7. Construction de l'objet
A propos de la construction de l'objet, Grawitz (1996, p.346)
affirme que "c'est un impératif sans mode d'emploi ". Autrement, "Chaque
thème de recherche comporte un objet différent et chaque
construction doit donc s'adapter à l'objet à construire. "
(Grawitz, 1996, p.346).
Pour prévenir toute dérive au niveau de cette
phase cruciale de la recherche, Javeau (1990, p.115) avertit que " l'objet ne
sera pas construit seulement de manière spéculative ".Le cadre de
référence théorique guidera les relevés
d'éléments empiriques qui permettront de construire un
modèle heuristique de l'objet.
Dans le cadre de ce travail, pour construire notre objet, il
semble donc nécessaire de s'écarter, avant tout, des visions
simplistes, courantes de la médecine traditionnelle, pour en faire, en
rapport avec notre problématique, un objet sociologique.
La médecine traditionnelle est un objet complexe. Sans
une précision des contenus assignés à cette notion, il est
impossible d'en faire un objet de recherche.
La meilleure manière de faire de la médecine
traditionnelle un objet sociologique semble être, de dégager les
grands traits représentatifs de sa signification socioanthropologique,
que nous allons prendre en compte dans nos investigations. Il s'agit donc de
définir un « type - idéal» de la médecine
traditionnelle, susceptible de refléter les grandes lignes qui la
caractérisent. Ce type - idéal devra ensuite être
confronté à la réalité empirique. Selon
Ferréol (1995, p.273), le type -idéal au sens
wébérien, est un "schéma opératoire permettant de
comprendre et de donner un sens à la réalité".
Dans cette perspective, trois caractéristiques majeures
nous semblent importantes à prendre en considération dans toute
étude socio-anthropologique de la médecine traditionnelle : le
social, le culturel, le thérapeutique.
La dimension sociale de la médecine traditionnelle est
prouvée par le fait que la tradithérapie a une fonction sociale
qui consiste à guérir les maladies, mais aussi à maintenir
la cohésion sociale. Ainsi, est-il souvent souligné, le fait
qu'en Afrique les guérisseurs "ont un rôle social majeur dans la
communauté, car ils détiennent les clés de l'ordre social
" (Fontaine, 1995, p.84).
En ce qui concerne la dimension culturelle de la
médecine traditionnelle, elle réside "dans le rituel qui
précède et accompagne la récolte, la préparation et
l'administration des remèdes ; et d'autre part dans les conditions
d'efficacité de ceux-ci, essentiellement liées au mode de
classification des affections qui n'est pas nécessairement fondé
sur les catégories cliniques observables" (Gollnhoffer et Sillans, 1975,
p. 285). La tradithérapie se fonde donc aussi sur des
croyances, représentations et pratiques rituelles culturellement
marquées et auxquelles adhérent aussi bien les tradipraticiens
que leurs patients. Ainsi, certains pensent, à propos des remèdes
traditionnels que " leur efficacité tient à cet enclavement
culturel " (De Rosny 1992, p.34).
La dimension la plus évidente de la médecine
traditionnelle est celle thérapeutique. En effet, la médecine
traditionnelle a d'abord et avant tout pour vocation de soigner. Pour cela, des
pratiques empiriques comme la phytothérapie sont employées par
les tradithérapeutes pour guérir leurs malades. Ils "
imprègnent le corps de leurs patients de ces substances
végétales dont-ils ont le secret : herbes, feuilles
fraîches, écorces, racines, oignons, bourgeons et fruits sont
taillés, pilés, pulvérisés, liquéfiés
et finalement consommés"(De Rosny 1992, p.30). Des actes rituels,
symboliques, magiques sont aussi utilisés par les guérisseurs
pour soigner. L'objectif visé à travers ces actes, consiste pour
le tradithérapeute, "à rétablir l'harmonie, à
réinstaller son client à la place qu'il
tenait avant sa maladie, dans l'ordre cosmique et humain qui doit
être le sien " (De Rosny 1992, p.31).
Signalons que les trois dimensions majeures de l'objet,
dégagées sont étroitement liées les unes aux
autres. Ainsi, les fonctions sociales de la tradithérapie peuvent
être rattachées aux représentations culturelles et se
reflètent sur les pratiques thérapeutiques. En fait, les
traitements traditionnels prennent "racine dans une organisation et une
structure socio- culturelles" (Fontaine, 1995, p.84).
Dans la perspective d'une approche socio - anthropologique, la
médecine traditionnelle peut donc être construite, de façon
idéale typique, comme un système. A ce niveau, même si
Grawitz (1996, p.395) affirme " qu'il est difficile de donner une
définition incontestable et précise du terme «
Système »", Ferréol (1995, p.259) quant à lui, montre
qu'on peut considérer comme système, tout "ensemble
d'éléments, matériels ou non, qui dépendent
réciproquement les unes des autres de manière à former un
tout organisé "
Cependant il est nécessaire de préciser comme le
fait Ladrière (1990, p.1031) dans l'Encyclopédie Universalis, que
" le système possède un degré de complexité plus
grand que ses parties, autrement dit, qu'il possède des
propriétés irréductibles à celles de ses
composantes. Cette irréductibilité doit être
attribuée à la présence des relations qui unissent les
composantes".
Autrement dit, la médecine traditionnelle doit
être conçue comme un système plus complexe que les parties
qui la constituent ; car le social, le culturel et encore moins le
thérapeutique ne fonctionnent isolément au niveau de la
tradithérapie. Dans ce cadre, des chercheurs comme De Rosny (1992, p.31)
parlent de médecine globale avec des "traitements
cosmo-socio-psychothérapeutique" pour qualifier la médecine
traditionnelle.
En définitive, dans le cadre de ce travail, notre
tentative de construction de l'objet nous conduit finalement, à
considérer la médecine traditionnelle comme
un système idéal - typique, constitué par
l'imbrication du social, du culturel et du thérapeutique. Toutefois, ce
système de type - idéal devra être confronté
à la réalité empirique pour comprendre les effets de la
valorisation sur la tradithérapie dans le centre. Il s'agira donc de
s'exercer à trouver la conformité ou les différences entre
la médecine traditionnelle telle que mise en oeuvre dans l'hôpital
traditionnel «la maison de la feuille'' et le type idéal de
tradithérapie construit.
A ce titre, la construction systémique est heuristique
car comme indiqué par Ladrière (1990, p.1031), "les
propriétés globales les plus intéressantes d'un
système, sont celles qui ont trait à son comportement
évolutif".
Mode de classification des affections (nosologie)
![](Valorisation-de-la-medecine-traditionnelle-en-contexte-africain-experience-de-la-maison-de-la-fe6.png)
Rituels thérapeutiques
Croyances et représentations liées à la
maladie,
la santé, la guérison.
Dimension culturelle
Pratiques empiriques (phytothérapie, massage ...)
Fonctions sociales de la médecine traditionnelle.
(Guérir les maladies, maintenir la cohésion
sociale).
Médecine traditionnelle
L'exercice de la médecine traditionnelle
dans des institutions sociales.
Dimension thérapeutique
Dimension sociale
Pratiques symboliques, magico #177; religieuses
Schéma récapitulatif de la construction de
l'objet "médecine traditionnelle". Source : (Fontaine,1995)
![](Valorisation-de-la-medecine-traditionnelle-en-contexte-africain-experience-de-la-maison-de-la-fe7.png)
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