenir, que le secteur informel génère 97% des
créations d'emploi au Sénégal, où chômage et
sous-emploi touchent plus d'un quart de la population ayant l'âge de
travailler, selon une étude sur l'emploi au Sénégal de la
Banque Mondiale, de janvier 2010. Et elle soutient que « c'est quand
les travailleurs sont incapables de trouver des emplois dans les entreprises
formelles, qu'ils se refugient dans le secteur informel11
».
En somme la précarité, le chômage des
jeunes et la rareté de l'emploi salarié justifient l'existence et
l'importance du secteur informel et sa contribution dans l'économie du
Sénégal. Pour autant, peut-il être considéré
comme relevant du dynamisme entrepreneurial?
11 Autres points de vue. L'économie
informelle recouvre selon l'OCDE toutes les activités où il
n'existe pas de lien entre une activité économique et une
unité institutionnelle reconnue et où la production issue de
l'activité ne peut être échangée sur un
marché (OCDE, 2002, p. 20).
En effet, il faut distinguer deux approches lorsqu'il s'agit de
l'économie informelle.
Il existe des types d'agents économiques qui exercent
des activités génératrices de revenu, avec un niveau
d'instruction faible certes, dans un cadre qui n'a rien d'une entreprise dont
l'unique souci est une logique de survie. Pour ces individus, la
nécessité de lutter contre le manque de revenu et le besoin de
sortir de la précarité, les obligent à développer
leur sens de l'initiative et de constance dans l'effort. Toutes choses, qui
caractérisent les entrepreneurs. Mais leurs lacunes sont telles qu'ils
sont plus proches des « gorgorlou 12» que de
l'entrepreneur type.
Par contre, d'autres se réfugient dans
l'informalité par stratégie. Cette idée est
défendue par Williams, qui considère qu'entreprendre dans le
secteur informel peut être une stratégie comme c'est le cas en
Angleterre où 70% des entrepreneurs nouvellement établis
préfèrent exercer une partie de leur activité dans ce
secteur. C'est ce que Hainard et Ischer désignent par «
l'informalité comme conséquence » et «
l'informalité comme stratégie » et que le BIT confirme avec
l'idée selon laquelle l'économie informelle sert
d'incubateur pour de nombreux entrepreneurs. (Bureau 2010, p.19).
C'est cette dialectique inextricable qui rythme la marche du
secteur informel. Son rôle et sa prépondérance dans les
économies des pays en développement nous amènent à
l'inclure dans les dynamiques entrepreneuriales même si ces acteurs
méritent d'être accompagnés dans le sens de la
légalité.
ii. La dimension genre dans les logiques
entrepreneuriales.
Devant la crise de l'emploi salarié de nos pays en
développement, et l'abandon prématuré des études
des jeunes filles et d'autres couches défavorisées, il s'est
développées d'autres formes de stratégies de lutte contre
la pauvreté, et de création de richesses, qui ont fini par
s'ériger en modèles de développement économiques.
Dans ce processus, la femme joue un rôle non moins important.
De plus en plus, l'entrepreneuriat féminin est reconnu
comme une source importante
d'emploi et de croissance potentielle. En fait,
les données sont très rares, mais en Europe
12 C'est un type de Sénégalais qui se
caractérise par sa débrouillardise, n'ayant pas de revenu, touche
à tout pour nourrir sa famille, manque de profession. Un entrepreneur de
ce genre manque d'aptitudes en gestion par exemple.
(tant dans les pays de l'Union européenne que dans les
autres), les estimations indiquent l'existence de plus de 10 millions de femmes
travailleuses indépendantes. Aux ÉtatsUnis, 6,4 millions de
femmes travailleuses indépendantes fournissent un emploi à 9,2
millions de personnes. Si on applique le ratio constaté aux Etats-Unis
entre le nombre de salariés et le nombre de travailleurs
indépendants, on estime que les femmes travailleuses
indépendantes pourraient employer 15 millions de personnes environ dans
les pays européens.
