CHAPITRE II : LES IMPLICATIONS SOCIO-CULTURELLES DE LA
VALORISATION
Ce travail de recherche s'inscrit dans la sociologie dynamique
développée par des chercheurs comme Georges Balandier qui
étudient les transformations qui interviennent dans les traditions, les
formes et organisations sociales avec la modernité. Selon Balandier,
«la modernité» c'est le bougé, "la
déconstruction et la reconstruction, l'effacement et l'apport neuf, le
désordre de la création et l'ordre des choses encore en place"
(Balandier, 1985, p.14).
A `'la maison de la feuille'', la valorisation de la
médecine traditionnelle manifeste un triple processus. La
déconstruction avec des ruptures importantes par rapport à la
médecine endogène. La continuité avec le maintien de
certains éléments de l'ordre traditionnel. La reconstruction
à travers la création d'une manière inédite de
pratiquer la tradithérapie.
1. Les ruptures
Avec la valorisation, certaines pratiques et
représentations liées à la tradithérapie au centre,
sont en déphasage avec les logiques sociales et culturelles qui fondent
la médecine traditionnelle. Ces ruptures impliquent un affaiblissement
de la base socio-culturelle de la médecine endogène.
1.1. Un affaiblissement de la base socio-culturelle de la
médecine
traditionnelle
L'affaiblissement de la base socio-culturelle de la
tradithérapie est perceptible à plusieurs niveaux dans le centre.
Sur le plan étiologique, selon Auge, (1983, p.35), il y a souvent "des
mises en cause sociales (peut être faudrait-il écrire des mises en
cause sociale) qui suivent les manifestations du désordre biologique" en
médecine traditionnelle.
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A `'la maison de la feuille» par contre la
tradithérapie est assez « internalisée »
(Fournier et Haddad, 1995, pp.289-325), c'est à dire
qu'elle se concentre sur l'explication des événements (maladies
et thérapeutiques) fondée sur une analyse des processus
physiologiques, au détriment de la recherche d'une causalité
sociale qui caractérise très souvent la médecine
endogène. L'exemple du SIDA permet d'illustrer l'approche
étiologique privilégiée dans cette structure. En effet,
même si des domaines comme la santé publique montrent de plus en
plus la relation entre la maladie et certains facteurs ou groupes sociaux
à risques (prostitués, homosexuels, faiblesse du niveau
d'instruction ), les soignants de l'hôpital traditionnel «la
maison de la feuille» considèrent comme les médecins
modernes d'ailleurs, que le SIDA est provoqué par le VIH et ne lient pas
la cause
L'approche étiologique dans le centre étant
déconnectée des logiques sociales et
culturelles sur lesquelles se base souvent la médecine
traditionnelle, les modalités du diagnostic dans cet
établissement rompent pour l'essentiel avec la
médecine traditionnelle classique. En effet, dans cette
structure, les guérisseurs
pour procéder au diagnostic, interrogent le patient,
observent son corps comme
le font les médecins modernes. Cest l'individu qui les
intéresse, c'est lui seul qui
peut permettre de découvrir la nature, le sens de la
maladie. En médecine
endogène par contre, comme le montre Auge (1983 ,p.35)
"le sens de la maladie ne se lit plus simplement sur le corps du malade,
mais éventuellement sur celui
des autres, de l'entourage, de ceux qui, à leur tour,
naissent, rêvent, tombent
malades ou meurent", Cest pourquoi, en médecine
traditionnelle, le diagnostic
l'une des m
La nosographie promue dans le centre est également en
rupture avec le modèle classique de la médecine
traditionnelle. En effet, seules les maladies
«naturelles»
sont officiellement reconnues dans cet établissement, la
catégorie du surnaturel
n'y étant pas prise en compte officiellement dans la
classification des affections.
Cette approche nosographique détermine fortement les
pratiques thérapeutiques dans le centre. Dans cette structure, les
pratiques empiriques, comme la phytothérapie, les massages, sont les
seules recommandées. Les pratiques thérapeutiques symboliques,
rituelles, incantatoires, magico-religieuses sont mises à
l'écart. D'ailleurs, le règlement intérieur proscrit
l'utilisation de ces pratiques par les guérisseurs. Toutefois il existe
une salle de consultation du Fâ dans le centre. Aucun
tradithérapeute n'a le droit de faire la proposition de consultation du
Fâ au malade ; sauf si celui-ci lui demande ; et ceci à cause du
caract~re laïc de l'hôpital. Nous devons aussi noter que même
apr~s la consultation du Fâ, aucun sacrifice ne se fait dans le centre.
La consultation permet simplement dans ce cas d'avoir une idée sur
l'orientation thérapeutique.
En analysant l'affaiblissement progressif de la base
socio-culturelle de la tradithérapie avec certaines tentatives de
valorisation de la médecine traditionnelle, Dozon (1987, p.12) confirme
le processus en cours dans le centre. Pour lui, de plus en plus, "le terme de
tradipraticien représente à lui seul une véritable
épure qui ne réfère à aucune compétence
particulière, mais suggère une figure positive
dépouillée de tout élément magico-religieux".
Notons également qu'à `'la maison de la
feuille'', les plantes utilisées pour la cure sont collectées par
le personnel du centre ou achetées au marché. Ce qui n'est pas
conforme à la démarche classique en médecine
endogène. En effet, pour l'africain, la nature est inerte par elle
même, si elle n'est pas activée par la parole. Ainsi, est-ce la
raison pour laquelle le thérapeute traditionnel ne prépare jamais
un médicament, pas plus qu'il ne prélève tout ou partie
d'une plante qui, par essence, est naturelle, sans lui donner ce support
culturel qu'est le verbe qui rétablit le dialogue entre la nature et la
culture que la maladie a rompu" (Sillans et Gollnhoffer ,1975,p.286). Si
l'approche socio-culturelle de la médecine traditionnelle classique
était respectée à `'la maison de la feuille'', ce sont les
guérisseurs qui se chargeraient eux-mêmes de la collecte de toutes
les plantes
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médicinales qu'ils emploient avec fortes incantations et
rituelles. Tel n'est évidemment pas le cas.
Le mode de rétribution des prestations sanitaires
montre également une rupture entre la tradithérapie dans le
centre et le modèle socio-culturel de médecine traditionnelle. En
effet, nombre de chercheurs comme Fontaine (1995, p.134), ont montré que
le système endogène de médecine préconise une
rémunération des guérisseurs qui valorise plus
l'être (reconnaissance, respect du tradipraticien) que l'avoir tandis que
le "système médical moderne fait appel à une
économie marchande dans laquelle l'activité de soins est devenue
une activité de subsistance voire lucrative". Dans ce centre,
le tradithérapeute, a un salaire mensuel, il ne doit absolument rien
prendre du patient.
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