DEUXIEME PARTIE :
PRESENTATION ET INTERPRETATION DES
DONNEES
CHAPITRE I : PRATIQUES ET REPRESENTATIONS MEDICALES
Afin de montrer la spécificité des pratiques et
représentations médicales, dans le centre, nous allons exposer
dans ce chapitre les orientations thérapeutiques de cette structure.
Nous allons aussi présenter les itinéraires thérapeutiques
des malades, les rapports entre tradithérapie et médecine
moderne, les dimensions socio-culturelles de la médecine traditionnelle
dans ce centre.
1. Les orientations thérapeutiques
Elles s'inscrivent dans les préoccupations et objectifs du
centre concernant les
méthodes de soins mais aussi dans ce qu'on pourrait
appeler la «philosophie» médicale du centre.
A ce niveau, notons que la phytothérapie constitue la
base de la tradithérapie dans le centre. En effet, les
médications employées par le centre sont issues de plantes
médicinales mais aussi de compositions diverses. Cela se traduit dans
les propos d'un des tradithérapeutes qui affirmait que : « ici,
notre atout est que nous savons associer les plantes ».
Par ailleurs, toutes les méthodes thérapeutiques
ne sont pas avalisées par l'établissement. Ainsi, à
l'intérieur du centre, l'utilisation de médicaments modernes est
strictement proscrite pour conserver l'aspect endogène de la cure. Cette
option qui procqde d'une quête de revendication identitaire est
perceptible dans les propos d'un des membres de la direction qui affirmait :
« nous voulons rester nous-mêmes ».
Il y a lieu également de souligner que le
règlement du centre interdit tout sacrifice, toute pratique incantatoire
dans les soins . Le centre tient à préserver le respect des
croyances religieuses étant donné qu'il est un centre
laïc.
Les pratiques rituelles sont aussi bannies comme
méthodes thérapeutiques. C'est ainsi que le directeur
général du centre affirme : « nous évitons tout
ce qui est mystique, parce que ce sont des choses que nous ne connaissons pas.
Si un
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tradipraticien à des connaissances mystiques, il
peut les utiliser mais en dehors du centre ».
Sur le plan nosologique, seules les maladies
(naturelles» sont officiellement reconnues dans le centre, la
catégorie du surnaturel n'étant pas prise en compte dans la
classification des affections. Cependant, il faut noter que la plupart des
guérisseurs disent accorder une importance au surnaturel dans leurs
pratiques. Un des tradipraticiens enquêtés affirme même
employer la « divination » au niveau de la phase
diagnostique.
2. Les itinéraires thérapeutiques des
malades
Malgré une prédominance des chrétiens (81%)
et des gouns (45%), les patients du centre sont d'origines religieuse et
ethnique diverses.
La prédominance de ce groupe socio-culturel pourrait
s'expliquer par la présence du centre sur leur territoire. Quant au taux
élevé des chrétiens, il serait lié au
caractère officiel laïc de la maison qui évite tout ce qui
est mystique dans le traitement.
En plus, alors qu'aucun malade enquêté n'a moins
de 17ans, les plus de 40 ans représentent 50%. Un tradithérapeute
explique cette situation en ces termes (les personnes
âgées sont plus réceptives à la médecine
traditionnelle alors que les jeunes, à cause de l'école
ont le mépris de la tradition».
Les malades interrogés ont des itinéraires
thérapeutiques diverses. En effet ils sont tous passés par des
hôpitaux modernes ou / et des tradipraticiens avant d'aller à
l'hôpital traditionnel «la maison de la feuille''. Ainsi, un
tradithérapeute affirme, parlant des malades : (personne n'est venue
ici directement».
Le tableau 6 présente la fiche signalétique des
malades enquêtés
Tableau 6 : Fiche signalétique des
malades enquêtés
Malade
|
Effectif
|
Pourcentage
|
Religion
|
Chrétien
|
18
|
81,81
|
Musulman
|
04
|
18,19
|
Sexe
|
Masculin
|
15
|
68,18
|
Féminin
|
7
|
31,82
|
Ethnie
|
Goun
|
10
|
45,46
|
Fon
|
6
|
27,28
|
Yorouba
|
3
|
13,63
|
Adja
|
2
|
9,09
|
Toffin
|
1
|
4,54
|
Source : Enquête de terrain, Juillet
2011
Par rapport à l'itinéraire thérapeutique
proprement dit, quatorze (14) malades sur vingt deux (22) ont d'abord
essayé la médecine moderne avant de se tourner vers le centre.
Six (6) malades sont passés par des hôpitaux modernes, puis par
des tradipraticiens avant de recourir à `'la maison de la feuille'' de
Porto-Novo. C'est pourquoi, un membre de la direction dit des malades de
«la maison de la feuille'' : «ce sont des
découragés des hôpitaux ».
L'examen des itinéraires thérapeutiques montre
que la plupart des malades ont déjà eu à
expérimenter un traitement, avant de venir au centre. Le centre est donc
en quelque sorte un dernier recours au patient qui n'arrive pas à
trouver une issue pour sa maladie.