À vrai dire, notamment dans les économies en
développement, le travail indépendant représente pour les
femmes l'une des possibilités d'emploi les plus importantes. En outre,
les femmes se comportant différemment des hommes, l'entrepreneuriat
féminin apporte à la société des solutions
différentes et souvent innovantes aux problèmes de management et
d'organisation, ainsi que l'exploitation d'opportunités nouvelles.
Au Sénégal, l'entrepreneuriat féminin
est aussi une réalité de notre économie. Les femmes
entrepreneures contribuent chaque année pour prés de 3milliards
de francs Cfa, soit 5% du PIB13. Pour mieux apprécier leur
impact, la Direction de l'entrepreneuriat féminin compte mener une
enquête allant dans ce sens.
Par ailleurs, dans un ouvrage intitulé
L'entrepreneuriat féminin au Sénégal. Les
transformations des rapports de pouvoirs. (Paris, L'Harmattan, 1998,
301 p.), Fatou Sarr étudie l'entrepreneuriat féminin en le
plaçant dans le cadre des transformations des rapports entre les sexes
et dans l'histoire du développement au Sénégal. Ainsi,
elle circonscrit les contextes historique, socioculturel et économique
de la transformation des rapports de pouvoir et de l'émergence d'un
entrepreneuriat féminin.
Selon l'auteure, la démarche des entrepreneures au
Sénégal cadre avec une approche du développement
endogène (Samir Amin) : les femmes organisent leurs propres structures
d'accumulation du capital [les « tontines » en sont unes] et
leurs pratiques économiques constituent une articulation entre une
logique individuelle et une logique collective acceptable pour la
communauté. Les activités [entrepreneuriales] menées par
ces femmes
13 Journal parlé de 11heures de Radio
Sénégal Internationale (RSI) du 29-03-2012, selon les sources de
la Direction de l'entrepreneuriat féminin.
sont généralement liées aux
activités traditionnelles des Sénégalaises : couture,
teinture, commerce alimentaire et commerce des tissus.
Son étude porte sur vingt femmes parmi celles qui ont
le mieux réussi dans les affaires et elle examine leurs cheminements et
partage les contraintes auxquelles elles sont confrontées.
Ces femmes, évoluant dans le secteur informel et
n'ayant que très peu de moyens financiers, ont réussi à
devenir d'importantes entrepreneures. Selon elle, des activités
domestiques ces femmes sont passées en une vingtaine d'années aux
affaires florissantes qu'elles mènent aujourd'hui ce qui, constituant
une réussite économique importante, au point de valoriser l'image
autrefois négative des femmes d'affaires au Sénégal.
Parmi les nombreux obstacles, elle expose notamment les
contraintes sociales et les rapports sociaux de genre défavorables aux
femmes : l'aliénation culturelle et le pouvoir du mari, les rapports
hommes-femmes dans le monde des affaires et les pratiques discriminatoires et,
enfin, les charges familiales et sociales supportées par les femmes au
risque de mettre leur entreprise en péril.
Il y aussi l'obstacle financier, notamment le non-accès
au crédit bancaire.
Les difficultés liées au contexte
économique sénégalais depuis le début des
années 90 : une récession générale, la mise en
place d'un programme d'ajustement structurel, la dévaluation du franc
CFA, la politique de libéralisation et la concurrence asiatique rend
plus complexe l'accès des femmes au crédit. S'y ajoutent les
limites imposées par la politique fiscale, les lourdeurs administratives
et le clientélisme de l'État.
Enfin, elle cite les problèmes techniques souvent
liés aux limites des femmes issues du secteur informel : le manque de
formation et la méconnaissance des textes de loi.
En définitive, comme les femmes choisies dans
l'étude de Fatou Sarr, l'apport des entrepreneures dans les logiques de
développement économique est visible dans les familles, dans la
société malgré la difficulté d'accès
à des données statistiques. Elles sont à l'origine de
nombreuses initiatives de création de richesses, de stratégies de
survies et de lutte contre la pauvreté, mais cette forme
d'entrepreneuriat mérite un encadrement spécifique et des mesures
incitatives de la part de l'État à l'instar du Fonds National de
Promotion de l'entrepreneuriat Féminin.