Hôpital
|
|
Guérisseur
|
|
|
|
|
Hôpital
|
|
|
|
|
|
|
|
2 malades
6 malades
`'La maison de la feuille''
Graphique : Itinéraires thérapeutiques des
malades interrogés (dernier épisode de la maladie)
Source : Enquête de terrain, juillet
2011
Tableau 7 : Niveau de fréquentation de la
médecine traditionnelle des malades.
Malades
|
Effectif
|
Pourcentage
|
Sollicitent la médecine traditionnelle pour la
première fois au centre
|
4
|
18,18
|
Ont déjà sollicité la
médecine traditionnelle dans leur vie avant le centre
|
18
|
81,82
|
Total
|
22
|
100
|
51
Source : Enquête de terrain, juillet
2011.
La plupart des patients interrogés pensent que la
médecine traditionnelle à `'la maison de la feuille''
présente des spécificités par rapport à d'autres
pratiques endogènes. Pour justifier ces spécificités les
malades avancent les arguments suivants : « ce n'est pas cher, c'est
plus sûr, c'est plus efficace, c'est plus moderne ».
Les malades, dans leur majorité, semblent satisfaits des
soins qu'ils reçoivent dans le centre comme le témoigne le
tableau 8.
Tableau 8 : Niveau de satisfaction des malades
par rapport au centre.
Malades
|
Effectif
|
Pourcentage
|
Accepteraient de recommander le centre à d'autres
patients
|
19
|
86,36
|
Refuseraient de recommander le centre à d'autres
patients
|
0
|
0
|
Ne savent pas s'ils feraient la publicité du centre
|
3
|
13,64
|
Total
|
22
|
100
|
Source : Enquête de terrain, juillet
2011
La plupart (86%) des patients enquêtés affirme
qu'ils accepteraient de recommander le centre à d'autres malades.
Seulement 13% ne savent pas s'ils feraient la publicité du centre et la
justification qu'ils donnent, c'est qu'au moment de l'enquête,
c'était leur premier jour de contact avec le centre, ils ne pouvaient
donc pas, donner leur avis sur la structure. Ce qui est remarquable, c'est que
lors des investigations empiriques, aucun patient interrogé n'a
décrié ouvertement le centre ou avoué sa
déception.
Les malades interrogés sont venus d'un peu partout du
territoire national. Ceux qui sont de Porto- Novo et dans les environs
disent avoir connu le centre par les
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émissions radio que les tradithérapeutes font
par rapport à certaines pathologies. Ceux qui viennent de très
loin ; c'est la minorité, disent avoir connu le centre à travers
la bouche à oreille.
L'itinéraire thérapeutique d'un malade dont nous
avons recueilli l'opinion, est révélateur du profil
général des patients du centre.
Encadré 1
«Je souffre d'une maladie du ventre [.. .], je suis
d'abord parti à l'hôpital moderne. Là-bas on ne m'a rien
dit de clair. On m'a prescrit des ordonnances que je ne parvenais pas à
acheter la plupart du temps, à cause des prix élevés.
C'est ensuite qu'on m'a conseillé de me tourner vers la médecine
traditionnelle car il se pourrait que je sois victime d'une «agression
mystique».
Tout en explorant la médecine traditionnelle, je
n'avais pas pour autant abandonner les traitements modernes. C'est devant la
persistance de la maladie
qu'un ami m'a recommandé `'la maison de la
feuille». Depuis que je viens ici, je rends grace à Dieu, mon
état s'est beaucoup amélioré. Pour moi, c'est la
médecine du noir qui peut guérir la maladie du noir ».
Patiente, 35 ans.
Si les prix élevés des médicaments
modernes et l'insatisfaction des patients dans les soins expliquent le transit
de certains de la médecine «occidentale» vers
l'hôpital traditionnel «la maison de la feuille'', d'autres malades
par contre évoquent des problèmes de communication avec les
professionnels de la santé pour justifier le changement d'alternative
thérapeutique. Dans cette perspective, un patient s'exprime ainsi :
Encadré 2
«Je ne dis pas que la médecine moderne est
inefficace mais elle est compliquée pour les analphabètes comme
moi. Je ne parvenais à lire les notices des médicaments que les
médecins me prescrivaient et ces derniers ne prennent pas le temps
d'expliquer les traitements dans les détails à des personnes
pauvres comme moi. C'est pour ces raisons que j'ai choisi de me soigner
désormais au centre. Ici au moins, je peux parler le goun avec les
guérisseurs et ils respectent mon âge.» Patient,
62 ans.
|
L'argument du retour à la tradition est
également avancé par des patients interrogés pour
expliquer leur recours au centre. Un autre malade s'exprime ainsi :
Encadré 3
« Il est actuellement impossible d'être en
bonne santé parce qu'on mange trop d'huile et d'engrais. Seul le retour
à notre tradition dans notre façon de vivre, de nous soigner,
peut nous sauver ». Patient, 49 ans.
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